
T o u t cela étant fu p p o fé , je dirai d’abord ce
qui me paroît être certain touchant l'origine de
ce t étendard.
Il me paroît certain que cet étendard n’eft point
l ’oriflamme ou la bannière de faint D en is , qui mar-
choit à la tête des armées françoifes depuis Louis-
le -G ro s jufqu’au temps de Louis X I . V o ic i mes
yàiîbns. . •
i ° . O n m’ a afluré que cet étendard qui fe confier
v e dans la maifon d’Harcourt, eft de toile de
c o to n , & l’oriflamme que nos rois faifoient porter
dans les armées, étoit de cendal ou de fâmit, c’eft-
à-dire , de foie.
f ) e cendal roujoyant & (impie, -
D it Guillaume Guijirt qui l’avoit v li : d'un vermeil
fa,.'lit, dit la chronique de Flandre.
a ° . ô î t étendard eft quarré & non fen d u , &
l’ancienne oriflamme étoit fendue par en bas : il
étoit en guile de gonfanon à trois queue s, dit
suffi la chronique de Flandre : il étoit fendu par
Je milieu en façon de gonfanon. C ’eft ainft qu’il
en eft encore parlé dans l’inventaire du tréfor de
Saint-Denis, fait par des commiflaires de la chambre
des comptes en l’an 1534.
3°\ L ’étendard d e la maifon d’Harcourt eft fait
de manière qu’il devoit être attaché à côté d’une
lance comme nos guidons d’aujourd’hui , parce
qu’au côté droit il n’y a point de frange comme il y
en a aux trois autres côtés : au lieu que l’ancienne
oriflamme étoit comme nos bannières de par-oifle ,
attachée au haut d’une lance par le milieu , ainft
que le labarum des Romains. C ’eft ce qui paroît
confiant par le témoignage de Guillaume-le-Breton
dans fon hiftoire en vers de Philippe Augufte.
4°. L ’étendard d’Harcourt eft rempli de diverfes
figures , d’une couronne & de flammes, au lieu
que l’ancienne oriflamme étoit toute rouge & fans
figures.
50. L ’ancienne oriflamme ne demeuroit pas dans
la famille du porte-oriflamme ; elle étoit rapportée
à Saint-Denis en cérémonie ; &. il falloit bien qu’on
l’y rapportât, puifque les rois à chaque expédition
militaire l’alloient prendre dans cette abbaye*
Elle ne demeuroit donc pas dans la famille de celui
que le roi avoit fait porte-oriflamme.
Il s’enfuit de tout ceci que l’étendard de Harcourt
n’eft point l’ancienne oriflamme. V o ic i maintenant
ma conjeélure fur cet étendard.
L e feigneur de Villiers quand il fut fait porte-
oriflamme , a v o it , comme plufteurs feigneurs , une
compagnie de gendarmes : c a r , dès le temps du
roi Charles V , quoiqu’alors lés armées fuflent pour
la plus grande partie compofées de troupes amenées
par les vaflaux » il y avoit plufteurs compagnies
de gendarmerie diftinguées de ces autres
troupes & elles étoient levées par des commif-
ftons particulières de ce prince , comme on le voit
par fon ordonnance de l’an 1373 , rapportée par
Jlebuffe, §c dans quelques autres compilations des
ordonnances de nos rois. Je penfe donc que le
j feigneur de Villiers fit faire pour fa compagnie de
j gendarmes, une nouvelle bannière à la place de
celle fous laquelle il conduifoit fes vaflaux à l’ar-s
mée , & qu’il y mit les dévifes ou marques d’honneur
que l’on avoit dans l’étendard d’Harcourt »
fiiivant la coutume de ce temps-là. Celles qui
font dans cet étendard paroiflent faire allufion à
fa charge de porte-oriflamme par les flammes qui y
font repréfentées , & par la couleur rouge de la
couronne ; &, il prétendit faire connoître que depuis
que le prince l’avoit honoré de la dignité de
porte-oriflamme , il avoit toujours foutenu les intérêts
de la couronne avec zèle & avec valeur.
