
4. L’échange de marchandifes contre marchandifes
eft avantageux en généra l, hors les cas oîi il
eft contraire à ces principes mêmes. ■
5. L’ importation des marchandifes qui empêchent
la confommation de celles du pays , ou qui nuifent
au progrès de fes manufactures & de fa culture, entraîne
néceffairement la ruine d’une nation.
6. L ’importation des marchandifes étrangères de
pur luxe elt une véritable perte pour l’état.
7. L ’importation des chofes de néceffité abfolue
ne peut être eftimée un mal ; mais une nation n’en
eft pas moins appauvrie.
g .L ’importation des marchandifes étrangères pour
les réexporter enfuite , procure un bénéfice réel.
9. C ’eft un commerce avantageux que de donner
fes vaifleaux à fret aux autres nations.
C ’eft fur ce plan que doit être guidée l’opération
générale du Commerce.
Nous avons défini cette opération , la circulation
intérieure des denrées d’un pays ou de fes colonies,
l ’exportation de leur fuperflu, & l’importation des
denrées étrangères , foit pour les conlommer , foit
pour les réexporter.
Cette définition partage naturellement le Commerce
en deux parties , le commerce intérieur & Cextérieur.
Leurs principes font différens , & ne peuvent
être confondus fans un grand.defordre.
L e commerce intérieur eft celui que les membres
d’une fociété font entr’eux. Il tient le premier rang
dans le commerce général, comme l’on prife le necef-
faire avant le fuperflu , qui n’en eft pas moins recherché.
Cette circulation intérieure eft la confommation
que les citoyens font des productions de leurs terres
& de leur induftrie, dont elle eft le premier fou-
tien. Nous avons déjà obfervé que la richefle réelle
d’une nation eft à fon plus haut degré , lorfqu’elle
n’a recours à aucune autre pour fes befoins. L es réglés
établies en conféquence dans les divers états,
varient fuivant l’abondance des richefles naturelles ;
& l’habileté de plufieurs a fuppléé par l’induftrie
aux refus de la nature.
La valeur du commerce intérieur eft précifément la
fomme des dépenfes particulières de chaque citoyen
pour fe nourrir , fe loger , fe v ê tir, fe procurer des
commodités , & entretenir fon luxe. Mais il faut déduire
de cette valeur tout ce qui eft confommé de
denrées étrangères , qui font une perte réelle pour
Ja nation , fi le commerce extérieur ne la répare.
L a population eft l’ame de cette circulation intérieure
; fâ perfeûion confifte dans l’abondance des
denrées du crû du pays en proportion de leur néceffité
; fa confervation dépend du profit que ces denrées
donnent à leur propriétaire, & de l’encouragement
que l’état leur donne.
Tant que les terres reçoivent la plus grande &
la meilleure culture poflible, l’ufage des denrées de
commodité & de luxe ne fauroit être trop grand ,
pourvu qu’elles foient du crû du pays ou de fes colonies.
Leur valeur augmente la fomme des dépenfes particulières
, & fe répartit entre les divers citoyens
qu’elles occupent.
Il eft bon qu’un peuple ne manque d’àucun des
agrémens de la v ie , parce qu’il en eft plus heureux.
Il cefferoit de l’ê tre , fi ces agrémens & ces commodités
épuifoient fa richefle ; il en feroit même bientô
t priv é , parce que les befoins réels font des créanciers
barbares & impatiens : mais lorfque les commodités
& le luxe font une production du pays , leur
agrément eft accompagné de plufieurs avantages ;
leur appas attire les étrangers ,le s féduit, & procure
à l’état qui les poflede la matière d’une nouvelle
exportation.
Qu’il me foit permis d’étendre ce principe aux
Sciences , aux productions de l’e fprit, aux Arts libéraux
: ce n’eft point les avilir que de les envifager
fous une nouvelle face d’utilité. Les hommes ont be-
foin d’inftruCtion &c d’amufement : toute nation obligée
d’avoir recours à une autre pour fe les procurer
, eft appauvrie de cette dépenfe qui tourne toute
entière au profit de la nation qui les procure.
