
pas donner le premier nom à toutes celles qui ont
des franges, &. le fécond à celles qui font privées
de cet ornement.
Celui qui le premier a diftingué les différents
grades de l’armée françoife par des épaulettes plus
ou moins riches en or ou en argent, a péché, ce
me femble, contre l’efprit militaire. En donnant
aux grades élevés une quantité d’or ou d’argent
plus confidérable qu’aux grades jfubalternes , il a
allié dans la tête des militaires des idées qui n’au-
roient jamais dû s’y trouver enfemble. Il a paru
dire, l’or & l’argent font les plus defirables comme
les plus brillants des métaux ; eux feuls donnent
de l’éclat ; plus vous en porterez, plus vous aurez
de confidération. Il y ajoute : grofliffez & enri-
chiffez vos epaulettes , & l’on vous croira arrivés
aux grades que vous ambitionnez. Doit-on être
étonne , d’après cela, que les épaulettes confument
un quinzième ou au moins un vingtième des appointements
des officiers. S’il eût tenu un langage
abfolument oppofé, il auroit placé dans nos têtes
des idées bien plus faines & bien plus militaires ,
& il le feroit rapproché de l’efprit qui animoit
Henri-le-Grand,
D ’après cette manière de voir , que nous aurons
occafion de juftifier dans l’article luxe , & d’après
l’opinion où nous fommes que les épaulettes
doivent être confervées comme des marques dif-
tin&ives , parce qu’elles nous paroiffent être ce
qu’on peut imaginer de plus frappant & de plus
vifible , nous demanderons s’il ne feroit pas pof-
fible , s’il ne feroit pas utile , &même néceffaire,
de donner aux meftres-de-camp-commandants des
épaulettes fans or ni argent ; aux meftre-de-camp
en fécond des épaulettes enrichies d’une treffe d’or
infiniment petite, ainfi toujours en augmentant
jufqu’au porte-drapeau. Si on vouloit abfolument
bannir l’or & l’argent, ce qui feroit très fage , on
pourroit encore (en fuivant pour les couleurs
l’ordre que nous avons indiqué dans l’article drapeau,
dont nous parlerons dans les articles panion,
guidon & uniforme ) donner à touts les meftres-de-
camp-com mandants des épaulettes dont le corps &
la frange feroient en laine blanche ; aux meftres-
de camp en fécond, en laine noire-; aux lieutenants-
colonels , en bleu de roi ; aux majors , en laine
écarlatte ; aux capitaines-commandants , en laine
bleu célefte ; aux capitaines en fécond, en laine
violette ; aux lieutenans en premier, en laine gris
de fer foncé ; aux lieutenants en fécond , en laine
cramoifi ; aux fous-lieutenants , en laine jaune
citron ; & aux porte-drapeaux, engris argentin :
les adjudans, les fergents=majors?îes fourriers,
les fergents, les caporaux , les appointés, les grenadiers
, les chaffeurs, les fufiliers, les tambours
feroient aufli diftingüés par la couleur & la forme
de leurs épaulettes ; ces dix dernières épaulettes
feroient fans frange & fuivroient l’ordre que nous
avons obfervé en nommant les différents grades &
les différentes couleurs. Les adjudants porteroient {
donc des épaulettes blanches fans frange ; les fergents
majors , des épaulettes n o ire s , & c . A in fi touts les
grades feroient aifés à diftinguer ; ainfi le luxe
feroit affoibli ; ainfi on laifferoit aux portiers , aux
fuiffes, aux chaffeurs & autres gens de livrée l’or
& l’argent dont leurs maîtres font fi jaloux de les
chamarrer , & on mettroit enfin les ordres du fou-
verain à l’abri d’être violés.
Mais c’eft confidérer trop long temps , peu t-
être les épaûlettes fous un afpect affez frivole :
voyons-les d’un côté plus intéreffant.
L ’auteur de l’effai général de taâique d i t , dans
le chapitre Y I I de fon premier volume : « Je
compte donc dans mon plan de conftitution couvrir
la tête &. les épaules du fold a t, &. pour cet
effet le coëffer d’un cafque à l’épreuve du coup de
fa b re , & garnir fes épaules de trois chaînes de
fer attachées fur c u ir , & recouvertes d’une épaulette
de la çouleur affe&ée au régiment. Beaucoup
de militaires ont propofé cette idée avant m o i ,
parce qu’ils ont touts fenti qu’il étoit infenfé de
vouloir mener contre la cavalerie desfantaflins qui,
ayant la tête &. les épaules n u e s , fongent à
éviter les coups plutôt qu’à tuer ceux qui les portent.
