avoit paffé le Ne cker, il auroit aifément vu que
le porte de M. le prince de Baden ne valoit rien par
derrière, & il auroit* forcé ce prince à abandonner
Heilbron , & à s’aller mettre en fûreté derrière
le Koker.
? Il étoit même impoffible à M. de Baden de
s oppofer au partage du Necker, par deux raifons :
la première , c’eft qu’il étoit trop éloigné pour le
pouvoir faire , fans fe déporter de la hauteur où
«étoit fon camp.
La fécondé , c’eft que par la nature du terrein,
les troupes auroient fouffert une perte confidé-
rable par le feu de l’armée du roi , parce que de
ce côté-ci du Necker , le terrein de la campagne
eft plus élevé que de l’autre , & qu’ainrt l’artillerie
de l’armée du roi auroit eu un grand avantage fur la
fienne.
De ce récit il faut .conclure que M. le maréchal
de Lorges a fort mal conduit une guerre
offenfive, & que. M. le prince de Baden s’eft
fort bien conduit pour la défenfive, & a tiré
un parti avantageux d’un porte qui n’avoit pourtant
qu’une apparence de.fûreté, fans être efferti-
vement de la nature de ceux qui font aflez bons
pour y ofer tenir centre une armée, fupérieure,
parce qu’ils ne peuvent être tournés , & qu ’il
faut les attaquer par une tête qu’on a eu le temps
d’accommoder.
La guerre qui fe fit en Piémont cette même campagne
/•Ô93, me fournira plufieurs réflexions tant
fur la defenfive mal réglée , que fur une offenftve
héureufe, qui n’a pourtant point été fui vie d’un
fuccès avantageux.
La cour avoit réfolu de ne faire contre M. de
Savoie qu’une guerre défenfive je l’ai dit ailleurs
; mais M. de Catinat qui , l’année précédente,
s’étoit mal trouvé de la difpofition où il
s’étoit mis, y voulut changer quelque chofe, parce
qu’il crut que M. de Savoie fe feroit, pour l’of-
fenfive , un objet différent de celui qui lui avoit
fait porter fes vues fur le Daüphiné , en laiflant
nos places de la tête derrière lui.
Voici quelle fut la difpofition de M. de Cati- ,
nat pour fon. infanterie. Il en mit confidérable-
ment dans Pignerol, forma un camp fur la hauteur
de Rochecoftel, plaça quelques bataillons
dans le Pragelas , dans les partages du Dauphiné.
& de la vallée de Barcelonnette , & fur le Var •
fa cavalerie refta au camp du] Sablon.
Ce général crut-, par cette difpofition f qu’en
«montrant à M. ,de Savoie ce grand cqrps d’infanterie
, ce prince n’abandpnnerpit pas la plaine
de Piémont & Turin, pour s’attacher au liège
de Cazal ou de Nice ; que la vue feule de cette!
infanterie fuffiroit pour empêcher M. de Savoie
de penfer à entreprendre fur Pignerol ou fur Suze,
& qu’ainfi la défenfive alloit être fortfûre & même
fort tranquille.
Cette difpofition générale auroit été bonne, fi M.
de .Catinat y ay oit ajouté un,e autre dÙpofition particuliere,
fans laquelle le général ne poyvoitréuflîr.
•a ^>our einpecher que le fiège de Pignerol ne pût
etre forme par M. de Savoie , il falloit empêcher
quil ne prît le fort de Sainte-Brigitte, qui étoit
au-dertus eve la citadelle de Pignerol, & que ce
prince ne déportât ce corps d’infanterie qui étoit
campé fur Rochecoftel.
;Pour que M. de Savoie ne pût pas former le
fiege de Sainte-Brigitte, il falloit faire un camp
retranche depuis ce fort jufqu’à la citadelle ; &
pour empêcher qu’il ne déportât l’infanterie qui
étoit fur Rochecoftel, il falloit que ce camp pût
communiquer avec Pignerol, &. ne point fouffrir
que M. de Savoie fe faisît de l’abbaye de faint
Pierre & des derrières de Rochecoftel.
Car pourquoi craindre que M. 'de Savoie ne
portât toute fon infanterie dans le Pragelas par
la vallee de Saint-Martin ? Qu’eft-ce qu’elle y
auroit fait ? Elle y auroit tout au plus brûlé quelques
villages de nulle importance , & auroit eu
bien de là peine à y vivre quelques jours. Toute
cette expédition même ne produifoit rien contre
Pignerol, ni contre Briançon & Suie , que M.
de Catinat protégeoit du mont Genèvre.
