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«’arrêtant qu’à la fuperficie , croyent que les !
hommes changent aufli.aifément de caraélère que
<le modes : ils vous diront que l’efprit national
n’eft qu’un mot dépendant des hommes & des
circonftances ; que vous ne trouverez plus que des -
marchands dans ces marais, où vous n’aviez vu
que des héros ; qu’en comparant les Romains de i
•la république & du temps de Cæfar avec ceux du
dix-huitième fiècle , on ne trouve que des procef-
' fions là où l'on faifoit des entrées triomphales;
que l’on élude tout dans le même pays ou une
équivoque étoit n’aguère une infulte. Gardez-vous
donc, diront-ils , de croire au cara&ère & à l’ef-
prit des nations, il n’eft que celui qu’on leur infpire ;
on peut le plier ou le former à la guil'e , & vous
pouvez tout ofer li vous avez le courage de tout
entreprendre. Ce n’eft pas ici que l’on peut fe
permettre d’approfondir cette queftion ; -mais quand
même ces écrivains auroient raii'on , quand même
il fero.it vi ai que l’on peut donner à une-nation un
autre efprit &. un autre caractère , combien de
fiècîes peut-être ne faudroit-il pas lailler écouler
avant de réulfir. Témoins ces Romains que l’on
cite , chez lefquels peut-être ce cara&ère primitif
n’eft pas entièrement perdu , puifque l’on prétend
le retrouver chez ceux qui habitent à Rome au-
delà du T ib re, & chez lefquels cependant le caractère
eft contrarié , peut-être depuis la perte de la
bataille d’^/itfium par Pompée , & fa mort fur les
rivages d’Egypte. Mais je veux bien croire encore
que l’on pouvait effacer aifément ce caraéïère que
l’on prétend n’être qu’une habitude aifée à détruire ;
je le demande fans prévention pour ma nation ;
que pourroit-on fubftituer à fes qualités en lui ôtant
quelques défauts ? que gagneroit-on, par exemple ,
à la rendre moins légère ? N’eft-ce pas à cette
légèreté, fouvent fi. aimable, que nous devons
cette gaieté qu’elle conferve même dans fes peines,
dans les périls , dans les combats', au milieu de
la douleur ou des horreurs de la mort. Voudriez-
vous la rendre plus réfléchie , plus penfante , mais
vous la rendriez plus malheureufe : eh ! n’eft-elle
pas allez douce , bonne , fenfible , humaine ; ne
penfe-t-elle pas affez pour être très inftruite quand
elle le veut ; n’a-rt-ellë pas affez le génie de tous
les genres, & par-rdeffus tout, l’amabilité inappréciable
en faifant des fautes, d’être la première
à les connoîtrç & à en convenir ; & c’eft ce caractère
que vous voudriez .changer, au lieu de
prendre le parti bien plus fage d’y conformer nos
îoix nos conftkutions. J1 en eft dçs cararières
comme des arbres , il faut Us çmonder, & non
vas les'détruire.
Cette opinion publique, qui, en France , décerne
des prix & des couronnes, fait & défait les
réputations des citoyens les plus diftingüés par
leur naiffaace , lèurs richeffes , leur place ou leurs
connoiffances ; cette opinion , qui domine aufii
parmi le peuple , mais fous des formes différentes,
n’eft-die pas la fuite fte POtrç çararière de
• D É S
notre efprit national ? Vous ne la retrouveriez
nulle autre part qu’en France. Eh bien ! n’eft-ce
pas elle «qui, blâmant vos loix &. leurs contradictions
, a appris au peuple à plaindre le déferteur *
& a accoutumé le lbldat à être affuré de la com-
mifération & des fecours de leurs concitoyens
lorfqu’ils déferteront ? Voudriez-vous aulfi la détruire
cette opinion , tandis que vous pouvez lui
devoir l’amour de la véritable gloire , & l’éloignement
de la baffeffe & de la lâcheté , par la crainte
du mépris & de la honte ? tandis que ce moyen
.précieux peut vous fervir à féparer davantage
votre nation des autres ; fans leur donner du mépris
pour aucune, apprenez-leur du-moins a s en
palier ; au lieu de détruire leur gaieté fi précieufe ^
augmentez-la fi vous le pouvez : s’ils la perdoient,
ils s’accommoderoient plus aifément parmi des
nations chez lefquelles ne brille pas cette qualité
fi aimable : donnez à votre militaire des moeurs ,
, des habitudes, des opinions qui, en les fépàrant
toujours davantage des autres ', leur faffe envifager
comme un- malheur d’être obligé de s’y réfugier.