Mais foit que cette id é e , tant de fois pro -
p o fé e , foit tombée en difcrédit par fa vétufté ,
foit que les gouverneurs n’aiment pas à adopter
les chofes écrites p a r- tou t, les trois quarts de l’infanterie
de l’Europe font encore coëffés d’inutiles
& bizarres chapeaux. Quelques troupes ont pris
des cafques q u i, uniquement adoptés dans des vues
de parade , ne font pasdéfenfifs , & le foldat
am o lli, murmure encore de leur poids.
L ’infanterie ayant la tête Ôtles épaules couvertes,
ori fent combien elle augmentera d’affurance & de
hardieffe. Ce s parties du corps font les plus mena-»
cées par le fabre ; ce font celles pour lefquelfès
l’homme craint le plus. »,
Qu oiqu e les deux alinea que nous venons de
tranfcrire ne foient pas uniquement confacrés à
l’objet qui nous occupe dans cet inftant , nous
avons cru n’en devoir rien omettre ; il eft des
vérités qu’on ne peut trop répé te r, & les militaires
relifent toujours a vec plaifir ce que M . de
Guibert a écrit. ( C . ) .
ÉPÉ E. Arme de main deftinée à percer & non
à trancher.
O n ne s’arrêtera point ici à parcourir toutes
les nations de l’antiquité qui fe fervoient de Y épée ,
ni à décrire les différentes formes qu’elles lui don-
noient. O n fe contentera de remarquer, comme
l’ont déjà fait plufieurs auteurs, qu’il y avoit des
épées courtes , fortes , qui frappoient d’eftoc &
de taille ; telles qu’étoient celles des Efpagnols ,
que les Romains empruntèrent d’eux , & a v e c
lesquelles , dit T i t e -L iv e , ils coupoient des bras
entiers , enlevoient des têtes , & faifoient des bief-
fures terribles. (Gladio Hifpanienfi detruncata corpora
brachiis abfcijjis, aut tota defeSta , divifa à corpore
capita , patentiaque vifcera , 6» fceditatem aliaia
vulnerum viderunt. ). (Liv. lib. XXXL n°. 34. ). I l
y en avoit de longues & fans p o in te s, qui ne
fervoient qu’à frapper de taille , comme étoient
celles des Gaulois , qui /quoique plus braves que
les Romains , ne les défirent prefque jamais, parce
que leur ignorance & leur aveuglement ne leur
permirent pas de reconnoître le défaut de leurs
a rm e s , & de prendre celles de leurs ennemis.
Les F ran ço is , fous la première race , dès-lors
comme aujourd’hui pleins de vigueur & d’impé-
tu o fité , p o r ta ien t , outre leurs francifques, ( c’était
une hache d’a rme, nommèefrancifque , du nom de
la nation. L e fer de cette h a ch e, félon Procope ,
étoit g ro s , & à deux bouts tranchants ; le manche
étoit de bois , & fort court. « A u momen t, dit cet
auteur, en parlant de l’expédition que les F rançois
firent en Italie fous Théodebgrt I er, roi de la France
Auftrafiènne , qu’ils entendent le lign ai, ils s’avancen
t, & au premier affaut, dès qu’ ils font à p o r tée,
ils lancent leur hache contre les boucliers de l’ennemi
, les caffent, & puis fautant l’épée à la main
fur leur homme, ils le tuent.). » ( Hifl. delà Mil.
Franç. par Daniel, T. 7 er, C, i " . ) , & leurs ja v e lots
, des épées courtes & tranchantes qui les
rendoient très redoutables dans toutes fortes d ’attaques.
Il y eut quelques changements dans leurs
■ armes fous la fe co n d e îra c e , du moins on leur
donna des arcs & des flèches, mais pour cela on
ne leur ôta pas Yépée. O n remarque feulement que
depuis il y eut quelques variations dans la forme
& les dimenfions de cette arme.
Il eft certain que tant qu’on ne quitta pas l’armure
complette , les épées dévoient être la rg e s ,
fortes , & d’une excellente trempe , pour ne point
fe caffer fur les cafques , les cuirafies , ôte. qui
faifoient tant de réfiftance; & telle fans doute fut
celle de Godefroi de B ou illon , dont les hiftoires
des croifadès nous difent qu’il fendoit un homme
en deux. Le P. Daniel (Hifl. de la Milice Françi
T. 1er. L. VI. C. 4. ) qui cite les merveilles de
cette épée , rapporte que la même chofe eft racontée
de l’empereur Conrard ,au fiège de Damas.
