
Cependant ÿ dans le moment de voir réufïir
heureufement un projet conduit au point de fa
réuflite , M. le maréchal de Villeroy fit prendre à-
gjauche à toute l’armée , pour aller palier le Mandel
à Ilenghien , à une lieue & demie au-deffus , dilant
qu il ne vouloit pas attaquer en colonne un camp
qu’il prenoit en flanc ; de manière .que l’ennemi
éveillé décampa avec toute la diligence polîible ,
& déblaya tout fon camp avant que toute notre
armée fût feulement arrivée à Ifenghein.
Exemple qui fait connoître que dans des occafions
aufli décifives pour changer la conftitution d’une
guerre , St fauver une place aufli conlidérable que
Namur , il faut qu’un général foit capable de profiter
des fautes que fait fon ennemi.
Ce que je viens d’avancer fera encore mieux
jjiftifié par ce qui fe pafla le lendemain ; car il
iembloït que MM. de Villeroy & deVaudemont
dans ce tem p s- là difputàffent entre eux à qui
feroit le plus de fautes , en quoi pourtant M. le
maréchal de Villeroy l’emporta fur M. de Vau-
demont, comme je vais le faire voir.
Il étoit raifonnable de penfer que M. de Vau-
demont, échappé d’un danger aufli grand que celui
•qu’il venoit de Courir, s’éloigneroit allez de notre
armée pour s’en mettre hors de portée ; cependant
il ne le fit pas , & il alla fe camper fur la
hauteur d’Arfelle , le village d’Enterghen devant
lui j fa gauche au Mandel, & fa droite abfolument
découverte.
M. le maréchal de V ille ro y , après avoir pafle
le Mandel j s’étoit avancé avec toute fa cavalerie
de la droite , & la brigade des gardes françoifes : il
avoit laide le refte de l’infanterie derrière avec l’aile
gauche de la cavalerie, & il avoit ordonné à l’infanterie
de prendre trois ou quatre,châteaux dans
lefquels les ennemis avoient des polies d’infanterie
qui couvroient le front du camp qu’ils venoient
d’abandonner , & qu’ils n’avoient pas eu le temps
■ d’év-acuer en fe retirant. Cette chétive expédition
ne dura guères, après quoi les troupes relièrent,
en colonne , comme elles y étoient, en attendant
les ordreçpour s’avancer, lefquels elles ne reçurent
que fur les deux heures du matin , qu’elles marchèrent
, y arrivèrent fur les dix heures à vue de
l’ennemi , qui étoit en bataille fur la hauteur
d ’Arfelle.
Le front de l’ennemi étoit fort difficile à atta-
qlier ; mais il étoit très facile de faire pafTer le
Mandel à la cavalerie de la droite, & à quelque
infanterie, pour attaquer le flanc gauche de l’ennemi
, pendant que tout le refte de l’armée ,
marchant par .la gauche , fe feroit trouvé devant la
droite de l’ennemi. On fit même ce mouvement à
la gauche de l'armée fans aucune oppofttion, &
toute cette gauche , & une partie de l’infanterie
du centre, fe trouvoiént en bataille avec une fupé-
riorité infinie devant la droite de l’ennemi à la
diftance tout au plus de deux portées de moufquet,
jEnfin , tout confpiroit pouf la gloire de M. le
| maréchal de Villeroy, & la préemption de Pénnemi
lui préfentoit encore une occafion fure de faire
! oublier la faute de la veille ; mais il la laifTa
encore échapper. Sur le point de charger & d’ac-
i câbler cette armée qui, pour la fecondç fois , dans
l’efpace de vingt-quatre heures, s’étoit par fa faute
trouvée au moment d’être totalement détruite ,
| notre général remit l’affaire au lendemain, quelque
• inftance que l’on pût lui faire pour l’engager à
j ordonner que l’on marchât à la charge,
j Ainfi M. de Vaudemont, profitant de.fon bon-
; heur & de notre molleffe , fit la retraite devant
nos yeux , aufli tranquillement qu’il l’auroit pu
; faire hors de notre vue , à la réferve d’une petite
! arrière-garde de dragons & d’infanterie que M. le
: maréchal de Villeroy permit enfin que l’on chargeât
à la droite, de quelques coups de fufii
. qui furent tirés à la gauche fur l’anière:garde des
ennemis.
