
derniers labours , pour en tirer plus de profit : cependant
quand le printems eft fec , il y a à craindre
qu’il nebrûle la l'emence ; ce qui n’arriveroit pas li
on l’avoit répandu l’hyver : mais en ce cas il faudrait
en mettre davantage, ou en efpérer moins de
profit.
Le premier & le plus confidéràble de ces labours
fe donne dans les mois de Décembre & de Janvier:
on le nomme entre-hyver. Il y en a qui le font à la
•charrue, en labourant par filions ; d’autres le donnent
à la houe ou à la mare, formant aufîi des filions
-, pour que les .gelées d’hyver ameubliffent
mieux ia terre: il y en a aufîi qui le font à la bêche;
il eft fans contredit meilleur que les autres , mais
auffiplus long & plus pénible ; au contraire du labour
d la charrue , qu’il eft le plus expéditif, 6c le
moins .profitable.
Le printems on prépare la terre à recevoir la fe*
mence, par deux où trois labours qu’on fait à quinze
jours ou trois femaines les uns des autres ; lesfaifant
toûjourS de plus-en pktslegers, 6c travaillant la terre
à plat.
• Il eft bon de remarquer que ces labours peuvent ,
comme celui d’h y v e r , être faits à la charrue , à la
houe, ou à la bêche.
Enfin quand après tous ces labours il refte quelques
mottes, on les rompt avec des maillets ; car
il faut que toute la cheneviere foit aufli unie 6c
aufîi meuble que les planches d’un parterre.
Dans le courant du mois d’Avril on feme le chenevi
, les uns quinze jours plutôt que les autres, &
tous courent des rifques-différens : ceux qui fement
de bonne heure, ont à craindre les gelées du printems
, qui font beaucoup de tort aux chanvres nouvellement
levés ; 6c ceux qui fement trop tard , ont
à craindre les féchereffes , qui empêchent quelquefois
le chenevi de lever.
Le chenevi doit être femé dru, fans quoi le ckan-
vre deviendrait gros, l’écorce en feroit trop ligneufe,
& la filaffe trop dure ; ce qui eft un grand defaut :•
cependant quand il eft femé trop dru, il refte beaucoup
de petit-s piés qui font étouffés parles autres,
& c’eft encore un inconvénient. Il faut donc obfer-
ver Un milieu , qu’on atteint ailement par 1 ulage ;
& ordinairement les chenevieres ne font trop claires
que quand il a péri une partie de la femence, ou
par les gelées, ou par la féchereffe, ou par d’autres
accidens. .
Il eft bonde remarquer que le chenevi eft une le-
menfe huileufe ; car ces fortes de femences rancif-
fentavec le tems, 6c alors elles ne lèvent plus ; c’eft
pourquoi il faut faire en forte de ne femer que du
chenevi de la derniere récolte : quand on en feme
qui a deux ans , il y a bien des grains qui ne lèvent
pas ; 6c de celui qui feroit plus v ieu x , il en leveroit
encore moins;
Lorfque le chenevi eft femé, il le faut enterrer ;
& cela fe fait ou avec une herfe , fi la terre a été
labourée à la charrue ; ou avec un rateau, fi elle a
été façonnée à bras. ; r ,
Malgré cette précaution, il faut garder trés-foi-
gnelifementla cheneviere jufqu’à ce que la femence
foit entièrement le v é e , fans quoi quantité d’oifeaux,
& fur-tout les pigeons , détruifent tou t, fans épargner
les femences qui feraient bien enterrées. Il eft
vrai que les pigeons & les oifeaux qui negratent
point, ne font aucun tort aux grains de blé qui font
recouverts de terre; mais la différence qu’il y a entre
ces deux îemencés, d’eftque1 le grain de blé ne
fort point de terre avec l’herbe qu’il pouffe, au lieu
que lé chenevi fort tout entier deterre quandil germe;
c’eft alors que les pigeons en font un plus grand
dégât-, parce qu’appercevant le chenevi, ils arrach
en t la plante Scia font périr,
Les chenevieres qui ont coûté beaucoup de peine
6c de travail jufqu’à ce que le chenevi foit levé ,
n’en exigent prelque plus jufqu’au tems de la récolte
; on fe contente ordinairement d’entretenir les
foffés, 6c d’empêcher les beftiaux d’en approcher.
