
circulèrent la fève la plus abondante , ne porteroit
jamais de fruits agréables & fains fi l’aftre du jour
ne 1’échauftoit de les rayons puiffants, de même
le génie martial feroit bientôt éteint fi la gloire
ne venoit le ranimer par fa flamme vive & féconde.
O gloire I tu développes les talents & les
yertus ; fi tu ne fais briller tes lauriers aux yeux
du chef d’une armée , rarement la patrie s’applaudira
de lui en avoir confié le commandement.
Apprends aux généraux qu’ils ne parviendront à
ton temple que par les vertus. Dis - leur qu’ils
verront les barrières qui enseignent ta demeure-
s’abaiffer devant eux , non pas lorfqu’ils feront
proclamés par de vils flatteurs ; mais lorfqu’ils
feront annoncés par la voix publique ; lorfqu’ils
auront été plus occupés de mériter les grands emplois
que de les briguer, & lorfque dans les grandes
aéfions ils auront encore plus fongé à bien faire
qu’àfe rendre dignes de tes faveurs. Qu’ils fçaehent
enfin que ce n’eft qu’en imitant du Guefclin ,
Bayard, Gonfalve , Turenne, &c. qu’ils pourront
efpérer d’être affis un jour dans ton fanc-
tuaire à côté de ces héros immortels. Dis - leur
encore que fi par la faveur ou par l’adreffe , ils
parviennent à fe glifïer en rampant jufqu’aulieu
l'acré ; dis-leur que le temps, ce juge équitable ,
les arrachera de la place qu’ils auront ufurpée , &
les précipitera dans l’antre obfcur de l’oubli.
Des philofophes , en fe facrifiant eux-mêmes au
foin d’immortalifer leur nom, ont ofé défendre à
leurs difciples d’avoir dans leurs aâions la pofté-
rité pour objet ; ils ont traité de vain & de chimérique
le defir dont ils étoiènt embrafés eux-
mêmes ; cette contradidion étonne. L’homme de
guerre plus d’accord avec lui-même tend fans ceffe
a ce noble b u t, 6c il l’avoue. Ce defir & cet
aveu le foutiennent dans les moments les plus
difficiles, il goûte d’avance le plaifir pur de prévoir
que fon nom fera prononcé avec éloge par
la jufte poftérité ; que fes derniers defeendants le
compteront avec vanité parmi leurs ancêtres ; qu’ils
montreront fon image à leurs enfants , & qu’elle
fera pour eux la leçon la plus perfuafive 8t l’encouragement
le plus puiffant à la vertu. Ces jouif-
fances éloignées ne font pas les feules récompenfes
que procurent l’amour de la gloire & le noble defir
de l’immortalité ; en cherchant à mériter les louanges
de la poftérité, on obtient l’amour & la recon-
hoiiTance de fes contemporains. Il n’eft point, fans
doute , de réccmpenfe plus flatteufe, mais il en eft
de plus fenfibles & auxquelles il n’eft pas défendu
au général d’afpirer.
v.
De Vantcur des diflinltions 6» des récompenfes.
Laiffons. aux politiques fpéculatifs le foin de
former une république dont les citoyens ayent
^ffez de vertu pour dédaigner les récompenfes
honorables 6c les diftinélions flatteufes ; cette froide
infenfibilité ne pénétrera jamais dans le coeur ardent
du guerrier : un général qui fans être vivement
ému , s’approchera des tombeaux que nos rois ont
élevés aux Barbafan , aux du Guefclin, aux T u-
renne 8c aux Saxe ; celui qui affamé d’argent &
dégoûté de gloire préférera l’or aux lauriers; celui
qui lira fans enthoufiafme l’infcription gravée fur,
le feeptre des guerriers , qui au moins ne brûlerai
pas du defir d’obtenir le prix des vertus militaires g
celui-là ne fera jamais rien de grand.
§ . V L
De la religion•
Quand il feroit inutile, dit Montefquieu, que
les fujets euffent une religion , il ne le feroit pas
que les princes en euffent. Ce que l’auteur de
l’Efprit des loix dit des princes , doit être dit des
généraux d’armée.
