
-pant les relations des jéfuires-, le fondateur 3e la
Chine eft appelle Fanfur, fils du Soleil, pàrce qu il
prétendoit en defcendre. L’hiftoire du Pérou dit que
Manco-Capac & Coya-Mama, foetir & femme de
Manco-Capac, fondateurs de l’empire des Incas, le
donnoient l’un pour fils & l’autre pour fille du Soleil,
envoyés par leur pere pour retirer les hommes de
leur vie fauvage, & établir parmi eux 1 ordre & la
police. Thor & Odin , légiflareitrs des Vifrgoths ,
prétendirent aufîi être infpirés , & meme être des
dieux. Les révélations de Mahomet, chef des Arabes
, font trop connues pour s’y arrêter. .La race des
légiflateürs infpirés s’ell perpétuée ldng-tems , &
paraît enfin s’être terminée dans Genghizcan-, fondateur
de l’empire des Mogols. Il avoit eu des révélations
, & il n’étoit pas moins que filsdu Soleil.
Cette conduite des légiflateürs, que nous voyons .
fi conflamment foûtenue, & que nul d’entr’eux n’ft ,
jamais démentie , nous fait ydir évidemment qu’on
a crû dans tous les teins que le dogme d une Provi- 1
dence , qui fé mêle des affaires humaines ; eftle plus
puiffant frein qii’on puiffe donner aux hommes ; &
que ceux qui regardent la religion comme un reffort
inutile dans les états, connoilfent bien peu la force
de ion influence fur les efprits. Mais en faifant defcendre
du. ciel en terre comme d’un machine tous
ces dieux, pour leur infpirer les lois qu’ils dévoient
diaer aux hommes , lès légiflateürs: nous montrent
dans leurs perfonnes des fourbes St des impoiîeurs,
qui , pour fe rendre ' utiles an genre humain dans
cette vie , ne penfoient guere à le rendre heureux
dans une autre. En facrifiant le vrai à 1 utile , ils ne
s’apperceyoientpas que.le'coup qui frappoit fur ie
premier, frappoit en même tems fur le fécond, puif-
qu’il n’y a rien d’univerfellement utile qui ne foit
exaaement vrai. Ces deux chofes marchent, pour
ainfidire de front ; & nous les voyons toujours agir
en même tems fur les efprits. Suivant cette idee , on
pourrait quelquefois niefurer les degrés dé vérité
qu’une religion renferme, par les degrés d’utilité que
les états en retirent. I ,
Pourquoi donc , me direz-yous , les régulateurs
n’ont-il pas confulté le vrai , pour rendre plus utile
aux peuples la religion fur laquelle ils fondoient leurs
lois ? C ’eft, vous répondrai-je , parce qu’ils les trouvèrent
imbus , ou plutôt inièftés de la fuperftition
qui divinifoit les aftres , les héros, les princes. Ils
n’ignoroient pas que les différentes branches duPa-
sanifme étoient autant de religions fauffes & ridicules
: mais ils aimèrent mieux les laiffer avec tous
leurs défauts, que de les épurer de toutes les fuper-
ftitions qui les corrompoient. Ils craignoient qu en
détrompant l’efprit groffier des vulgaires humains
fur cette multitude de dieux qu’ils adoroient , ils ne
vinffent à leur perfuader qu’il n’y avoit point de
Dieu. Voilà ce qui les arrêtoit : ils n’ofoient hasarder
la vérité que-dans les grands myfteres , fi célébrés
dans l’antiquité profane ; encore avoient-ils
foin de n’y admettre que des personnes choifies &
capables de fupporter l’idée du vrai Dieu. « Qu’é-
toit-ce qu’Athènes, dit le grand Boffuet, dans fon
» hijl. univ. la plus polie & la plus favante de toutes
» les villes greques-, qui prenoit pour athées ceux
» qui partaient des chofes intelleâuelles, qui con-
» damna Socrate pour avoir enfeigné que les fta-
» tues n’étoient pas des dieux, comme l’entendoit
» le vulgaire » ? Cette ville étoit bien capable d’ih-
timider les légiflateürs , qui n’auroient pas refpècté
en fait de religion les préjugés qu’un grand poète
nomme à fi jufte titre les rois du vulgaire.
