
des qualités morales. Comment en effet font lô
plus généralement compofé.es nos armées ? D ’hommes
libertins & pareffeux , brayes & craignant
la, honte , mais hien plus encore les peines & le
travail. D ’hommes que leur dérangement, leurs
dettes j & peut-être leurs mauvailes a étions ont
déterminé à s’engager. D ’hommes qui ont efpéré,
en s’engageant, l’impunité pour leurs fautes paffées,
8t compté encore fur elle pour les fautes à venir ;
d’enfants q u i, éguillonnés par les defirs , ont efpéré
fatisfaire plus aifémént leurs paffions naiffantes ,.
&. dont les moeurs ont été bientôt portées au
plus grand point de corruption. D ’hommes enfin
dont les inclinations étoient déjà corrompues, ou qui
ne tardent pas à fe corrompre ; & vous voulez que
dans un affemblage aufii vicieux j touts l'oient
fcrupuleufement attachés à leurs devoirs , touts
fouffrent patiemment les maux que vous leur
faites ; touts relient paisiblement fournis à l’impéritie
de leurs chefs , l’inégalité de leurs caractères
, a leurs paffions dont ils font la victime , à
l’inconféquence & la dureté de vos loix dont ils
abufènt.
Manière dont on enrolle les hommes qui compofent les
armée^\
Le fervice militaire ne doit plus être un devoir
•auffi abfolu pour le fujet, depuis qu’il Semble avoir
acquitté cette dette , en fe Soumettant à payer
des impôts , & avoir chargé le fouverain de la.
défenfe de Ses propriétés , en lui donnant des
moyens de foudoyer des foldats. C ’eft donc le
fouverain qui doit contraâer en fon^ nom ; c’eft
lui. qui doit décider. les .citoyens à prendre le
métier des armes ; il doit en compofer les armées ;
il.doit les recruter de la même manière : il doit
donc offrir de foudoyer, d'entretenir, de récom-
p ç n fe r ,.& c . ceux qui voudroient s’engager à
fervir l’état ; chaque, contrat d’enrollement doit
donc avoir pour caufes ces deux conditions obligatoires.
Je fais .à la charge que vous me donnerez.
Je fais & vous engage auffi d,e faire. Mais,
pour rendre ce contrat valide, il faut qu’il y ait
de part & d’autre une pleine connoiffance de la
nature de l’engagement ; il faut qu’on ne puiffe
jamais prétexter l’ignorance, & que la moindre
contravention emporte la punition qu on y attache.
Les enrolfements doivent donc être libres,
conditionnels, fixés à un certain temps |ils doivent
être fondés fur un engagement mutuel entre le fouverain
& le nouveau foldat ; il faut enfin le confentement
des parties , fans quoi il feroit nul ; le
confentement d’une partie ne pouvant, ni ne devant
impofer aucune obligation fans l’acception
réciproque de l’autre.
Bientôt on a eu trop peu d’égards aux conditions
qui doivent avoir lieu entre le fujet & le
fouverain ; le foible eft devenu la viâime du plus
ferî ; en vain le citoyen opprimé, a- t - i l voulu
réclamer la juftice , & parler de fes droitsi Æ?
l ’injuftice de ne pas l’écouter , on a fouvent joint
la barbarie de lui faire un crime de fes demandes ,
& de l’en punir. De pareilles contraventions dévoient
révolter le plus grand nombre des citoyens y
& les éloigner d’un état où l’on rempiiffoit auffi
mal les conditions fous lefquelles on y étoit entre.
Cependant preffé entre le bèloi-n d avoir des
recrues , & le peu de penchant qu’on a forcé.
la plus grande partie des citoyens d’avoir pour
le fervice depuis, qu’on en connoît les abus, on
s’eft permis des moyens dangereux , & l’on ferme
les yeux fur ceux que mettent en ufage les recruteurs.