Comme du temps de Henri III & de Charles
IX , la critique fur les anciens monuments n’étoit
pas fi fort à la mode que de notre temps, les
feigneurs de Beuvron fçachant que cet étendard
avoit été dans la maifon de Villiers porte - oriflamme,
& qu’il avoit pafle dans la leur , jugèrent
fur les convenances , que c’étoit l’ancienne oriflamme
, & fur ce fondement ils préfentèrent aux
rois Charles IX & Henri I I I , les requêtes- dont
j’ai fait mention. C ’eft là, ce me femble , ce qui
peut fe dire de plus vraifemblable touchant l’origine
de l’étendard de la maifon d’Harcourt, qui d’ailleurs
eft un très beau & très noble monument.
De l'étendard royal.
Il y a eu de tout temps un étendard royal dans
les armées de France , au moins lorfque le roi y
étoit en perfonne. J’ai déjà fait mention de çèlui
de Charles-le-Simple , fous la fécondé race de
celui de Philippe-Augufte , à la bataille de Bouvines,
parfemé de fleurs-de-lys. Les hiftoires du
règne de Charles V I & de Charles VII parlent
en divers endroits de Yenfeigne royal, de l’étendard
royal. Enfin fous les règnes de Henri III &
de Henri IV , il eft-fait plufteurs fois mention de
la cornette blanche, comme de l’étendard royal,
ou du moins qui étoit le premier étendard de
l’armée.
On voit par nos hiftoires que l’étendard royal
ne fut pas toujours de même couleur. L ’étendard
royal de Philippe Augufte, que Galon de Mon-
tigni porta à la bataille de Bouvines, étoit de couleur
bleue, femé de fleurs-de-lys d’or. C’eft *ini;
qu’en parle Guillaume Guiart.
Galon de Montigni porta ,
Ou la chronique faux m’enfeigne
D e fin azur luifant enfeigne ,
A fleur-de-lÿs d’or aornée :
Près du roi fut cette journée,
A l’endroit du riche eftendart.
Dès le temps de Charles V I , & longtemps
auparavant, l’étendard royal avoit la croix blanche ;
mais on ne marque point quelle étoit la couleur
du fond. « Eft à avertir, dit Juvenal des Urfins,
j dans l’hiftoire de ce prince ? que toutes les chofçs
fe faifoient au nom du roi : mais ils laifsèrent la
croix droite blanche, qui efl la vraie enfeigne du
roi, & prirent la croix de Saint-André ôc la devife
du duc de Bourgogne ».'
t Monftrelet, dans l’endroit que j’ai déjà c i té ,
en parlant des écharpes, ajoute que la croix blanche
étoit non-feulement Yenfeigne de Charles V I , mais
encore celle de fes prédéceffeurs.
C ’étoit encore la même manière du temps de
Charles V i l pour la croix blanche : le héraut de
B e r r i, dans l’hiftoire chronologique de ce p r in c e,
parlant du fiège de .B a yo n n e , raconte un fait affez
Singulier, qui eft la preuve de ce que je dis. « Un
jo u r , dit i l , peu après le foleil le v an t , que le jour
eftoit bëau &. clair & faifoit fort beau temps, fe
démonftra & fut veue au ciel par ceux qui tenoient
ledit fiège, ( c ’eft-à-dire, par les François qui affié-
geoient la p la c e ) , par les habitants de ladite cité,
& par touts ceux généralement qui la voulurent
v o i r , une croix blanche paroiffant être droite-
nient pofée fur ladite c i t é , & c e , durant Pefpace
de demi-heure:: & lors les habitants d’icelle oftèrent
leurs bannières & pennons à croix rouges, difant
qu’il plaifoit à D ieu qu ils fujfent François, & por-
tajfent la,croix .blanche ; & ils fe rendirent ».
Cependant le même prince, félon le même auteur
, faifant fon entrée à Rouen , avoit fon étendard
ro y a l de fatin cramoiji; & , félon un autre
exemplaire, de fatin noir , femé de foleils d'or. Il
n’eft point là mention de croix blanche. Mais il
fe pourroit faire que l’hiftorien fe fût contenté
de marquer la couleur du fond de l’étendard, fans
exclure pour cela la croix blanche. Et je crois
que la chofe eft ainft : tant il eft confiant par nos
anciens hiftoriens , que de tout temps la nation
a toujours affeélé la couleur blanche dans fes étendards
, comme une couleur diftinélive, & qu’elle
regardoit comme lui étant propre & particulière.
