
obier v.er avec plus d’exaéUtudê î des officiers
qui no goimouTent pas l’eiprit du foldat , le caret-
fent, le flattent un jour d’aélion ; allons mon ami,
lui dilent ils ; ils ont raifon de parler 'ainfi , s’ils
ont tenu le même langage pondant la paix : mais
s’ils ont toujours employé d’autres exprefiions, ils
ont tort d’en changer alors. Dans une bataille donnée
pendant la dernière guerre, quelques foldats
fatigués d’une longue canonnade, commencent à
pelptoner , leurs officiers parlent, prient, preffent
en vain, ils ne peùYejn^arrêter le défordre ; le
major arrive ; il jure commè~~à ton ordinaire, ôc
tout rentre dans l’ordre. Ce major avoit tort de
jurer pendant la paix : mais il eut raifon de conserver
devant l’ennemi le ton qu’il avoit pris dans
les exercices ordinaires.
Un jour ne fuffit point pour créer une bonne
difcipline; un jour ne fuffit point pour l’établir;
ces deux opérations font l’oeuvre du temps; on
ne peut eipérer de les exécuter fans tomber dans
quelques erreurs ; mais ces erreurs même font
utiles ; elles rendent les chefs & les fubordonnés
moins çonfians, plus aétifs & plus foigneux.
La difcipline militaire ne change pas un peuple
flans un feul jour : mais elle le modifie peu-à-
peu. Si elle ne rend pas phlegmatique celui qui
étoit impatient, du moins elle empêche fa vivacité
de lui-être funefte.
C ’eft beaucoup que d’avoir difcipline le foldat,
mais il eft bien plus effentiel de difcipliner les-
officiers : on peut confidérer une armée comme
une machine compolée d’un grand nombre de
roues; fl la quadrature d’une feule n’eft pas parfaite,
la machine ou s’arrête ou ne marche que
d’une manière inégale.
Il ne fuffit pas que les officiers fubalternes obfer-
vent lés loix de la difcipline, il faut encore qu’ils
fe gardent de leur porter atteinte par des murmures
indifçrets. Le foldat ne brife en effet les
liens de \a difcipline, que lorfque les officiers lui
en ont donné l’exemple, & lorfqu’ilsl’y ont engagé
par des propos peu mefurés. Les efprits inquiets
feroient moins de mal à la difcipline en l ’attaquant
ouvertement, qu’en cherchant à la faper par des
murmures fecrets. Quelques foins qu’on ait donnés
à la difcipline des foldats & à celle, des officiers
fubalternes ; de quelques fuccès que ces foins.ayent
été fuivis, elle fera bientôt détruite fl les officiers
généraux ne font point difciplinés, & s’ils ne fe
font pas un devoir de payer au général le tribut
d’obéiffançe & d’égards qui lui eft dû.
Charles-Quint, Louis X IV & Pierre-le-Grand
étoient bien perfuadés de cette vérité. Le premier
obéit au marquis du Guaft, qui lui ordonna de
fe placer au centre de l’armée avec les enfeignes;
Le fécond voulut que le prince de Çondé, occupât
comme général, la maifon la plus commode; &
le troiflème obéit aveuglément aux ordres du capitaine
le Fort, & même à ceux des bas-offiçiers
de fa compagnie.
Une bonne difcipline defcend du général au
foldat par des degrés égaux; elle eft toujours la
même. S i , après avoir été fé v è re , elle fe relâchoit
un p eu , les guerriers fe croiroient tout permis ; &
fembJables à un courfler v igoureux à qui on a rendu
les rennes, au lieu de continuer leur route ils ne
feroient que fauter & bondir , ils finiroient même
par le cabrer ; f l, après avoir été d o u ce , la difcipline
veu t redevenir fé v è r e , fes liens paroiflent
des chaînes , on fait tout pour s’en délivrer.
Une armée fans difcipline peut remporter une
v i& o ire , mais elle ne peut en profiter.
Une armée difciplinée peut être battue, mais elle
n’eft jamais défaite, ou au moins p rend-elle bien*
tôt fa revanche.