L’art le plus frivole aux yeux de la raifon, & la
denrée la plus commune, font des objets très-eflen-
tiels dans le Commerce politique. Philippe II. pofîef-
feur des mines de Potozi, rendit deux ordonnances
pendant Ion régné , uniquement pour défendre l’entrée
des poupées, des verroteries , des peignes , ôç
des épingles , nommément de France.
Que les modes & leur caprices foient, fi l’on veut,
le fruit de l’inconftance & de la legereté d’un peuple
; il n’en eft pas moins fûr qu’il ne pourroit fe
conduire plus fagement pour l’intérêt de fon commerce
& de la circulation. L a folie eft toute entière
du côté des citoyens qui s ’y affujettiflent, lorfque la
fortune le leur défend ; le vrai ridicule eft de fe plaindre
des modes ou du fa ite , & non pas de s’en priver.
L ’abus du luxe n’eft pas impoffible cependant, à
beaucoup près , & fon excès feroit l’abandon des
terres & des arts dé première néceffité, pour s’occuper
des cultures & des arts moins utiles.
Le légiflateur eft toujours en état de réprimer cet
excès en corrigeant fon principe ; 41 faura toûjours
maintenir l’équilibre entre les diverfes occupations
de fon peuple, foulager par des franchifes& par des
privilèges la partie qui fouffre , & rejetter les impôts
fur la confommation intérieure des denrées de
luxe.
Cette partie du commerce eft foûmife aux lois particulières
du corps politique ; il peut à fon gré permettre
, reftraindre, ou abolir l’ufage des denrées ,
foit nationales, foit étrangères, Iorlqu’il le juge convenable
à fes intérêts. C’eft pour cette raifon que fes
colonies font toûjours dans un état de prohibition.
Enfin il faut fe fouvenir continuellement, que le
commerce intérieur s’applique particulièrement à entretenir
la richefle réelle d’un état.
Le commerce extérieur eft celui qu’une fociéte politique
fait avec les autres : il concourt au même but
que le commerce intérieur , mais il s’applique plus particulièrement
à procurer le? richefles relatives. En
effet, fi nous fuppofons un peuple commerçant très-
riche réellement en denrées dont les autres peuples
ne veuillent faire que très-peu d’ufage , le commerce
intérieur entretiendra foigneufement cette culture
ou cette induftrie par la confommation du peuple ;
mais le commerce extérieur ne s’attachera qu’à la fa-
vorife r, fans lui facrifier les occafions d’augmenter
les richefles relatives de l’état. Cette partie extérieure
du commerce eft fi étroitement liée avec les intérêts
politiques , qu’elle contracte de leur nature.
Les princes font toûjours dans un état forcé ref-
peétivement aux autres princes : & ceux qui veulent
procurer à leurs fujets une grande exportation de
leurs denrées , font obligés de fe regler fur les cir-
conftances, fur les principes, & les intérêts des autres
peuples commerçans, enfin fur le goût & le caprice
du confommateur.
L’opération du commerce extérieur confifte à fournir
aux befoins des autres peuples , & à en tirer de-
quoi fatisfaire aux fiens.-: Sa perfection confifte à
fournir le plus qu’il eft poflible, & de la maniéré la
plus avantageufe. Sa confervation dépend de la maniéré
dont il eft conduit.
Les productions de la terre & de l’induftrie font
la bafe de.tout commerce , comme nous l’avons ob-
feryé plufieurs fois. Les pays fertiles ontnéçeflaire-
* ment
ment un avantage pour l’exportation, fur ceux qui
le font moins. Enfin plus les denrées feront nécef-
faires & parfaites, plus la dépendance des étrangers
fera grande.