De touts les foutiens de l’homme, il n’en eft
pas de plus puiffant que celui de l’indépendance ;
ce n’eft que par elle qu’il croit pouvoir travailler
à fon bonheur ; à quelque prix qu’il ait vendu fa
liberté, il trouve toujours qu’il l’a trop peu vendue;
en occupant même les premières places de
la fociété , il fe plaint de n’être pas libre , & il le
plaint de bonne foi. Que doit donc penfer le
foldat enchaîné ? prefque plus d’efpérance 1 Sa
; dépendance doit être extrême ; la difcipline le
v e u t , & le caractère national lui en fait encore
fentir davantage toute la rigidité ; mais cette dif—
'cipline n’empêche pas qu’on pût lui rendre fa
dépendance moins fenfible : il vaut bien mieux
qu’il fe croie attaché à un métier que dans Tei-
clavage, & qu’il fente fes devoirs plutôt que fes
fers.
Ne pouvez-vous pas lui donner une plus grande
liberté ? N’y auroit-il pas des circonfiances où un
foldat pourvoit recevoir un congé abfolu, en fe
faifant remplacer par un homme dont l’âge, la
taille & la force conviendroit au métier des armes r
Ne pourroit-on pas en laiffer efpérer, & meme
en donner au foldat qui auroit un dégoût durable
& invincible pour fon état? Quelquefois ce conge
ne pourroit-il pas être accordé gratuitement à des
parents infirmes qu’il faut foulager, des parents qui
meurent' & qui laiffent des biens a gérer, des parents
dans la misère , &. que léur enfant peut faire
vivre par fôn travail ? • ,
Les dégoûts feroient bien moins fréquents , fans
doute , fi les foldats fe croyoient moins irrévocablement
engagés; s’ils efpéroientpouvôir retrouver
leur liberté, chercheroient-ils .à' fe la procurer par
la défertion ? N’y a-t-il pàs d’autres moyens de
rendre le foldat moins efclave, &. de l’empêcher
de défirer une entière liberté-? Eft-il néceffaire qu’il
’ paffe dans fa garnifon touts les tnpipents d ç l’année ?
r ‘ ‘ FaunJ
D É S
f a u t - i l l’ e x e r c e r t o u t s le s jo u r s p o u r q u ’ i l n’ o u b l i e
p a s l e m a n iem e n t d e s a rm e s & le s d i f f é r e n t e s é v o lu
t io n s ? L e r o i d e P r u f f e , d o n t l e s t r o u p e s f o n t fu r
l e m e i l l e u r p i e d p o f l i b l e , & le s p lu s h a b i le s à m a n
oe u v r e r q u e l ’o n c o n n o i f f e , d o n n e c o n f t am m e n t d e s
c o n g é s a u t ie r s d e f e s f o ld a t s ; c e u x m êm e q u i f o n t |
P r u i l i e n s , n e r e f t e n t p a s p lu s d e t r o i s o u q u a t r e
d o i s c h a q u e a n n é e à l e u r r é g im e n t .
EJpèce d’hommes dont on compofe les armées.
C o m m e n t f e f a i t - i l q u e d a n s l e r o y a u m e l e p lu s
p e u p l é d e l’E u r o p e , l e m i li t a i r e s’y t r o u v e a c tu e l l e m
e n t l e m o in s ' n o m b r e u x & l e p lu s d i f f i c i l e d e
t o u t s à r e c r u t e r ? C o m m e n t f e f a i t - i l m ê m e q u ’i l
f a i l l e y m e t t r e a u t a n t d ’a r t p o u r f a i r e d e s e n r ô l e m
e n t s , q u e l ’o n n ’y d o i v e l a p lu p a r t d e s r e c r u e s
q u ’ à l a f é d u C t io n , & q u e p r e fq u e t o u t s n e f o i e n t
d e s e n fa n t s f o i b l e s , c a c o c h im e s , l ib e r t in s o u m a u v
a i s fu je t s ? m a is a b f t e n o n s - n o u s d e p o u f f e r p lu s
l o i n d e p a r e i l l e s q u e f t i o n s , o n f ç a i t a f f e z q u e l ’ o n
p o u r r p i t e n fa i r e u n e in f in i t é fu r u n e g r a n d e q u a n t
i t é d ’ o b j e t s in t é r e f fa n t s ; p r é f é r o n s , e n c h e r c h a n t
l e s m o y e n s d e d im in u e r l e m a l , d e r e n d r e à ü a -
.. v e n i r le.s q u e f t io n s in u t i le s .
O n Compte e n F r a n c e e n v i r o n 24 m i ll io n s
8 0 0 m i l l e â m e s , d o n t o n p e u t à - p e u - p r è s fa i r e
l a d i f t r ib u t io n f u i v a n t e .