C’étoit fans doute une mauvaise politique de la
part de ces légiflateürs ; car tant qu’ils ne tariffoient
pas la fource empoifonnée d’oîi les maux le répan-
doientfur les états, il ne leur étoit pas poffible d’en
arrêter l’affreux débordement. Que leur fervoit-il
d’enfeigner ouvertement dans les grands inyftereâ
l’unité & la providence d*ûn feul Dieu , fi en même
tems ils n’étoufforent pas la fuperftition qui lui affectait
des divinités locales & tutélaires ; divinités, à
la vérité, fubalternes & dépendantes de lui ; mais di-
vinités iicentieufes , qui durant leur féjour en tërrô
avoient été fujettes aux mêmes paillons & aux mêmes
vices que le refte des mortels ? Si les crimes
dont ces dieux inférieurs s’étoienr fouillés pendant
leur vie , n’avoient pas empêché l’Être fuprème de
leur accorder , en les élevant au-deffus de leur condition
naturelle , les honneurs & le s prérogatives'de
la Divinité , les adorateurs de ces hommes divinifés
pouvoient-ils fe perfuader que les crimes & les infamies,,
qui n’avoient pas nui à leur apothéofe , at-
tireroient fur leurs têtes la foudre du ciel ?
Le légiflateur des Chrétiens , animé d’un efprit?
bien différent de celui de tous les ‘légiflateürs dont
j’ai parlé ,• commença par détruire les erreurs qui
tyrannifoient le monde, afin de rendre fa religion
plus utile. En lui donnant pour premier objet la félicité
de l’autre v ie , il voulut encore qu’elle fît notre
bonheur dans celle-ci. Sur la ruine des idoles, dont
le culte fuperftitieûx entraînoit mille defordres ', il
fonda le Chriftianifme, qui adore en efprit & en vérité
un feul D ie u , jufte rémunérateur de la vertu.
Il rétablit dans fa fplendeur primitive la loi naturelle
, que les pallions avoient fi fort obfctircie ; il
révéla aux hommes une morale jufqu’alors inconnue
dans les autres religions ; il leur apprit à fe haïr
foi-même , & à renoncer à fes plus cheres inclinations
; il grava dans les efprits ce fentiment profond*
d’humilité qui détruit & anéantit toutes les reffour-
ces de l’amour-propre, en le pourfuivant jufquedanx jj
les replis les plus cachés de l’ame ; il ne renferma pas.
le pardon des injurés dans une indifférence ftoïquey
qui n’eft qu’un mépris orgueilleux de la perfonne qui
a outragé, mais il le porta jufqu’à l’amour meme
. pour fes pins cruels ennemis ; il mit la continence-
fous les gardes de la plus auftere pudeur, en l’obli-
geantàfaire un paâe avec fes yeu x, de crainte qu’un
regard indiferet n’allümât dans le coeur une flamme
criminelle ; il commanda d’allier la modeftie avec
les plus rares talens ; il réprima par une févérité prudente
le crime jufque dans la volonté même , pour
l’empêcher de fé produire au-dehors, & d’y caufer
de funeftes ravages ; il rappélla le mariage à fa première
inftitution, en défendant la polygamie ; qui ,
félon l’illuftre auteur de Y efprit des lois , n’eft point
utile au genre humain, ni à aucun des deux fexes
foit à celui qui abufe, foit à celui dont on abufe, &
encore moins aux enfans pour lefquelsde pere & .la
mere ne peuvent avoir la même affeftion , un pere
ne pouvant pas aimer vingt enfans comme une mere
en aime deux. Il eut en vue l’éternité de ce lien fa-
cré , formé par D ieu même , en proferivant la répudiation
, q u i, quoique favorable aux maris , ne
peut être que trifte pour des femmes , & pour les
enfans , qui payent toujours pour la haine que leur
pere ont pour leur mere. Voye^ le chap. du divorce &
de la répudiation du même auteur.
Ici l’impiété fe confond, & ne voyant aucune ref-
fource à attaquer la morale du Chrijlianifme du côté
de fa perfection , elle fe -retranche à dire que c ’efl:
cette perfeftion même qui le rend nuifible aux états ;
elle diftille fon fîel.contre le célibat, qu’il confeilleà
un certain ordre d'e perfonnes pour une plus grande
perfection ; elle ne peut pardonnerait jufte courroux
qu’il témoigne contre le luxe ; elle ofe même condamner
en lui cet efprit de douceur & de modération
qui le porte à pardonner, à aimer même fes ennemis
; elle ne rougit pas d’avancer que de véritables
chrétiens ne f’ormeroient pas un état qui pût
fubfifter ; elle ne craint pas de le flétrir, en oppofant
à cet efprit d’iintplerance qui le cara.Çterjfe & qui.