Une grande population eft un des avantages qui
met un peuple en état de fournir le plus qu’il eft pof-
fible aux befoins des autres peuples ; & réciproquement
, fon commerce extérieur occupe tous les hommes
que le commerce intérieur n’auroit pû nourrir.
La population dépend de la facilité que trouvent
les citoyens à fe procurer une fubfiftance aifée par
le travail , & de leur fûreté. Si ce travail ne fuffit
pas à leur fubfiftance, il eft d’expérience qu’ils vont
le la procurer dans d’autres états. Auffi lorfque des
circonftances extraordinaires ont caufé ces non-
valeurs , le légiflateur a foin d’en prévenir les effets
: il nourrit fes ouvriers, ou leur fournit du travail.
D e ce que la population eftfinéceflaire, il s’enfuit
que l’oifiveté doit être réprimée : les maifons de
travail font le principal remede que les peuples policés
y employent.
Un peuple ne fournira rien aux autres, s’il ne donne
fes denrées à auffi bon marché que les autres peuples
qui pofledent les mêmes denrées : s’il les vend
moins cher, il aura la préférence dans leur propre
pays. .
Quatre moyens y conduifent fûrement : la concurrence
, l’oeconomie du travail des hommes, la
modicité des frais d’exportation, & le bas prix de
-l’intérêt de l’argent.
La concurrence produit l’abondance, & celle-ci
le bon marché des vivres, des matières premières,
des artiftes, & de l’argent. La concurrence eft un
des plus importans principes du Commerce , &. une
partie confidérable de fa liberté. Tout ce qui la gêne
ou l’altere dans ces quatre points , eft ruineux
pour l’état, diamétralementoppofé à fon objet, qui
eft le bonheur & la fubfiftance aifée du plus grand
nombre d’hommes poflible.
L’oeconomie du travail des hommes confifte à le
fuppléer par celui des machines & des animaux,lorf-
qu’on le peut à moins de frais , ou que cela les con-
ferve : c’eft multiplier la population, bien loin delà
détruire. Ce dernier préjugé s’eft foûtenu plus long-
tems dans les pays qui ne s’occupoient que du commerce
intérieur : en effet, fi le commerce extérieur eft
médiocre, l’objet général ne feroit pas rempli fi l’in-
terieur n’occupoit le plus d’hommes qu’il eft poflible.
Mais fi le commerce extérieur, c’eft-à-dire la navigation
, les colonies, & les befoins des autres peuples
peuvent occuper encore plus de citoyens qu’il ne
s’en trouve , il eft néceftaire d’oeconomifer leur travail
pour remplir de fon mieux tous ces objets. L’expérience
démontre, comme nous l’avons déjà remarqué
, que l’on perd fon commerce lorfque l’on ne
cultive pas tout celui que l’on pourroit entreprendre.
Enfin il eft évident que la force d’un corps politique
dépend du meilleur & du plus grand emploi des
hommes,qui lui attirent fes richefles politiques : com-
binaifon qu’il ne faut jamais perdre de vûe. L ’oeconomie
du travail des hommes ne détruira donc point
la population, lorfque le légiflateur ne fera que détourner
avec précaution leur travail d’un objet à un
autre : ce qui eft la matière d’une police particulière.
• La modicité des frais d’exportation eft la troifieme
fouree du bon marché, & par conféquent de la vente
des productions d’un pays.';.1 r. :>
Ces frais, font ceux du tranfport, & les droits de
fortie. Le tranfport fe fait ou par terre, ou par eau.
Il eft reconnu que la voiture par terre eft infiniment
plus coûteufe. Ainfi dans les états commerçans, les
canaux pour fuppléer au défaut des rivières navigables
,1 entretien & la commodité de celles-ci, la
franchi- abfolue de cette navigation intérieure ,
Tome I II, 7
font une partie effentielle de l’adminiftration.
