
à qui notre fincérité n’eft pas fufpefte. Elle n’eft peut-être que trop connue ; mais c!eft
un malheur dont nous ne nous affligerons point, & un défaut dont nous ne pouvons nous
repentir. Nous ne doutons pas néanmoins que malgré une proteftation fi folennelle, fi libre
• & fi vraie, quelques perfonnes ne (oient encore réfolues à n’y avoir aucun égard. Nous ne
leur demandons qu’une grâce, c’eft de nous accufer par écrit, & de fe nommer.
L ’Encyclopédie, nous en convenons, a été le fujet d’un grand fcandale ; & malheur à
celui par qui il arrive ; mais ce n’étoit pas par nous. Auffi l’autorité , en prenant les mefures
convenables pour le faire ceffer, étoit trop éclairée & trop jufte poiir nous en croire coupables.
En prévenant les conféquences que des efprits foibles ou inquiets pouvoient tirer
a e quelques termes obfcurs ou peu exacts, elle a fenti que nous ne pouvions, ni ne devions
, ni ne voulions en répondre ; & fi nous avions à pardonner à nos ennemis, c’eft leur
intention feulement & non leur fuccès,
Cependant, comme l’autorité la plus fage & la plus équitable peut enfin être trompée, la
crainte d’être expofés de nouveau nous avoit fait prendre le parti de renoncer pour jamais à
la gloire pénible, legere , & dangereufe d’être les éditeurs de l’Encyclopédie. Newton ,
rebuté autrefois par de (impies dilputes littéraires, beaucoup moins redoutables & moins
vives que des attaques perlonnelles & théologiques, fe reprochoit au milieu des hommages
de fa nation, de les découvertes & de fa g lo ire , d ’avoir laiffé échapper (on repos,
la fubftance d’un philofophe, pour courir après une ombre. Combien notre repos devoit-il
nous être plus cher, à nous que rien ne pourroit dédommager de l’avoir perdu ! Deux
motifs fe joignoient à un intérêt fi effentiel : d’un c ô té , cette fierté jufte & néceflaire, auffi
eloignee de la préemption que de la baffeffe, dont on ne doit jamais ni fe glorifier ni fe
défendre , parce qu’il eft honteux d’y renoncer, qu’elle devrait faire fur-tout le caraftere
des gens de lettres , & qu’elle convient à lanobleffe & à la liberté de leur état ; de l’autre,
cette défiance de nous-mêmes que nous ne devons pas moins reflentir, & le peu d’empref-
femërit que nous avons d’occuper les autres de nous ; (entimens qui doivent être la fuite
naturelle du travail & de l’étude ; car on doit y apprendre avant toutes chofes à apprécier
les cqnnoifîances & les opinions humaines. Le fag e , & celui qui afpire à l’ê tre, traite la réputation
littéraire comme les hommes ; il (ait en jouir , & s’en paffer. A l’égard des con-
noiffances qui nous fervent à l’acquérir, & dont la jouiffance & la communication même
eft une des reflources peu nombreufes que la nature nous a ménagées contre le malheur &
contre 1 ennui, il eft permis fans doute, il eft bon même de chercher à communiquer aux
autres ces connoiffances ; c’eft prefque la (eule maniéré dont les gens de lettres puiflent être
utiles. Mais fi oh ne doit jamais être affez jaloux de ce bien pou r vouloir s’en réferver la
poffeflion, on ne doit pas non plus l’eftimer affez pour être fort empreffé d’en faire part à
perfonne.