Encore du temps de Louis XII & de François I
l 'enfeigne de nos armées étoit la croix b lan che,
ainft que l ’affure le préfident Chaflané , qui v iv o it
fous les règnes de ces princes. Q u o i qu’il en foit,
il paroît par tout ce que je viens de d ire , que
l’étendard ro ya l n’a pas toujours eu ni la même
couleur pour le fon d, ni les mêmes ornements
ou devifes ; mais il faut dire ici quelque chofe en
particulier fur la cornette blanche, dont il eft fort
parlé dans les hiftoires de Henri III & de H enri I V ,
& qu’on ne porte plus aujourd’hui dans nos armées.
A la v é r ité , il y en a encore une à laquelle on
donne ce nom dans le . corps de la cavalerie légère
: mais je le dirai, ce n’eft point celle dont
jl s’agit. De la cornette blanche.
Durant les guerres civiles de religion fous les
règnes de Charles I X , de Henri IV , il ne fe donna
guères de bataille oh il ne foit parlé de la cornette
blanche. I l en eft fait mention à la bataille de
Jarnac, dans la v ie de Louis de B ou rb on , premier
duc de Montpenfier fous le règne de Charles
IX . L e Marquis de Brezé la portoit à la bataille
de C ou tra s, l’an 1 5 8 7 , dans l’armée de la lig u e ,
commandée par le duc de Joyeufe. M. de l’Epinai
la. portoit un peu avant la journée d’A rq u e s , en
1 5 8 9 , dans l’armée de Henri IV . M. de R o d e s ,
à la bataille d’Y v r i , portoit la cornette blanche
dans l’armée du même prince, en 1590. Et M. de
Cicogne , dans celle des ligueurs, commandée par
le duc de Mayenne. Q n voit encore la cornette
b lan che, la même année , dans l’armée de Henri
I V , à la lev ée du. fiège dé Paris , & à la journée
de C r a o n , en 1 5 9 2 , dans l’armée des princes de
Conti & de Montpenfier, qui furent défaits par
le duc de M ercoe u r, ch ef de la ligue en Bretagne.
Enfin on la trouve encore fous Louis X I I I , ainft
que je le dirai dans la fuite.
11 eft donc queftion de fçavoir ce qup c’étoit
qüe cette cornette b lan che, qui n ’eft plus- dans
nos armées ; quelles étoient les fondions de celui
qui la po rtoit, &. qui étoient ceux qui fe ran-
geoient fous cette cornette.
A v an t que de dire ce que c’étoit, je dirai ce
que ce n’étoit pas. Bien des g en s, & fu r -tou t des
gens d’armée , s’imaginent que cette cornette
blanche n’étoit point autre que la cornette de la
première compagnie du régiment colonel g én é ral,
à laquelle on donne encore en effet aujourd’hui
le nom de cornette blanche. Ils font confirmés dans
cette pen fée, par ce qui eft rapporté dans le premier
tome des mémoires de Bufly-Rabutin, d’une
conteftation qu’il y eut du temps de Henri I V ,
pour le commandement & la préféance entre M. du
T e r r a il, lieutenant colonel de la cavalerie lég è re ,
& M. de la C u ré e , lieutenant de la compagnie
des chevaux-légers du roi. M. du T e r r a il, pour
appuyer fa prétention, difoit « que la véritable
compagnie du roi étoit celle du colonel général
de la cavalerie légère : qu’une marque de cela étoit
la cornette blanche qu’elle a v o i t , laquelle donnoit
le rang à toutes les autres cornettes ».
Il eft vrai que cette cornette eft la première
de toutes les cornettes de la cavalerie légère. L ’officier
qui la p o r te , -précède touts les autres cornettes
, & a rang de dernier capitaine de cavalerie.
Sa charge eft regardée comme une charge
confidérable, & eft toujours exercée par un homme
de condition. Il y avoit autrefois parmi les jeunes
gens de qualité beaucoup d’empreflement pour
l’avoir : mais depuis que la dernière guerre du
règne de Lou is-le -G rand, & celles qui l’avoient
précédée , eurent donné lieu à la création de plufteurs
régiments, beaucoup ont préféré le titre
de colonel ou de meftre-de-camp , à celui de
cornette blanche. Je dois donc montrer que cette
cornette blanche de caval«rie lég è re , n’eft nullement
celle dont nous cherchons ici l’o r ig in e , ôc
je le prouve ainft.
Premièrement : Augufte G a lan d , qui a écrit fous
le règne de Louis X I I I , fon livre des anciennes