Cependant quand les féchereffes font grandes, il
y a des gens laborieux qui arrofent leurs chenevieres;
mais il faut qu’elles foientpetites, 6c que l’eau
en foit à portée ; à moins qu’on ne pût les arrofer
par immerfion, comme on le pratique en quelques
endroits.
Nous avons dit qu’il arrivoit quelquefois des accidens
au chenevi, qui faifoient que la cheneviere
étoit claire , & nous avons remarqué qu’alors le
chanvre étoit gros, branchu, & incapable de fournir
de belle filaffe ; dans ce ca s , pour tirer quelque parti
de la cheneviere, ne fût-ce que pour le chenevi qui
n?en fera que meilleur, il faudra la farder , pour
empêcher les mauvaifes herbes d’étouffer le chanvre„
Vers le commencement d’Août les piés de chanvre
qui ne portent point de graine, qu’on appelle
mal-à-propos chanvre femelle, & que nous appellerons/
« mâle y commencent à jaunir à la cime & à
blanchir par le pié ; ce qui indique qu’il eft en état
d’ être arraché : alors les femmes entrent dans la cheneviere
, 6c tirent tous les piés mâles dont elles font
des poignées qu’elles arrangent au bord du champ ,
ayant attention de n’endommager le chanvre femelle
que le moins qu’il eft poffible ; car il doit refter encore
quelque tems en terre pour achever d’y mûrÿ:
fa femence.
Nous avons dit qu’en arrachant le chanvre mâle
on en formoit des poignées: on a foin que les brins
qui forment une poignée foient à-peu-près d’une égale
longueur, & on les arrange de façon que toutes
les racines foient égales.; enfin chaque poignée eft
liée avec un petit brin de chanvre.
On les expofe enfuite au foleil pour faire fécher
les feuilles 6c les fleurs ; & quand elles font bien
feches, on les fait tomber en frappant chaque poignée
contre un tronc d’arbre ou contre un mur, &
on joint plufieurs de ces poignées enfemble , pour
former des bottes affez groffes qu’on porte au rou-
toir.
Le lieu qu’on appelle routoir, 6c où l’on donne
au chanvre cette préparation qu’on appelle rouir ou
naifer, eft une foffe de trois ou quatre toifes de longueur
, fur deux ou trois toifes de largeur, 6c de
trois ou quatre piés de profondeur, remplie d’eau :
c’eft fou vent une fource qui remplit ces routoir s ; 6c
quand ils font pleins, ils fe déchargent de fuperficie
par un écoulement qu’on y a ménagé.
Il y a des routoirs qui ne font qu’un fimple foffé
fait fur le bord d’une riviere ; quelques-uns même,
au mépris des ordonnances, n’ont point d’autres
routoirs que le lit même des rivières : enfin quand
on eft éloigné des fources & des rivières, on met
rouir le chanvre dans les foffés pleins d’eau 6c dans les
mares. Examinons maintenant ce qu’on fe propofe
ën mettant rouir le chanvre. -
Pour rouir le chanvre, on l’arrange au fond de
l’eau, on le couvre d’un peii de paille, & on l’afi
fujettit fous l ’eau en le chargeant avec des morceaux
de bois & des pierres, comme on voit PI. 1. première
divijion, en q.
On le laiffe en cet état jufqu’à ce que l ’écorce qui
doit fournir la filaffe fe détache aifément de la chenevotte
qui eft au milieu, ce qu’on reconnoît en eft
fayant de tems en tems fi l’écorce ceffe d’être adhérente
à la chenevotte ; & quand elle s’en détache
fans aucune difficulté, on jug.e que le chanvre eft affez
roiii , & on le tire du routoir.
L’opération dont nous parlons fait quelque çhofe
de plus que de difpofer la filaffe à quitter la chenevotte
; elle affine & attendrit la filaffe.