I l ajoute que ces fa its, tout incroyables qu’ils
paroiffent , ne femblèrent plus fi fort hors jde
vraifemblance à du Cange -, depuis qu’il eut vu à
faint Pharon de Meaux une épée antique , qu’on
dit avoir été celle d’Og ier le D an o is , fi fameux
du temps de Charlemagne , tant il la trouva pe-
fan te , & tant par conféquent il fuppofoit de force
dans celui qui la manioit. Il eft probable que ces
fortes d’épées étoient plus longues que celles qui
étoient le plus généralement en ul'âge dans ces
tem p s - là , afin d’ avoir plus de coups & faire de
telles exécutions. En e f fe t , félon le même'auteur ;
celle d’Og ier a trois pieds un pouce de lame ; trois
pouces de largeur vers la g ard e , & un pouce &
demi vers la pointe; la garde eft de fept pouces
de longueu r, & elle pèfe cinq livres. (Hifl. de
la Milice Franç. T. Ier, L. VI, C. 4 .) .
Les épées du temps de Saint - Louis étoient
comme celles des F ran c s , courtes Si tranchantes
des deux .côtés : c’eft ce que nous apprenons par
la relation de la bataille de B en é v en t , ou Charles
d’A n jo u , frère de Saint - Louis , défit Mainfroi
fon compétiteur pour le royaume de S ic ile , rapportée
par le père Daniel. Sous le règne de
François 1er, félon du Bellai L a n g e y , & Montluc ,
elles étoient plus longues que celles des anciens
François. En un m o t , il femble qu’on peut dire
que dans ces. temps déjà reculés , comme dans
ceux qui les précédèrent , il y eut des épées
de toutes les formes & de différentes longueurs.
Il y en avoit de courtes nommées branequemart,
qui avoient de la pointe & étoient à double tranchant
; il y en avoit de larges nommées flocades ;
i l y en avoit d’autres qui étoient fans pointes,
& taillantes feulement d’un côté. Il y en avoit
enfin des unes & des autres , dont on ne pou voit
fefe rvir qu’avec les deux mains, & qu’on nommoit
efpadons; telle eft celle d’Henri IV , qui eft au
tréfor des médailles du roi. Les gendarmes portoient
aufli quelquefois de grands coutelats tranchants
pour couper les bras maillés & trancher
•les morillons. (Ibid.).
D u temps de Louis X I I I , les moufquetaires &
les piquiers avoient des épées d’une moyenne
grandeur. Une ordonnance de Louis X I V , du 16
mars 1676 , dit qu’outre les p iq u e s , fufils &
moufquets , les foldats feront armés chacun d’une
bonne épée, mais elle n’en détermine pas les dimenfions.
Les dernières épées qu’on donna à notre
infanterie avoient vingt-fix pouces de lame a v e c
un talon de deux p ou ces ; étoient à deux tranchants
jufqu’à la p o in te , terminées en langue de carpe ,
( règlement ■- du ip janvier 1747 , ) , & avoient une
monture de cuivre ; mais elles étoient d’une mau-
vaife trempe. C e n’eft que depuis le commencement
de la guerre dernière qu’on a négligé de les
p o r te r , & qu’infenfiblement elles ont été fuppri-
mées,
L ’épée, comme on en peut juger par le précis
hiftorique qu’on v ien t d’en fa ire , eft une arme
fort ancienne , ôt dont toutes les nations ont connu
l’ufage.. Ce tte a rm e , plus Ample , plus maniable
& plus forte qu’aucune autre, fu t en quelque forte
le principal inftrument de la grandeur des Romains.
O n a déjà fait remarquer que les premiers François
s’en fervoient très avantageufement : & nous fçavons
que ceux de la troifième race , notamment fous les
règnes de Saint-Louis, de François 1er, de Henri
IV , de Louis X I I I , en faifoient tout autant. O n
pourroit citer différents exemples tirés de Thiftoire
de ces temps-là ; mais nous en avons de bien plus
ré c en te s, qui prouvent que la n ation, toutes les
fois qu’on lui en a fourni l’occafion , a fçu faire
ufage de l'épée avec la même v ig u e u r , la même
viv ac ité & le même fuccès.
A la bataille de Caffel , en 16 7 7 » ( viEloires
mémorables des François, ) , deux compagnies de
moufquetaires, ayant à leur tête M M . de Forbin
N n ij