Q u i croiroit que l ’Encyclopédie, avec de tels fentimens de la part de (es auteurs, &
peut-être avec quelque mérite de la fienne ( car elle eft fi peu notre bien , que nous en
pouvons parler comme de celui d’un autre ) eût obtenu quelque foûtien dans le tems où
nous fommes ? dans un tems où les gens de lettres ont tant de faux amis, qui les careffent
par vanité, mais qui les facrifieroient fans honte & fans remords à la moindre lueur d’ambition
ou d’intérêt ; qui peut-être, en feignant de les aimer, leshaïffent, foit parlebefoin,
foit par la crainte qu’ils en ont. Mais la vérité nous oblige de le dire; & quel autre motif
ppurroit nous arracher cet aveu ? Les difficultés qui nous rebutoient & nous éloignoient,
çnt difparu peu-à-peu, & fans aucun mouvement de notre part : il ne reftoit plus d’obfta-
cles à la continuation de l’Encyclopédie que ceux qui auraient pû venir de nous feuls ; &
nous eufîions été auffi coupables d’y en mettre aucun, que nous étions excufables de redouter
ceux qui pouvoient venir d’ailleurs. Incapables de manquer à notre patrie, qui eft
le feul objet dont l’expérience & la Philofophie ne nous ayent pas détachés, raffûrés fur-
toutpar la confiance du Miniftere public dans ceux qui font chargés de veiller à ce Diétion-
naire, nous ne ferons plus occupés que de joindre nos foibles travaux aux talens de ceux
qui veulent bien nous féconder, & dont le nombre augmente de jour en jour. Heureux ,
fi par notre ardeur & nos foins, nous pouvions engager tous les gens de lettres à contribuer
à la perfeêfion de cet O uvrage, la nation à le protéger, & les autres à le laiffer faire. Di-
fons plûtôt à faire mieux ; ils ont été les maîtres de nous fuccéder, & le font encore. Mais
nous ferions fur-tout très-flattés, fi nos premiers eflais pouvoient engager les Savans & les
Ecrivains les plus célébrés à reprendre notre travail où il en eft aujourd’hui ; nous effacerions
avec joie notre nom du frontifpice de l’Encyclopédie pour la rendre meilleure. Que les
fieçles futurs ignorent à ce prix & ce que nous avons fait & ce que nous avons fouffert
pour elle !
En attendant qu’elle jouiffe de cet avantage, qu’il nous feroit facile de lui procurer, fi
nous étions les maîtres, tout nous porte à redoubler nos efforts pour en affûrer de plus en
plus le fuccès. On s’eft déjà apperçû par la fupériorité du fécond volume fur le premier,
des nouveaux fecours que nous avions reçûs pour ce fécond volume. Mais ces fecours, tout
confidérables qu’ils étoient, ne font prefque rien en comparaifon de ceux que nous avons
eus pour celui-ci. Un grand nombre de Gens de lettres, tous eftimables pour leurs talens
& leurs lumières, (embient, comme à l’e n v i, avoir contribué à l’enrichir. Nous croyons
donc pouvoir affûrer qu’il l’emporte beaucoup fur les précédens ; nous efpérons que les
fuivans 1’emporteront encore fur celui-ci ; & quelque pénible que foit notre travail, nous
nous trouverions fuffifamment dédommagés fi nous pouvions faire dire aux critiques à
chaque volume qui paraîtra, ab ipfo durit opes animumque ferro.
Après tout ce qui s’eft paffé au fujet de cet O uvrage, on ne doit point être étonné que
ce volume paroiffe beaucoup plus tard qu’il n’auroit dû. Outre les caufes morales, des
circonftances qu’on peut appeller phyfiques en ont retardé la publication. Quelques parties
confidérables, dont le public avoit paru moins fatisfait que des autres, ont été entièrement
ou prefque entièrement refaites : cette réforme a demandé beaucoup de tems, & a
néceffairement rendu l’impreffion plus lente. Nous ne croyons pas devoir nous exeufer
d’un delai auquel ce Di&ionnaire ne fait que gagner. Nous efpérons, nous pouvons même
affûrer que les autres volumes fuivront celui-ci beaucoup plus promptement qu’il n’a fuivi
les deux premiers : nous ne prenons point là-deffus d’autre engagement ; la feule chofe dont
nous puiffions répondre, c’eft l’affiduité de notre travail & l’emploi févere de notre tems ;
mais comme nous nous trouvons, pour ainfi dire , au commencement d’un nouvel ordre
de chofes, nous fommes très-réfolus de tout facrifier déformais au bien de l’Encyclopédie
jufqu’à la promptitude avec laquelle nous fouhaiterions de (èrvir le public ; nous y fommes
d’autant plus difpofés, qu’il nous paraît que nos le&eurs ne nous impofent plus aucune loi
fur ce point, & qu’ils aiment mieux avoir un peu plus tard chaque volume, & l’avoir
meilleur.
