
par l’appréhenfion qu’il a de Ton camarade , & afin
que fi l’une eft furprife, l’autre puiffe échapper. Dans
le pays de bois fort épais dans les nuits obfcu'res,
& dans celles oh règne un gros vent, les fentinelles
doubles s’éloignent un peu l’une de l’autre, afin
qu’une petite troupe d’infanterie ennemie, qui fe
feroit avancée fans bruit, ne les enveloppe pas
touts les deux.
On pourroit, dans les endroits extrêmement
dangereux, compofer la fentinelle de trois hommes ,
dont l’un demeureroit de pied ferme, & les deux
autres battr oient à droite & à gauche , jufqu’à ce
qu’ils rencontraffent les batteurs de fentinelles collatérales.
Toute vedette, principalement la nuit, tiendra
à la main fon moufqueton bandé ; elle avertira
aufii-tôt, en faifant partir fon coup , fi malgré les
précautions que je viens de propolèr, elle fe trou-
voit furprife par quelques hommes qui fe feroient
avancés fans bruit.
Lorfque le petit nombre des foldats de la garde
ne permet pas de doubler & tripler les fentinelles,
il y aura deux foldats pour battre continuellement
en rond autour d’elles. Ils commenceront par le
coté, oppofé à la ronde , ce qui fervira d’une
e-fpèce de contre-ronde pour tenir les vedettes
vigilantes , & pour découvrir les ennemis qui
auroient paffé entre deux vedettes fort éloignées
l’une de l’autre. ,
S’il y a quelque avenue plus périlleufe que les
autres, on fait avancer de ce côté deux batteurs,
plus ou moins, au - delà des vedettes , félon que
le terrein donne plus ou moins de commodité
aux ennemis de les couper.
Les batteurs auront la carabine ou le piftolet
à la main ; ils marcheront à trente ou quarante
pas de diftance l’un de l’autre, par la même rai-
fon que j’ai touchée à l’égard des vedettes.
Il ne feroit peut-être pas inutile que les batteurs
euffent la nuit quelques chiens. Marc-Antoine
Haudin rapporte que les Rhodiens avpient, dans
le château de Saint-Pierre en Carie, cinquante
chiens fi bien inftruits , qu’ils- diftinguoient les
chrétiens des Turcs. Comme ce château étoit au
milieu du pays ennemi, ces chiens en aboyant
avertiffoient, principalement la nuit, lorfque quelques
ennemis approchoient. Selon le témoignage
de Gandin , cela fe pratique encore aujourd’hui
dans quelque lieu de la Dalmatie. Les fentinelles
& les batteurs arrêteront toute perfonne qui vou-
droit paffer au-delà des limites de la garde avancée
, afin qu’on examine pnfuite au camp fi c’eft
un efpion ou un déferteur ; ce qu’il y a lieu de
foupçonner, particulièrement fi l’on a fait précéder
le ban ordinaire, qui défend à tout foldat de
s’éloigner de plus d’un quart de lieue autour du
camp, & à tout habitant & payfan de s’avancer
au-delà de cette même diftance vers le front qui
regarde les ennemis.
Les fentinelles, les rondes, les patrouilles & les
batteurs, auront attention la nuit à I’aboyement'
des chiens, au henniffement des chevaux, au braiement
des ânes & au bruit de la marche , qui eft
fore grandlorfque c’eft par des chemins pierreux ,
& qui même, fans cette circonftance , s’entend de
fort loin pendant la nuit, lorfqu’on applique l’oreille
contre terre. Il faut encore obferver la nuit fi
l’on voit le feu de plufieurs pipes & de plufieurs
mèches allumées ; fi l’on entend tirer quelques
coups de fufils, comme cela arrive fouvent par les
chûtes des foldats. Le jour , on confidère s’il
s’élève une grande pouflière , qui s’approche
toujours, comme pourroit être celle des gens
qui marchent; fi les bergers prennent la fuite avec
leurs troupeaux , parce qu’ils découvrent peut-
être quelques troupes ; fi les oifeaux prennent
l’eflor, & montent en l’air plus que de coutume,
comme il arrive quand il pane beaucoup de
monde.
