
de Tharé, ils répondent que la Genefe ne parle point
d’Abraham feul, mais qu’elle nous apprend en général
qu’il avoit à cet âge Abraham, Nacor, &Ha-
ran ; ou qu’après avoir vécu foixante-dix années, iUJ
eut en différens tems ces trois enfans; & qu’en les
nommant tous les trois enfemble, il eft évident que
l’auteur de la Genefe n’a pas eu deffein de déterminer
le tems précis de la naiffance de chacun. Si Abraham
eft nommé le premier, a}oûtent-ils, c’eft par
honneur, 6c non par droit d’aîneffe.
Ces conlidérations ont fuffi à Marsham, au pere
Pezron, & à d’autres , pour fixer la naiffance d’Abraham
à l’an 170 de l’âge de fon pere Thare. Mais
le P. Petau, Calvifius, 6c d’autres, n’en ont point
été ébranlés, & on t perfifté à faire naître Abraham
l’an 70 de Tharé : ceux-ci prétendent qu’il eft contre
toute vraiffemblance que Moyfe ait négligé de
marquer le tems précis de la naiffance d’Abraham ;
lui qui femble n’avoir fait toute la chronologie des
anciens patriarches que pour en venir au pere des
croyans, 6c qui fuit d’ailleurs avec la derniere exactitude
les autres années de la vie de ce patriarche :
ils difent qu’il eft beaucoup plus vraiffemblable que
dans un difcours fait fur le champ, S. Etienne ait un
peu confondu l’ordre des tems ; que le peu d’exaûi-
tude de ce difcours paroît encore, lorfqu’ii affûre
que Dieu apparut à Abraham en Méfopotamie ,
avant que le patriarche habitât à Charran, quoique
Charran foit en Méfopotamie ; en un mot, qu’il im-
portoit peu au premier martyr & à la preuve qu’il
prétendoit tirer du paffage pour la venue du Meflie,
d’être exaft fur des circonftances de géographie 6c
de chronologie : au lieu que ces négligences auraient
été impardonnables à Moyfe qui faifoit une hif-
toire.
On répond à ces raifons, que les circonftances de
tems 6c de lieu ne faifant rien à la preuve de faint
Etienne , il pouvoit fe difpenfer de les rapporter ;
d’autantplus que fi la fidélité dans ces minuties marque
un homme inftruit, l’erreur en un point rend,
fufpeék fur les autres, 6c donne à l’orateur l’air d’un
homme peu fur de ce qu’il avance.
On répliqué que S. Etienne ayant- lu dans la Genefe
la mort de Tharé, au chapitre qui précédé celui
de la fortie d’Abraham, ou ayant peut-être fuivi
quelques traditions juives de fon tems , il s’eft trompé
, fans que fon erreur nuisît, foit à fon raifonne-
ment, foit à l’autorité des aûes des apôtres qui rapportent
, fans approuver, ce que le iaint martyr a
dit. Cette réponl'e fauve l’autorité desa&es, mais
elle paroît ébranler l’autorité de faint Etienne. C’eft
ce que le pere Petau a bien fenti : aufli s’y prend-il
autrement dans fon raùonarium temporum. Il fuppofe
un retour d’Abraham dans la ville de Charran, quelque
tems après fa première fortie : il la quitta dit
cet auteur, à l’âge de foixante-quinze ans par l’ordre
de D ieu , pour aller en Canaan ; mais il con-
ferva toujours des relations avec fa famille ; puif-
qu’il eft dit au chap. xxij. de la Genefe , qu’on lui fit
favoir le nombre des enfans de fon frere Nacor.
Long-tems après il revint dans fa famille à Charran,
recueillit les biens qu’il y avoit laiffés, 6c fe retira
pour toujours. La première fois il n’emporta qu’une
partie de fes biens ; & c’eft de cette fortie qu’il eft dit
dans la Genefe, & egrejfus.ejl. Il ne laiffa rien de ce
qui lui appartenoit à la fécondé fois ; 6c c’eft de
cette fécondé fortie que faint Etienne a dit tranflulity
ou i/.C[uy.imv qui eft encore plus énergique , 6c qui
n’arriva qu’après la mort de Tharé, à qui Abraham
eut fans doute la confolation de demander la bénédiction
& de fermer les yeux.
Il faut avoiier que pour peu qu’il y eût de vérité
ou de vraiffemblance' au retour dans Charran & à la
fécondé fortie d’Abraham, il ne faudroit pas chercher
d’autre dénouement à la difficulté, propofée.’
