
rieufes , ni vous donner des confie ils utiles. A l le z ,
l’hiftoire vous placera à côté des généraux qu’on
ne doit jamais imiter , & les écrivains didactiques
tireront de vo tre conduite des maximes qui vous
couvriront d’une honte éternelle.
9. L e duc de la Rochefoucauld , ce profond fcru-
tateur du coeur humain, affure que celui qui nous
demande un avis' veut plus : fou vent nous faire
approuver fa penfée , ou nous rendre relponfable
de fa conduite , que connoître notre opinion. Il a
raifon : tels font les hommes en général : tels font
en particulier les princes & les grands : ils imputent
à leurs confeils les événements malheureux,
& ils leur raviflént la gloire des événements heureux.
Lorfqu’ils ont l’air de chercher la v é r ité , ils
courent fouvent après la flatterie : ils pardonnent
plutôt un avis qui peut nuire à leur g lo ire , qu une
contradiction qui peut blefler leur amour propre.
D oit-on s’étonner d’après c e la , que 1 emploi de
confeiller d’un prince ou d’un ^général foit regardé
comme un des plus difficiles & des plus délicats.
C e lu i qui l’a accepté eft fans çeffe dans l’alternative
cruelle de trahir l a . vérité ou de perdre fa
fortune , de compromettre fon honneur ou d ex-
pofer fa v ie . . -
L e militaire qui fera appellé a une cour martiale
, évitera ces différents écueils, en propofant
toujours d’un ton modefte l’opinion, qu il croira
bonne ; en la foutenant avec fermete , mais fans
chaleur ; en avouant qu’il s’eft trompe quand il
croira que l’avis d’un autre eft plus fage que le
lie n ; en adhérant, dans des chofes indifferentes,
à une opinion qui ne fera ni la meilleure, ni la
iienne ; en réfervant toute fon énergie pour com-
'battre des. avis erronés quand le falut de 1 armee
fera compromis ; en ne faifant jamais fentir apres
l’év én emen t, que fon confeil etoit meilleur que
celui qu’on a f u iv i , & en le contentant enfin de
la gloire ou de la confolation d avoir donne un
avis falutaire. S’il tieç t cette conduite , jamais on
ne pourra lui reprocher d’avoir bleffe la. v é r ité ;
fon général ne pourra jamais dire q u il a ete fo-
duit par la chaleur a v ec laquelle il a ioutenu fon.
opinion ; il ne blelfera pas l’amour propre de fes
a ffo c iés ; il n’allumera pas contre lui leur contradiction.
ou leur haine j-accoutumes a le vo^ir adopter
leurs avis avec docilité , iis pèferont mûrement
fon opinion lorfqu’elle s’éloignera de la le u r , &
fur-tout lorfqu’elle fera foutenue a v ec une grande
fo r c e ; le général fe préviendra peu-a-peu en fa
faveur , ou parce qu’ilre con n o îtra la pureté de
fes intentions , ou parce qu’il croira pouvoir s attribuer
, fans crainte d’être démenti , toute la
gloire du fuccès.
* § . I I I .
Du confeil de guerre que nous avons appelle confeil
fuprême,
Les mémoires de M. le comte de Saint-Germain,
les obfervatlons faites à ce miniftre par un officier
g én é ra l, l’examen critique du militaire Fran ço is ,
& l’efprit militaire , propofent l’éreétion d’un confeil
fuprême : ils en prouvent la néceflité ; ils a l i gnent
fes foriétions , & ils entrent dans les détails
de fa compofition. Donnons une analyfe des opinions
de ces quatre écrivains. L ’Encyclopédie eft
un dépôt qui doit renfermer tout ce qui peut être
quelque jour utile aux hommes.
Pour prouver la néceflité d’un confeil de guerre,
M. de Saint-Germain d i t , dans le mémoire qu’il
fit parvenir à fa majefté , « la ftabilité dans les
principes, dans les maximes, les réglements, les
ufages même , quand ils ne font pas défe&ueux &
v ic ie u x , eft abfolument néceffaire. L ’homme ne
s’accoutume point à des changements continuels :
ils lui infpirent de la défiance , fouvent du mépris
pour leurs auteurs, qui eu x -m êm e s p a r - là
donnent des preuves de leur légèreté & de leur
incapacité. Il faut des règles fages & fixes fur touts
les o b je ts ;fan s cette précaution, abfolument néceffaire
, le même homme n’aura qu’une conduite
incertaine , & nulle fuite dans fa marche. Comme
la préfomption humaine eft très grande , qu’il y a
peu d’hommes qui ne fe croyent pas plus habiles
les uns que les autres, que par-là touts font enclins
à changer l’état aétuel des chofes , dans l’efprit de
vouloir les améliorer ; je penfe que , pour confer-
v e r cette ftabilité , fi néceffaire dans les réglements,
les maximes & les u fage s, un tribunal ou
un confeil de guerre pour la direction de l’état milita
ire , eft préférable à toute antre méthode.
