
les Efpagtffols à quitter le parti des Carthaginois,
pour embraffer celui des Romains, lorfque Scipion
P Africain mit les armes de Rome en fortune & en
réputation, fut que Carthage traitoit les Efpagnols
avec trop d’orgueil & de cruauté. Ainfi , continue
P olybe, au lieu de fe faire des amis & des
alliés des peuples qu’ils a voient fubjugués, ils s’en
firent des ennemis.
VDes pricautio 7s à prendre en entrant dans un pays
dor.t on veut fe concilier Vaffe&ion.
A mefure que vous entrez dans le pays ennemi,
faites prévenir les peuples qu’ils n’auront rien à
craindre pour la fureté de leurs perfonnes & de
leurs biens, pourvu qu’ils n’abandonnent pas leurs
maifons. Après cet avis , autant que la chofe fera
poffible & que les ennemis le permettront, env
o y e z , avant que votre armée arrive , les fauves-
gardes néceffaires pour éviter que les troupes ne
commettent le moindre défordre dans les lieux
& n’y prennent aucune chofe fans la payer à fon
jufte prix. Dans vos marches, ne permettez pas que
les troupes campent fur les terres enfemencées de
ce pays, qu’elles les foulent, ni qu’on y coupe
des arbres fruitiers, fi on y trouve d’autre bois ;
ce qui fe doit entendre lorfque les ennemis ne
vous obligent pas de camper ou de marcher d’une
manière plutôt que d’une autres fur quoi je ne
m’étendrai pas davantage , ayant déjà traité cette
matière. J’ai fait voir auffi par quel moyen on
peut empêcher que les maraudeurs ne fe détachent
du camp ou de la marche pour voler ; combien
il eft dangereux de donner trop de licence aux
troupes , & avec quelle équité doit agir un détachement
que-vous mettez d’abord en campagne
pour prendre les vivres qui fe rencontrent dans le
pays ennemi.
Ne parmettez pas qu’on mette le feu au camp
que vous abandonnez , fi fon afliette donne lieu
d e craindre que les flammes portées par le vent
n’embrafent les moiflons, les arbres &. les habitations
du pays. Indépendamment de /cette cir-
conftance , pourquoi priver les payfans de l’avantage
du bois qui y eft ? Si vous appréhendez que
vos ennemis ne profitent du camp, vous pouvez
vous fervir de la fape pour en faire détruire &
applanir les ouvrages, par la main des foldats ou
des payfans qu’on prend dans les lieux voifins ,
& auxquels, pour récompenfe , on laiffe les faf-
cines & les piquets.
Quelque foin que vous puiffiez vous donner,
Vous n’empêcherez pas entièrement les foldats de
v o le r , de fourrager la campagne & de couper les
arbres. Alors les habitants, fur-tout ceux de ces
provinces qui n’ont pas encore éprouvé la guerre,
attribueront au général la caufe de touts ces
malheurs , qui ne font qu’une fuite indifpenfable
de cette même guerre. C e fu t, ce me femble, pour
Jucher d’y remédier, que l’empereur Jflonorius
fit l’ordonnance fuivante pour fies troupes,
lorfqu’elles feroient en marche dans le pays ami.
a Toutes les troupes, dit cette ordonnance, accéléreront
& continueront leur marche fans qu’il foit
befoin de féjourner, 'de peur que ce féjour ne
donne lieu à quelque dommage dans le pays ».
A infi, à moins d’une preffante nécefiité, ne laiffez
pas vos troupes parmi les peuples dont vous voulez
gagner Taffe&ion.
Cæfar, pafiaftt auprès de Leptis , mit. non-feulement
des fauves-gardes pour empêcher qu’aucun
foldat n’entrât dans cette ville qui venoit de
fe foumettre à fon obéiffance , il ne permit pas
même à quelques navires de fa flotte chargée de
troupes, qui avoit mouillé dans ce port, d’y
débarquer fa cavalerie, dans la crainte qu’elle
ne fourrageât le pays de Leptis, àvec qui Cæfar
vouloit entretenir une amiable correfpondance.
