
fiecle, il ne faut que jetter les yeux fur le jugement
qu’il en portoit. Nunquam, dit-il, fuit tanta apparen-
tia fapientice , nec tantum exercitium Jludii in tôt facul-
tatibus, in tôt regionibus. . . . ubique enim doclores funt
difperjî, in omni civitate , & in omni cajiro , & in omiji
burgo , quod non accidit nijî à quadraginta annis vel cir-
citer, càmtamen nunquam fuit tanta ignorantia, tantus
error. A cela près que nous fommes dans le chemin de
l’expérience , voilà un fiecle qu’on pourroit trouver
reffembler un peu au nôtre. Bacon ajoute, pour finir
la peinture de fon fiecle, apparentia quidemfola tenet
eos , & non curant quid fciant, fed quid videanturfcire
coram multitudine infenfatâ.
Bacon fit des découvertes furprenantes dans l’Af-
tronomie,dans l’Optique,la Chimie, la Medecine,ôc
les Méchaniques. Il conçut la première idée de la reformation
du calendrier julien, & cela fur le plan
même qu’on fuivit fous le Pape Grégoire XIII. plus
de 300 ans après lui. Il a décrit exaftement les lunettes
, la chambre obfcure , les telefcopes, les miroirs
ardens , &c. Quant à la Chimie, notre objet particulier,
l’honneur de l’avoir introduite en Europe
lui eft du félon Freind ; mais contemporain d’Albert
le Grand, il eft au moins un des premiers qui Payent
cultivée en occident. Bacon difoit de fon tems, qu’il
n’y avoit dans tout le monde que trois hommes qui
y entendiffent quelque chofe ; Pierre de Marharn-
court étoit un des trois ; il l’ appelle dominus experi-
mentorum. Bacon parle de preique toutes les opérations
que nous faifons aujourd’hui. Il a connu ou inventé
la poudre-à-canon. Freind foupçonne qu’il en
avoit pris la notion dans un manuferit intitulé liber
ignium, & compofé par un grec nommé Marc ; manuferit
que Freind avoit vu dans la bibliothèque du
dofteur Richard Mead, & que j’ai trouvé aufli à
la bibliothèque royale. La recette de la poudre à-
canon n’eft pas moins claire dans ce manuferit que
dans Bacon. t .
Le continuateur de Bayle prétend qu’il ne fortit
point du couvent de Paris, quelque plainte qu’il eût
à faire des perfécutions qu’il éffuyoit de la part de
fes confrères ; & qu’il ne retourna dans fa patrie que
peu de tems avant fa mort, qui arriva en 139a. Cependant
oti montre vis-à-vis d’Oxford , fur l’autre riv
e de la Tamife, une maifon qui lui fervit d’afile,
lorfque l’ignorance & la barbarie le contraignirent
de le faüver. .
Le dofteur Jebb. a donné fon opus mu/m a Londres
en 1733. Cet ouvrage eft bien digne d’être lu par
ceux qui veulent connoître tout ce dont eft capable
l ’efprit humain abandonné à fes propres forces.
Le célébré difciple d’Albert le Grand, S. Thokas
d’Aquin, a connu aufli la Chimie; on trouve des vef-
tiges de ces connoiflances dans ceux de fes ouvrages
qu’on ne fauroit lui contefter.
En un mot la plupart dés auteurs de ce fiecle qui
ont écrit fur la Philofophie naturelle , ont au moins
décoré leurs livres de quelques mots chimiques , ou
de iugemens favorables ou défavorables à cette
fcience. On trouve fur-tout dans les auteurs de
Médecine dé ce fiecle quelque remede chimique.
Voyez Ph a rm a c ie .
Le plus célébré d’entre ces médecins eft Arnauld
'de Villeneuve, dont on ne fait pas exaftement la patrie
, mais qui étoit vraisemblablement de la petite
;ville de Villeneuve fituée en Languedoc far leRhône,
vis-à-vis Avignon, oit Borrichius prétend avoir vu
lin baron de Mbntpefat, l’un des defeendans d Arnauld
de Villeneuve , qui lui donna des preuves de
fon habileté héréditaire en Chimie. Le tems de fa naif-
fance qui n’eft pas certain, peut être fixé vers le milieu
du xiij. fiecle. On fait qu’il étudia vingt ans la
Medecine à Paris, & dix ans à Montpellier, & qu’il
‘employa dix ans à vifiter toutes les univerlites d Italie.