Un tribunal a plus de poids , de confiftance, de
folidité , & conferve mieux les formes & les règles
qu’un particulier, quel qu’il puiffe être. Dans un
tribunal, le même efprit, les mêmes maximes font
à jamais confervées ».
L e miniftre dont nous venons de citer les paroles
, prétend que l’établiffement d’un confeil de
guerre, auroit mis la France à l’abri des malheurs
qu’elle éprouva fous la fin du règne de Louis X I V ,
&. que ce confeil auroit diflipé leS* cabales , rompu
les intrigues , & détruit le crédit des favoris & des
favorites. Il dit enfin , dans les mémoires qu’il éc rivit
après avoir quitté le miniftère : « Le plus grand
reproche que j’aie à me faire , c’eft de n’avoir pas
'formé ce tribunal ; je fens plus que jamais qu’il eft
impoffible que la canftitution militaire françoife
acquière de la folidité, de la permanence, ni que les
loix y foient obfervées & refpeélées fans confeil de
guerre. Si les détracteurs de tout o rdre, ces ennemis
puiffants de tout b ien , oppofoient l’impoffi-
bilité d’un pareil établiffement en France , s’ils
citoient pour appui de leur opinion , ce qui s’eft
paffé du temps de la rég en ce, je leur répondrois.,
que Je confeil de guerre d’alors n’avoit pas la forme
qui lui co.nvenoit, & que , s’il avoit été bien constitué
, on en auroit fi bien fenti les avantages , qu’il
eut fubfifté toujours ; & comme dès-lors il y au.-
roit eu de la ftabilité dans les principes , notre état
militaire
iffiilitaîre auroit une bien autre confiftance, &, à
•coup sûr la fupériorité qui lui appartient ».
L ’officier général à qui M. de Saint-Germain
avoit donné fa confiance, lui éc riv an t, le 12 avril
17 7 7 , lui d ifo it , en parlant de l’établiffement d’un
confeil de guerre : « I l n’y avoit que ce moyen
d ’imprimer de la ftabilité à tout ce que vous vous
propôfiez de fa ir e , & de raffurer touts les militaires
fatigués & rebutés des perpétuels changements
dont ils n’ont ceffé -d’être tourmentés depuis
plus de trente ans. C e tte certitude feule fuffi-
foit pour confoler ceux qui y auroient perdu leur
exiftence & leur état ».
L ’auteur de l’ouvrage intitulé, Ex.amen critique
du militaire François , voulant prouver que le département
de la guerre doit être dirigé par un
confeil & non par un fecrétaire d’é ta t , dit :
« C ’eft peu de former un plan , de le calculer ,
d ’en montrer les avan tages, d’obtenir même en fa
faveur l ’approbation des militaires éclairés ; tout ce
travail refte fans fruit ou difparoît avec fon auteur,
s’il eft fucceffivement abandonné aux mains toutes
puiffantes de chacun des miniftres appellés pour régir
le département de la guerre. C ’eft ce que M. le
comte de Saint-Germain avoit parfaitement fen ti,
& ce qui lui avoit fait former le projet de fubfti-
tuer à fa place même , (fon plan une fois arrêté ) ,
un confeil de guerre pour régir ce département. En
e f fe t , quel homme, dans le pofte gliffant du minift
è r e , peut fe flatter- de maintenir l’ordre avec la
même fermeté dont un tribunal eft capable ? Q u e
de pièges tendus à ce lu i-c i, que d’affauts donnés à
fon crédit ! Les-follicitations l’accablent a e toutes
parts ; pour y réfifter, il faudroit qu’il fût doué d’un
caraélère & d’une fermeté qui ne fe rencontre
point dans un homme de la cour. La puiffance
d ’un miniftre h’eft que la première cairfe de fa
foibleffe : s’il refufe ce qu’il a le pouvoir d’accord
e r , il ne rencontre plus autour du trône que des
ennemis qui ont juré fa perte , & c’ eft en lui forçant
la main , que chaque homme puiffant vient
effa yer fes forces & fon crédit. Sa première occupation
eft donc de plaire : il n’exifte qu’à cette
condition. Il faut en convenir , nos loix , nos
u fage s, nos moeurs s’oppofent à la fermeté des
m in iftres , & c’eft la raifon pour laquelle on les
v o it fi fouvent en contradiction av ec eux-rtnêmes.
