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La difcipline, le filence, l’obéiffance, & l’attention
aux ordres des chefs, l’art de mettre un camp à
1 abri de l’infulte par un parapet & un foffé ; voilà
quels furent les fondements de leur fcience militaire
, & leur défenfe contre la fupériorité -du
nombre. Il faut y ajouter un grand moyen de
îucpès, la confiance dans leur entreprife. Il étoit
ordinaire qu’une bataille terminoit une guerre. Si
l ’affiègé la perdoit, il étoit fournis; s’il la gagnoit,
l'affiégeant faifoit retraite. Mais les Grecs f'entirent
bien que leurs ennemis marchant au combat fans '
difcipline 3 fans ordre, avec le bruis confus des
oifeaux fauvages qui volent en grandes troupes,
fuccomberoient enfin à leurs efforts. Souvent repoli
ffés , plus fouvent vainqueurs, ils perfévérèrent
dix ans, & ne quittèrent pas les rive$ de la Troade,
qu’ils n’euffent livré Troie au fer & aux flammes.
(An du M. 2820; av. J. C. 1184. ).
Après cette expédition qui fufpendit les guerres
inteftines de la Grèce, les Héraclides recommencèrent
leurs entreprifes fur le Péloponèfe , &
lpurs premières tentatives furent malheurey-fes.
Sgùs Ariflomaque, petit-fils d’Atrée, ils voulurent
forcer le paffage de l’Iflhme , défendu par
^ifamène, fils d’Orefle. Celui-ci fut vainqueur,
6 Ariflomaque y perdit la vie. Une flotte qu’ils
équipèrent fut détruite par la tempête, leur chef
Ariilod ème d’un coup de tonnerre , une partie -de
leur armée par une maladie contagieufe. Ils ré-r
Parèrent ces pertes, & dans le deffein de faire une
dffçente à -Molycraum, ils envoyèrent quelques,
transfuges dire .aux Péloponéfiens que les Héraclides
allemblés à Naupa&e, feignoient de vouloir
dpfcendrç vers, lçs confins de l’OEtolie &. de la
Lôcride, mais qu’en effet ils feroient voile vers
l ’Iflhme. Tifamène trompé par ce faux avis, porta
fes troupes à Flflhme, & les Héraclides detcendus
%.Molycrium fans r.éfiïlance, vainquirent & tuèrent
Tifamène, s’emparèrent d’Argos, de Mycene, de
Lacédémone , & donnèrent l’Elide fuivant leur
pro.mefTe à leur çhgf Qxilus. (An du M, 3900.
py. J- C. 1104. ) ..
Ce fut après cette conquête que les Ioniens
les (Eoliens chaffés du Péloporiçfç , allèrent
former des établiffements fur les côtes d’Afie~&.
cj:e l’Italie. Melaùthe, roi de Mefsène, fe réfugia
dans l’Attique. Alors les Athéniens & les Béotiens
fe difputoient un c an top de leurs frontières. Xan-
thus,, roi de Boeoti.ë, propofa de décider le différent
par'un combat fijignlier, Thymæte , alors
roi d’Atliènes, était fil? naturel d’Oxiathç, avoit
afefîiné Àphidas, pour régner à fa place. Il joignit
à ce crime çeluivde lâcheté 3 & refufa le combat.
Mélanthe s’étant propofé pour le remplacer, fut
accepté par lçs Athéniens. Celui-ci, tandis qu’ils
combattoient, s’écria : tu es un traître, tu, amènes
jun Jççpnd. Xanthus étonné fç retourne, & Me-
iï}i}the iaifit c.ç moment pour le percer d’un javelot,
ÇçX avantage n'étoit qu’un aflaflinat, Il fut cepen-
par lçs cfeux partis lçs.. Boeotieps lç
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retirèrent, & Athènes dépofant le lâche Thymete?
mirent à fa place le Meffénien.
t Sous Melanthe & fon fils Codrus qui lui fuc-
ceda, touts lçs bannis du Péloponnèfe furent reçus
dans l’Attique. Les Héraclides & les Corinthiens
en ayant conçu de l’ombrage , y portèrent la
guerre. Un oracle leur promettoit la viéloire, s’ils
ne tuoient pas le roi d’Athènes. Ils ordonnèrent
donc à touts leurs foldats d’épargner la tête dont
la confervation devoit caufer leur triomphe. Mais
Godrus éluda leurs foins par une rufe différente
de celle dé fon père. Il fe déguifa en payfàn, &
alla couper du bois dans -un lieu où les Péloponé-*
fiens alloient aufli en chercher. Quelques-uns y
vinrent, & Codrus les attaquant, en bleffa quelques
uns. Ceux-ci fe jettèrent fur lui, & le tuèrent
avec leurs outils. Les Athéniens inflruits de fa
mort, &. ne doutant plus de la viéloire, marchèrent
à l’ennemi en jettant des cris de joie. Mais, afin
de répandre la terreur dans l’armée des Héraclides,
ils leur firent demander la permifïion d’enterrei
Codrus, tué par quelques-uns des leurs. A cette .
nouvelle, les Péloponéfiens effrayés, fe retirèrent
a la hâte. Athènes rendit à fon roi les honneurs,
que méritoit fa vertu fublime; & , comme fi elle
n’eût vu en elle aucun citoyen digne d’exercer
après elle le.même emploi, elle l’abolit, (jln du M,
2934. av. J. C. 1070. ).
