
empêcher Grimau ôc Montemayor '9 nos chefs
d’eicadres, de faire de continuels voyages d’Italie
en Efpagne, & dun port de Sicile à l’autre, ôc
de porter 1 argent 8c toutes les provifions dont
l’armée Efpagnole, commandée par le marquis de
Leyde,. avoit befoin, & cela non-feulement durant
les calmes de l’é té , mais même dans le fort de
l’hiver.
Les Romains , dont les armées navales avoient
été plufieurs fois maltraitées par la tempête, &
dans les combats contre les Carthaginois , comprirent
enfin qu’il failoit céder aux vaiffeaux de
Carthage. Par une délibération authentique , il fut
ordonné qu’à l’avenir Rome n’entretiendroit plus
fur mer d’autres bâtiments que ceux qui étoient
abfolument néceffaires pour le fecours des côtes.
Lors même qu’on a une groffe armée navale,
les galères fervent pour retirer du com b a tp en dant
le calme , les vaiffeaux maltraités, & pour
remorquer les autres, afin de les mettre en fitua-
tion de charger ou de pourfuivre ; elles favorilent
les débarquements , parce qu’elles s’approchent
plus de terre que les vaiffeaux pour flanquer les
ennemis. Ce font autant de batteries mobiles &
rafantes pour enfiler celles des afîiégeants ; elles
font les tranfports d’un port à un autre port avec
beaucoup plus de facilité que les vaiffeaux, qui ,
pour éviter les courants & les vents de terre,
font obligés de prendre le large & de fe mettre
en pleine mer ; & fi un calme vient les y fur-
prendre, ils çmployent des femaines à faire un
voyage que les galères font en quatre heures.
Un autre avantage des galères eft que,'pendant
la bonace, elles font force de rame, 6c s’avancent
pour battre, avec les-canons de courfier, la poupe
des vaiffeaux de l’arrière-garde ennemie,; de forte
qu’ils font continuellement obligés de préfenter le
bord pour les éloigner par leurs décharges, 6c ce
mouvement perpétuel & le changement de voiles
les arrêtent dans leur route, 8c donnent lieu à ;
votre avant-garde de les atteindre 6c dé les
prendre : on oblige le gros de l’armée ennemie
de revirer de bord pour venir les foutenir.
Un prince puiffant fur mer évite la dépenfe de
beaucoup de troupes fur la terre pour garder les
côtes ; il fe rend fans oppofition maître des îles
des ennemis, en leur coupant, par fes vaiffeaux,
touts les fecours de terre ferme ; il rend difficile à
fes ennemis la prüb de fes places de mer, puifqu’il
peut y faire entrer les convois ; il ruine le commerce
des ennemis , 6c rend libre celui de fes
états, en faifant efcorter, par des vaiffeaux de
guerre 3 ceux des marchands qui à cette fin s’afi-
îemblent dans les ports où ils peuvent fe rendre
fans danger ; ce qui eft utile aux princes , parce
qu’alors les marchands payent au-delà de la dépenfe
de l’efcorte.
Celui qui eft fupérieur fur mer fa it, avec les
princes neutres , touts les traités de commerce
auffi avantageux qu’il veut ; il tient dans le refpeél
les pays les plus éloignés, q u i, pour n'avoir pas!
eu les égards convenables, ont lieu de craindre
un débarquement ou un bombardement. Quand
même les ennemis, pour garder leurs côtes, fe-
roient forcés de faire la dépenfe d’entretenir beaucoup
de troupes , fi la frontière de mer eft longue ,
ils ne fçauroient vous empêcher de prendre terre
& de piller une partie de le;ur pays, ou de fur-
prendre quelque place , parce que votre flotte,
qui menace un endroit, pourra , au premier vent
favorable, arriver infiniment plutôt à un autre ,
que ne fçauroient faire, par une contre-marché,
les régiments ennemis , qui avoient accouru à
i l’endroit où votre armée navale les appellôit
| d’abord ; ôc chacun comprend aifément qu’il eft
I impoffible que les ennemis ayent cent lieues de
côtes de mer affez bien garnies & retranchées, fans
qu’il foit néceffaire, pour empêcher un débarque-
ment, que les troupes d’un autre pofte accourent
pour foutenir celles du pofte où fe fait la def-
cente.