« Qu’eft-ce en effet qu’un recruteur ; trop
fouvent ce n’eft qu’un homme ivrogne, débauché T
fans moeurs & fans probité ; trop fouvent ce même
homme emploie la violence , la fraude , la fri-,
ponnerie , & quelquefois même le crime , pour
enroller des dupes ou des gens" timides ou intimidés.;
de-là des enfants trompés , & que leur
crédulité perd ; des hommes plus raifonnables &
auffi crédules , dont on furprend le confentement
après avoir aliéné leur raifon, au moyen du vin
pris avec excès , quelques-uns auxquels on l’arrache
par force; ou en les intimidant par des menaces,,
prefque point enfin qui foient engagés de leur.
propre volonté & avec le confentement de leurs,
parents ; auffi pourroit-on dire des raccoleurs, qu’ils-
font des ennemis de la fureté publique , qui troublent
la tranquillité des familles-, corrompent les
moeurs des jeunes citoyens , & mettent leur
liberté à prix, en les forçant de la perdre par la
•fraude & la léüu&icm. Ces hommes fi dangereux
ne s’en tiennent pas à tromper les perfonnes qu’ils,
engagent ; ils trompent encore l’état lui-même ,
en arrêtant au paffâge une grande partie de l’argent
deftiné pour recruter ; d’abord les frais du
racolage font exorbitants , & enl'uite le recrue a*
toujours dépenfé avec le racoleur prefque tout
l’argent de fon engagement , avant de joindre
fes drapeaux ; il feroit trop long & trop pénible
pour l’humanité d’entrer dans touts les détails des
horreurs qui fe commettent quelquefois à ce fujet
il fuffit d’avoir parlé de'quelques abus pour fe taire
fur le plus grand nombre.
Mais , en fe taifant fur ces abus, ils n’en exiftent-
pas moins ; le recrue, prefque toujours enrollé
malgré lui , & qui a déjà verfé. tant dé larmes
après avoir été.féduit, ignore toutes les- peines ,,
les injuftices & les mifères qui l’attendent dans
fés garnifons ; forcé bientôt de s’y fou mettre ,
pourra-t-il s’empêcher de fe convaincre à touts les-
inftants que vous ne rempliffez aveclui aucunes des
conditions , auxquelles vous' avez-paru vous fou-
mettre dans le contrat; qu’il- a paffé avec vous,;,
pourra-t-il oublier que vous l’avez trompé en lui
cachant la plus grande partie des obligations
auxquelles vous le foumettez actuellement ; ne fe
croira-t-il pas délié de fes engagements par
înfra&ioiis continuelles que vous faites aux vôtres ;
n’en viendra-1-il pas peut-être jufqu’à croire qu u
peut quitter fans crainte un état dans^ lequel il
n’eft entré que par fédu&ion, où il n’a ete retenu
que par force , & que l’on peut d’autant moins le
punir d’avoir quitté , qu’ayant eu grand foin de
lé lui peindre toftt autrement qu’il n’eft en effet,
on a rendu fes engagements illusoires & nuis ?
Subjîjlance qu’on donne aux hommes qui compofent
les armées.
Par fubfiffance, on entend la paye , la nourriture
, le vêtement, la guérifon &. le logement,
l’on fait affez , quand on a quelques connoiffarices
fur le militaire François, qu’aucun foldat en Europe
n’eft auffi mal p a y é , nourri, vêtu , guéri
ôc logé. Sa paye eft fi modique , quelle ne peut
pas fuffirë à fa nourriture. En effet, otez d abord
deux fols pour la ration de pain quon lui donne,
pain qui eft fi mal fait & d’une fi mauvaife qualité
, qu’il ne peut pas fervir à fa foupe. Otez ce
qu’il faut que le foldat paye pour fe faire rafer,
blanchir, pour le tabac qu’il prend , pour les
balais, la lumière dont on a befoin dans la chambre,
le fel & le pain pour la foupe , & vous ne concevrez
pas aifémént qu’il foit poffible que quatre
en font baffes & étroites ; en tiyver , un poêla
entretient dans ces lieux malfains .une chaleur
étouffante; en été ,1a difficulté qu a lair d y circuler
fols & quatre deniers qui lui reftent, apres avoir
payé le pain que lui fournit le r o i , puiffent fuffire
pour les dépenies minutieufes , mais prefque toutes
journalières , que nous venons de détailler, &
dans lefquelles nous n’avons compris ni la viande
ni les légumès qu’il lui faut chaque jour pour le
faire vivre. Quant à fon vêtement , ce fera en
dire affez que de faire obferver qu’il n’eft vêtu que
touts les trois ans , qu’il n’a chaque annee qu une
culotte, & touts les deux ans un chapeau ; que pour
fon entretien de guêtres blanches & noires , de
chemifes , cols, cocardes , bas, fôuliers, bouclés ,
rubans , blanc pour la bufleterie , noir pour fes
guêtres & fa giberne , poudre , pommade, &c.
