
La cavalerie doit auffi fe préparer au débarquement
en donnant du vent aux chevaux, par une
forte de manche ou de voile l'ufpendue & pliée
en demi-rond , dont un bout répond aux chevaux
& l’autre bout à l’écoutille : on mouille auffi les
chevaux , pour ne pas les rendre fourbus , en les
faifant palier tout d’un coup d’une extrême chaleur
au froid de la mer & du vent.
Il faut préparer auffi d’avance les chaloupes
deftinées pour le débarquement, & y remplacer
les échomes, les rames, & toute autre chofe qui,
pendant la route, pourroit s’être rompue ou perdue.
On mettra les chaloupes à la mer , fi elles
étoient dans le bord, & alors, de poupe a proue,
on clouera fur les bancs des planches , qui faffent
comme une efpèce de courfier , par lequel les
troupes débarqueront plus facilement. Je luppofe
qu’avant de fortir du port toutes les chaloupes
auront été diftribuées en efcadres, à chacune 'desquelles
on aura nommé un commandant qui fçaura
par quels navires d’une telle divifion le débarquement
doit commencer , & par quels il doit fe
continuer. Il eft à propos qu’il y ait dans chaque
chaloupe un officier de mer & de guerre 3 qui agira
toujours avec plus d’honneur & de conduite que le
patron de cette même chaloupe.
Afin que le généraliffime de mer p û t, avec
moins d’embarras, donner fes ordres fur une infinité
d’autres chofes qui fe préfentent, je choifirois
un capitaine général de chaloupes, qui s’embar-
queroit fur une petite galiote, à caufe de la facilité
& de la légèreté avec lefquelles ces fortes de
bâtiments revire & avance , & je lui donnerois
deux ou trois felouques d’ordonnance pour porter
les ordres convenables aux commandants d’ef-
cadres de chaloupes. Il eft aifé de comprendre ,
par ce que je viens-de dire, qu’il faut auffi qu’il
y ‘ait quelques chaloupes d’ordonnance auprès du
bord du commandant. Je parlerai dans la fuite des
qualités requifes dans les officiers deftinés à fervir
d’aides au capitaine général de chaloupes ou aux
capitaines généraux de mer & de terre.
Quand le temps du débarquement approche,
il faut nommer fur chaque bâtiment un officier
vigilant qui. entende les fignaux , afin qu’il les
obferve & en donne part au commandant de fon
navire ; car il y auroit du retardement ou de la
confufion à connoitre trop tard les fignaux, ou à
les mal entendre. Le chef de chaque efcadre de
vaille aux ou de galères fera répéter le. fignal que
le vaiffeau amiral aura fait, foit pour marquer
qu’il l’a obfervé , foit encore parce que , dans
toute l’étendue que tient une armée navale, où
la vue eft embarraffée par ce grand, nombre de
bâtiments de tranfport, plufieurs navires ne s’ap-
percevroient pas de cet unique fignal que le vaiffeau
du commandant auroit fait : ainfi même ,
avant ce temps-là, il faut qu’il y ait toujours un
matelot & un foldat en fentinelle pour obferver
les fignaux*
Comme tout ce dont je viens de parler peut
s’exécuter fous la voile , cela fini, le commandant
fera fignal aux vaiffeaux de guerre 3 aux tranfports,
aux chaloupes, aux efquifs & aux canots deftinés,
avant la fortie du port, pour le débarquement des
troupes de chaque divifion d'elcadre, d’occuper
leurs portes. Je dirai dans la fuite quel eft le
pofte des vaiffeaux de guerre , des galères & des
galiotes. Les bâtiments de tranfport s’avancent
vers la mer, derrière les vaifieaux de guerre 3
féparés de ces mêmes vaiffeaux, & entre eux
feulement, de ce qu’il faut pour. ne pas choquer
les uns contre les autres : là , ils donnent fond ;
& f i , à caufe de la hauteur de l’eau, leurs cables
trop courts ne le leur permettent pas , ils s’y
tiennent.
