
les denrées exigées, les corvées commandées, qui
rendent les contributions exceffives , fouvent le
poids en eft augmenté par la manière de les percevoir
& de les répartir * fouvent elles deviennent
vexatoires, parce qu’on les exige dans une circonf-
t?nce peu favorable , ou enfin, parce qu’on n’apporte
pas allez d’attention à n’impofer fur chaque
contrée que l’efpèce de denrée qu elle peut fournir.
Une injufte, répartition des, contributions en diminue
la .fomme, en retarde la rentrée, & produit
des plaintes & des révoltes. On le relient
moins dit Jufte-Lipfe , de la pelanteur dupojds,
que de l’inégalité de la charge.
Le général répartira donc avec égalité, le total
des contributions dont il aura befoin ; & s’il croit
devoir foulager quelque pays particulier , il
fera connoître aux pays les plus chargés , les
motifs de. fa conduite. Ces motifs pourront être
tires de l’attachement que la contrée foulagée a
montré pour fon nouveau fouverain , ou des fer-
vices qu’elle ar-endus à l’armée, &c. Comme pendant
la guerre, les loix d’un pays conquis , ou
occupés par des partis ennemis , ont peu de vigueur
; comme lès principaux magiftrats ménagent
communément alors ceux de leurs compatriotes
avec lefquels ils ont des liaifons de fang ou
d amitié , le général enverra pour répartir les
contributions, des perfonnes inftruites de la manière
ordinaire de lever les impôts dans cette con-
-trée ; il leur ordonnera d’en faire la répartition
d’après les cotes, tarifs , registres , terriers ou ca-
daftres deftinés à cet objet.
Si l’injufte répartition des contributions eft un
mal, en confier la perception à des mains avides ,
en eft un bien plus grand encore : le général chai- ■
£ra donc avec foin les perfonnes qu’il chargera de
ce recouvrement. Dans les ordres qu’il fera expédier
pour cet objet, il dira expreffément, l’intention
de l'a'majefté eft que les officiers chargés
de recevoir les contributions n’exigent aucune gratification
& n’acceptent aucun préfent. Gratification
& préfent font ici des mots imaginés pour
mafquer un vrai larcin. Je fuis fâché de lire dans
la vie dé M. de Feuquièxes., qu’une de fes courfes
lui valut cent mille livres. Il a beau dire que quand
les bonnes gens dvoient compté t ur la table les fommes
auxquelles ils avoient été impofés , ils mettoient
d’eux-mêmes une fomme à part, qui était pour mon-
fieur ; il a beau rapporter que Louvois l’avoit approuvé,
je n’en dirai pas moins que le miniftre &
le guerrier eurent également tort.
L’officier chargé de percevoir les contributions
aura un regiftre iur lequel feront inferites la quantité
& la qualité des contributions que doit fournir
chaque contrée', chaque ville ou chaque village.
Il doit lui être ordonné de faire ligner l’état de la
recette particulière & générale par le bourgue-
meftré, l’alcade, le fyndic ou le notable du pays
mis à contribution, & pàr deux des principaux officiers
détachés avec lui. Par ces précautions , &
quelques autres que les circonftanees fuggêrerontj!
le produit des contributions entrera en entier dans
les coffres du roi, & le général fe mettra à J’abri
du vil foupçon de rapine & de concuffion ; car
fut-il auffi défintéreffé qu’Ariftide & que Marius ;
eut-il les mains auffi pures que Bayard, du Guefclin
& Turenne, s’il fouffre que fes fubordonnés s’enri-
chiffent aux dépens du pays ennemi, on l’accufera
toujours d’être complice de leurs rapines , comme
on le croira fauteur de leurs brigandages , fi à fon
infçu ils parviennent à s’approprier les dépouilles
du peuple vaincu. Ce jugement eft équitable, les
chefs recueillent la gloire des aâions vertueufes
de leurs fubalternes , pourquoi la honte des aétions
iniques qu’ils commettent, ne réjailliroit-elle pas
fur eux ? ( Voyeç G énéral , feâtion des qualités
morales, paragraphe du défintéreffement.).