Il ify a encore que peu d’années que nous
avons vu des exemples de tout ce que je viens
de dire ; je,vais les rappeller brièvement, parce
que cette matière n’eft pas précifément de mon
fujet*. .
Les Anglois, dans la dernière guerre3 entretinrent
ï très peu de troupes dans leur pays , quoiqu’ils
euffent à craindre des mouvements conudérables
de la part des peuples, fi le prince, qu’ils appel-
loient le Prétendant3 avoit débarqué en Angleterre
avec un médiocre corps de troupes ; mais ils
comptoient que leurs efcadres ne laifferoient paffer
aucun convoi de troupes ni de provifions de guerre.
En effet, la flotte Kollandoife empêcha toujours
Jacques II de for tir du port de Calais, où il étoit
avec feize mille hommes, tout prêt à repaffer en
Angleterre , pour tâcher de remonter fur le trône
dont il avoit été ehàffs.
Dans la pénultième guerre contre l’Efpagne , les
armées navales d’Angleterre & de Hollande ne
trouvèrent que peu de réfiftançe à s’emparer des
îles d’Ibifes, de Majorque, de Minorque 8c de
Sardaigne.
Les mêmes armées navales donnèrent, avec une
égale facilité , du fecours à Gibraltar 6c à Baree-
lonn-e, lorfque les troupes des deux couronnes en
faiïoient le fiège.
Durant la même guerre , les Anglois 8c les
Hollandois ruinèrent le commerce d’Efpagne &
de France, parce qu’ils prirent aux Efpagnols des
vaiffeaux des Indes & aux François une partie de
ceux qui trafiquoient en Efpagne , en Italie &
dans le Levant ; tandis que les convois d’Angleterre
&r de Hollande, de quatre-vingt.& de cent
voiles chacun , navigeoient en fûreté , efeortés
feulement de quelques vaiffeaux de guerre 3 parce
que ces deux puiffances étoient fi fort fupérieures
fur mer , que la France , comme je l’ai déjà dit ,
fe vit forcée de défarmer3 6c dès - lors la plus
petite efeadre des ennemis tint la mer fans aucune
crainte.
Cet avantage, que l’Anglois a aujourd’hui d’être
puiffant fur la mer, fait qu’il profite du commerce
de nos Indes, fous prétexte des traites touchant
les nègres.
Perlonne n’ignore quel refpeéb les Algériens
confervèrent pour les François pendant plufieurs
années, depuis que Louis X I V , après quelque
mécontentement reçu de la part du roi d’Alger,
eût fait bombarder par fes vaiffeaux la capitale de
ce royaume.
Amilcar Barca, chef d’une flotte Carthaginoife,
mit au pillage diverfes terres d’Italie dépendantes
de Rome , quoique les Romains fuffent alors fin-
terre infiniment fupérieurs en troupes.
Pendant la guerre des alliés contre les deux couronnes
, l’Efpagne employa beaucoup de troupes
pour garder fes côtes ; mais cela n’empêcha pas
l’armée navale des ennemis de furprencîre la place
de Gibraltar, 6c dans ces dernières années, celle
de Vig o , toutes les deux alors fans défenfe, parce
que n’étant pas pofîible d’avoir tout le long de la
côte affez de troupes en chaque endroit, les mi-
niftres en avoient envoyé le plus grand nombre
aux poftes qu’ils avoient cru plus expofés aux
•; infultes des ennemis;
Lorfque vous êtes fupérieur en force fur mer , :
vous faites, pour ainfi dire , un continent de votre |
pays 6c de celui de vos alliés les plus éloignés,
pour donner 6c recevoir les fecours convenables 3
6c vous ôtez cette commodité aux ennemis, qui
ont divers états féparés par des mers , ou vous
les obligez à faire des marches très longues 6c
pénibles, pendant lefquelles la moitié de leur
armée périt par les maladies ou par la défertion.
Les Angl ois confervent Gibraltar, malgré l’éloignement
qu’il y a de cette place à leur royaume.
J’ai déjà dit qu’il ne faut point avoir d’armée
navale, fi elle n’eft fupérieure à celle des ennemis;
ce qui doit s’entendre lorfqu’une guerre par terre
n’oblige pas à la dépenfe d’un gros armement.