Il falloit encore ajoutera cette difpofition particulière
une chofe effentielle, principalement dans
un pays comme celui-là : c’étoit de charger de l’exécution
des mouvements à faire faire à cette infanterie
, & du commandement de Pignerol, des gens
qui en fuffent capables ; & c’eft ce que l’on ne fit pas«.
M. de Savoie s’étant donc approché- de Pignerol
avec toute fon armée, connut aifément les
defauts de notre difpofition, & en profita fans
perdre de temps ; il afliégea le fort de Sainte-Brigitte
& le prit, déporta fans peine notre infanterie
de la hauteur de Rochecoftel, la fuivit jüf-
quau mont Genèvre, bombarda Pignerol, & en-
fuite fongea a en faire le liège dans les formes.
Voila: quels furent les effets de notre mauvaile
difpofition.., qui auroit même été plus funefte, fi
le roi n’avoit fait marcher avec diligence un corps
çonfidérable de cavalerie de fon armée d’Allemagne
, qui mit M, de Catinat en état d’entrep1
dans la plaine de Piémont par la vallée de Suzê,
& de combattre M. de Savoie.
Ce prince, de,fon. côté-, rempli de la prélomp-
tion que ces premiers fuccès lui avoient donnée ,
& fe confiant trop en, la bonté de- fa cavalerie
Allemande,. laiffa- déboucher j M; de Catinat de la.yaliee de. Suze,Tans venir aVec-fon armée au-
devant .de.-lui. Il ne vouloit point abandonner
fon deffein fur» Pignerol, quoique la tranchée ne
fut point encore ouverte ; & fl crut que s’il bat-
toit l ’armée du ro i, près de Pignerol, non-feulement
le fiège lui en deviendroit plus facile, mais
qu’il détruiroit abfolumentTannée battue avant
qu’elle eût pu fe mettre en fûreté derrière Suze,
où il ne comptoitpas même qu’elle osât s’arrêter.
Ainfij il fe pesfuada que pourvu qu’il battît
l.armee: de M. de Catinat, qui étoit entre 1*
fienne & Turin, non-feulement il prendroit aifément
Pignerol, (conquête qu’il regardoit dans ce
temps-là comme le moindre objet de fon projet
d’offenfive après lès premiers fuccès dé fa campagne
, ) mais reprendroit Suze, la Savoie , &
porteroit même la guerre de cette campagne partout
le Dauphiné, & jufqu’aux portes de Lyon.
Après ce récit général de la guerre dé Piémont
pendant cette campagne, il faut en faire un détail
plus exaéi, afin de faire mieux connoître
toutes les fautes qui y ont été faites contre lés
règles des deux guerres défenfive & offenfive.
Lorfque dans mes mémoires j’ai parlé de la
guerre défenfive , j’y ai donné des règles pour la
loutenir différemment, fuivant la différente confti-
tution des pays.
Comme ces règles font générales', & qu’ici je
réfléchis fur cette matière, par les occafions quê
m’en donne là guerre de Piémont , je vais entrer
dans un détail exaâ & précis de l’état où étoien't
les affaires du roi de ce côté-là:, pour rendre mes
réflexions plus fenfibles, & pour lés appuyer par
des raifons folides.
• Le roi étoit le maître de la Savoie & du comté
de Nice; il avoit une bonne garnifon dans Cazal,
& poffédoit Suze, au pied du mont Cénis, &.
Pignerol au bout de la vallée de Pragelas, à l’entrée
de la plaine de Piémont. Il falloit donc fé
donner une fituatidn dé défenfive, qui, en protégeant
les places au-delà des monts, garantît en
même-temps la Provence & le bas Dauphiné des
courfes des. ennemis car on ne pouvoit raisonnablement
craindre aucune entreprife de ce coté-
là de la part des ennemis, dont la réurtite les
put mettre en état de fe procurer un etnbliftement
folide en-deçà des Alpes. Le roi avoit dans1 Pignerol
, & en arrière au-delà des Alpes, une
puiffante artillerie de fiège ; & foutes les charrettes
, tant pour le fervice de l’artillerie que pour
celui des vivres, qui avoient fervi les campagnes
précédentes * étoient aufli dans Pignerol. D ’ailleurs
le roi avoit de ces côtés-là beaucoup plus
d infanterie que les ennemis ; mais aufli moins de
cavalerie. Voilà quel étoit notre état : celui des
ennemis etpit tel que je vais le dire.