Vers ce temps l’établiffement des gouverne-»
ments & l’accroiffement de la population, oppofa
aux conquérants des obflacles inlurmontables. L’ef-
prit de conquête commence avec la puiffance. Le
riche affervit le pauvre. Les cités les plus opulentes
ajoutèrent à leur domaine celles qui Tétoient
moins ; les grandes fociétés & leurs fouverains
contraignirent les petits peuples. à leur obéir.
Quand les forces commencèrent à fe balancer,
l’efprit de conquête ne ceffâ point, mais fe con~.
fuma lentement en efforts impuiffants. Xercès ,
difoit aux grands de l ’état : <c je veux traverfer
l’Hellefpont, châtier les Athéniens, embrafer leur
ville. E t, quand nous les aurons affervis, eux &
leprs voifins qui habitent le pays du Phrygien
Pelops, la.Perle deviendra limitrophe de l’empire
de Jupiter; le foleil ne verra aucune contrée qui
avoifine la nôtre ; nous fubjùgüerons l’Europe ;
toute la terre fera notre empire ». ( Hérodot.
L . VU. C. 10.). Alexandre difoit à fes Grecs : « il
nous refie peu de pays pour atteindre au Gange &
à la nier d’Orient, k laquelle fe joint l’Hyrca-
nienne, puifque la grande mçr entoure la terre. Je
vous montrerai, ô Macédoniens, le golphe Indien
joint au Perfique, & la mer ü’Hyrcaniç jointe à
celle des Indes. Du- golphe Perfique nous irons
en Libye , àu - delà des colonnes d’Hercule la
Libye toute entière nous appartiendra ; to.ute l’Afie
fera en notre pouvoir : ]es bornes que Dieu a mifes
à la terre, feront celles de nôtre empire ». ( Arrian,
L. V.'). Il vouloit conquérir l’Arabie, l’Ethyopie«,
lâ tjb y e .les humides, l’Afrique & Carthage3
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ètler par le Pont-Euxin affervir les Scytes, pâfler
en Sicile, & attaquer les Romains,dont la renommée
déjà répandue lùi faifoit ombrage. Quelques
fages mirent fous fes yeux la folie de fes projets. Les
philôfophes Indiens, raffemblés dans une prairie
pour s’entretenir, le voyant approcher, lui & fon ;
armée , frappèrent du pied la terre. Alexandre
ayant fait demander par un interprète ce qu’ex-
primoit cette aélion, l’un d’eux répondit : u la
portion de terre que chaque mortel preffe -de fes
pieds ou couvre de fon corps lui fuffit : & toi qui
es un mortel femblable à touts .les autres, différent
feulement en ce que tu es turbulent & nuifible, tu
as quitté ta demeure & parcouru un fi grand ef-
pace, pour caufer des peines à toi Sc aux autres
.hommes. Cependant ta mort approche , & tu
n auras que la terre néceffaire pour couvrir ton
corps, ». ,
Diogene, interrogé s’il vouloit de lui quelque
, fervice : « que toi & ta fuite, dit le philofophe, ne
. m’interceptiez pas le foleil ». Arrian. L. VU. ).
Le conquérant, parvenu à Tax ile, ville de l’Inde,
apperçut quelques philofophes, & eonnoiffam leur
confiance dans les peines & dans la douleur, defira
de s’en .attacher quelques-uns. Le plus âgé d’entre
eu x , nommé Dandamis , -répondit qu’il n’iroit
point trouver Alexandre, & ne permit,à aucun
de fes compagnons d’y aller. « Je fuis comme lui,
ajouta-t-il, fils de Jupiter; je n’ai befoin d’aucune
des chofes qui font en fa puiffance ; celles que j’ai
me fuffifent. Je vois que ceux qui ont parcouru
avec lui tant de terres Ôc de mers, n’ont eu aucun
but honnête & utile , & que leur co.urfe n’a aucun
terme. Je ne defire point les bien? qu’Alexandre
peut donner, & je ne crains pas de perdre ceux
que je pofsède. Tant que je vivrai, la terre de
l ’Inde produira des fruits dans leurs jfaifons, & la
mort me féparera de mon corps, compagnon fou-
vent incommode ». ( Arrian. ib. ).
