
infamies fur la femme d’un Lévite , dont elle mourut
peu à après ; le Lévite lit douze parts du
cadavre, 6c en envoya une à chaque tribu ; ce
qui fit que onze ï'e joignirent pour déclarer une
cruelle guerre à celle de Benjamin, qui n’avoit pas
fait fouftrir au Gabaonite, fujetde cette tribu , le
châtiment qu’un crime fi énorme méritoit.
Judas Machabée . pour exciter les lfraélites à
faire la guerre à Nicânor, leur rappelloit le fou-
venir des affronts 6c. des mépris qu'ils avoient
reçus, tant de la part de Nicanor, que de celle
de fes fujets.
Quelques-uns ne trouvant pas que les peuples
euffent lieu de le plaindre de ceux dont on vou-
loit qu’ils devinffent ennemis, leur en fournif-
foient artificieufement l’occafion , en les engageant
dans quelque rencontre où ils en recevoient
quelques infultes, afin que, dans le defir d’en tirer
vengeance, ils fe portafTent volontiers à leur faire
la guerre.
Accius Tullius, prince des Volfques, avoit
deffein de décl&pér la guerre à Rome ; mais il crai-
gnoit que fa nation, fi fou vent défaite par les Romains
, ne voulût pas s’y engager , excepté qu’elle
n en eût quelque nouveau lujet. Un jour qu’il y
avoit à Rome un grand concours de Volfques
pour y voir.les jeux publics, Tullius faifant fem-
blant de vouloir prévenir toute occafion de rupture,
dit aux confüls romains que le concours de tant
de Volfques étoit dangereux, à caufe de leur génie
turbulent & inquiet. A cette repréfentation , les
confuls ordonnèrent que touts les Volfques euffent
a fe retirer des jeux. Cet ordre les irrita extrêmement,
ainfi que l’avoit prévu Tullius, qui, exagérant
alors aux Volfques la grandeur de l’affront
qu’ils venoient de recevoir, ôc la néceflité où ils
etoient d’en tirer une fanglante vengeance, leur
perfuada aifément, comme il le fouhaitoit, de déclarer
la guerre aux Romains.
J’ai dit que ce n’eft pas allez qu’une guerre foit
jufte, qu’elle doit encore le paroître, 6c qu’il eft
important de déguifer le nom de guerre offenfive ,
pour éviter les périls à craindre quand on paffe
pour aggreffeur. Si ces deux principes font vrais ,
la pratique que je viens de propofer eft fort utile ,
puifque, fous prétexte de venger une injure ,
on peut commencer par faire des conquêtes ; ôc
quoiqu’on ait plus de droit à déclarer la guerre
qu’il ne le paroît, ce droit devient encore plus
plaufible parmi le peuple, lorfque le prince prend
les armes fous prétexte qu’il a été offenfé.
Comme Augufte appréhendoit que les Romains,
fans un puiffant motif, n’approuvaffent pas la
guerre qu’il avoit deffein de faire à Marc-Antoine ,
qui avoit époufé Oéfavie, fceur d’Augufte, ôc
qui la méprifoit à caufe de l’amour qu’il avoit
pour Cléopâtre, il envoya Oéiavie en Egypte
pour y vivre avec fon mari, prévoyant que Marc-
Antoine ne voudroit pas la recevoir , comme cela
arriva, ôc que cet affront lui feryiroit de prétexte
honnête pour déclarer la guerre à ce prince, qu’il
défit dans la bataille d’Aéfium, ôc fe rendit ainfi
maître de la portion de l’empire que Marc-Antoine
poffédoit.
Précautions qu'il ejl néceffaire de prendre au comment
eefnent d’ une guerre contre un pays de religion
différente 3 afin que les fujets y contribuent volontiers
, & que les princes neutres ri y mettent pas
d’obfiacles.
Afin que les fujets approuvent la guerre que vous
voulez entreprendre, j’ai dit qu’il falloit leur en
faire connoître la néceflité, la facilité, l’utilité, la
juftice, 6c même ce qu’on y peut trouver de gracieux.