La quantité prodigieufe de grands articles que contient celui-ci, nous a empêché d’y
renfermer entièrement la troifieme lettre de l’alphabet, qui fournit (ans comparaifon plus
qu’aucune des autres. Plufieurs raifons particulières nous ont d’ailleurs obligés d’en u(èr ainfi $
une des principales a été la crainte de publier trop tard ce troifieme volume, qu’il nous a
paru qu’on attendoit avec impatience. Néanmoins, quoique les trois premières lettres doivent
occuper ici plus de trois volumes, nous ne croyons pas que l’Ouvrage s’étende beaucoup
au-delà du nombre que nous avons promis. A meiure que nous avancerons, les ar-
^®ront moins nombreux & plus courts, parce que la plûpart des autres lettres four-
niffent moins de mots que les premières , & que d'ailleurs les renvois feront plus fréquens.
On tera enlorte, autant qu il lera poflible, de ne pas tra«.« fol* le* inêmcs matières -
& l’on tâchera par cette attention d’aller tout enfemble à l’épargne du tems, des volumes
& de la dépenfe. Nous ne devons point non plus oublier de répéter ici ce que nous avons
annoncé déjà au nom des Libraires affociés, qu’en cas d’une fécondé édition, les additions
& correftions feront diftribuées féparément à ceux qui ont acheté la première.
Pour ne point interrompre ce que nous avons à dire, nous placerons à la fuite de cet
Avertiffement les noms de ceux qui ont bien voulu concourir à l’exécution de ce volume
& des fuivans. Les articles curieux & profonds dont ils ont orné l’Encyclopédie, feront
fuffifamment leur é lo g e , & font le plus grand que nous puiffions leur donner. Mais nous
avons des obligations fi effentielles à M. le C hevalier de Jaucourt & àM. Boucher
d ’Argis ( c) , que nous croirions manquer à nous-mêmes, fi nous n’en faifions pas ici une
mention particulière. Grâces aux foins de M. Boucher d’A rg is , très-connu par fes excel-
lens ouvrages, la Jurifprudence, cette fcience malheureufement fi néceflaire, & en même
tems fi étendue, va déformais paraître dans l’Encyclopédie avec le détail & la dignité
qu’elle mérite. Nous doutons qu’aucun livi'e.de l ’efpece du nôtre (oit auffi complet, auffi
riche & auffi exaft fur cette importante matière. La Medecine, non moins néceflaire que
la Jurifprudence , la Phyfique générale, & prefque toutes les parties de la Littérature, doivent
dans ce volume un très-grând nombre de morceaux à M. de Jaucourt. Ils feront un
témoignage de l’étendue & de la variété de fes connoiffances ; & nous croyons pouvoir en
préfager le fuccès par celui des excellens articles qu’il avoit déjà inférés dans le fecond
volume. M. de Jaucourt s’eft livré à ce travail pénible avec un amour du bien public, qui
ne peut trouver fa vraie récompenfe que dans lui-même. Mais l’Encyclopédie lui appartient
de trop près, pour ne pas du moins lui donner ici de foibles marques de (à reconnoif*
fance. En célébrant les talens, elle ne doit pas laiffer les vertus dans l’oubli.
Entrons préfentement dans quelque détail fur ce troifieme volume, ou plûtôt fur ce
.Di&ionnaire en général. On doit le confidérer fous deux points-de vû e , eu égard aux matières
qu’il traite, & aux perfonnes à qui il eft principalement deftiné. Comme ces deux;
(p) Avocat au Parlement de Paris > 8c Conleiller au Confeil fouverain dePombes.
Tome III, A £ ’