Docle rapporte que l’empereur Théodofe I I ,
ayant envoyé des troupes en Sicile à l’autre empereur
Valentinien , pour recouvrer l’Afrique ufur-
pée par les Vandales, ces troupes s’arrêtèrent fi
longtemps en Sicile ? qu’elles ruinèrent tout le
» . i y
Jean Grijalva ayant fait propofer au cacique de
Tabafco d’accepter l’alliance des Efpagnols, le calcique
vint voir Grijalva avec un préfent, &. les
premières paroles qu’il lui dit en l’abordant furent :
« que fa fin étoit la paix, & que fon intention par
ce préfent étoit de donner congé à fes hôtes afin de
la conferver »: Grijalva comprit la raifon de l’Indien
, & il confentit à for tir fur - le-champ de fon
p'ays , dont il voulut s’attirer l’affeéfion pour la
fureté de fa retraite; fuppofé que, dans le deffeia
où il étoit de porter plus loin fes conquêtes , il y
fut forcé dans la fuite.
S’il paroît important pour vos vues de laîffer
vos troupes dans le pays dont vous voulez vous
acquérir la bienveillance , ayez, foin de faire
tenir un compte exaâ de la paille , du bois &
autres chofes que vous prendrez pour votre armée
& de le faire payer. Le marquis de Leyde &
don Patigno le pratiquèrent ainfi en Sicile, & la
reconnoiflance de ce bon traitement ne fervit pas
peu pour augmenter l’affe&ion des Siciliens-envers
le roi.
Des moyens <Tengager les habitants a revenir dans
leurs maifons, 6> d’éteindre les divifons. Avis par
rapport aux bandits, aux efclaves , & aux autres
prifonniers de ce.même pays.
Si touts les expédients que j’ai- propofés ont été
inutiles, foit parce que les habitants ont été fi
effarouchés, que vos fauves-gardes ne les ont plus
trouvés dans leurs maifons, ou parce que r ne voulant
pas s’y fier, ils fe font retirés fur les montagnes
avant l’arrivée de votre armée, faites mettre
de nouvelles fauves - gardes pour empêcher qu’au
ne touche à quoi que ce foit ; détachez enfuite
G U E
Hivers partis pour vous amener quelques-uns de
te s habitants réfugiés fans leur faire le moindre
Imauvais traitement. Lorfqu’ils feront en votre
préfence, faites - leur entendre que vous n’ètes
point venu pour les chaffer de leurs maifons,
qu’au contraire vous les regarderez comme ennemis
s’ils les abandonnent ; que c’eft à eux à
éviter par-là de voir leurs campagnes défolées &
leurs lieux brûlés ; que ceux qui ayant laiffé leur
habitation déferte , feront pris enfuite , gémiront
dans une longue fervitude ; que vous leur pardonnez
une fécondé fois ; que vous leur promettez
toute forte de bon traitement, tant pour
leurs camarades que pour eux. Renvoyez-les
enfuite avec un nouveau fauf-conduit auprès des
autres, & mettez à leur tête quelques perfonnes
de confiance , de crédit <jpns le pays, qui per-
fuaderont aux fugitifs de revenir dans leurs maifons
, en leur repréfentant votre clémence , la
bonne difcipline de vos troupes, les profits qu’ils
peuvent faire en vendant leurs troupeaux, leurs
légumes, &. tout ce qui eft néceffaire à la vie dans
une armée, où toutes chofes fe payent le double
de ce qu’elles valent. Enfin, ces perfonnes de
confiance leur feront voir touts les malheurs auxquels
ils s’expoferoient en ne retournant pas dans
leurs lieux, en les aflùrant que leurs maifons &
leurs biens n’ont reçu aucun dommage , & ont
été confcrvés par les fauves-gardes de vos propres
troupes.
Alexandre, après la prife de Perfepolis, mar-
choit parmi des peuples fi barbares, qu’ils fe
retiroient touts fur les montagnes , dans ce pays
toujours couvert de neige, & tuoient eux-mêmes
ceux d’entre eux qui ne pouvoient pas fuir affez
vite , mais Alexandre traita fi bien les prifonniers
que ces partis lui amenoient, qu’eux - mêmes ,
ayant été mis peu après en liberté , ils alloient
exhorter leurs autres concitoyens à revenir de
leur frayeur , ce qui peu-à-peu les rendit fociables.
