Selon que le rapporte une ancienne tradition de i’Égypte , la découverte de cet
art étoit due à Mañeros (i). Nous avons vu, il y a un instant, ce qu’étoit Osiris,
ce joyeux protecteur des arts; nous avons vu également ce qu’étoit Horus, ce chef
des neuf vierges que les Grecs nommèrent depuis Muses, lesquelles exceiloient
dans tous les arts qui ont rapport à la musique. Il ne nous reste donc plus main-
tenant cju a savoir ce cju etoit Mañeros, inventeur de cet art.
Hérodote (2) nous assure que les Égyptiens donnoient ce nom à celui que les
Giecs appejoient Linus ; il ajoute que Mañeros passoit en Égypte pour le fils du
premier îoi de ce pays. Le savant Jahlonski (3) avoit d’abord pensé que le nom de
Mañeros pouvoit avoir été composé des deux mots Égyptiens «cstE?, mcneh ou
tnaneh, qui signifie éternel, et qui veut dire fils, descendant; ce qui auroit
ait «-EHtippcr^ Mcneh-chroti, ou Maneli-chroti (car les Égyptiens prononcent souvent
aussi la lettre e comme notre a), et auroit signifié jf/r ou descendant de ¡’Éternel. Il fait
remarquer en même temps que le récit d’Hérodote concernant Mañeros semble conduire,
comme par la main, à cette interprétation : néanmoins, dit-il, il n’y attache
auçune importance. Il cite ensuite ce que dit Hésychius au mot Mañeros, et traduit
ainsi le texte de cet auteur, Mañeros, initié, instruit par les mages, ’fu t le premier qui enseigna
la théologie aux Egyptiens, en substituant le mot à celui de
qu on lit dans le texte,parce que ce mpt ne luiparoîtpas.présenter un .sens commode.
Mais n’auroit-on pas pu entendre aussi par iputofaati, qu’i l les, réunit en corps'de
société, q u illes civilisa, ou qu’il leur dwma des lois! Ce sens VaumiÎtiTrien de déraisonnable
en s o i, ni d’incompatible avec ce que nous apprennent Platon et
Plutarque : le premier, en nous disant que, chez les Égyptiens, .tous les chants
etoient consacrés par des lois et en portoient le nom (4); le second, en nous rapportant
que Mañeros passoit chez les Égyptiens pour avoir inventé la musique ;
car alors il s’ensuivrait, dans le sens de Platon, que Mañeros, en“ instituant la
musique en Egypte, auroit en effet donné des lois aux Égyptiens. D ’ailleurs il se
pourrait^ que la même tradition qui lui attribuoit l’invention de la musique, l’eût
aussi présenté comme celui qui le premier avoit civilisé les Égyptiens par ses
chants et qui leur avoit donné des lois, puisque cetoit une opinion reçue parmi les
Égyptiens, l'es Grecs et les Latins même, que tous les peuples devoient le bonheur
de leur civilisation au chant. Ce que les Égyptiens disoient d’Osiris, ce que les Grecs
et les Latins disoient d’Orphée (5), auroit pu, à plus'forte raison, se dire dans ce
cas de 1 inventeur de la musique : car çe fut sans doute moins par la fprce et la
violence que par la persuasion et par lès charmes puissans de l’éloquence, que les
hommes furent déterminés à recevoir dès lois d’un de leurs semblables^ et à le
reconnoître pour leur maître, leur chef; et cette éloquence si énergique/« si
E y > PIutar‘io e < et HJOsiris, page }» ,> " (y) Horat. de. A rt. poet. v. yp i.e ts cq q ,
3. x TT. ... ■ Plusieurs savans ont pensé que le non\(i Orphée étoit
( 2 1 Jriist, lit). 1 1 . 'j. j» . . f , y.. ... . . . ' ;
■ B n i t / origine Égyptienne; qu i! signifioit, dans son acception
i l W t o T r W M W W & M P- “ *• » étymologique ,^p//./'i?ri«, qu’on éc r ira i» * Horus. Voyez
oue tè s C r e c í „ f r !'■ T S doUte aussi ' F r id - S a ir - d^Schmidt, Opuscule quitus res antiques,,r m- "
ou. signifie /ai aPP' " ,S d ‘ ” °m d e ' * * ' % ' f uiacé. eeplanamur; Disse... ter.ia ,,/ e Orphei
jy 0 r¡ et Amphionis norninibus. Carolsruhæ, 176 5 , in-8.°
persuasive étoit en effet, comme nous le verrons bientôt, ce qui constituoit la
première musique.