Ils etoient les maîtres de fe promener par toute
la plaine de Piémont, o ù , fuivant notre projet
de defenfive, nous ne voulions point entrer avec
larmee. Ils étoient, comme je l’ai dit, fuperiëurs
eh cavalerie, mais fort inférieurs en infanterie.
Il auroit donc été ràifonnable de penfer , que
la cavalerie de l’ennemi ne lui pouvant être d’au-
cune utilité pour agir dans la montagne, notre
defenfive étoit fûre , pourvu que notre infanterie
fut placée de manière qu’elle fût toujours en force
devant celle de l’ennemi, fôit par fon nombre,
loit par le choix de bons portes où elle fût en
îurete,, jiifqu’à ce que le'refte de l’infanterie put
etre raffemblé pour agir.
Par ce que je yieiïs de direj on voit que les
ennemis étoient dans le baflin du Piémont, dont
nous voulions garder touts les bords, depuis Nice
& la Méditerranée jufqu'au lac de Genève.
Ils avoient donc Cazal derrière eux , Pignerol
& Suze devant eux au pied des Alpes, & tout
Je ceintre que forment les montagnes. Nous avions
devant nous la plaine de Piémont, l’armée des
ennemis toute ënfemble, &. Turin.
Ainfi, notre premier défavafttage étoit en ce
que nous avions féparé notre infanterie en plufieurs
corps, pour garder ce vaftè céintre de
montagnes , & que notre cavalerie étoit trop en
arrière, pendant que toutes les troupes de l’ennemi
étoient réunies , de manière que quoiqu’il
fût dans le fond fort inférieur à nous en infanterie,
il ne l'aiftoit pas d’être fupérieur. par-tout
ôii il auroit réfolu de faire fon effort enfembie ,
parce qu’il y pouvoit être au moins pendant quelques
jours plus nombreux que nous : fituatiori
d’autant plus trifté pour M. de Catinat, que le
danger où elle nous mettoit, ne pouvoit être
attribué qu’aux fautes faites contre les règles d’unô
judicieufe défenfive , dônt la bonne difpofition eft
la feule fûreté à prendre contre les événements
malheureux qui peuvent arriver en peu de jours.
Pour prouver ce que je viens de d ire , il eft
certain premièrement qüé fennemi ne pouvoit fé
porter fur Cazal pour én former le fiège , qu’avec
toute fon infanterie, & qu’en laïffant fa cavalerie
devant nous dans la. plaine de Piémont, pour
nous en chicaner rentrée, lorfque nous aurions
raffemblé toutes nos forces pour marcher au recours
de cette place; & que cette cavalerie, fupérieure
à la nôtre, ne pouvoit agir avec fuccès
contre l’armée du roi eh tête , mais feulement
en^cherchant les flancs dé l’armée pendant fes
marches, ou en prenant fes derrières pour enlever
fes convois , en cas qu’elle eût été nécef-
fitée d’en tirer de Pignerol après avoir marché
en avant.
C ar, comment cette cavalerie auroit'elle ofé fe
tenir fi près de toute notrê;atmée dans une plaine ,
qui, quoiqu’elle foit fort unie , ne laiffe pas d’être
remplie de défilés preique continuels par la nature
du pays? Elle auroit fûrement été obligée dé nous
abandonner le terrein, même de lo in , à mefure
que nous aurions marché en avant.
Si elle s’étoit occupée à nous empêcher de
fourrager, notre infanterie nous auroit garantis
contre cette appréhenfion , moins raifonnable à
avoir én Piémont, que dans les autres pays où
l’on fait W guerre*
Si enfin elle s’étoit tenue derrière nous, pour
empêcher que nous puflions tirer des convois de
Pignerol; il auroit été aifé de parer cet inconvé-r
nient pour le temps qui éteit néceffaire à faire lever
lé fiège de Cazal, en faifant porter de la farine
par nos charrettes au lieu de pain ; car enfin , il
n’y a que vingt-deux lieuës de Pignerol a Cazal.
D’ailleurs la diftance de Pignerol à Turin îi’çft
N n a n ij