Le chevalier d’Asfeld, lieutenant général, fe
servit, en 1716 , d’unfemblable moyen pour faire
retourner dans leurs maifons les habitants des lieux
ouverts de Maiorque, qui, avec leurs armes &
leurs familles, s’étoient retirés fur les montagnes
par la terreur que leur avoit caufé l’armée d’Ef-
pagne, qui, fous les ordres de ce général, avoit
débarqué dans cette île.
, Fernand Cortès, entrant dans la ville d’Izucan ,
n y trouva que trois ou quatre habitants; il envoya
dans les bois auprès des fugitifs , pour leur
offrir de fa part leur pardon & un bon traite-
ment s’ils revenoient fur-le-champ dans leurs
maifons, & le même jour la ville fut peuplée.
Publius & Cneïus Cornélius Scipion , ayant
donne la liberté aux otages Efpagnols qu’ils
avoient enlevés d’entre les mains des Carthagi-
nois , attirèrent à leur parti plufieurs peuples
d Elpagne, qui fuivoient celui de Carthage. Un
Espagnol nommé Abilya, alloit d’un lieu à un
G U E 725
autre, publiant par-tout la clémence &. la géné-
rofité des Romains.
Si les habitants abandonnent- leur pays, non-
feulement vous 11’aurez pas la commodité de
fournir un logement à vos officiers, vous ne
trouverez pas même le néceffaire pour la fub-
fiftance de vos troupes, ni pour le charriage & le
tranfport de vos provisions, comme il nous arriva
prefque pendant toute la dernière guerre
fur les frontières d’Arragon & de Catalogne , où
les habitants de touts les lieux dont nos troupes
approchoient, s’enfuyoient fur les montagnes ,
emmenoient avec eux leurs beftiaux , & cachoient.
tout ce qu’ils ne pouvoient pas transporter.
Si le pays que vous avez conquis refte défert ,
vos conquêtes feront peù glorieufes & peu utiles
a votre prince, puifqu’elles ne lui donneront pas
de nouveaux fujets à commander , ni de nouveaux^
revenus à percevoir. Platon me fournit la
première de ces deux raifons, & l’empereur Léon
la fécondé.
Godolias, gouverneur de Judée pour Nabucho-
donofor , qui venoit de la conquérir, mit fes
foins a engager les Juifs quil’avoient abandonnée
a y revenir cultiver leurs terres, que Godolias
leur rendit, fans les foumettre à autre charge qu’à
payer un petit tribut au roi de Babylone.
On peut voir dans l’hiftoire Romaine de Tite-
L iv e , quelle fut l’attention des Romains à faire
revenir dans leurs maifons, pour cultiver les
champs , non-feulement les Plaifantins & les Cré-
monnois qui les avoient abandonnés, à caufe de
la guerre d’Annibal, mais encore les Siciliens nouvellement
conquis par Rome, qui avoit befoin que
la Sicile fe cultivât, afin d’en tirer les grains pour
la guerre d’Italie. Les confuls Sextus Eliu$ Petus ,
Marcus Marcellus, & Scipion l’Africain , furent
ceux qui s’y appliquèrent davantage.
Une des menaces <3ue Dieu faifoit à ceux qui
ne gardoient pas fa lo i, « etoit de réduire leurs
villes en une folitude, & de rendre leur terre
déferte ». Ceux que votre rigueur a obligé d’abandonner
leurs maifons , & que vous avez ainfi
réduits a la misere , augmenteront par néceffité le
nombre de vos ennemis ; je l’ai déjà prouvé. Au
contraire , ceux q u i, par un effet de la douceur &
du bon traitement dont vous avez ufé envers eux
les confervent, fe croiront obligés par reconnoil-
fance à bien fervir votre prince.
Timoléon, après avoir chaffé de Sicile les tyrans
qui s’étoient rendus les maîtres de cette île , ne
s appliqua p]us qu’à faire retourner les citoyens
dans leurs maifons, que la guerre leur avoit fait
abandonner. Julques de l’A fie il rappella les exilés
pour venir peupler la Sicile, dont les habitants ne
furent pas moins fenfibies à ce fécond bienfait,
qu’ils firent paroître de reconnoiffance pour avoir
été délivrés du joug de ces princes injuftes &.
cruels.
En traitant des révoltes, je fais voir qu’il eft d s
m