• Les Égyptiens, en rapportant que Mañeros inventa la musique, qu'il mourut,
étant encore enfant, de la frayeur que lui causa un regard d’Isis courroucée contre
lu i, parce qu’il avoit osé s’approcher secrètement d’elle, et l’avoit surprise embrassant
le corps mort de son époux;Hérodote, en nous assurant que le Linus des
Grecs n’étoit autre chose que le Mañeros des Égyptiens, et que celui-ci étoit fils
du premier roi d’Égypte; Hésychius, en nous apprenant que Mañeros fut le premier
qui civilisa les Égyptiens, nous paraissent prouver assez clairement que les Grecs
ont cherché à imiter cette allégorie dans leur fable de Linus, où ils noiis présentent
celui-ci comme'ayant été l’inventeur de leur musique, comme celui qui
les avoit civilisés par ses chants, et qui avoit été tué d’un coup que , dans un accès
de colère, Hercule lui avoit porté avec sa lyre : du moins c’est à peu près de cette
manière que les Grecs ont travesti et en quelque sorte parodié les ingénieuses et
philosophiques allégories des Égyptiens.
Jusqu’ici, la raison ne nous permettant pas de voir dans les personnages dont
les anciennes traditions de l’Égypte font mention, autre chose que des êtres allégoriques,
nous ne pouvons avoir aucun motif suffisant pour ne pas adopter l’explication
étymologique du nom de Mañeros que nous a donnée Jablonski en le
rendant parjKr de ¡ ’Éternel; quoiqu’il n’en ait pas fait lui-même grand cas. Cette
explication est encore celle qui s’accorde le mieux avec l’esprit dans lequel sont
conçues toutes les autres allégories Égyptiennes.
De même qu’Osiris, représenté au milieu de plusieurs musiciens, aimant le chant
et la danse, et y prenant plaisir, avoit été appelé le dieu ou le génie du bien ; de
même que Horus, chef des neuf Muses, fut regardé comme le dieu de l’ordre et
de l’harmonie , on put donner également au génie qui avoit fait inventer la
musique, le nom de fils de l ’Éternel. Ce n’est que dans ce sens que les Grecs disoient
qu’Apollon étoit fils de Jupiter; Hésiode (i) et Plutarque (2) n’ont pas eu
d’autres raisons pour appeler les Muses filles de Jupiter. On a même tout lieu de
présumer que les Égyptiens considéraient Mañeros plutôt comme le fils de lEternel
qu’autrement, puisqu’ils disoient que ce n’étoit point le nom d’un homme (3),
mais seulement une exclamation dont ils avoient coutume de se servir à l’occasion
de quelque événement heureux; et il est très-vraisemblable qu’ils disoient en ce
cas , fils de l ’Éternel! comme nous disons, grand Dieu! Dieu tout puissant ! comme
les Italiens et les Espagnols disent Santa Madonna! comme les Arabes disent y a
A llah! pour manifester le contentement ou la surprise.et tout-à-la-fois en rendre
grâces à Dieu. A in s i, lorsque les Égyptiens appeloient l’inventeur de la musique
fils de fÉternel; Horus le chef des Muses, dieu de l ’harmonie, frère du dieu et du
génie du bien ; lorsqu’ils représentoient Osiris entouré de musiciens et prenant
plaisir à la musique, ils vouloient dire par-là, n’en doutons pas, que la musique (4 )
( 1 ) Hesiod. Theog. v. 25 et 36. ' (3 ) Plutarque, d ’ I s is t t d 'O s ir is ,
(2 ) Plutarque, des Propos de ta b le , quest. S U I , ( 4 ) Les anciens entendoient généralement par m u -
page 436, E , G . tique tout ce qui étoit bien, tout ce qui étoit conforme