- Aj outons ici la converfation de Cynéas & de
Pyrrhus : c eft une de ces chofes qu’on retrouve
par-tout, & que l’on croit toujours revoir pour
la première fois. « Pyrrhus, difoit Cynéas, on dit
que les Romains font un peuple guerrier, & maître
de plufieurs nations belliqueufes ; • fi Dieu nous
accordoit de les foumettre, quel ufage ferons-nous
de la viftoire. - T u m e demandes, Cynéas., une
choie évidente. Rome vaincue, aucune ville bar-
hare ou grecque ne peut nous réfifter. Nous pof-
sederons 1 Italie entière, dont tune peux ignorer
- etenc^7e >,,les f°rces, & l’opulence. — Maîtres de
toute 1 Italie, que ferons-nous ? — La Sicile nous
tend les bras, île riche, peuplée, & facile i prendre.
Agathocles y a.laiffé les villes en proie à
1 anarchie, aux faâions, à i’afpérité de leurs démagogues.—
- Cette efpérance eft fondée ; mais fera-ce
la fan de lexpédition, que la prife de la Sicile >
- Que Dteu nous donne ce fuccès. Il fera le
K l <rdede,pif l randes chofes- Qui pourrait alors
sabftentr de la ly b ie & de Carthage, dont Aga-
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! thbcles fort! fecrétement de Sicile, avec peu de
1 vaifieaux, fe rendit prefque le maître : & après ces
viéloires, pentes-tu que ceux qui nous bravent
foient en état de nous réfifter ? — Non fans doute ;
il eft évident qu’avec ces lorces nous reprendrons
la Macédoine, & que l’empire de la Grèce eft
à.nous. Mais, quand nous aurons touts ces pays,
que ferons-nous ? — Pyrrhus fourit & dit : Cynéas,
nous jouirons d’un profond repos, de fèftins, de
doux entretiens. — Eh ! qui nous empêche de
jouir, dès à préfent, de ces biens qui font entre
nos mains, àu lieu de les acquérir par des périls
& des travaux infinis, par notre far.g, nos maux
notre tourment & celui des autres? Cette vérité
fut plus amère qu’utile à Pyrrhus. Il connoiffoit
la félicité qu’il abandonnât ; mais il ne pouvoit
renoncer aux efpérances qu’il avoit conçues. ( Plu,
tarch. in Pyrrho. ).
Tels furent Xts conquérants dans touts les temps :
on leur dit inutilement comme à Charlemagne j
■ vous aurt[ toujours des voifins. Houpiiai, maître’de
la Chine, voulut le Japon, le Pegu, le Tonking &
Ua Cochinchine. Suivant Timur, il n’étoit pas convenable
que la terre fût gouvernée par deux rois,
fuivant ces paroles d’un poète : comme il n’y a
qu’un Dieu, il ne doit y avoir qu’un roi. A la naif-
fance de fon fils Charoc, le peuple avoit demandé
a Dieu de le rendre maître des fept climats de l ’univers
; & les aftrologues ayoient- annoncé qu’il parviendrait
au plus haut degré de la grandeur & de
la majefté royale. Puiffent les hommes ne voir
déformais que dans l’hiftoire les attentats de cette
démence.
. C O N Q U Ê T E , pays fournis par la force des
armes. •
L’art militaire fait les conquêtes ; mais il n’eft pas
lumlanî pour atteindre à ce dernier but : on n’y
parvient que par la prudence , la juftice , & toutes
lçs autres vertus, C ’eft pour cette raifen qu’il eft plus
facile de les faire que de les garder. Un conquérant
doit conferver la faveur du peuple qui l’a fécondé
& ce-qui eft plus difficile, celle du peuple qu’il à
loiimis. 1
A Ca conquête faite fur une nation fauvage ne peut
etre coniervée que par lafervitude ou la clvilifa-
tion. Le premier de ces moyens eft cruel, & ne
doit^être employé que dans la néceffité la plus
extreme : l’autre eft doux, humain , & demande
les plus grands ménagements. Il faut accoutumer
cette nation par degrés au frein des loix, la faire
jouir de touts les avantages que fon état comporte
, lui accorder fur-tout de là première liberté
la plus grande portion poffible , & y répandre' au
plutôt la lumière des arts & des fciences. Si elle
enc° r? incapable de la liberté civile , & que fa
férocité force de la conquérir, il faut, dans la
fervitude où on la.contient, tendre à la civilifer
lui faire tout le bien dont fon état lui permet dé
jouir, la mettre feulement dans l'impuiffance de
iatre le mal, & l’engager par l’exemple à fe rendre