
S. V.
Epoque de l ’Erection du Monument.
Je crois n’être contredit par personne, en rapportant la construction de ce
monument au temps où les Perses étoient maîtres de l’Égypte ; mais il seroit
plus difficile de déterminer d’une manière satisfaisante quelle époque précise il
faut adopter dans le long espace qui s’écoula depuis Cambyse, qui fit la conquête
de cette contrée, jusqu’à Darius-Codomanus, qui en fut dépouillé par Alexandre.
A considérer la perfection de la sculpture et son caractère parfaitement semblable
a celui des plus beaux bas-reliefs Égyptiens, on doit supposer que ces travaux
appartiennent aux premiers temps de la domination des Perses, et qu’ils furent
exécutés, non pas précisément sous Cambyse, qui, loin d’élever de nouveaux édifices,
pilla et saccagea les anciens; mais sous Darius fils d’Hystaspe, son successeur,
qui protégea les arts, et entreprit dans l’Égypte beaucoup de travaux utiles; Il est
encore une circonstance très-certaine qui donne bien du poids à cette conjecture,
c’est que ce même Darius entreprit dans l’intérieur de l’isthme, précisément vers
1 endroit où se trouve ce monument, un travail très-important, l’achèvement du
canal de communication des deux mers, déjà commencé par les rois Égyptiens. Ce
canal passoit assez près de l’endroit où se trouvent les ruines dont nous parlons : or
il semble bien naturel que l’on ait constaté une entreprise de cette importance par
1 érection d’un monument, et qu’on en ait consigné les détails dans des inscriptions
faites d’une manière durable.
L ’intelligence de ces inscriptions leveroit toutes les difficultés ; mais on n’a encore
sur ces caractères que de foibles données : cependant ce moyen peut encore mériter
de n’être pas entièrement négligé.
s. VI.
Essai sur le Déchiffrement d’une portion des Inscriptions de ce Monument.
Nous avons dit plus haut que ces inscriptions sont en caractères Persépolitains,
vulgairement dits écriture à clous, semblables à ceux que l’on a trouvés sur les
ruines de Babylone et celles de Persépolis.
Des trois systèmes d’écriture distingués par M. Niebuhr sur les édifices de
Persepolis, un seul a été employé ici, le plus simple.
Nombre de savans se sont déjà exercés sur l’interprétation des caractères Persépolitains,
et principalement sur cette première espèce, dont la marche simple et
régulière laissoit plus d’espoir de succès ; mais les seuls travaux publiés jusqu’ici
qui aient présenté quelques résultats intéressans, sont ceux de M. Münter, et de
M. Grotefend, de 1 académie de Gottingue. C’est ainsi qu’en a jugé M. de Sacy,
a 1 opinion duquel donnent tant de poids ses connoissances profondes dans l’histoire
et les langues de l’Orient, ainsi que ses propres découvertes sur les anciennes
écritures de cette contrée.
J’ai été curieux de faire sur la portion d’inscription que j’avois recueillie, l’application
de la méthode de M. Grotefend et des observations de M. de Sacy
relatives au déchiffrement de l’écriture Persépolitaine ; mais, pour bien entendre ce
que j’ai à dire, il seroit utile que l’on prît connoissance des. mémoires de ces deux
savans.
Je n’avois recueilli que dix caractères de suite ; ils commencent au milieu d’un
mot : ce n’est point que les mots n’y soient séparés, comme dans les inscriptions de
Persépolis, par un trait oblique ; mais alors on n’avoit aucune donnée sur la
marche de cette singulière écriture. Voici ces dix lettres dans leur ordre, et traduites
en caractères Romains, d’après les valeurs que leur attribue M. Grotefend:
i* 2. 3. 4. j . 6. 7. 8. 9. 10.
■ . hë . <rr. « . \ k . Û . . wfl. I . ” .
D . A . R . H . E . U . S C H . T C H . H . E . GH . R . É .
Y ( i ) Y
H.'k ’u !’SC4H. ^ TCH. H.E. GH.R.É.
M. Grotefend a essayé de traduire plusieurs inscriptions, et une entre autres où
se trouve le nom de Darius fils d’Hystaspe, le même qui fit creuser le canal dont
nous avons parlé, et à qui nous avons attribué , par conjecture, l’érection du
monument de l’isthme de Suez.
Or il est très-remarquable que les quatre premiers caractères que j’ai recueillis,
soient précisément, d’après les valeurs que leur attribuent M. Grotefend et M. de
Sacy, la fin du nom de Darius, ou d a r h e u s c h , et le reste, une épithète qui dans
les autres inscriptions accompagne le nom des princes, ou se trouve immédiatement
après la qualification de roi des rois : en langue Zende, elle signifie fort
ou puissant (2).
Mais nous devons faire deux observations.
t'.° L ’u, qui se compose ordinairement d’un chevron et de deux traits verticaux
sous un trait horizontal, est privé dans mon inscription d’un des traits verticaux:
il est probable que c’est une omission de ma part ; omission assez naturelle de la
part de celui qui n’entend point la signification des mots qu’il transcrit. L ’intervalle
un peu trop grand qu’occupe le caractère, appuie cette conjecture.
2.0 L ’épithète E.GH.R.É., qui se trouve dans les inscriptions déchiffrées par
M . Grotefend, est précédée , comme on voit, dans la mienne, par un t c h , et
un H ou Y , qui font partie du mot, et qui n’accompagnent point ce même mot
dans les autres inscriptions. U ne peut y avoir ici erreur de ma part, parce que
les caractères sont parfaitement conformés, et qu’en pareil cas il est bien possible
d’en omettre, mais non cl’en ajouter. Peut-être pourroit-on rendre raison de la
( i ) Voye.1 sur-tout la lettre deM. de Sacy à M . Millin, caractères indique la valeur que je crois devoir être subs-
Magasin encyclopédique, année V I I I , tome V ,p a g , 438. tituée à cette aspiration, comme cela sera développé plus
(2 ) L ’y placé sous, i’ 1-1 dans les premier et sixième bas.