il n’a que huit deniers par jour , faifant une livre
par mois , 12 livres par an. On ne s’arrêtera pas
à parler de la manière dont il eft traite^ dans les
hôpitaux ; on ne fait que trop en général qu’il
fuffit que le foldat ait été forcé d’y entrer une
fois pour le décider louvent à cacher fes nouveaux
maux , auffi longtemps qu’il le peut , dans la
crainte feule où il eft d’être obligé de revenir
dans des lieux où l’on fe fait un jeu de la vie
des hommes & un profit de leur maladie &
de leur mort. Enfin , fi vous êtes a portée de
pouvoir entrer quelque part dans leur logement,
gardez-vous d’être Séduit par l’extérieur de certaines
cafernes , pénétrez dans leurs chambres ,8c
là voyez-y entaffés trente ou quarante foldats &
Quelquefois davantage; voy e z que , pour ce grand
nombre d’hommes, il n’y a que dix , douze ou
quatorze lits ; examinez combien les planchers
font écràfés , combien les portes & les fenêtres
, ne fert qu’à le rendre plus dangereux , Si
fans l'extrême propreté qu’on exige de U part
des foldats, la pelle ou des maladies épidémiques
ne tarderoient pas à enlever touts ces malheureux,
qu’il fer.oit bien plus prudent de loger au large
& à l’air fous des hangàrds ou des tentes , que
de les entaffer comme oh le fait.
Veuillez réfléchir aprèsces détails , que les maux
qui viennent d’une mauvaife fubfiltance, fe renouvellent
touts les jours ; que le foldat François ,
en 1781 , 11'eft encore payé à-peu-près que comme
le foldat de Henri IV , il y a près de deux cents
ans ; cependant il y a au moins vingt lois plus
d’argent dans le royaume qu’il n’y en avoit a ors.
Rappeliez - vous qu’on a vu en Vefthphalie ,
dans la guerre de 1751 à 1763 , des foldats que
la faim avoitfait tomber en démence; elle en a fait
mourir plüfieurs : ne doit-elle pas en avoir fait
déferter ? Combien n’efl-il pas arrive fouvent qu a
l’armée , qu’en garnifon m ême, l’efpèce d’aliments
qu’on donnôit aux foldats , & qui fuffifoit à
i peine pour le foutenir , etoît d une mauvaise
qualité ; combien de fois cette mauvaife nourriture
ne leur a-t- elle pas ote le courage St la force
de fupporter les fatigues de la campagne ? On a
vu à Strasbourg , en 1769 , un infpeçte.ur etre
obligé de propofer à touts les foldats qui vou-
droient aller en femeftre, de partir dès le mois
de juillet, à condition qu’ils abandonneroient là
partie delà paye qui devroit leur revenir jufqu’au
Ier octobre, feule époque d’où devroit dater leur
femeftre , afin de répartir cette paye dans les ordinaires
de chaque compagnie , pour donner aux
foldats lé moyen de vivre. Et cm ferpit étonné
qué des hommes vouluffent fe dérober à dès fitua-
tîons auffi pénibles fît auffi violentes ; en vain
voudrez-vous compter fur l’indifférence du foldat
pour la vie. Après avoir fait manquer de vivres
à vos troupes, ou leur en avoir donne de mauvais,
vous les maltraiterez dans vos hôpitaux , vous les
expoferez fans raifon a de trop fortes fatigues ,
& vous pouvez enfuite être étonné qu’ils cherchent
à fe fouftraire à votre barbarie , & à trouver
ailleurs plus de douceur & plus d’humanité.
Conflitution à laquelle on foumet les hommes qui
compofent les. armées.
Parmi les vices fans nombre de notre confli-
tution militaire , qui . entretiennent & rendent
encore plus fréquente la maladie deftruélive de
là défertion, un des plus grands peut-être , c’eft
d’un côté les ordonnances fréquentes & les lettres
miniftérielles, prefque journalières, qui fôumettent
Ile foldat à des changements continuels , de l’autre
les moyens nuifibles dont on fe fert pour faire
exécuter ces ordonnances, la manière dont chacvui
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