Voulez-vous avoir une idée jufte des effets de
1 indifcipline, lifez le tome II. des Mémoires de la
V ie i lle v ille , page 2,52 ; vous y verrez que ce fut
elle q u i, dans la campagne de 1 5 5 2 , fut la caufe
de nos malheurs; « elle priva nos trou pes, d it- il,
des vivres &. des fecours que nous aurions pu tirer
du p a y s , de manière que nous ne trouvâmes jamais
depuis un homme à qui parler ; & tant que
le voyage dura, il ne fe préfenta perfonne a vec fa
denrée fur le paiTage : il falloir faire cinq à fix
lieues pour aller aux fourrages & aux vivres , mai*
a v ec une bonne efcorte , car dix hommes n’en rev
en d en t pas , en quoi l’armée fouffrit infinies
pauvretés. ».
Une armée difciplinée peut être furprife , mais
pour cela elle n’eft pas battue; une armée fans
difcipline qui eft furprife par l’enn emi, eft ordi-»
nairement détruite.
Une armée fans difcipline , a dit le maréchal de
Saxe , eft plus dahgereufe à l’état que fes ennemis.
Voyeç l’ouvrage que ce grand homme a intitulé
M es R êveries , tome I , pages 7 6 , 88 & 149 :
voye^ encore dans le tome I I , les pages 36 & 95.
Dans la defcription des batailles que les R o mains
ont livrées aux Gaulois & aux Germains ,
on vo it ces derniers avoir toujours de l’avantage
dans le commencement de la jo u rn é e ,.& prefque
toujours finir cependant par être battus. C ’eft encore
là un des effets de la difcipline, elle donne
de la confiance & enfeigne à reprendre fes rangs.
L e cheval le mieux drefle devient bientôt' indocile
entre les mains d’un mauvais écuyer ; il en eft
de même d’un corps bien difcipline lorfqu’il eft
confié à un chef inhabile.
La difcipline n’a de force qu’entre les mains d’un
ch ef qui mérite la confiance de fes fubordonnés.
S i , égaré dans une fo r ê t , j ’ai un guide dont je fuis
fu r , les chemins les plus difficiles me paroiflent
bons , ou je penfe au moins qu’ils font les meilleurs;
la certitude de retrouver la bonne route me fou -
t ien t , m’encourage ; avec un g u id e , des connoifi-
fances duquel je me dé fie, il me femble que
chaque pas m’éloigne de mon bu t; & mes forces
diminuent à mefuie que j’avance. Il en eft du général
, qui n’a pas mérité l’amour de fes folda ts,
à-peu-près comme de celui qui n’a pas gagné leur
confiance.
Un régiment bien difcipliné, eft aguerri dès le
premier coup de canon celui qui n’eft pas fournis
a une difcipline exaéle , ne l’eft jamais , ou fe conduit
comme s’il ne l’étoit pas.
Il vaudroit mieux commander une armée très-
obéiflante , mais très-ignorante , qu’une armée très-
inftruite, mais peu difciplinée.
Un des exemples les plus frappants du pouvoir de
la difciplineeft celui qui eft configné dans l’hiftoire
univerfelle angloife, tome 24, page 18 1, fous le
règne de l’empereur Marc- Aurele. Les Romains
font en préfence des Sarmattes ; dans les deux camps
tout le prépare pour un combat général; Avidius
Caffius, connu par fon amour pour les Iqîx militaires
& fon attention à les faire obferver à la rigueur, commande
les Romains ; il donne plufieurs exemples
«datants de cette févérité néceflaire ; ils font une
impreffion fi profonde fur l’efprit des Barbares,
que défefpérant de vaincre une armée fi bien difciplinée,
ils demandent une trêve de cent ans.
Combien de fang la févérité de Caffius ne conferva-
t-elle pas.
Voulez-vous fçavoir fi un régiment eft bien difcipliné
, voyez-le quand les compagnies fe forment ;
fuivez les détachements qui montent & qui descendent
la garde; fi le filence & l’ordre n’y régnent
pas dans ces circonftances , affurez hardiment que
la difcipline eft mauvaife.
Voulez-vous rétablir la difcipline, imitez Scipion;
banniffez comme lui l’o ifiveté, la volupté & le
luxe. Il eft bien fingulier que ces trois ennemis
capitaux de la difcipline militaire foient ceux qu’on
ménage le plus. Pour rétablir la difcipline dans l’armée
dont il prenoit le commandement, Scipion en
bannit les femmes débauchées, les marchands dont
le commerce favorife le luxe , les valets, les chevaux
&. les bagages fuperflus.