Les fentinelles, les batteurs & les rondes , donneront
avis à la garde de toutes ces fortes de
découvertes ; & le commandant, fans délai, détachera
fur ce chemin un parti pour s’éclaircir de
la caufe de l’événement qui a été obfervé. En
attendant d’être mieux inftruit, il mettra la garde
en état d’exécuter tout ce qu’il conviendra de
faire, félon l’occurrence.
Aufli-tôt que la vedette, compagne de celle
qui a porté l’avis, les batteurs, la ronde, ou le
parti que vous avez détaché , voit quelque troupe
qui s’approche , on lui ordonnera de faire halte ,-
jufqu’à ce qu’elle ait été reconnue. Si elle n’obéit
pas , les vôtres tireront leurs coups de fufil &
fe retireront à la garde , qui, par trois ou quatre
coups de piftolet, avertira toutes les autres vedettes
, prévenues de ce fignal, qu’elles doivent
fe retirer & venir joindre.
Le commandant de la garde fait alors donner,
avis à l’armée de ce qui fe pafle, par un foldat
bien monté, qui va à toute bride, afin qu’on y
ait le temps de mettre les piquets fous les armes
& de tenir les troupes prêtes , félon que le cavalier
détaché donne avis qu’il paroît plus ou moins
d’ennemis, ou qu’on fçait qu’ils fe trouvent avec
plus ou moins de troupes. Dans le premier de
ces jdeux derniers cas, il vaut mieux pécher par
trop de précaution , que de ne pas en prendre
affez.
Si l’événement dont nous parlons arrive pendant
le jour, le commandant de la garde avancée
détachera fix maîtres avec un bas-officier , pour
obferver les ennemis par le flanc, afin de mieux
reconnoître leur nombre, qu’on ne peut le faire
par le front. Si de l’endroit où eft cet officier, il
y a moins loin jufqu’ à l’armée qu’il n’y auroit
en allant paffer par où fe trouve la garde , ce
même officier détachera deux de ces fix maîtres,
l’un en droiture au général , & l’autre au commandant
de la garde, .pour leur donner avis de
tout ce qu’il a découvert. Lorfque du camp ou de
quelque hauteur voifine on pourra découvrir les
fignaux de la garde avancée, on les fera obferver
, afin qu’on foit plutôt averti à l’armée de la
marche des ennemis. On diftinguera par ces
fignaux, fi, à caufe de l’obfcurité de la nuit, de
la pouflière, du chemin, des bois, ou des montagnes
, on ignore en quel nombre les ennemis
s’avancent ; s’il paroît qu’il foit inférieur à vos
piquets de cavalerie , ou s’il y a lieu de croire,
que c’eft le gros des ennemis. Dans le premier cas,
il fuffira de faire éveiller vos troupes, fi c’eft la
nuit. Dans le lecond, il faudroit détacher les piquets
, julqu’où il n’y auroit pas à craindre quelque
embufeade , afin d’aller chercher le détachement
ennemi. Dans le troifième , il eft à propos
de ranger en filence toute l’armée en bataille, &
de la faire avancer dans un terrein avantageux,
afin que les ennemis , qui peut - être avoient def-
fein de la furprendre ^ la trouvent en la difpo-
fition de combattre.
Le premier fignal de la garde avancée pourroit
fe faire en élevant un flambeau d’illumination ,
ou une fufée volante. Deux flambeaux ou deux
fufées feroient le fécond fignal, & trois le troifième.
Ces fignaux feront répétés par la garde,
qui fera entre l’armée & la garde avancée.
Si, après avoir fait un fignal, on découvre quelque
chofe de plus, on en donnera à connoître
par un nouveau fignal concerté. Les fignaux ne
doivent pas empêcher d’envoyer ces mêmes avis
par des foldats, qui confirmeront ce qu’on a voulu
lignifier par les fignaux. Si c’eft la nuit, on détachera
, pour porter ces avis , des maréchaux-de-
logis ou des brigadiers, qui auront le mot du guet
de l’armée.
La garde ne fe retirera pas, à moins que par la
vue des ennemis , ou par le bruit de leur marche ,
elle ne connoiffe qu’ils font fupérieurs en nombre.