Mais avec tout le refpeCt qu’on doit au pere Petau,
rien n’a moins de fondement 6c n’eft plus mal inventé
que la double fortie : il n’y en a pas le moindre
veftige dans la Genefe. Moyfe qui luit pas-à pas
Abraham, n’en dit pas un mot. D ’ailleurs Abraham
n’aurôit pù retourner en Méfopotamie que foixante
ans ou environ après fa première.fortie, ou à l’âge
de 13 5 ans, fur la fin des jours de Tharé qui en a,
fitrvécu foixante à la première fortie, en lui accordant,
avec le pere Petau, 105 ans de v ie; ou dans
la trente-cinquieme année d’Ilaac. Mais quelle apparence
qu’Abraham à cet âge foit revenu dans fon
pays ! S’il y eft revenu , pourquoi ne pas choifir lui-
même une femme à fon fils, au lieu de s’en rapporter
peu de tems après fur ce choix aux foins d’un
ferviteur ? Ajoutez que ce ferviteur apprend à la famille
de Bathuel ce qu’Abraham ne lui eût pas laiffé
ignorer, s’il étoit retourné en Méfopotamie , qu’il
avoit eu un fils dans fa vieilleffe, 6c que ce fils, avoit
trente-cinq ans. Qu o i, pour foûtenir ce voyage, le
reculera-t-on jufqii’après le mariage d’Ifaac, la mort
de Sara, & le mariage d’Abraham avec une Cananéenne,
en un mot jufqu’à fa derniere vieilleffe, 6c
cela fous prétexte de recueillir un refte de luccef-
fion ? Mais Moyfe, parlant de la fortie que le pere
Petau regarde comme la première, ne dit-il pas que
ce patriarche emmena avec lui fa femme Sara, fon
neveu Loth, & tous leurs biens ; univerfamquefubf-
tantiam quant pojfederant & animas quas fecerant, in.
Haran. Il faut donc laiffer là les imaginations du pere
Petau , & concilier par d’autres voies M oyfe avec
faint Etienne.
Avant que de propofer là-deffus quelques idées ,
j’oblerverai que dans l’endroit des aélesoîiS. Etienne
femble mettre Charran hors de la Méfopotamie,'
il pourroit bien y avoir une tranfpofition de la conjonction
& , qui remife à fa place , feroit difparoître
la faute de géographie qu’on lui reproche. On lit
dans les a êtes , Deusglorice apparuit patrinojlro Abra-
hæ , cum effet in Mefopotamia , priufquam moraretur iit
Charran , & dixit ad ilium , exi , &c. mettez [*& , qui
eft avant dixit, un peu plus haut, avant priufquam,
6c le fens du difcours ne fera plus qu’Abraham fut
en Méfopotamie avant que de demeurer à Charran
mais que Dieu lui dit avant qu’il demeui ât dans cette
ville , de fortir de fon pays.
On peut encore répondre à cette difficulté de géographie
, fans corriger le texte ni fuppofer aucune
faute, en difant que S. Etienne n’a pas mis Charran
hors de la Méfopotamie , mais qu’il a cru qu’Abraham
avoit habité un autre endroit de la Mefopota-
mie avant que de venir à Charran; que Dieu luiap-
parut dans l’un & l’autre lieu; que par cette raifon
il ne dit pas dans le verfet fuivant qu’Abraham for-
tit de Méfopotamie pour venir à Charran , mais de
la terre des Chaldéens ; 6c qu’ainfi il femble placer
la Chaldée dans la Méfopotamie, & donner ce nom
; non-feulement au pays qui eft entre l’Euphrate & le
Tig re, mais aux environs de ce dernier fleuve.
Ou même l’on peut prétendre que Ur d’oii fortit
Tharé, étoit une ville de Méfopotamie, mais dépendante
de la domination des Chaldéens ; 6c que
c’eft pour cela qu’on l’appelle Ur Chaldaorum , Ur
des Chaldéens. Ce fentiment eft peut-être le plus
conforme à la vérité : car Moyfe dit, chap.jy. de la
Genefe, du ferviteur qu’Abraham envoyôit en fort
pays chercher une femme à Ifaac, qu’il alla en Mé-
lopotamie,à la ville de Nacor. Cette ville étoit fans
doute celle que Tharé avoit quittée, & où il-avoit
laiffé Nacor, n’emmenant avec lui qu’Abraham 6c
Loth. Il eft vrai que quelques-uns ont dit que cette
ville de Nacor étoit Charran ; mais fi Tharé l’y avoit
emmené avec lui, Moyfe l’auroit d it, comme il l’a»
dit de Loth & de Sara. Mais revenons à'nos conjectures
fur la naiffance 6c la fortie d’Abraham.