On rend encore les contributions vexatoires, en
exigeant des corvées dans un temps où les contribuables
font forcés par la faifon ou par les circonftanees,,
à employer leurs moments & leurs
moyens à des travaux d’une néceffité urgente : en
demandant des denrées à un pays qui en eft dépourvu
; en impofant de l’argent., dans un temps,
où les habitants n’ont pas vendu leurs grains Ô£
leurs fruits, & en les forçant à payer avec une
monnoie rare ou difficile à trouver. La guerre &
la pitié ne s’accordent point enfemble, je le fçais ;
mais vers la fin du dix-huitième fièçle ,.fi la- guerre
& la j uftice, la guerre & l’humanité ne peuvent
point s’emhraffer étroitement , du moins elles
peuvent fe tendre mutuellement la main.
Si rhumanhé & la juftice ne peuvent rien fur
l’efprit du général, l’intérêt du prince qui lui a
confié fon autorité, l’engagera fans doute à n’arracher
ni le laboureur à la charrue , ni la charrue &
les femences au laboureur ; à n’exiger de lui que les
contributions qu’il peut fournir ; à nè le diftraire de
fes travaux que dans le moment, où il pourra les
quitter fans éprouver une trop grande, perte. La
voix impérieule d une néceffité cruelle peut feule
le contraindre à agir différemment..
Quant aux villes, on peut les abandonner à la
diferétion du général ; on combat bien plus pour
les habitants des cités, que pour les malheureux
cultivateurs ; fous, quelque maître qu’ils fervent,
ceux-ci ne peuvent porter qu’un fardeau..
Impofer à une conttée une taxe qu’elle ne peut
paye r, à caufe de la qualité du fol ; exiger des
grains , par exemple, dans un pays de vignobles ;
demander des paliffades aux habitants d’une plaine
rafe , des fourrages où ,1a terre aride ne produit
qu’avec peine de foibles brins d’herbes ; ç’eft le
quatrième & dernier, moyen de rendre les contriç
butions vexatoires. §. v.
De Vemploi des contributions.
II en eft des contributions comme de toutes Ie$
autres richeffes, l ’emploi bon ou mauvais qu|on
en fait augmente* ou anéantit leur maffe ; ainfi
l’économie &, l’ordre dans la diftribution & la con-
fommation des denrées produites par les contributions
, font des objets dont le général doit s’occuper
attentivement, fans cela il les verra fe réduire
à rien, tant par l’inattention &. le gafpillage qu’on
reproche aux François, que par la mauvaife foi
(des perfonnes chargées de la garde des magafins.
§. V I .
De Vefpêce de contribution que Von doit exiger.
Nous avons vu qu’on poùvoit demander aux
contribuables de l’argent, des denrées ou des cordées
; examinons quels font les motifs qui doivent
déterminer le général à,'exiger l’un ou l’autre de
ces objets.
Le général fe déterminera dans le choix des
contributions fur les befoins de fon armée , fur ceux
de l’ennemi, &. fur les calculs fuivants.
Quand on peut,aifément tirer les denrées de
chez fo i, ou de chez une puiffance alliée ou neutre;
quand les frais de tranfport n’ajoutent pas excef-
fivement à leur cherté ; quand les denrées du pays
qu’on veut mettre à contribution ne font pas à la
portée de l’ennemi, & qu’il ne peut en faire ufage
ou qu’elles ne lui font pas indifpenfabl.ement né-
ceffaires ; enfin quand on impofe feulement pour
faire contribuer, on doit toujours demander de
l’argent. Les contributions pécuniaires font aifées à
répartir, à lever, elles font celles qu’on peut
étendre le plus loin, le produit en eft net, & avec
ce produit ons’eft bientôt procuré les objets dont
on a befoin.