Arnauld de Villeneuve paffe pour avoir eu la
pierre philofophale, & pour avoir convaincu de la
réalité de la tranfmutation Raimond Lu lle, auparavant
fort incrédule, par une expérience faite devant
lui. Voye^ Ph ilosoph ie herm é t iq u e .
Arnauld de Villeneuve eft un des Medecins-chi-
miftes qui a été le plus célébré, comme pofledant
un grand nombre de remedes admirables , & bien
fupérieurs à ceux qu’on préparoit par les opérations
Vulgaires : c’eft lui qui a répandu le premier l’ufa-
ge de l’eau-de-vie, dont il a vanté les vertus médicinales
, mais dont il n’a pas donné la préparation ,
qui étoit, dit-il, connue de plufieurs auffi-bien que
fes vertus, & dont effe&ivementTaddée Florentin
avoit fait mention avant lui. Eoye^ Ph a rm a c ie .;
Au refte la Chimie philofophique ne doit à Arnauld
de Villeneuve que fon célébré difciple R. Lulle.
Celui-ci né dans l’île de Majorque d’une famille
des plus nobles en 1x35 , & mort en Afrique en
1315 , eft un des Philofophes qui a fait le plus de
bruit, & dont les avantures, les moeurs, & la fcience
, ont le plus de fingularités : on en a fait un hérétique,
un martyr; on l ’a érigé en pere de toutes
les fciences ; on a extrait de fes écrits une logique,
une rhétorique , & une efpece d’encyclopédie : il fait
cependant fur-tout une figure finguliere dans l’hif-
toire de la philofophie hermétique ( voye^ Philo sophie
h erm é t iq u e ) & dans la Chimie médicinale
, par la prétendue medecine univerfelle qu’il a
propofée le premier. Voye1 Ph a rm a c ie .
Quant à la Chimie pofitive, fon teflamentum novif-
Jimum Car. régi dicatum , eft plein de connoiflances ,
de préceptes, déréglés pofitives, principalement fur
l’analyfe du v in , la diftillation ôc la rectification de
l’efprit-de-vin. Son traité intitulé expérimenta , eft
rempli de faits intéreffans. Il a beaucoup employé
dans tous fes procédés l’efprit-d e-vin, & divers
menftrues tirés des végétaux qu’il a beaucoup traités,
& fur les fels defquels il a des prétentions fin-
gulieres, & des procédés fort bien entendus. Il a
connu & employé avec intelligence l’eau forte, dont
il décrit ex profeffo plufieurs préparations, dans fon
traité intitulé clavicula ou apertorium; & cela par des
intermèdes qui rendent ces procédés très-dignes d’êtres
répétés par les Chimiftesqui faventêtre curieux;
il s’eft fervi aufli de l’eau régale, dont l’ufage n’a été
commun & appliqué aux travaux fur les métaux que
près de cent ans après fa mort. V , D é p a r t . Il annonce
dans fon elucidatio tejlamenti, l’athanor, cujus inter-
pretatio, dit-il, ejl immortalis ignis, & il en célébré l’u-
fage & l’avantage qu’il procure d’avoir un feu toujours
égal. La delcription de ce fourneau a été donnée
dans le fiecle fuivant par Jean de la Roquetaillade ,
cordelier alchimifte, plus connu fous le nom de
Kupeciffa, à qui la Chimie n’a que cette obligation.'