• 1°. Abraham n’eft point revenu dans fon pays
après l’avoir quitté, 6c il n’eft forti de Haran qu’après
la mort de l'on pere Tharé'.'Saint Etienne’ledit- ex-
preffément dans les aftesdes apôtres, & la genefe
l ’infinue : elle dit de la fortie de Chaldée, que Tharé
emmena avec lui Abraham-, Lo th , & Sara-, pour aller
habiter en Chanaan ; qu’ils vinrent jufqu’à Haran
où ils s'arrêtèrent, 6c que Tharé y mourut.' Ce qui
prouve que le deffein de Tharé étoit d-arriver en
Chanaan j mais qu’il fut prévenu par la mort dans Haran.
Immédiatement après, Moyfe raconte-l;à fortie
d’Abraham delà ville de Haran avec Lo th , fon neveu
j 6c tous leurs biens. Abraham n’abandonna point
dans une ville étrangère fon pere , dont lé dèffein
étoit .de paffer en Chanaan. S’il emmena Loth avec
l u i ‘c’eft ' que Loth avoit fuivi Tharé jufque dans
Haran, & qu’en qualité d’oncle, il en devoit prendre
foin après la mort dü grand-pere.
R i°\ L’autorité de S. Etienne ne détermine1 pas fan-
née de la naiffance d’Abraham ; mais elle oblige feu-
lemént à la placer dé maniéré que Tharé foit mort
avant qu’Abraham ait 7 5 ans : mais-COmme Tharé
poùvbit-être mort long-tems avant que fon fils eût
atteint cét âge , le difcoùrà de S. Etienne ne jette aucune
lumière fur la chronologie.
30. M oylè a exactement marqué le tems de là riaif-
fance d’Abraham. C ’etbit fon but, & là fin de fa chronologie.
Abraham ëft-' le héros de fon hiftoire : c’eft
par lui qu’il commence à diftinguer le peuple hébreu
dé tous les autres peuplés dé la terre ; & il a apporté
la derniere exactitude à marquer les circonftances de
la v ie , 6c à co'mpter les années de ce patriarche.
40. On pourroit conjecturer que Tharé n’a engendré
qu’ à. 170 ans, 6c qu’oii àromis dans lé calcul de
fon âge', le centenaire qui fe trouve dans celui de
fous fes ancêtres : mais cette cohjeCture mànqueroit
de vraiffemblance; car il eft dit de Sara, avant même
qu’elle fortît de Chaldée, qu’elle étoit ftérile :
néanmoins dans ce fyftènie elle n’auroit été âgée que
de £5 ans, & Abraham de 3 5 au plus ; 6c d’Abraham
qu’il regàrdoit comme une chofe impoflible d’engendrer
à cent ans, ce qu’il n’auroit jamais pënfé, fi lui-
même n’étoit venu au monde qu’à la c.ent forxante-
dixieme année de fon pere : d’ailleurs tous les textes
de l’Ecriture 6c Jôfèphe s’accordant à ne point mettre
cé centenaire, ce feroit fuppofer des oublis 6c multiplier
des fautes fans raifon, que de l’exiger.
50. Il paroît qu’Abraham eft né l’an 70 de'Tharé,
commè le dit Jolephe, 6c comme il eft écrit dans toutes
lés verfions : mais puifqu’on ne recule point la
naiffance de ce patriarche, il eft évident que le feul
moyen qui refte d’accorder Moyfe avec S. Etienne,
ç’e.ft de diminuer la vie de Tharé.
Le tems que Tharé a vécu eft marqué divérfement
^ans les trois textes : donc il y a faute dans quelques-
ims ou dans tous. Les Septante & l’hébreu s’accordent
à donner à ce patriarche 105 ans, 6c le famari-
tain ne lui en: donne que 145 : mais ce dernier texte
pie paroît ici plus correâ: que les deux autres.'Le dénouement
de la difficulté qu’il s’agit de réfoudre en
eft ce me femble, une allez bonne preuve : 70 ans
qu’avoit Tharé lorfqu’il engendra Abraham, 6c 75
eu’Abraham a vécu avant que de fortir de Haran,
font les 145 ans du texte famaritain ; àiiifi Abraham
fera forti de cette Ville après la mort de fon pere ,
cômme le dit S. Etienne ; & U fera né à 70 ans de
T h a ré, comme on le lit dans Moyfe.