Afin que les chaloupes du débarquement fçachenc
quels font les navires qui leur font affignés, chacun
de cês navires mettra fes banderolles de reconnoif-
fance à la place du gaillardet, & de la flamme du
grand mât & du trinquet : une de ces banderolles
lignifiera la divifion , & l’autre le vaiffeau. Cette
différence fera marquée par la diverfité des couleurs
; & quoiqu’il paroiffe qu’il n’y aura pas autant
de couleurs que de vaiffeaux, on y fupplée en
mettant ces couleurs les unes avec les' autres * &.
de cette forte la combinaifon en eft fort grande ;
je fuppofe qu’avant de fortir du port , les chefs
d’efcadre, les commandants de leurs divifions &.
ceux de chaloupes auront par écrit les couleurs des
banderolles de touts leurs vaiffeaux.
Quand le généraliffime de mer voit que tout
cela eft exécuté, il fera le fignal aux chaloupes
d’approcher pour recevoir les troupes des navires
qui leur font affignés ; & fi quelques - uns de ces
navires fe trouvent deffous v en t, fans pouvoir
prendre leur pofte, le chef-d’efcadre de chaloupes
de la divifion la plus proche en détachera quelques
uns pour recevoir les troupes de ces navires.
Lorfque lé vent eft violent, ou que la mer eft
greffe, les chaloupes s’amarent aux.vaiffeaux par
le deffous du vent ; mais quand cet obftadfe ne fe
rencontre pas, elles s’approchent des deux côtés.
Le commandant de la troupe aura foin de faire
obferver un grand ftience, afin que le bruit n’empêche
pas d’ouir & d’exécuter, avec promptitude
& fans embarras , les ordres & les fignaux , ayant
fait auparavant précéder la défenfe à touts vaiffeaux
d’obliger les chaloupes qui ne font pas de leur
département de venir à bord.
Les grenadiers de chaque vaiffeau s’embarqueront
dans les chaloupes , préférablement aux fufi-
liers de leur corps ou d’un autre : ces grenadiers,
entre eux , fuivront l’ancienneté de leur régiment;
ce qui s’obfervera auffi à l’égard des fufiiiers de
divers corps, lorfqp’on a embarqué un refte^ou
un détachement d’un bataillon fur un vaiffeau
qui porte les troupes d’un autre bataillon.
Les .compagnies d’un même régiment auront
auffi la préférence, félon l’ancienneté de leurs
capitaines; fur quoi il fera néceffaire qu’on foit prévenu,
pour éviter le retardement que cauferoient
les difputes , fi chacun vouloit fortir le premier.
S’il y a des officiers réformés , ils s’embarquent
avec la première compagnie de leur vaillèau ;
les officiers en pied avec leurs compagnies ; & fi
une compagnie ne peut aller toute entière dans
le premier voyage , un officier demeure pour
conduire le relie.
Quand tout un régiment ne peut pas aller dans
un v oy ag e , le colonel & le major s’embarquent
dans le premier, & le lieutenant-colonel & l’aide-
major dans le fécond ; ce qui fe doit entendre
lorfqu’il refte plus de trois compagnies.
Pendant que les troupes s’embarqueront dans les
chaloupes, les officiers auront foin que les foldats
ne fe pouffent pas tellement les uns iur les autres ,
qu’ils s’embarraffent, le battent ou mouillent leurs
armes. A l’égard des armes , le. meilleur eft de les
donner d’abord aux mariniers des chaloupes. Selon
que l’on doit débarquer*, ou par la poupe ou par
la proué , les troupes prendront dans les chaloupes
le pofte qu’elles doivent enfuite occuper dans
l’ordre de bataille, faifant en forte que les caporaux
& les meilleurs foldats tombent dans le premier
rang-, en les avertiffant auquel des quatre
chacun d’eux répond , & par quel côté chacun
d’eux doivent doubler, afin qu’ils fe forment plus
promptement & avec moins d’embarras.
Les officiers généraux de terre s’embarquent
avec les troupes de chaque divifion qui doivent
etre fous leurs ordres. Le capitaine générai de
terre , Je-major général , les maréchaux généraux
des logis &. leurs aides, font du premier embarquement.
Les officiers généraux fçauront vers quel
côté ils doivent prendre dù terrein, ou fe ferrer,
afin qu’il ne refte pas des vuides au front de la
ligne'; car fi les troupes de la droite fe ferroient
vers la droite , & celles de la gauche vers la
gauche , le yuide du centre fe trouveroit trop
grand : le meilleur eft que les premières troupes
qui débarquent fe forment d’abord où doit refter
1 aile droite, parce que les autres n’ont enfuite
qu’a continuer de former leurs rangs de la même
manière auprès des premières.