En un mot les ouvrages de Raimond Lulle fon t,
après ceux de Geber, le premier thréfor pour la
Chimie philofophique, & contiennent des matériaux
précieux pour l’établiflement de la théorie. Au refte
ce bon eft mêlé à beaucoup de fatras alchimique ,
quoique peu confondu, & ramaffé en pelotons aflez
diftinûs. t
Bafile Valentin eft regardé communément comme
un moine bénédiâin de 1’abbaye d^Erffort, dans l’électorat
de Mayence, quoiqu’on ait dit depuis qu’il n’y
avoit jamais eu une abbaye de bénédi£tins»à Erffort,
& qu’évidemment quelque chimifte avoit voulu fe
cacher fous ces deux noms, l’un tiré du grec &
l’autre du latin ; mais Jean Maurice Gudenus, dans
fon hiflohre de la ville d'Erffort, le réclamé à fa patrie
en aflïirant que Bafile Valentin' avoit été moine
dans l’abbaye de S. Pierre, & qu’il s’étoit diftin-
gué par une connoiffance profonde de la Medecine
& de la Nature. Nous avons fous le nom de Bafile
Valentin, quel qu’il foit, plufieurs ouvrages qui annoncent
un chimifte très-laborieux & très-verfé
dans la pratique de la Chimie pofitive, & dirigé dans
fes opérations par une méthode raifonnée. La plupart
dès procédés connus fur l’antimoine font exactement
décrits dans le traité fur ce minéral, qui porte
le titre dé currus triomphalis antimonii, qui a donné
lieu à plufieurs commentaires, entre lefqiiels on
• eftime fur-tout celui de Pierre-Jean Fabre de Caftel-
naudari, & celui de Théodore Kerkringius ; mais
il eft tombé dans un excès dangereux Iorfqù’il a attribué
des vertus médicinales à toutes les préparations
qu’il a tirées de l’antimoine. C ’eft fon autorité
qui a fondé la vogue qu’eurent les remedes antimoniaux
que les charlatans employerént indiftinfte-
ment & fans précautions, & par conféqiient avec
toutes les fuites funeftes de la témérité , jufqu’à ce
qu’enfin la fameufe guerre élevée dans le fein de la
faculté de Paris à l’oçcafion de ce demi-métal, toute
ridicule qu’on eft contraint de la trouver, occasionna
un examen plus férieux des préparations antimoniales
, étouffa les préjugés , & détermina la
valeur réelle de ceux de ces remedes dont nous tirons
le plus de fecours, aujourdhui que nous avons
appris à les manier. Vyyc^ Med ec in e & Ph arm a -
CIE.
Bafile Valentin paroît être l’auteur des trois principes
chimiques; mais on ne fait pas aflez jufqu’à
Quel point il partage cette découverte avec les HoU
landus dont on ne connoît pas exaftement le tems,
non plus que celui de Bafile Valentin. On peut pourtant
placer le dernier vers la fin du quinzième fiecle,
lorfque les maladies vénériennes cbmmençoient à
être connues; car ilindique des remedes contre cette
maladie.
Ifàac ôc Jean-Ifaac Hôllandus ou le hôllandois,
natifs de Stolk petite ville de Hollande, & que l’on
regarde comme à-peu-près contemporains de Bafile
Valentin , ont été de célébrés artiftès , comme le
prouvent leurs différens ouvrages, dont les plushabi-
biles modernes, M. Stalhlui-meme, & fur-tout Kunc-
kel ont fait un cas fingulier. Ils ont particuliérement
travaillé fur les métaux , & c’eft à eux qu’éft dùe la
maniéré de procéder à leuranalyfe par lare verbération
de là flamme * que les Ghimiftes les . plus intel-
ligens ont regardé comme une voie de procéder dont
on pouvoit le promettre lès avantages les plus marqués..
Voye^Rev erbere. Ces Çhimiftes pàrôîffertt
avoir eu des notions fort diftinftes de deux dès prin-
cipes de Becher. Ifaac & Jean-Ifaac Hôllandus , qui
paffent pour pere & fils auprès de quelques-uns, ne
font regardés que comme un feul ôt même artifte par
quelques autres. C ’eft évidemment de ce ou de ces
Hôllandus & de Bafile Valentin, que Paracelfe a tiré
une partie de fes connoiflances chimiques,, &' fur-
tout fa fameufe doftrine des trois priricipès. ..