Il eft dangereux de tenir trop long-tems le chanvre
dans l’eau ; car alors il roiiit trop, le chanvre eft trop
pourri, 6c en ce cas la filaffe n’a plus de force : au
contraire, quand le chanvre n’a pas été affez long-
tems dans l’eau, l’écorce refte adhérente à la chenevotte
; la filaffe eft dure, élaftique, & On ne la peut
jamais bien affiner. Il y a donc un milieu à garder ;
çe milieu ne dépend pas feulement du tems qu’on
laiffe le chanvre dans l’eau, mais encore,
i°.. D e la qualité de l’eau ; il eft plutôt rpiii dans
l ’eau dormante que dans celle qui coule, dans 1 eau
qui croupit que dans celle qui eft claire. § |
z°. De la chaleur de l’air; il fe roiiit plûtôt quand
il fait chaud que quand il fait froid.
3°. De la qualité du chanvre; celui qui a été eleve
dans une terre douce, qui n’a point manque d eau,
& qu’on a cueilli un peu verd, eft plûtôt roü'i que
celui qui a crû dans une terre forte ou feche, 6c
qu’on a laiffe beaucoup mûrir.
En général on croit que quand le chanvre refte peu
dans l’eau pour fe roiiir, la filaffe en eft meilleure ;
c’eft pour cela qu’on prétend qu’il ne faut roiiir que
.par les tems chauds : & quand les automnes font
froids, il y en a qui remettent au printems fuivant
à roiiir leur chanvre femelle; quelques-uns même préfèrent
de roiiir leur-chanvre dans de l’eau dormante,
même dans de l’eau croupiffante, plûtôt que dans de
•l’eau vive.
M. Duhamel, auteur du traité de Corderie, d’où
nous tirons cet article abrégé, mit roiiir du chanvre
•dans différentes eaux, 6c il lui parut que la filaffe du
chanvre qui avoit été ' roiii dans l’eau Croupiffante ,
étoit plus douce que celle du chanvre opf on av.oiî roiii
dans l’eau courante ; mais la filaffe contraâe dans les
eaux qui ne coulent point, une couleur defagréable,
<jui ne lui caufe à la vérité aucun préjudice , car elle
n’ en blanchit que plus aifément : cependant cette
couleur déplaît, 6c la filaffe en eft moins marchande ;
c’eft'poutquoi on fait paffer, autant qu on le peu t,
au-travers des routoirs un petir courant d’eau qui renouvelle
celle du routoir y 6c qui empêche qu’elle ne
le corrompe. 9
Il eft évident par ce que nous avons dit, quon
ne peut pas fixer le tems qu’il faut laiffer le chanvre
dans le routoir, puifque la qualité du chanvre, celle
de l’eau 6c la température de l’air, ralentiffent ou
précipitent cette opération. , ,
On a coûtume de juger que le chanvre a ete fuffi-
famment roiii, en éprouvant fi l’écorce fe leve aifément
6c de toute fa longueur de deffus la chenevot-
te ; outre cela il faut avoiier que la grande habitude
des pay-fans qui cultivent le chanvrejjjj les aide beaucoup
à në lui donner que le degré de roiii qui lui
convient : cependant ils s’y trompent quelquefois,
& il m’a paru qu’il y avoit des provinces ou 1 on
étoit dans l’ufage confiant de rouir- plus que dans
d’autres. • . V J
Il eft .bon d’être averti qu’il faut éviter de mettre
rouir le chanvre dans certaines eaux où il y a quantité
de petites chevrettes ; car ces animaux le -coupent,
& la filaffe eft prefque perdue.