Cet exemple fervira pour juftifier la néceffité'
j de charger du projet d’une guerre défenfive un
j général qui ait les vues fuftifvntes pour ne pas
: laifler échapper les occafions fûres de changer cette
efpèce de guerre défenfive en une plus avanta-
geufe.
! Car enfin, par rapport au fujet que je traite,
, il eft évident que fi M. le maréchal de Villeroy
; avoit fçu prendre .avantage des occafions favo-
| râbles qui lui furent préfentées par les ennemis ,
pour les détruire par parties, il auroit très-certainement
, par le premier avantage , regagné l’égalité
entre les deux armées , ce qui auroit produit
l’impoffibilité à nos ennemis de former au-
j cune entreprife.
Ainfi , fans commettre l’armée ' du roi, il pou-
voit tout au moins changer la guerre défenfive en
une guerre entre puiflances égales, bien moins
difficile à foutenir que la défenfive.
Depuis cette année jufqu’à la paix de Rifwick ,
la guerre fut prefque par-tout de . la troifième e s pèce
, qui eft colle que j’ai dit qui fe fait entre
puiflances égales, puifqu’il n’y eut point d’entre-
prife qui, en Flandres, en Allemagne , ou en Ita- ;
lie., marquât une détermination de guerre autre :
que celle de cette troifième efpèce, à la réferve
des fièges d’Ath & de Barcelonne , que le roi fit
faire dans un temps que les plénipotentiaires pour
la paix étoient. affemblés, Ôt qu’on étoit même
convenu qu’on fe rendroit réciproquement ce qui
auroit été conquis pendant la négociation , pourvu
qu’elle fût conclue dans un’ certain temps.
Je p a fier ai donc aux réflexions à faire fur les
incidents qui ont changé la nature des deux premières
efpèces de guerre dont j ’ai parlé, St qui
les ont fait dégénérer en la troifième efpèce ,
qui eft celle qui fe fait entre puiflances égales ,
qui , en fe mçfurant continuellement dans leurs
mouvements, ne laiffent pas de. chercher les occafions
de reprendre l’offenfive , pourvu que cela
devienne poffible, fans fe commettre mal-à-p.ro-
' p o s j
pos , & fans qu’un malheur qui n’auroit pas été
affez fagement prévu, fafle retomber dans la défenfive.
La triple alliance alloit faire dégénérer en guerre
entre puiflances égales, l’offenftve commencée en
1667 par Ie roi contre les Efp'agnols, fi la paix
ne s’étoit conclue à Aix-la-Chapelle à la gloire
du roi.
En l’année 1672 , la ligue qui fe forma contre
le ro i, prefqu’aufli-tôt qu’il eut commencé la
guerre contre les Hollandois , fit bientôt changer
la conftitution- de cette guerre offenftve, St la 1
ramena à cette troifième efpèce, que le bon gou- I
vernement du cabinet, & la capacité de nos généraux
fçurent pourtant toujours rendre profitable
au ro i, qui, par la paix de Nimègue, y ,
trouva des avantages confidérables.
En 1673 f M. de Montécuculli, par l'enlèvement
du convoi de Wirtzbourg , avoit changé
la nature de la guerre offenfive que faifoit M. de
Turenne en Allemagne , St avoit forcé ce grand
général à revenir fur le haut Rhin , pendant qu’il
étoit allé s’établir fur le bas Rhin , St qu’il avoit
contraint Te roi à abandonner fes conquêtes de
Hollande; nos ennemis même fe préparoient à
roffenfive en Flandres pour l’année i'674.
Cependant le roi conquit la Franche-Comté au
printemps de cette même année. M. de Turenne.
prefque dans le même temps , par le gain du
combat de Sintzheim , acquit l’égalité de force
avec les ennemis. M .le prince , en Flandres , par
l’avantage du combat de Senef, fit perdre aux
ennemis les moyens de nous faire, une guerre offenfive
, St lés réduifit à l’égalité.
M. de Turenne, par les avantages de la bataille
d’Ei'msheim , fe conferva encore dans l’égalité
, St par le combat de Mulhaufen & de Colmar
, décida enfin de la fupériorité en fa faveur,
& fçut, par ce moyen, changer la conftitution
de la guerre , même pour l’année fuivante , qui
fut celle de fa mort.