Paracelfe eft un des plus finsüliers peffonhâges
que nous préfente l’hiftoire littéraire : yifiorinâire ,
fuperftitieux, crédule , crapuleux , entêté deS chimères
de l’Aftrologie , de la cabale, de la marié , de
toutes les fciences occultes; mais hardi, preiomp-
tueux., enthoufiafte-, fanatique, extraordinaire en
t o u t , ja y a n t fû fe donner éminemment lé relief
d’homme paflionné pour l’étude.d,e fon,art ( iLavoit,
voyagé à ce deffein, çonfultant les fàvans, lés igno-
rans,, les femmelettes , les' barbiers , £t. ) & s’arrogeant
Je fingulier titre dè prince de la ^Médecine,
6c de monarque des Arcanes, ftc. Il a été 1 auteur
de la plus grande révolution qui ait .changé la face
de la Medecine (^oy^ MÈDECiNE & Ph a rm a c
ie ) , & il a . fait en Chimie la même figure qu’A-
riftote a fait en Philofophie^ C’eft Pàraceliè qui a
efé le propagateur de la fameufe doftrine dés trois1
principes qui ont pris fon nom, dont' tanj de çhimiftés
manoeuvres ont abufé, que tous les Chimif"
tes-philofophes ou les vrais Çhimiftes ont toujours
refttainte & reftifiée, & que les Phyficiens ont toujours
fi mal combattue. Voye{ Prin cipes, Les écrits
chimiques & phyfiques de Paracelfe font, excepté
fon manuel & un petit nombre d’autres qui ne font
pas encore fort clairs, abfolument inintelligibles,
tant à caufe des eXpreflions barbares & purement arbitraires
dont il s’eft fait un jargon particulier, qu’à
caufe du fatras, du defôrdre, de l’inconféquence, &
des fréquentes contradiftions/Si la fublimité que ce
ton peut préfenter à certaines têtes, & fur-tout à
des têtes çhimiftes , a du lui faire un grand nombre
de pàrtifans ou de fujetS (il s’appelloit monarque, &
des çhimiftes’ l’ont appellé leur monarque ou leur roi ) ,
elle n’étoit pas fi propre , ce femble, à lui faire de
célébrés ennemis , à l’illuftrer magnis odiis. H1 a eu
pourtant aufli cette fourcè de célébrité. Son difciple
Oporinus, Eraftus fon compatriote & prefque fon
contemporain, Libavius, le favant Conringius plus
récent que Paracelfe d’un fiecle entier, & plufieurs
autres , ont été fes ennemis déclarés parmi les Chi-
miftes ( car il a été encore plus en butte aux Médecin
s) ;« ils l’ont traité même aflez injuftement à quel-,
ques égards.
Philippe Auréole, Théophrafte, Paracelfe, Bom-
baft d’Hoheneim ( car c’eft ainfi qu’il fe faifoit appel-
; 1er), naquit en 1493 à Einfiedel, près de Zurich en
| Suiffe, & mourut à Saltzbourg dans un cabaret en
154.1- J
Quel que foit le mérite réel de Paracelfe , il eft
: évident qüe c’eft à lui qu’eft due la propagation &
! la perpétuité de la Chimie. C ’eft le goût pour les re-
I medes préparés par les fecours de la Chimie, que Pa-
racelfe a fingulierement répandus 5c accrédités, qui a
: fait paffer cet art chez les Médecins; comme étude
! élémentaire ; ce qui a produit une quantité confidé-
: rable de traités de Chimie pharmaceutique & médi-
i cinale, qni ont été pendant un fiecle les livres élé-
j mentaires 5ç clafliques delai Chimie, & fur-tout tant
1 qu’elle n’a été que L’art de préparer des médicamens
i plus agréables, plus-falutaires,81 p lusfurs, comme
. le définit Béguin, un des plus anciens difciples de
Paracelfe.
Les chaires'établies dans les écoles de Medecine
j vers Iemilieu du dernier fiedë , Ont rendu l’étude de
! la Chimie-plus propre encore aux Medecins ; & fi cet
| événement l’a trop circonfcrite, ôc l’a même expo-
; féè à tine théorie arbitraire & gratuite, par la licence
d’expliquer trop ordinaire aux Médecins , il faut
. convenir aufli qu’il a été utile pour la Ckimie philo-
| fophique’\ qu’elle tombât en partage à des gens de
j lettres1 munis de toutes les' reffources que les études
i élémentaires peuvent fournir pour fe diriger avec
goût & intelligence dans l’étude des Sciences. Aufli
! faut-il rendre aux Médecins cette juftice : tous les
progrès éclatans delà Chimie lui font dûs, ainfi que
1 là perféftion oit font portées aujourd’hui les deux
! branches les plus avancées de l’hiftoire naturelle,
i l’Ànatomie & la Botanique. Ce n’eft même que de-
! puis que les Sciences fe font répandues comme par
une forte de débordement , que la Chimie philofo-
; phique eft fortie du fein de la Medecine, où fonten-
| cOre aujourd’hui le plus grand nombre des artiftès , '
| lès vrais gens dû métier : les autres ( excepté les di-
• rèftéurs des grands arts chimiques, claffe qui ne peut •
! fètirnir qu’un ou deux çhimiftes à chaque nation )
; n?érant proprement qu’amateürS.
| Quant aux avantages que la Chimie fondamentale:
‘ 5i ‘ élémentaire peut ' tirer de toutes ces Chimies
i pharmaceutiques & médicinales dont nous venons''
i dê parlér, il eft clair que les introduftîons dont l a ’
l plupattfontprécéd^S font infuffifantes aujourd’hui^