n’eft propre , félon elle , qu’^ former des monftres
cet el'prit de tolérance qui dpqitnoit dans l’ancien
paganifme > & qui faifqit ;des freres. de .tous ceux
qu’il portoit dans fon fein>- Étrange excès de rayeu-
glement de l’efprit huaiainr „ qui-tourne contrera religion
même ce 4’ jamais,la.,lui -renrfç? r.ef:-
peCtable !. Qui l’eût, ena-que\z'Çhrifianifk(i ,.enpro-
pofant aux hommes fa fitblime morale,: aurqit un
jour, à fe défendre du reproche de rendre les hommes
malheureux dans cette vie , pour vouloir-îes rendre
hétireux.dans l ’autre ?
Lé célibat ^dites-yous , ne peut être que pernicieux
aux états , qu’il prive d’un grand nombre de
fujets, qu’on peut-appeller leur véritable richeffe.■ Qui
ne’connoît les lois que les Romains ont faites en-différentes
occafions pour remettre en honneur le1 mariage
, pour foûmettre à fes lois ceux qui fuyoient
fes noeuds , pour fés obliger par des récompenfes &
par des peines à donner -à' l?état des - citoyens ? Ce
foin, digne fans doute d-un roi qui veut rendre fon
état floriffant, occupa l?èfprit de Louis XIV. dans
lés-plus belles années-d'bfbn regne. Mais partout oii
domine une religion qiii fait aux hommes un point
de perfeCIion-de renOneér à tout engagement , que
peuvent, pour faire fleurir le mariage & par lui la
lociété civile , tous les foins , toutes les lo is, toutes
les récompenfes du fouvêrain ? Ne fe trouvera-t-il
pas toujours de ces hommes , qui aimant en matière
de morale tout ce qui porte un caraCtere de févérité
, s’attacheront au célibat par la raifon même qui
les en éloigneroit , s’ils ne trpuvoient pas dans la
difficulté d’un tel précepte dequoi flatter leur amour
propre ?
Le célibat qui mérite de tels reproches , & contre
lequel ii n’eft pas permis de fe taire , c’eft celui, dit
l’auteur de Y efprit des lois, qui eft formé par U liberti- ;
liage , celui ou les deuxfixes fe corrompant par les finti-
rnens naturels memes, fuyent une union cj ui doit les rendre \
meilleurs , pour vivre dans celles qui les rendent toujours :
pires : c’ eft contre celui-là que doitfe déployer toute
la rigueur des lois ; parce que , comme le remarque
ce célébré auteur, cefi une réglé tirée de la nature ,
que plus on diminue le nombre des mariages qui pourvoient
f i faire, plu* on corrompt ceux qui font faits ;&
que moins il y a de gens mariés , moins il y a de fidélité
dans les mariages ; comme lorfquil y a plus d e voleurs ,
il y a plus de y ois.
Mais en quoi le célibat , que le Chrijlianifme >
adopté, peut-il être nuifible au bien de la foçiété ?
Il la prive fans doute de quelques citoyens,-; mais
ceux qu’il lui enleve pour les donner à D ieu , travaillent
à lui former ,des citoyens vertueux, & à
graver dans leurs efprits ces grands principes de dépendance
& de foûmiffion envers ceux que Dieu à
pofés fur leurs têtes. Il ne leur ôte l’embarras d’une
famille & des affaires civiles , que pour les occuper
du foin de veiller plus attentivement au maintien
de la religion , qui ne peut s’altérer qu’elle ne trouble
le repos & l’harmonie de l’état. D ’ailleurs, les
bienfaits que le Chrijlianifme verfe fur les fociétés ,
font afiéz grands, affez multipliés , pour qu’on ne
lui envie pas la vertu de continence qu’il impofe à
fes miniftres , afin que leur pureté corporelle les
rende plus dignes d’approcher des lieux oii habite la
Divinité. C’efl: comme fi quelqu’un fe plaignoit des
libéralités de la nature , parce que dans cette riche
profufion de graines qu’elle produit, il y en a quelques
unes qui demeurent ftériles.
Le luxe, nous dites-vous encore., fait la fplendeur
des états ; il aiguife l’induftrie des ouvriers, il perfectionne
les arts , il augmente toutes les branches du
commerce ; l’or & l'argent circulant de toutes parts ,
les rjehes dépenfent beaucoup ; & , comme le dit un
poète célébré , le travail gagé par la môlleffe , s’ouvre
à pas lents .un chemin à la richejfe. Qui peut nier que’
fes arts P l’indufirie , Je goût des modes , toutes'chofes
qui augmentent fans ceflé les branches du commerce
, he.foient un bien très-réel pour lès états ?