Enfin, prefque toute cefte guerre , qui fe termina
par la paix de Nimègue, fut glorieufe au
ro i, foit qu’il l’entreprît en personne , foit qu’il la
fît par fes généraux ; de manière que , quoiqu’elle
fut de la nature de celle qui fe fait entre puif-
fances égalés, elle ne lama pas d’être marquée
dans toutes les campagnes par des entreprifes heu-
reufes , & des aâions de guerre éclatantes.
La guerre qui commença en l’année 1688 , St
qui ne finit que par le traité de Rifwick , peut
etre mife au nombre des guerres de cette troifième
efpèce. Elle fut d’abord' offenfive de notre part
contre l’empereur ; elle fe rendit bientôt générale
par la ligue des puiflances de l’Europe contre la
France ; St dès l’année fuivante , qui étoit celle
de 1689, elle parut toute défenfive de notre
part.,
En 1690, le roi, reprit l’offenftve en Flandres
& en Piémont : en Allemagne , la guerre y fut de
Art militaire. Tome IL
la troifième efpèce , St y refta jufqu’à la paix. La
défenfive fut reprife en Piémont, St l’offenfive
fut le caraâère de la guerre qui fe fit en Flandres
jufqu’en 1695 9 qu’elle dégénéra en guerre entre
puiflances égales, pourtant avec quelques marques
de fupériorité de la part de nos ennemis , puisqu'ils
reprirent Namur.
La guerre commencée en 1701, pour la fuccef-
fion de la monarchie d’Efpagne, fembloit devoir
commencer par l’offenfive de notre part, parce
qu’il paroiflbit raifonnable de penfer que les deux
| couronnes de France St d’Efpagne réunies pour
j leurs intérêts communs , ne dévoient point fouf-
j frir, que les puiflances qui vouloient s’unir en faveur
de la maifon d’Autriche Allemande, euflent
pris les mefures convenables pour agir de concert,
& attaquer de toutes parts les états féparés de la
monarchie d’Efpagne.
Il falloit faire déclarer la république de Venife,
pour la tranquillité St le repos des états de la monarchie
.d’Efpagne en Italie ; & il n’a pas été prudent
de s’être contenté de l’offre d’une neutralité
qu’on devoit préfumer qui feroit avantageufe à
1 empereur ; & que les Vénitiens permettant aux
deux partis de pafler fur leurs terres, pourvu que
les troupes payaflent ce qu’elles prendroient ou
confommeroient, on devoit croire que les troupes
de l’empereur y entreroient les premières, parce
que fans cela elles n’auroient pu s’approcher des
états du roi d’Efpagne , touts fitués en-deçà du
Mincio..
Par cette première faute, la guerre commença
en Italie par la défenfive de notre part, St a toujours
continué à y être telle jufqu’en 1706, que
les événements, qui trouveront leurs places ail- ,
leurs , firent perdre à la monarchie d’Efpagne touts
fes états d’Italie.
Il y a eu pourtant un moment favorable pour
faire changer la nature de cette guerre défenfive ,
& peut-être même pour la terminer glorieufement
pour les deux couronnes : c’eft celui qui a fuivi
le combat de Calcinato.
Le^projet en avoit été habilement fait par M.
de Vendôme, ,1’exécution en avoit été heureufe ;
mais il auroit été néceffaire que ce général eût eu
plus de vivacité pour marcher jufqu’à Salo, fur le
lac.de Guardia, afin que les Allemands ne puflent
pas fonger à le raflembler que dans le Trentin;
& qu’en même temps ce général eût fait pafler
1 Adige a fon armee , Ôt l’eût portée jufqu’au débouché
des Alpes.
Si M. de Vendôme avoit fait ce mouvement, il
chaffoit abfolument les Allemands de toute l’Italie,
& les réduifoit à abandonner cette guerre, au moins
pour cette année , pendant laquelle il n’auroit pas
été impofîible d’engager les Vénitiens St les autres
puiflances d’Italie, à concourir avec nôus à fon
repos pour l’avenir.
Ce manque de vivacité de M. de Vendôme,
lui fit donc perdre le fruit du combat avantageux
O o o o