Si une des conditions que nous venons de demander
n’eft pas remplie, on doit avoir recours
aux contributions en nature. Veut-on, par exemple,
remplir les magafins d’une place dans laquelle on
doit jetter des troupes ? l’armée peut-elle manquer
de pain? Dans ces cas & dans quelques-autres du
même genre, on doit exiger des grains. 11 en eft
de même des avoines & des fourrages. Quant à ce
dernier objet, on ne doit l’exiger que dans une
faifon favorable au tranfport, & le faire conduire
d’abord à l’endroit où on veut le faire confom-
mer ; le fréquent changement de magafin en diminue
la qualité & la quantité.
On ne demandera jamais des contributions en
nature dans les environs de l’endroit où l’on devra
hiverner. En ruinant pendant la campagne le pays
où l’on doit prendre fes quartiers, on s’expofe à
être obligé d’y reverfer des vivres pendant le cours
de l’hiver.
Quant aux corvées, l’économie eft moins effen-
tielle ; l’ufage ne fait pas confommation. Le général
ne doit cependant pas exiger ces corvées fans
bras beaucoup plus confidérable que celui dont
elle peut difpofer. Quand le général devra faire
conduire des approvifionnements extraordinaires
en munitions de guerre ou débouché, faire transporter
une néceffité réelle, & fur-tout pendant le temps
où la terre emploieroit avec fruit un nombre de
de la grofle "artillerie, ou des malades , il
commandera ies charriots qui lui feront neceffaires,
en apportant de l’ordre dans la marche des colonnes
, de l’humanité dans le traitement • des
payfans, du foin dans le choix & 1 entretien des
chemins, il rendra les contributions très légères.
Quelque humanité &. quelque juftice qui aient
préfidé à la répartition & à la levee des contributions
, le général doit s’attendre a des murmures
& à des plaintes ; elles font l’unique^ confolation
du malheureux qu’on dépouille ; mais dut-il les
augmenter encore ces plaintes, s’il a laiffe aux contribuables
les moyens de labourer &. denfemencer
leurs terres , il doit les obliger de vacquer a ces
deux' devoirs de leur état : l’avenir qu’on ne peut
. prévoir , l’intérêt de la patrie & celui des contri-
1 buables impoferit également cette loi.
§ . V I I .
De Vétabiiffement des contributions;
On peut établir des contributions de trois manières
différentes ; i ° . par l’armée entière; 2-°. par.
des gros partis ; 30. par de petits détachements.^
Les contributions que la crainte de l’armee entière
produit, ne font jamais très confidérables ; à fon
approche le s habitants s’éloignent ou^ imaginent
des moyens pour fouftraire leurs denrees a 1 avidité
militaire. t
Il en eft des gros détachements, à-peu-près
comme de l’armée en corps : iis embraffent peu
de pays, jettent une grande alarme par - tout ou
ils paffent, attirent les ennemis fur leurs traces.
La prudence, la crainte ou l’intérêt perfonnel engagent
, d’ailleurs , celui qui commande, a faire ,
avec les habitants , une compofition quelconque ;
auffi ne ramène-t-il que des troupes haraffees, &
ne rapporte-t-il que peu de vivres & peu d’argent.
Un petit parti, opère toujours au contraire des
effets heureux. C ’étôit l’opinion du maréchal de
Saxe. Dans la campagne de 174*' le duc de Bavière
lui ayant ordonné de paffer la riviere de Mulden
& de prendre pour faire rentrer des fourrages un
détachement compofé de 1000 maîtres, de 600
dragons, de 500 fantaffins, & de quelques huffards.
Le maréchal repréfenta àl’éleéleur, que fi les ennemis
étoient fupérieurs aux troupes qu’on enver-
roit, ce feroit expofer ce corps à être repouffe ÔC
battu : fi au contraire les ennemis n’étoient pas
dans les environs , un détachement de 300 hommes
fuffiroit à faire rentrer ces fourrages ; en confe-
quence il ne prit que 3 °° hommes. Le fucces
ayant, dans cette occafion , couronne fon attente,
il preferit, dans fes rêveries, de faire ufage des
petits détachements. 11 veut qu’on envoie des