Comme ces deux dernières^circonfiances
font plus fenfibles dans une guerre contrexdes infidèles
, que dans une autre , il eft naturel de croire
que les peuples y contribueront volontiers, fur-
tout fi vous leur rappeliez les irrévérences que
vous fçavez que vos ennemis ont commifes à
l’égard des temples, des images, des prêtres, ôcc. ;
parce que ce louvenir, qui commence par attirer
leur compaflion, excite enfuite leur haine, 6c détermine
enfin à leur infpirer le defir de fe venger.
L’armée de l’empereur Ferdinand étant fur le
point de combattre contre celle des hérétiques de
Boh ème, un carme efpagnol anima extrêmement
les Autrichiens à ce combat, où ils furent victorieux
, en leur montrant une image de la fainte
Vierge , dont fes ennemis avoient déchiré le
vifage.
En pareil cas, faites paffer cette guerre pour une
guerre de religion, 6c tâchez d’obtenir de l’état
eccléfiaftique les fecours que le pape, par fes
bulles, par l’exeufe, par le ftibfide, ôcc. a accordé
à l’Efpagne pour entretenir les garnifons d’A frique
, 6c pour continuer la guerre par. mer contre
les infidèles, 6c quoique la défenfe de la loi foit
un modèle affez puiffant pour porter le prince à
cette guerre^ comme il ne peut pas la foutenir fans
j argent, il fera à propos que le prince, qui n’a pas
tout celui qui eft néceffaire, prenne des mefures
avec la cour de Rome touchant ces fecours, avant
I que d’en venir à une rupture 6c de s’engager a une
guerre qui, faute de moyens pour pouvoir la fou-
i tenir, pourroit être d’un plus grand préjudice pour
la chrétienté..
Il paroît que c’eft ce que les Allemands obfer-
vèrent parfaitement en 1716 ; c a r , quoiqu’ils
euffent fait ligue avec les Vénitiens, ils n’agirent
1 que lorfque le pape eut accordé à l’empereur le
dixième des rentes eccléfiaftiques dans les pays
que la maifon d’Autriche pofsède. .
Vos fujets fe porteront plus facilement à contribuer,
par des- dons gratuits, à une guerre dé-
• clarée pour caufe de religion, fi des prédicateurs
, reconnus pour fçavants 6c vertueux les y exhortent
! continuellement, parce que les peuples alors don-
1 tient par dévotion , ôc redoublent leur libéralité
dans l’efpér^gçe d’en recevoir une récompenfe
éternelle 6c tefhporelle.
Quoique la guerre ne regardât en aucune manière
la religion , nous ne laifsâmes pas de recevoir
en Arragon, en Catalogne 6c dans le royaume
de Valence, au grand préjudice de quelques fujets
imprudents, qui, abufant des lieux les plus fa-
crés , partaient continuellement en faveur du
droit qu’ils prétendoient que l’Archiduc avoit, 6c
ils jettèrent dans un fi grand fcrupule une partie
du peuple de ces provinces, que déjà plufieurs,
plutôt par perfuafion que par amour, s’obftinoient
à vouloir facrifier leurs vies 6c leurs biens pour
les Autrichiens, ôc j’ai vu un MiqueJet qui, mourant
des bleffures qu’il avoit reçues, au lieu de
recommander fon ame à Dieu , répétoit en expirant
qu’il mouroit pour Charles III.
Lorfque le prince ne peut pas réuflir à faire
paffer cette guerre pour une guerre de religion, il
fera bon qu’il mette le fouverain pontife dans fes
intérêts, ou du moins qu’il cherche les moyens les
plus efficaces pour éviter qu’il ne paroiffe contraire.
Cornmin Ventura approuva extrêmement
cette maxime, 6c Guillaume le Conquérant eut
grand foin de la mettre en pratique , lorfque, fous
le pontificat d’Alexandre I I , il entreprit la conquête
du royaume d’Angleterre qu’Harald II pof-
fédoit.
Je ne m’arrête pas ^avantage fur cette matière,
parce que plufieurs l’ont traitée fort au long, 6c
entre autres Jean-François Lotin, dans un dilcours
qui commence à la page 482 du premier tome du
Trefor politique.