La religion, même fauffe , a dit encore l’illuftre
auteur que nous venons de citer , eft le meilleur
garant que les hommes puiffent avoir de la probité
des hommes ; la religion eft un des refforts
les plus puiffants 6c les plus forts que le général
puiffe employer pour animer , foutenir ou faire
renaître le courage de fes foldats. ( V. R e l ig io n ) .
Enfin , toute troupe fans religion , a dit un célèbre
miniftre de la guerre , ne fera jamais bonne. Il
importe donc aux fuccès 6c à la gloire du général
que fes foldats foient fournis à la religion ; mais ,
comme les exemples du chef influent de la manière
la plus fenfible fur fon armée, il ne peut efpérer
de la voir fe foumettre aux volontés de la religion,
qu’autant qu’il leur obéira lui-même. D ’ailleurs , le
général ne fera-t-il pas animé , confolé, foutenu
par l’idée d’un être fuprême, qui récompense tout
ce qu’on a voulu faire pour le bonheur des hommes ?
L’hiftoire nous prouve qu’on a vu naître des
héros dans toutes les religions ; cependant celles des
du Guefclin , des Baïard , des Sobieski, des T urenne
, cette religion fublime , dont les principes
gravés dans les coeurs, font infiniment plus puiffants
que l’honneur des monarchies, la vertu des républiques
, 8c la crainte des états defpotiques' ; cette
religion qui réprime les pafîions dangereufes , produit
les qualités fortes ôc néceffaires aux guerriers ,
rend les commandants plus juftes 6c plus humains t
les fubordonnés plus patients & plus fidèles ; cette
religion ne devroit-elle pas être celle du général
d’armée, même à ne la confidérer que fous un
I point de vue politique ?
§• y i i .
De la bravoure.
Avant de parvenir au commandement des
j armées, le général fe fera trouvé fans doute plufieur
fois fur un champ de bataille ; il aura p u , par
l’habitude des hafards , détruire les germes de
frayeur & de foibleffe qu’il avoit reçus de la nature.
Nous ne devons donc pas employer ce paragraphe
à infpirer de la bravoure au général, mais
à lui indiquer l’emploi qu’il doit en taire.
« La vaillance, dit Montagne, a fes limites comme
les autres vertus, lefquelles franchies , on fe trouve
dans le train du v ic e , en manière que par chez elle
on peut fe rendre à la témérité, obftination 6c
folie ; qui n’en fçait bien les bornes mal aifées a
en vérité peine à choifir leurs confins »». Mais où font
placées ces bornes, 6c comment les reconnoître ?
C ’eft d’après l’utilité générale , le falut 6c le
bonheur public, qu’on, doit juger les aéfions des
hommes. En fociété, elles deviennent vertus ou
vices, à proportion qu’elles s’éloignent & fe rapprochent
de ce but. D ’après ce principe, la valeur
a&ive n’eft vertu dans le général que dans le
cas où le falut de l’armée confiée à fes foins ôc
la profpérité de la chofe publique exigent qu’il
expofe fa perfonne ; dans toutes les autres cir-
conftances la bravoure eft un vice.; mais cette
vérité morale & politique eft-elle d’accord avec
les axiomes militaires ôc avec la conduite qu’ont
tenue les grands généraux anciens & modernes ?
Touts les auteurs didaâiques militaires, parmi
lefquels on compte plufieurs guerriers célèbres ,
défendent au général la bravoure du foldat ; ils
le placent pendant un combat loin de la mêlée ,
6c dans un lieu élevé, d’où il puiffe voir feulement
ce qui fe paffe dans les différentes parties
de fa bataille. Polybe ne s’en tient point à ces
termes généraux , il veut que celui qui commande
les armées évite jufqu’aux dangers qui ne peuvent
même paffer pour tels à l’égard de fes troupes.