C ’eft dans ce cas que les François réformèrent la
plus grande partie de leur marine. Mais hors de-ià,
je ne prétends pas que cette maxime ait lieu à
l’égard des princes qui, n’ayant que peu de vaif-
fëaux, font en état d’en augmenter le nombre
dans la fuite ; car une armée navale ne fe forme
pas tout d’un coup , 6c un prince ne doit pas
demeurer toujours dans cette infériorité de forces
où il fe trouve plutôt par la négligence de fes pré-
déceffeurs que par l’impofîibilité des moyens.
Le père Daniel, dans fon hiftoire de la milice
Françoife3 rapporte que, jufqu’au commencement
du règne d’Eîifabeth, l’armée navale d’Angleterre
n’étoit prefque formée que de vaiffeaux conftruits
& equîppés a Venife, à Gênes, à Hambourg ôc
a Damzick. Aujourd’hui les Anglois ont des flottes
CQnfidérables..
Le même écrivain affure qu’anciennement les
armées navales de France étoient principalement
compofées de vaiffeaux d’Efpagne , frétés avec
équipage Efpagnol ; que la marine fous Louis XIII
tomba fi for t, par la mort du cardinal de Richelieu,
qu’en 1661 Louis X I V n’avoit trouvé que
huit vaiffeaux de guerre ; qu’en 1667 il y en avoit
déjà foixante, 6c qu’enluite ce grand prince avoit
eu près de cent vaiffeaux de ligne , outre un grand
nombre de frégates , de brûlots, de galliotes à
bombes, de flûtes ou pinques, 6c autres bâtiments
de tranfport.
Le roi mon maître ne trouva en Efpagne que
le peu de vaiffeaux deftinés pour le commerce
des Indes, 6c fort mal équipés ; mais peu d’années
après , qu’il ne fut plus obligé de faire tant de
dépenfes pour lés armées de terre , il augmenta
fon armée navale de douze vaiffeaux de ligne 6c
de douze frégates ; en quoi il fut admirablement
aidé par don^ Fatigno , intendant général de la
marine , qui fit paroître une aûivité incomparable
à. exécuter les intentions- de fa majefté. Prefque
la première démarche que fit Louis Ier, roi d’Efpagne,
dès que Philippe V mon maître lui eut cédé
la couronne , fut de donner des ordres preflànts
pour faire conftruire des vaiffeaux en Bifcaye 6c
pour en acheter d’autres dans les pays étrangers.
Nul royaume n’a plus befoin que i ’Efpagne de
faire un effort pour mettre une armée fupérieure
fur mer , foit pour attaquer ou pour fe défendre 3
fans cela , nos Indes font expoiées à la cupidité
des puiffances maritimes , 6c nos flottes ôc nos
galions en danger d’être pris. L’Efpagne, à l’exception
de la petite frontière de France 6c de
Portugal, eft bornée de toute part par la mer.
Comme il n’eft pas poffible de pouvoir garnir une fi
longue étendue de côtes, elle eft expofée aux fur-
prifes 6c auxincurfions. Les îles, qu’elle a en grand
nombre en Europe Ôc^dans les autres parties du
monde , ne peuvent être fecourues , lorfqu’elies
font attaquées par une flotte ennemie. D ’ailleurs
notre voifmage avec l’Afrique nous met dans l’in-
difpenfable néceflîté d’avoir beaucoup de gardes-
côtes, contre cette multitude de corfaires de Salé ,
d’Alger 6c de Tunis.
Si l’on n’a pas encore perdu toute efpérance
de recouvrer un jour l’Italie, Ôc particulièrement
les royaumes de Naples 6c de Sicile, qui pourra
imaginer de pouvoir d’Efpagne y conduire par
- terre une armée 6c tout fon attirail, ou être alluré
que quelque puiffance maritime n’entreprendra pas
d’empêcher nos tranfports par eau , comme il eft
arrivé à la dernière fois ? Il n’y a point de nation
qui puiffe mieux dominer fur le commerce de
l’Océan à la Méditerranée , qu’une armee navale
d’Efpagne , puifqu’il n’y a d’autre paffage que le
détroit de Gibraltar, large de trois lieues feulement
, 6c plein de courants, qui obligent fouvent
les vaiffeaux de toucher terre à Ceuta, ou à la
cote oppofée d’Efpagne ; de forte qu’en faifant un
port à Ceuta, 6c un autre auprès des Aigézirès,