Voulez-vous rétablir la difcipline ; puniffez toujours
le chef & jamais le Subalterne. Un officier
fait-il une faute , que le colonel l’expie ; un foldat
manque-t-il à fes devoirs, que fon capitaine en
porte la peine ; &. bientôt vous verrez l’ordre
renaître.
Que l’âge, le rang, la naiffance ne mettent perfonne
à l’abri des punitions méritées, & la difcipline
acquerra chaque jour de nouvelles forces : la gravité
&.la durée des peines eft toujours en raifon in-
verfe de l’élévation , elle devroit au contraire être
en raifon compofée.
Nous avons vu plus haut, que Manlius Torqua-
tus & le diélateur Pofthumiusavoient fait mettre
leurs fils à mort pour avoir manqué à la difcipline ;
le conful Aurelius Cotta va nous fournir deux
aùtres exemples du même genre ; il ôta fon emploi
a un de fes parents & il fit battre l’autre de verges,
pour avoir , fans ordre, attaqué la ville de Lipari.
Je rends grâces aux dieux de n’être pas Romain
diront peut-être quelques guerriers modernes;
comme eux je rends grâces au ciel d’être né François
, mais je regrette la difcipline militaire de
R om e .
Un architeéfe chargé de réparer un v ieil éd ifice ,
commence par tracer un plan exaél des changements
qu’il veut faire ; fon plan fait & fes matériaux
prêts, il démolit d’abord une petite partie
du vieux m u r , & il reconftruit tout de fuite celui
qui doit le remplacer ; il paffe enfuite à un autre
endroit & agit de même ; ainfi celui qui veu t rétablir
la difcipline dans un corps militaire, doit attaquer
les abus les uns après les autres ; ne palier
au fécond que lorfque le premier eft entièrement
détruit , & que ce qu’il vouloit y fubftituer eft
parfaitement confolidé.
Une armée bien conftituée doit reffembler à
un ormeau vig'oureux ; fon tronc eft ordinairement
féparé en deux m ait relies branches, chaque maî-
treffe branche en deux branches moins confidé-
rab les, chacune de ces dernières en deux branches
encore plus petites, ainfi julqu’aux rameaux
les plus éloignés jufqu’aux feuilles les plus tendres.
L e tronc fournit aux deux maîtreffes branches
toute la sève dont elles ont befoin pour l’arbre
entier ; mais comme cette liqueur n’eft point allez
élaborée pour circuler dans les canaux déliés des
branches les plus p e tite s, les maîtreffes branches
lui font fubir une fécondé préparation & la transmettent
aux troifièmes branches, qui à leur tour
la divifent & la travaillent en co re , de manière
qu’elle n’arrive aux rameaux les plus ténus qu’après
avoir été allez épurée pour s’infinuer facilement
dans les vaiffeaux infiniment petits qui les com-
pofent. Suppofez au contraire qu’une armée ref-
femble à un faule étêté nou ve llemen t, & fi vous
v o y e z quelques rameaux vigoureux ,^vous en
verrez un nombre bien plus conûdérable de morts
ou de mourants.
Le manque de difcipline n’eft pas feulement
dangereux quand on eft en préfence de l’en n emi,
il l’eft encore quand on en eft éloigné , il l’eft
même au fein de la paix.
Agéfilas eft obligé de laiffer. fon armée fous
la conduite de G y lu s fon lieutenant : celui-ci croit
qu’il peut fans danger détendre les refforts de la
difcipline, bientôt fes foldats fe difperfent pour
piller : les Locriens profitent de ce déford re, attaquent
les Spartiates, tuent G y lu s & beaucoup
de fes foldats.
T ra f ib u le , général Athénien , a fournis une des
principales villes de l’île de Rhodes ; pour s’exempter
du pillage. C e t t e . cité lui a payé une
forte contribution ; à l’infçu du général, les foldats
dévaftent les poffeffio'ns de quelques habitants
; ceux-ci irrités de ce manque de f o i , prennent
les armes au milieu de la n u it , entrent dans le
camp des Athéniens, tuent leur g én é ral, un grand
nombre de foldats, & mettent les autres en fuite.
Qu elque utile que foit la difcipline militaire ,
les guerriers qui n’auroient que ce frein feroient