Quelques critiques foupçonnent le texte famari-
tain de corruption, & ils fondent ce foupçon fur la
facilité avêc laquelle il accorde ces évenemens : mais
il me femble qu’ils en devroient plûtôt conclure fon
intégrité. Le caraftere de la vérité dans l ’hiftoire,
c’eft de ri’y faire aucun embarras ; 6c de deux leçons
d un meme auteur, dont l’une eft nette & l’autre em-*
barraflee ; il faut toujours préférer la première, à-
moiris que la clarté ne vienne évidemment d’un paf-‘
fage altéré ou fait après coup : or c’eft ce dont on n’a
i'ci aucune; preuve. La leçon du famaritain eft plus
ancienne qù’Eufebe qui l’a inférée dans fes canons
chr'onà logiques : Avant lès canons d’Eufebe, qui l’au-
foit changée ? Les Chrétiens ? ils ne fe fervoiént que
des 'Séptânte ou de l’hébreu commun.'Les Samaritains
? .quel intérêt a voient-ils à donner à Tharé plû-
tot 145 anSde'vié que 2 0 ? ils pbuvoient s’en tenir
à leurs écritures., 6c penfer comme les Juifs penfent
encore", qu’Abraham âvôît laiffé fon peré vivant
dans Haran ; d’autant plus que Dieu lui dit dans là
genefe, egredere de domo p.àtris lu i, fortez de la mai-
fomdovotre pere. •
Il s’enfuit de-là que la faute n’eft point dans le famaritain
, mais dans les Septante 6c dans l ’hébreu ;
1<3‘ parce que la folution dés difficultés, la juftefle
^ l’ycîcofd des tems, pfôUvent d’un côté là pureté
d’une léçon, 6c que les contradi&ions ôc les difficul-
tés'fônt fdupçonner de l’autre l’altération d’un exemplaire
; .2°. parce que les Septante étant fautifs dans
lé Calcul du tems que les patriarches ont vécu après
avoir‘éngehdr^ , comme-. On ne peut s’empêcher dé
le. p'éhfer fur l’accord dé l’hébreu & 'd ii famaritain
qui conviennent en tout , excepté dans la, vie de
Tharé , il eft à croirequolà faute fur‘cette vie s’eft
gliffee ou des Septante dans l’hébreu d’à - préfent,
Ou d’un ancien exemplaire hébreu , fur lequel les
Septahte ont traduit, dans un autre exemplaire fur
lequel l’hébrelî d’aujourd’hui a été copié ; 30. parce
que Pop remarque 'd'ans tous les textes que la' vie
des patriarches diminue fücçèflivement ; ainfi le pere
dé.Thàré n’aÿarttvééu.que 148 ans, if eft vraiffem^
blable que Tharé n’en a pas vécu 20'j ; d’ailleurs les
Sep'tânfecmême autorifént Cette diminution, 6c proq-
vent que Nacor pere de Tharé, a vécu plus long-
tems que fon fils , car s’ils donnent à ce lu i-ci 205;
ans de v ie , ils en accordent à celui-là'j.04 ; 40. parce
que Dieu promettant à Abraham une longue vie &
une belle vieilleffe, ibis, lui d it-il, adpatres tuos'in
finiUute boita , cette prômeffe doit s’entendre' du-
moins jüfqu’à la vie de fônpere. Abràham étoit plus
Chéri de Dieu que Tharé , 6c la longue vie étpit alors
un effet aè la prédiledion divine : cependant ce fils
chéri de Dieu n’auroit pas vécu les jours dë fori pere,
fi ce lu i-ci avoit vécu 205 ans ; car Abraham'n’ea
à vécu que 1 7 5 , ainfi qu’il eft marqué dans la genefe,
II eft donc plus vraiffemblable que Dieu à prolongé
la vie d’Abraham de trente ans au - delà de celle
de Tharé; que Tharé n’a vécu que 145 ans; que le
texte famaritain eft correft ; que Moyfe a été exaét
dans fon hiftoire 6c fa chronologie ; 6c que S. Etienne
, loin de s’être trompé , a parlé félon la vérité
qu’il avoit puifée dans quelque exemplaire hébreu
de fon tems, plus correét que les exemplaires d’aujourd’hui.
Finiffoiis ces difcuflions par une réflexion que
nous devons à l’intérêt de la vérité 6c à l’honneur
des fameux chronologiftes : c’eft que la, plûpart de
ceux qui leur reprochent les vérités de leurs ’réful-
tats, ne paroiffent pas avoir fenti rimpoffibilité morale
de la précifion qu’ils en exigent : s’ils avôient
confidéré mûrement la multitude prodigieufe de faits
à combiner; la variété de génie des peuples chez
lefquels ces faits fe font paffés ; le péü d’exaûitude
des dates inévitable dans les tems où les évenemens
né fe tranfmettôient que par tradition ; là manie
de l’ancienneté dont prefque toutes les nations
ont été infeâées ; les menfonges des hiftoriens, leurs
erreurs involontaires ; la reflemblance dés noms qui