Je me fuis propofé jufqu’ici de faire voir que la
■ guerre doit être jufte , afin quë les fujets y contribuent
volontiers, 6c que les autres princes n’y
mettent point d’empêchement. Peut - être trouvera
t-on que je n’ai pas dit grand chofe fur ce
fécond point,ôc que fur le premier j’ai omis d’indiquer
quels font les moyens les plus efficaces 6c
les plus doux pour tirer des peuples ces contributions;
mais j’en parle dans divers autres endroits
de mes réflexions , où les avis, fur cette matière ,
feroient déplacés, s’ils ne s’y rencontroient pas ,
qu’ils ne le ibnt en manquant ici.
Comment un général^ qui nefl pas affe* connu dans
les deux armées, doit d’abord établir fa réputation.
Lorfqu’un général n’eft pas encore bien connu
dans l’armée qu’il commande , & que fa réputation
n’eft pas encore établie dans celle des ennemis ,
les troupes , de part 6c d’autres , feront attentives
à obferver les commencements de fon commandement
; 6c comme les hommes fe laffènt d’attendre
, ils décident d’abord, 6c donnent à l’inaction
le nom de lenteur, ôc quelquefois même j
celui de poltronerie. Il faut donc que ce général
.cherche d’abord l’occafion de donner des preuves
de fa valeur , de fon habileté 6c de fon aâivité.
Guillaume III de Naffau, qui eft de ce fenti-
ment, remarque qu’Annibal tâcha d’en venir à
un combat contre les Romains, dès qu’il eut paffé
les Alpes. Les empereurs Ottomans, pour fe faire
eftimer de leurs fujets, cherchoient à fe diftinguer
par quelqu’aélion militaire, dès qu’ils étoient montés
fur le trône.
Tacite, parlant de P. Oftorius, nouvellement
élu vice-prêteur d’Angleterre , dit : qu’Oftorius
fçaehant que la réputation dans la guerre dépend
des premiers fuccès, marcha d’abord avec quelques
cohortes pour chercher l’ennemi.
Non-feulement le nom qu’un général s’eft fait,
mais même une aâion de quelqu’un de fes
guerriers, peut mettre en réputation fes troupes,
lur-tout au commencement d’une guerre contre une
nation de qui elles ne font pas affez connues.
Quoique les éxemples que je vais rapportér foient
communs, ils fuffiront pourtant pour me difpenfer
de recourir à une autre preuve.
Agéfilas, fils de Thémiftocle, allant recon-
noître le camp des Perfes, les ennemis, forma le
detlein de tuer le roi ; 6c ayant frappé le Satrape
Mardionus, qu’il prit pour le roi, il fut arrêté.
Ayant été conduit devant Xercès, qui afliftoit à
un facrifice, il mit une de fes mains fur des charbons
ardents de l’encenfoir. Voyant les Perfes
étonnés de cette aâion, il leur dit : « tels font
touts les Athéniens, ôc fi vous ne voulez pas m’en
croire, je brûlerai l’autre main avec la même fermeté.
». Tite-Live rapporte que 'Mutius Sévola ,
romain, avoit fait la même chofe en préfence du
roi Porféna, qui, aufli bien que Xercès, craignit
d’avoir pour ennemi une nation dont un particulier
donnoit une fi grande preuve de confiance.
L’empereur de Trébifonde ne regarda pas les
Génois comme des ennemis moins formidables
par l’aâion d’un de leurs concitoyens nommé
Mergolo Lefcari, qui, ayant reçu à la cour de
ce prince une inlulte d’un jeune homme que l’empereur
refiifa de punir , arma deux galères des
deniers de fes parents Ôc de fes amis, 6c fit des
aéiions fi hardies contre les Trébifontains , ÔC
caufa tant de ravages dans leur pays , que l’empereur,
pour faire la paix avec Lelcari, fut obligé
d’accorder des privilèges aux Génois, qui s’apper-
çurent dès-lors quon faifoit beaucoup plus de cas
d’eux à Trébifonde.
Ayant établi pour principes' qu’une expédition
faite au commencement de la guerre contribue à
la réputation du général ôc à celle de fon armée , il
refte à examiner les exceptions 6c les circonf-
tances qui doivent fervir d’eclairciffement à cette
règle.
Mon premier avertiffement eft, qu’au commencement
de la guerre, on ne doit faire d’autres en-
treprifes, quand même elles ne feroient pas d’une
grande importance, que celles où l’on eft proba-
l blement affuré de réuflir, parce que les premières