Les droits des doiianes (voyeç Douane) , foit à la
fortie, foit dans l’intérieur, fur les productions d’u-
ne n ation, font les faits auxquels les étrangers fe
foumettent avec le plus de peine. Le négociant les
regarde comme un excédent de la valeur réelle, &
la politique les envifage comme une augmentation
de richefle relative.
Les peuples intelligens , ou fuppriment ces droits
à la fortie de leurs productions , ou les proportionnent
au befoin que les autres peuples en ont ; fur-tout
ils comparent le prix de leurs productions rendues
dans le lieu de la confommation , avec le prix des
memes productions fournies en concurrence par les
nations rivales. Cette comparaifon eft très-impor-
tante : quoiqu’entre deux peuples manufacturiers la
qualité & le prix d’achat des étoffes foient fembla-
bles, les droits de fortie ne doivent pas être les mêmes,
fi le prix du tranfport n’eft pas égal : la plus petite
différence décide le confommateur.
Quelquefois le légiflateur, au lieu de prendre des
droits fur l’exportation, l’encourage par des récom-
penfes. L ’objet de ces récompenfes eft d’augmenter
le profit de l’ouvrier, lorfqu’il n’ëft pas aflez confidérable
pour foûtenir un genre de travail utile en
concurrence : fi la gratification v a jufqu’ à diminuer
le prix, la préférence de l’étranger pendant quelques
années, fuffit pour établir cette nouvelle branche de
commerce, qui n’aura bientôt plus befoin de foûtien.
L effet eft certain ; & la pratique n’en peut être que
falutaire au corps politique,comme l ’eft dans le corps
humain la communication qu’un membre fait à l ’autre
de fa chaleur, lorfqu’il en a befoin.
Un peuple ne fourniroit point aux autres le plus
qu il eft poflible, s’il ne faifoit que le commerce de fes
propres denrées. Chacun fait par fa propre expérience
, qu’il eft naturel de fe pourvoir de fes befoins
dans le magafin qui a les plus grands aflortimens,
& que la variété des marchandifes provoque les b efoins.
Ce qui fe pafle chez un marchand, arrive dans
la communication générale.
Les peuples commerçans vont chercher chez d’autres
peuples les denrées qui leur manquent, pour les
diftribuer à ceux qui les confomment. Cette efpece
de commerce,'eft proprement le commerce d'(économie.
Une nation habile ne renonce à aucun ; & quoiqu’elle
ait un grand commerce de lu x e , fi elle a beaucoup
d’hommes & beaucoup d’argent à bon marché il eft
évident qu’elle les fera tous avec fuccès. J ’avancerai
plus : le moment où fes négociàns y trouveront
de l’avantage, fera l’époque la plus fûre de fa richefle.
Parmi ces denrées étrangères, il en eft dont le lé-
giflateur a défendu l’ufage dans le commerce intérieur;
mais, comme nous l’avons remarqué, il eft dans un
état forcé dans la partie du commerce extérieur.
Pour ne pas priver la nation du profit qu’elle peut
faire fur les marchandifes étrangères , & accroître
conféquemment fa richefle relative, dans quelques
états on a établi des ports où l’on permet l’importation
franche de tout ce qu’il eft avantageux de réexporte
r : onlêsappelleports-francs. Veye%_Por t -f ra n c .’
Dans d’autres états on entrepofe ces marchandifes
; & pour faciliter la réexportation généràlè des
denrées étrangères, même permifes , lôrfqu’elle fç
fait on rend là totalité ou partie des droits d’enîrée.
Le commerce extérieur d’un peuple ne fera point à
fon plus haut degré de perfection, fi fon fuperflu n’eft
exporté, & fi fes befoins ne lui font importés de la
maniéré la plus avantageufe.
Cette exportation & cette importation fe font ou
par fes propres vaifleaux-, où par ceux d’une autre»
nation ; voye^ Navigation ; par des commiflion/
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