F em m e s » ................. ... . • 1 2 8 0 0 0 0 0
Hommes faits»..........* • • • • • * • • • • 6000000
"V ie i l la r d s & e n fa n t s ju fq u ’ à f i x an s • 3 0 0 0 0 0 0
E n f a n t s d e p u i s f i x a n s ju fq u à f e i z e ,
q u i n e f o n t p a s d u p e u p l e .......................... 1 0 0 0 0 0 0
E n f a n t s d e p u i s f i x a n s ju fq u ’ à f e i z e ,
q u i a p p a r t i e n n e n t à d e s g e n s d u
p e u p l e » »,......................................... . . . . . . . . . 2 0 0 0 0 0 0
Il feroit infiniment avantageux que les deux
millions d’enfants du peuple que nous venons de
trouver dans le nombre des habitants du royaume,
reçuffent l’éducation prppofée par l’auteur d e s v u e s
p a t r io tiq u e s f u r l ’é d u c a tio n d u p e u p le , t a n t d e s v i l le s
q u e d e l a cam p a g n e ; mais malheureufement dans
touts les gouvernements, les vérités les plus effenr
îielles reftent longtemps éparfes & inutiles avant
de pouvoir germer dans les têtes , & bien plus
longtemps encore avant que le minjftre le mieux
intentionné puiffe s’en emparer & les mettre a
profit ; il faut donc pour donner plus de moyen?
de pratiquer ce que l’on croit devoir propofer
pour que le bien s’opère, fe borner à des modifications
; airifi dans ce qui regarde l’éducation des
enfants du peuple, on fçait qu’acluellement, à ne
compter dans lé royaume qu’une école par communauté
, il y adroit quarante-une mille écoles.
Il eft affez prouvé que çhaqu.e communauté dç-
penfe à peu-près pour fon maître d’école 400 livres
par an , foit en gages » logement, rétributions ,
jjsyraifons de grains, fe l, &c. ce qui fait pour le
dr t militaire. Tome 11* .
D É S '185
royaume environ 16 millions 400 mille livres.’
Suppofé le royaume partagé en trente parties égales,
à peu-près pour la population ; mettez mille écoles
dans chacune de ces provinces (q u e je nommerai
militaires), vous en aurez 30 mille pour le royaume;
au lieu de deux millions d’enfants, prenez-en 420
m ille, qui feront quatorze par é co le , que fept de
ceux-ci appartiennent à des perfonnes du peuple
en état de pa yer 6 livres par m o is , jufqu’à ce
que l’enfant ait atteint l’âge de feize an s , que les
fept autres appartiennent à des gens du peuple
hors d’état de faire viv re ou de fecourir ceux que
l’on choifira ; les fept enfants qui ne payeront pas
feront pour la totalité. 21 o oco - enfants , qui , à
4 fols par jo u r , coûteront 14843333 liv re s , quL,
a v e c la fomme reftante de 1556667 livres, feroit
celle de 16400000 livres que fourniffent ariuc-l-
lement les communautés ; mais comme les 6 livres
pàr mois données par les parents, & les 4 fols
donnés par jour par l’état ne luffiroient pas pour
nourrir & vêtir ces enfants, les travaux auxquels
on les.occuperoient devant fournir au moins 4 fols
par jour pour chacun, & probablement au-delà,
cette nouvelle fomme jointe à la première devant
être plus que fuffifante pour leur fubfiftance, c e
qu’il y auroit de furplus feroit mis en maffe &
joint.à la fomme reftante de 1556667 liv ie s , pour
donner des gratifications aux maîtres, des encouragements
aux enfants, & quelquefois des fou.-
lagements à leurs parents^ Et f i , comme nous le
confeillerions, on voüloit permettre à un certain
nombre de foldats de fe marier à une certaine
ép o q u e , en adoptant le plan des garnifons permanentes
, ces différents ménages pourroient bien
encore procurer 80000 enfants que l’on mettrait
aufii dans les écoles , &. pour lefquels on p a y e -
roit 6 livres par mois fur les fonds de la guerre ,
jufqu’à l’âge de feize ans ; ; v o ilà donc à peu-près
I cinq cents mille enfants, dont environ trois cents
- mille auroient été élevés-aux dépens de l’état, Ô£ -
deux cents mille avec de très modiques fecours dç
leurs parents. A u refte il devient êtrë fibre aux perfonnes
du peuple dont on n’auroit pas pu recé?
voir les enfants dans les éc o le s , de les y en v o y e r
affifter aux leçons moyennant une légère rétribution
que l’on f ix e ro it, & qui feroit mife à la
maffe.
Q u e dans touts les endroits où.il devroit y avoir
une école , & où il fe trouveroit une maifon d^
relig ieu x, on la plaçât dans cette maifon, & qu’elle
fût préfidée par un des religieux ; là où il n’y auroit
. que le presb y tè re, que le vica ire en fût ch argé,
& qu?elie fût placée auprès de l’églife. Attachez à
chaque école un fergent v étéran qui eût la plaque ,
& auquel v ou s laifferiez une grande partie de fa
fel'd.e, .
Q u e c e fût à l’âge de fix à fept ans que les
enfants puffent entrer dans ces é c o le s , qu’ils fuffent
inoculés, que pour nourriture ils n’euffent n ifoupa
ni y ian d e , rnai§ feulement du gros pain & des
À a