Lorfque c’eft la nuit qu’on fonne l’alarmé, la
garde peut fe retirer vers quelque chemin, où
elle ne foit pas en danger d’être coupée par le
flanc, ou d’être attaquée dans le paffage d’un petit
pont ou d’un étroit défilé.
La garde * faifant enfuite volte-face /rompra les
ponts par où elle aura pafle , & embarraffera les
ïentiers par des chevaux dont on aura coupé les
jarrets, ou en mettant le feu à la brouffaille. Enfin
elle tâchera, par toutes les voies que je proposerai
en traitant des retraites des troupes , de
retarder la marche des ennemis, afin que votre
armée ait le temps de fe préparer au combat.
Le commandant de la garde vous donnera avis
du chemin par lequel il fait fa retraite , pour que
vous puifliez détacher des piquets pour le foutenir.
Dts occafwns dans lefquelles une armée qui fe tient
fur la défenjîve , doit livrer bataille.
J ’ai dit un peu plus haut pour quelle raifon &
de quelle manière il faut attaquer des ennemis
qui débarquent dans votre pays après une longue"
navigation. J’ajoute ici qu’il faut aufli leur livrer
le combat, lorlqu’en arrivant fur votre frontière,
ils font peu capables de le foutenir , après une
fort longue marche , fur-tout fi elle a été forcée &
extraordinairement rude par l’extrême chaleur, par
le froid exceflif, ou par les mauvais chemins ;
car il eft certain que leurs armes feront en fort
mauvais état par les pluies & par la pouflière*, &
que plufieurs feront fracaffés par les chûtes , qu’ils
auront laiffé derrière une quantité de leurs chevaux
&. de leurs foldats eftropiés ou malades , & que
les autres feront affoiblis & haraffés , au lieu que
fi vous donnez quelques jours à l’armée ennemie
pour fe réunir, fe refaire, fe rétablir , & pour
raccommoder les armes, vous la trouverez en dif*
pofition & en état de bien combattre.
Les Romains qui, fous les ordres de Publius
Licinius Craffus, marchèrent contre Perfée , roi de
Macédoine, avouèrent que fi ce prince les avoit
attaqués d’abord après qu’ils furent arrivés à Gonfi,
il en auroit tiré bon parti, parce que dans ce
long voyage, & principalement dans ces rudes
paflages de la Thamanie, ils y avoient eu- tant
d’hommes & de chevaux eftropiés , que l’armée
de Rome étoit dans l’impcflibilité de foutenir une
attaque , fi on ne lui avoit pas donné quelques
jours pour fe délaffer & fe refaire.
Timur & Dividas , généraux de Cairbec, fultati
d’Egypte , ayant reconnu que leurs troupes , trop
fatiguées d’un long &. pénible voyag e , n’écoient
pas en état de combattre csm.re celles de Bajazet,
empereur Ottoman, les lailsèrent repofer tout le
temps néceflaire pour les bien délaffer. Dès que
leur armée fut rétablie, elle livra la bataille à
celles de Bajazet, qui fut défaite.
Lorfque vous fou tenez une guerre défenfive fur
deux frontières différentes, tâchez de tromper les
ennemis , & de leur dérober une ou deux marches ,
pour joindre vos de.ux armées , afin d’attaquer
enfémble une feule des ennemis, avant que l’autre
puiffe arriver au fecours ; car quoique les troupes
à qui vous avez dérobé-votre marche, profitent
de votre abfence pour commettre des hoftilités
dans votre pays, fi vous réufliffez à battre une
des deux armées ennemies , vous reviendrez bien-,
tôt contre celle qui vous incommodé. Il feroit
bon néanmoins d abandonner la province la
moins expoféé àTouffrir de grands ravagés , pendant
ce peu de jours ; foit à caufe du nombre des
places fortes, foit à caufe des défiles ou dés rivières
qui peuvent rendre les coürfes des ennemis difficiles.
L’empereur Aurélien, attaqué dans une partie de
fes états par les Sarmates, & dans l’autré par les
Marcomans , laiffa agir librement ces; derniers,
pour marcher avec prefque toutes fes forcés contre
les Sarmates. Les ayant défaits, il revint, tomba
fur les Marcomans , & finit heureufement cette
g u e r r e .