Il ne doit pas y avoir d’infanterie dans les
chaloupes où l’on embarque les chevaux de frife
dont j’ai parlé, parce que les foldats ,-qui aùroient
de, la peine à pouvoir fe remuer, tarderoient trop
à débarquer.
Quand les chaloupes auront reçu toutes les
troupes pour le premier voyage , on leur fera
fignal de venir fe ranger dans les vuides qui font
entre les vaiffeaux de guerre , ou derrière : alors
les vaiffeaux de guerre commenceront à battre la
plage coup fur coup ; car s’ils donnoient la bordée
entière a la fois, il y auroit trop d’in ter vallé d’un
feu a 1 autre : chaque vaiffeau fe propofera de tirer
fur la partie du terrein qui lui répond, afin que
toute 1 etendue de la côte foit également battue ;
| & f i , par la terre que les boulets élèvent, on
I s’apperçoit qu’il y a des vuides confidérables que
; le canon ne bat pas, les vaiffeaux qui font vis-à-vis
j braqueront leurs canons, ceux de la droite un peu
j plus fur la gauche, & ceux de la gauche un peu
» plus lur la droite.
Les navires plus petits formeront, vers la terre ,
j les pointes de la demi-lune de l’arme, foit parce
| que , de cette manière , leur canon plus petit
j pourra porter jufqu’à la côte ; foit parce que ,
| n’ayant pas befoin d’autant d’eau que les gros
vaiffeaux , ils pourront s’approcher plus près de
terre ; cependant les uns Ôc les autres doivent
avoir la précaution d’aller toujours la fonde à la
I main , & de faire mefurer le fond dès qu’ils '
! pourront avoir là-deffus le moindre doute. Les,
j galères, & enfuite les galiotes, peuvent couvrir le
côté des frégates ; leurs coups , en ligne rafante ,
font beaucoup d’e ffet, & peuvent quelquefois
enfiler le retranchement des ennemis, s'il arrivoit
que les ennemis paruffent à découvert. Les navires
qui fè trouveront à portée tireront à cartouches
de petits boulets ou balles de moufquet ; mais ce
cas arrivera difficilement, parce qu’il n’y a point
de troupes au monde qui foutiennent à corps
découvert le feu d'une armée navale’; & je ne
parle'à préfent que d’un feu contre un retranchement,
ou pour éviter que les ennemis, qui font
hors de la portée de votre canon, ne viennent
fondre fur les troupes du premier détachement *
avant qu’elles foient rangées en bataille.
Ayant donc ruiné le retranchement des ennemis
, démonté leur canon, ou éloigné leurs troupes
par le feu de vos vaiffeaux , de vos galères & de
vos galiotes, le bord du commandant fera fignal
pour le débarquement : alors les chaloupes, s’avançant
avec le plus grand front que les vuides
entre les vaiffeaux peuvent le permettre, vogueront
de toute leur force , & s’aideront de leur
v o ile , fi le vent eft favorable. Je fuppofe que
l’on amènera les voiles & qu’on lèvera les rames
affez à temps pour ne pas. aller toucher rudement
la terre ; car , outre que les chaloupes l'eroient
maltraitées par les pierres qu’elles rencontreroient»
la difficulté de les remettre à flot retarderoit leur
retour pour le fécond voyage ; & lorfqu’il s’agit
d’uoe aâion importante , l’inconvénient eft très
petit| fi les troupes fe mouillent jiifqu’à demi-
cuiffe.
Les commandants des chaloupes ne doivent pas
fe couper le chemin , par l’ambition d’être les
premiers a débarquer; car, outre que les chaloupes
pourroient ainfi heurter les unes contre les autres
il y auroit plus de danger fi les troupes n’arrivoient
que les unes apres les autres. * Les commandants
des chaloupes doivent donc conferver, avec celles
qui font à leurs côtés, la diftance néceffaire, afin
que les troupes , en fautant à terre , ayent l’efpace
qu il faut pour fe ranger fans défordre 6c fans
confufion.