Qr IçÇhrijlianifme qui.profcritle luxe , qui l’étouffe,
’détruit bc anéantit toutes : ces choies qui en font des
dépendances néceffaiïès. Par cet efprifd’abnégation
& de renoncement à toute vanité , il introduit à leur
place la pareffe , la pauvreté, l’abandon dé tout, eri
un mot la deftru&ion des arts. Il eft dope par fa confi-
titution peu propre à, faire Je bonheur des'états.’
Le luxe , je le fa i, fait la fplendeur des états ; mai$
parce qu’il corrompt les moeurs , cet éclat qu’il répand
fur eux ne peut être que paffâgér., ou plutôt
il eft toûjours le funefte avant-coureur dè: leur .chû-ÿ
te. Ecoutez un grand maître , qui par fon, excellent
ouvrage;de Y efprit des lois, à prouvé, qu’il à voit pénétré
d’un-coup de génie toute la eonftitution des
différens états ; & il vous dira qu’une amè çorrô.m-
p.ue par le luxe , a bien d’autres defirs qüè ceùx dé
la gloire de fa patrie & ,deia fiennç propre : il vous
dira que bien-tôt elle Revient ennemie ‘.de,s lo.is qui
la gênent : il vous.dira enfin quç bannir.lë’ luxe dès
états, c’eft en bannir la corruption éü.Ies vices.,Mais,
direz-vous, la confommàtion dés produftions 'de la
nature & de l’art n’êft-eüe donc pas nécèflaire pour
faire fleurir les états ? O iii,. fans, dout,ç. ; mais votre
erreur feroit extrême , fi vous vous imaginiez qu’il
n’y a que le luxe qui puiffe faire cetté çonfômma-
tion : que.dis-je? efiçjiep.e,ut .devenir entré, fes mains
que très-pernicieufé ; carie luxe étant u b ’ajiiis des
dons de la Providence , il les dîfpenfe toûjours d’une
maniéré qui tourne , ou au. préjudice de celiii qui
en ufe , en lui faifant tof t , foit dans fa perfonne, foit
dans fes biens ; ou au préjudice de. çeux que l’on eft
obligé de fecourir & d'affifter. Je vouj? renvoyé au
profond ouvrage des. caffij de la grandeur & de La
décadence des Rp.mçins. ,,pvQury apprë.tidre quelle eft
l’influence fatale du. luxe.dans les états. Je ne vous
citerai que ce trait de Juvénal qui nous dit que le
luxe , en renverfant l’Empirè romain, vengea l’univers
dompté des vi&oiros qu’on avoit remportées fur
lui : Scevior armis luxurja inçubuit ,, viclurnque ulcifci-
tur orbem. Or ce qui renverfe les états,comment-peut-
il leur être utile & contribuer à leur grandéiir & à leur
puiffance ? Concluons donc que le- luxe , ainft que
les autres vices , eft le poïfon & la perte des états ;
& que s’il leur eft utile quelquefois,,; c e n’eft point
par fa nature , mais par certaines circonftançes ac-
peffoires, & qui lui font étrangères. Je conviens que
dans les monarchies., dont la coriftitution fuppôfe
i’inégalité des richeffes, il eft néceffaire qu’on ne fe
renferme pas dans les bornes étroites d’un fimple
néceffaire. » Si les riches , félon la remarque del’il-
» luftre auteur àç Y efprit des lois , n’y. dépenfent pas
» beaucoup, les pauvres mourront de faim : il faut
„ même que les riches y dépenfent à proportion de
» l’inégalité des fortunes , & que le? luxe yaugmen-
i » te dans cette proportion. Les richeffes partieulie-
» res n’ont augmenté , que parce.quelles ont^ ôte à
, » une partie des citoyens le néceffaire phyfique : il
» faut donc qu’il leur foit rendu. Ainfi poiir que l’é-
» tat monarchique fe foûtienne , le, luxe ;.doit aller
» en croiffant, du lahoureur à l’artifan , au négo-
» ciant, aux nobles, aux magjftrats, aux grands fei-
» gneurs, aux traitans, principaux, aux princes ; fans
» quoi tout ferait perdu ». . •
Le terme de luxe qu’employe ici M. de M . . . fe
prend pour toute dépenfe qui excede le fimple néceffaire
; dans lequel ças le luxe eft ou vicieux ou
légitime > felon qu’il abufe ou n’abufe pas des dons