En parlant de la récolte du chanvre mâle, -nous
avons dit qu’on laiffoit encore quelque -tems le chanvre
femelle en terre pour lui donner le stems de mûrir
fa femence; mais ce délai fait que'le chanvre femelle
mûrit trop, fon écorce devient trop ligneufe ; 6c il
s’enfuit que la filaffe qu’il-fournit , eft plus groffiere
6ç plus rude que celle du mâle: néanmoins quand on
voit que la femenée eft bien formée , on arrache le
chanvre femelle comme on a fait le male9 6c on 1 arrange
de même par poignées,
j Dans certains pays, pour achever la maturité du
chenevi, on fait à différens endroits de la cheneviere
des foffés rondes de la profondeur d’un pié 6c de
trois à quatre piés de diamètre, & on arrange dans
le fond de ces foffés les poignées de chanvre bien ferrées
les unes auprès des autres, de telle forte que la
graine foit en-bas 6c la racine en-haut ; on les retient
enfuite en cette fituation avec des liens de paille, &
on releve tout-autour de cette groffe gerbe la terre
qu’on avoit tirée de la foffe, pour que les têtes du
chanvre foient bien étouffées.
La tête de ce chanvre s’échauffe à l’aide de l’humidité
qui y eft contenue, comme s’échauffe un tas
de foin verd ou une couche de fumier : cette chaleur
achevé de mûrir le chenevi, & le difpofe à fortir plus
aifément de fes enveloppes.
Quand le chenevi a acquis cette qualité, on retire
le chanvre de ces foffés, où il fe moifiroit fi on l’y- laiffoit
plus long-tems.
Dans d’autres cantons où il y a beaucoup de charte
vre, on ne l’enterre point, on le contente de l’arranger
par tas tête contre tête ; & quelques jours après
on travaille à en retirer le chenevi, comme nous
allons l’expliquer. '
Ceux qui ne font que de petites récoltes, étendent
un drap par terre pour recevoir leur chenevi ; les
autres nettoyent 6c préparent une place bien unie
•fur laquelle ils étendent leur chanvre, en mettant
toutes les têtes du même côté ; ils le battent légèrement
, ou avec un morceau de bois, ou avec de petits
fléaux : cette opération fait tomber la meilleure
graine, qu’ils mettent à part pour la femer le printems
fuivant; mais il refte encore beaucoup de chenevi
dans les têtes. Pour le retirer, ils peignent la
tête de leur chanvre fur les dents d’un infiniment
qu’on appelle un égrugeoir, qu’on voit même Plane.
même divijion , en r ; 6c par cette opération l’on fait
tomber en même tems 6c pêle-mêle, les feuilles, les
enveloppes1 des femences, 6c les femences elles-mêmes
: on conferve tout cela en tas pendant quelques
jours, puis on l’étend pour le faire fécher; enfin on
le b at, & on nettoye le chenevi en le vannant & en
le paffant par le crible.
C’ eft cette fécondé graine qui fert à faire l’huile de
chenevi 6c à nourrir les volailles.
A l’égard du chanvre, on le porte au routoir, qÿ
pour y fouf&ir la même préparation que le chanvre
mâle. ....
Quand on a retiré le chanvre du routoir, on délie
les bottes pour les faire fécher ; on les étend au foleil
le long d’un mur, ou fur la berge d’un foffé, où fim-
plement à-plat dans un endroit où il n’y ait point d’humidité
: on a foin de les retourner de tems en tems;
6c quand le chanvre eft bien fe c , on le-remet en bottes
pour le porter à la maifon, où on le conferve dans
un lieu fec jufqu’à ce qu’on veuille le tiller ou le broyer
de la maniéré fuivante.
Il y a des provinces où l’on tille tout le chanvre,’
& dans d’autres il n’y a que ceux qui en recueillent
peu qui le tillent; les autres le broyenr.
La façon de tiller le chanvre eft fi fimple, que les
enfans y réuflîffent auffi-bien que les grandes per-
•fonnes : elle confifte à prendre les brins de chanvre
les uns après les autres, à rompre la chenevotte, &
à en détacher la filaffe en la faifant couler entre les
doigts. On voit même Planche, même divijion, cette
operation, en s.
Ce travail paroît un peu long ; néanmoins comme
il s’exécute dans des momens perdus & par les enfans
qui gardent les beftiaux, il n’eftpasfort à charge aux
-familles nombreufes : mais il ferait perdre beaucoup
de tems aux petites familles, qui ont bien plûtôt fait
de le broyer.
Avant que de broyer le chanvre , il le faut bien def-
fécher, o u , comme difent les payfans, le bien hâ