
2 J 2 DE LA GÉOGRAPHIE COMPARÉE ET DU COMMERCE
C H A P I T R E VI.
De l île d Ophiodes ou Topaços et de la montagne des Émeraudes,
§. I.er
L i l e d Ophiodes, ou les rois d’Égypte employoîent une grande quantité d’ouvriers
à la recherche des pierres précieuses, étoit située, suivant Diodore de Sicile
etStrabon,au midi du golfe Acaiharius. Diodore (t) lui donne quatre-vingts stades
<Ie longueur; et selon Juba, dont le témoignage nous a été conservé par Pline [z, ,
-elle etoit distante du continent de trois cents stades. Dans l’origine, elle portoit
le nom d’Ophiodes ou Sîle des Serpens, remplie effectivement de serpens venimeux,
qui la rendoient inhabitable; mais, sous le règne d’un des Lagides, on y découvrit
des mines de topazes qui furent long-temps exploitées, et qui firent changer son
nom en celui de Topa^os.
L ’entrée de l’île étoit rigoureusement défendue à tous les voyageurs; ils la
redoutoient, et s en eloignoient soigneusement : ceux qui osoient y aborder,
étoient mis à mort par les gardes et les ouvriers chargés de l'exploitation, et l’on
ne laissoit meme aucun vaisseau dans lde (g'j. Sans doute on ne doit pas entièrement
compter sur 1 exactitude des détails transmis par les écrivains contemporains;
mais, en laissant de côté les circonstances qui peuvent être suspectes, et les détails
fabuleux où entre Diodore de Sicile sur la manière d’exploiter les topazes, le fait
principal n’en demeurera pas moins avéré, c’est-à-dire, l’existence d’une île située
à quelque distance au sud de 1 isthme de Coptos, et d’où l’on a tiré jadis des
pierres précieuses. Voilà donc ce qu’il faut retrouver aujourd’hui.
Etant à Cosseyr, j ai tâché de me procurer des renseignemens sur une île située à
une journée de navigation . vers le sud, et connue dans cette contrée sous les noms
de Siberget et de Geiiret el-Unumurud. Les Arabes Ababdés que j’ai consultés s’ac-
cordoient tous a dire que dans 1 intérieur de cette île il existoit plusieurs puits assez
profonds, dans lesquels, suivant une tradition fort ancienne, on avoit exploité
des émeraudes : les circonstances ne m’ont point permis d’aller vérifier leurs renseignemens;
mais il me semble impossible d’en douter-, puisqu’ils sont tout-à-fait
conformes a ce qua rapporté Bruce, qui a visité ces lieux.
C e voyageur, partant de Cosseyr, employa pour ce trajet un peu plus d’une
journée (4 ), mais par un vent très-foible, et rasant toujours la côte. Ayant pris
hauteur à une lieue au nord de L ie , il trouva, pour latitude du point où il
observoit, 25° 6'; ce qui donne, pour le centre de l’île , 25° précis; latitude
très-remarquable, parce quelle est rigoureusement celle qu’attribue Ptolémée à
la montagne des Émeraudes, j n j
Par sa configuration, 1 île de Siberget présente encore , avec le Smaragdus
° iod° r; ’S ic - BmibW- Iib- ™ - (4) Bruce. Voyage aux sources du N i l , tom e I."
( - ) P l i n .M s r .M i . ib . V I , cap. 29. - (5) P io lem . G togr . Iib. i y .
(3) D iod . Sic . Biblioth. hist, lib. n i .
nions, un rapport bien frappant ; elle renferme une montagne isolée, qui , s’élevant
vers le centre de 1 île, sur un terrain plat, se fait remarquer de très-loin comme une
colonne qui sortiroit du sein de la mer (1). Au pied de cette montagne se trouvent
cinq puits fort profonds , de quatre à cinq pieds de diamètre, qui ont conservé
jusqu’ici le nom de Puits des Emeraudes. Les environs sont semés, entre autres
débris, de fragmens de lampes antiques, tout-à-fait semblables à ceux que l’on
rencontre par milliers dans 1 Italie et dans la Grece; preuve certaine de l’antiquité
de ces exploitations.
Jusqu ici 1 on a toujours pensé que les mines demeraudes indiquées par Ptolémée
de voient se trouver sur le continent, parce que ce géographe fait mention d’une
montagne, et non pas dune île; mais ces deux circonstances ne s’excluent pas,
et dans 1 de de Siberget nous les voyons reunies : il suffit d’ailleurs de faire attention
à la longitude donnée à la montagne des Émeraudes, pour s’apercevoir qu’elle
ne peut appartenir au continent; car, dans les tables de l’ancien astronome, tous
les points du rivage voisins du Smaragdus mous sont beaucoup moins avances que
lui vers l’est. Le point le plus oriental de la côte, l’ancien promontoire Lcpte■ a
pour longitude (2) 6 4 ° l±o'\ la montagne des Émeraudes, placée par Ptolémée
a 64° 5o', est donc plus orientale de 1 o’ , ou d’environ quatre lieues, que le
méridien qui passe par ce promontoire ; par conséquent, suivant Ptolémée lui-
même, elle est située dans la pleine mer.
Le Smaragdus mous se trouvant dans une île , toutes les incertitudes sur sa
position précise se trouvent dissipées. C ’est la montagne même de Siberget ou
d’Uzzumurud; sa latitude aussi-bien que sa longitude, sa forme, les travaux
anciens qu’on y voit encore, les traditions subsistantes jusqu’aujourd’hui, enfin
l’identité des noms, ne nous permettent point d’en douter. Nous pouvons ajouter
que les Arabes Ababdés, en parlant de cette montagne, l’appellent souvent
Gebel Uiiumurud [ la montagne des Émeraudes],
§. II.
L ’i d e n t i t é de l'île TopaZos avec le Smaragdus mons de Ptolémée semble
présenter un peu plus de difficulté : mais , si l’on considère que Ptolémée ne fait
point mention du nom de T o p a is , ni d’aucune autre île dans cette position,
excepté celle des Émeraudes, et que jamais personne n’a parlé dans ces mêmes
parages de deux îles où il y eût des exploitations de pierres précieuses, il faudra
bien, malgré la diversité des noms, admettre leur identité.
On verra dailleurs, dans des recherches sur l’ancienne minéralogie de l’Égypte,
qu’il y a des raisons de penser que les Grecs ont exploité des topazes et des émeraudes
dans la même île (3). Il ne faut donc pas s’étonner que, bien que l’île
( .) Bruce, Voyage aux sources du Nil. demeraudes; nous devions ici nous borner à la détermi-
/~v n ° em‘ 6°Sj ' 1 ’ IV* nation du seul point qui eût des rapports de position avec
, (3,!.r trouvera dans ce travail des ecla.rcissemens sur les lieux fréquentés par les anciens pendant leur comtes
amerens lieux ou les anciens ont indiqué des mines merce.
A. G 2 a