Bien loin de louer Marcellus, parce qu’il s’étoit
expofé aux coups des ennemis fans une néceflité
extrême, il l’en blâme fortement. Un des principaux
reproches qu’on fait au roi Pyrrhus , c’eft
d’avoir trop peu ménagé fa perfonne. L’empereur
Lé on, Montécuculi , Feuquières 6c Folard , en
un m o t, touts les écrivains militaires, font d’accord
fur ce point : ils aiment mieux voir Scipion
s’approcher de la mêlée à l’abri de trois boucliers ,
que le vicomte de Turenne expofer une vie fi
précieufe pour donner à un de fes foldats une
haute idée de fa bravoure. Le fage Turenne fe
laiffa fans doute entraîner à cette aêtion inconfi-
dérée-, 6c téméraire peut-être , parce qu’il fçavoit
que la valeur du général ne doit pas même être
foupçonnée : mais ce héros n’avoit-il pas donné
affez de preuves de fa valeur pour répondre comme
Fabius Maximus , ce Romain célèbre avec lequel
il avoit tant de rapport: je ferois bien plus lâche ,
fi la crainte de quelques vaines railleries me faifoit
manquer aux règles de la prudence. C ’étoit ainfi
que penfoit le grand Condé ^ c’eft d’après ce principe
qu’il fe conduifit lorfque Gaflion voulut mettre
fon courage à l’épreuve. M. de Santa-Cruz, en
parlant de la bravoure du général, va encore plus
loin que les autres écrivains ; avant le commencement
de la bataille, le commandant en chef
changera, dit-il, de cheval, d’armes 6c d’habits ,
6c il n’y aura que des perfonnes d’une fidélité
reconnue qui fçaehent l’endroit où il doit fe tenir
pendant le combat. Les motifs fur lefquels les différents
auteurs que nous venons de citer appuient
leurs avis, fe rapportent au grand principe de l’utilité
générale. Ces écrivains prétendent touts avec
raifon qu’une armée dont le général a été rué
ou fait prifonnier , ou même feulement feleffé ' *
devient un monflre à plufieurs têtes, mais fans bràf
& fans oreilles ,* ils dilènt que la mort, la prife- ou
la retraite du général, occafionnée par fes bleffures ,
décourage fes troupes, tandis quelle anime celles
de Pennemi. Le général a feul le fecret de fa cour,
ajoutent-ils ; il a feul médité , formé le plan de la
campagne, acquis l’amour , la confiance de fes
troupes ; ainfi un homme, même plus habile que
lu i, ne pourroit le remplacer avec avantage. S i,
malgré la chute du général, difent-ils encore , fort
armée, mue par l’impulfion qu’il lui a donnée, remporte
la v iâo ire , elle ne fçait ni ne peut en profiter ;
î i , au contraire , elle eft battue, ordinairement fa
défaite eft complette. Nous ne rapporterons pas ici
toutes les batailles dont la face a changé par la
mort, la prife ou la retraite forcée du général ;
nous ne citerons pas toutes les occafions où on
a regardé comme un ftratagême utile de répandre
le bruit de la mort du chef ennemi ; nous ne parlerons
pas non plus de toutes celles où l’on a eu
l’attention de cacher à l’armée la mort du général ;
mais les exemples que nous allons indiquer., fuffi-
ront à prouver combien un commandant en chef
doit être réfervé fur l’emploi de la bravoure , & à
montrer qu’en lui la valeur aêfive eft prefque toujours
témérité.
Parmi les exemples célèbres en ce genre, l’hiftoire
de la Grèce nous offre d’abord les deux batailles
de Mantinée & celle de Leu êtres. La principale
caufe de la défaite des Spartiates à Leuêtres, fut
la mort de leur roi Cléombrote. Si Epaminondas
n’avoit pas été mortellement blefîe pendant la première
bataille de Mantinée , les Thébains auroient
tiré un plus grand parti de la viêtoire qu’ils remportèrent
dans ces champs à jamais fameux. A la
fécondé bataille du même nom, les Spartiates ne
fe débandèrent totalement, & Philopoemen ne
regarda la viêtoire comme affurée que lorfqu’il eut
coupé la tête au tyran Machanidas, & qu’il l’eut
montrée à fon armée. Le célèbre Pelopidas, convaincu
que le deftin de l’état dépend de la vie
du général, répondit à fa femme én pleurs qui lui
recommandoit de fe conferver : c’eft aux Amples
foldats que vous pourriez donner cet avis , non
pas à un général qui y eft obligé par fa charge.
Timothée, un des plus illuftres capitaines de la
G rè c e , fit à Charès , qui avoit été général des
Athéniens, une réponfe qui renferme le même