M ais quand ce fiècle produiroit un miniftre qui
réuniroit la confiance de fon- maître , la fermeté
d’un S u lly , l’adreffe d’un courtifan , & les lumières
d’un général, quand le hafard produiroit ce phén
ix , il pourrolt c ré e r , mais non conferver l’harmonie
du fyftème qu’il auroit établi ; la fin de
fon règne feroit.toujours le commencement du
défordre. Son fucceffeur , auffi puiffant que lu i ,
nous montreroit , ce que nous avons vu toutes
les. fois que le gouvernail a changé de mains ,
une nouvelle théorie & |le nouvelles loix.
L ’homme veut créer, -& toujours, parce qu’il
ftft primitivement occupé de lu i; il veut fe rendre
Art militaire. Tome IL
utile ; 11 veut éb louir, & la nouveauté produit
cette illufion. U n obfervateur éclairé a écrit avant
moi : c’efi affe^ que Von voye un édifice élevé dans le
champ de mars, pour qidon foit tenté de le rebâtir. Si
l’on paffe en revue les changements que la conf-
titution militaire a ép ro u v é s , on verra en effet
qu’ils fe font toujours multipliés en raifon inverfe ,
du temps que les miniftres ont été en place. Il
a paru cinq fois plus d’ordonnances de 1770 à 1 7 7 6 ,
que de 1762 à 1770. Malgré tant de varié té s, qui
ont toujours eu la perfection pour prétex te , nous
avons v u que le militaire étoit loin d’une constitution
folide & d’une inftitution relative, & c’eft
en vain que l’on travailleront à de n ouvelles ré*
forme s, fi l’on ne trouve avant tout le moyen d’en
perpétuer la durée. I l n’y a qu’un tribunal, un confeil
de g u e r re , dont l’autorité permanente puiffe
réfifter à l ’in trigue des courtifans , & s’oppofer aux
abus qui naiflent de la baffeffe des protégés ÔC
du fot orgueil des proteâeurs. M a c h ia v e l, dont
l’autorité ne peut être fufpe&ée en cette oecafion y
a dit '.‘quelque bien que puijfent être les loix, elles
feront toujours de très courte durée, lorfquun feuî
homme en fera le maître abfolu ; elles fubfifleront
au contraire, lorfqu elles feront maintenues par un
nombre de perfonnes auxquelles on les aura confiées.
Il y a trop d’intéreffés aux défordres pour que
l’on ne préfente pas une infinité d ’objeétions à
l’établiffement d’un confeil de guerre. L a plus puif-
fante, fans d ou te , e f t , que l’accord & l’union font
rares parmi des hommes réunis pour partager une
autorité; il faudroit leur fuppofer une fincérité,
un amour du b ien , qui eft fouvent éteint par l’or^
gu e il, la rivalité & l’intérêt : mais, de deux maux
inévitables, je choifis le moin d re, bien convaincu
qu’il y a bien plus de moyens de s ’oppofer aux
défordres d’un confeil, qu’à ceux que produifent la
foibleffe & l’ignorance d’un fecrétaire d’état ; car
l’homme a dans fa v ie des périodes d’ambition,
de pallions , & d’oifiveté m êm e , qui fe fucc èd en t,
& dont fon adminiftration fe reffent toujours s’il
refte longtemps en place. C ’eft bien pis en c o re ,
comme nous l’avons d i t , fi on le change touts les
ans. ».
L ’auteur de Vefprit militaire , après avoir annoncé
que les conftitutions militaires modernes font infiniment
plus foibles que les conftitutions anciennes,
parée qu’elles font privées de l’appui de la politique
& de la relig ion, dit : « mais indépendamment
de ce v ic e général de nos conftitutions m ilitaire
s, il eft pour quelques-unes des caufes particulières
d’imperfeétion. C ’eft leur dépendance de
la volonté des miniftres; c’éft le renouvellement
fréquent de ces régiffeurs , dont chacun ayant pour
première maxime de prendre une route contraire
à celle de fon prédéceffeur, ajoute aux erreurs
volontaires toutes celles que doit produire une
pareille difpofition d’efprit.
Les fuites funeftes qui réfultent de ce rég im e,
font fenties trop univèrfellement pour qu’il foit