
lequel on veut travailler, il eft bon de queftionner
les ouvriers du pays. 11 s’en rencontre toujours
quelques-uns a qui le bon fens & l ’ulage continuel
ou ils font de travailler dans un même endroit, ont
fait taire des remarques. & des réflexions dont il eft ,
bon qu’on foit prévenu : fouvent ces gens - là
donnent plus de connoiffance dans un quart-
d’heure, qu’on n’enpourroit acquérir par de longues
de pénibles recherches.
Nous propofant de faire voir la .manière de
fonder fur toutes fortes de terreins, ies différents
moyens qu’on va infinuer, pourront s’appliquer à
la conftruétion des édifices en général ; cependant
, comme nous avons pricipalement en vue les
ouvrages de fortification , on s’attachera plutôt à
donner des exemples qui leur foient applicables
qu’à toute autre efpèce de travaux ; c’eft pourquoi
les deffeins de cette planche repréfentent des
profils de remparts.
Les fondements qui fc font à fec , (fig. 2,97. ) ,
font affis fur le roc, ou fur un bon fond ; quand on
fonde fur le ro c , on établit les aflifes par reffauts ,
s’il faut monter ou defeendre, leur donnant le plus
d’affiette' qu’il eft poffible , & un pouce ou un
pouce & demi de bande du devant au derrière,
afin que la maçonnerie qu’on veut élever fe fou-
tienne parfaitement. Si le roc eft trop uni"tk. qu’on
appréhende que la maçonnerie ne faffe pas de bons
harpements , on le pique à coup de marteau têtu,
6c après avoir bien nettoyé lés décombres, on
l ’affeoit en bain de bon mortier, & on l’encaftre
de quelques pouces; fi le roc fur lequel on veut
fonder eft difpofé de manière que fa hauteur
puiffe faire partie du mur, on lui endoffe la maçonnerie
, & on y fait des égorgements pour que l’un
& l'autre puiffe fe bien lier enfemble. Par exemple,
après avoir creufé les foffés d’une fortereffe, on en
revêtit fon efearpe & fa contrefcarpe, & au lieu
,qu’on auroit donné à la bafç du mur 19 pu 12,
pieds dans tout autre terrein , on fe contente de ne
lui en donner que 4 ou 5, fuivant les reffauts qu’on
a formés, parce qu’alors n’ayant pas de grands remblais
à faire, les revêtements n’ont que peu de
pouffée, & même quelquefois point du tout.
Ces forte? de revêtements , quoiqu’aifés à construire
en apparence, à caufe qu’on n’a rien à appréhender
de la part du fond, rencontrent fouvent
bien des difficultés dans l’exécution, quand il s’agit
d’élever quelque fortereffe au fommet d’un rocher
efearpé, oh l’on ne peut faire quatre toifes d’ouvrage
fans monter ou defeendre, & oh il faut
quelquefois 10 ou 12. profils différents pour exécuter
une feule pièce. Les ingénieurs qui font travailler
dans le Rouffillon & dans les autres endroits
montagneux , feroient fçuls capables de donner
de bonnes inftruéfions pour le conduire dans
de femblables terreins. Je crois même que ce
n’eft guère que fur les lieux qu’on peut s’apper-
pevoir des différentes pratiques dont on fera obligé
de fe Servir, la néceflité , ayec un peu de génie,
fourniffant mille moyens pour Surmonter les obf-
tacles à mefure qu’ils fe présentent.. J’ai toujours
regardé ce chapitre comme le plus difficile de ceux
que j’avois à traiter, puifque, pour le rendre complet
, il m’auroit fallu de bons mémoires, généralement
de touts les ingénieurs en chef qui font dans
nos places ; car il y a cela de fâcheux qu’on ne
peut paffer de l’une à l'autre , fans rencontrer
quelque changement dans la manière de travailler,
ce qui vient de la différence des terreins, ou de
la qualité des matériaux. Mais fi j’avois voulu
embraffer toutes les parties d’un fujet auffi vafte
que celui-ci, & en faire de même pour les autres ,
j’aurois été obligé d’entrer dans un détail immenfe
qui m’auroit engagé (non pas à faire un liv re ) ,
mais une bibliothèque. Il a donc fallu m’en tenir
aux pratiques les plus effentielles, dans l’efpérance
que l’on me feroit grâce de tout ce qui méritoit
moins d’attention.
Quand on eft obligé d’établir des murs fur un
roc fort inégal par fa figure & quelquefois par fa
confiftance, la plus grande difficulté eft de raccorder
à une certaine hauteur les premières aflifes
de maçonnerie qui doivent fervir de fondement 9
& de ies bien lier avec le roc. De touts les moyens
qui font venus à ma connoiffance, & dont on peut
fe fervir en pareil cas , en voici un entr’autres
pour lequel je pencherai beaucoup, & dont on
s’eft bien trouvé dans la conftruéfion de plufieurs
grands ouvrages.
Après avoir établi le terrein de la manière qu’on
le jugera lé plus convenable , & avoir réglé i’épaif-
feur qu’il faudra donner aux fondements, par
rapport à l ’élévation de la muraille , il faut en
border les alignements {fig, 298 6* 199 ) avec des
cloifons de charpente ; en forte qu’elle? compofent
enfemble un coffre dont le bord fupérieur foit
difpofé le plus horizontalement qu’il fe pourra,
car pour le bas , il doit fuivrela figure des reffauts
& des différentes finuofiîés qu’on aura été obligé
de donner au roc. Ayant fait un grand amas de
pierrailles , il faut les corroyer avec du mortier ,
on pourra même , fi le roc eft bon, fe fervir des
décombres qu’on en aura tirés , après avoir réduit
les plus forts quartiers à une groffeur médiocre ,
qui ne doit pas paffer celle du poing. Il faut le lendemain
, ou au plus tard deux jours après qu’on
aura fait plufieurs tas de mortiers , de pierres,
avoir un grand nombre de manoeuvres, dont les
uns rempliront les coffres de ce mortier, tandis
que les autres le battront à mefure que la maçonnerie
s’élèvera , avec des dames du poids de 30
livres, ferrées par le bout. ( Je crois qu’il n’eft pas
befoin de dire qu’elle doit être affife immédiatement
fur le roc ,’ dans lequel elle doit être encaf-
trée de 7 à 8 pouces.) Lorfqu’elle a pris fa confiftance
, & qu’elle eft fuffifamment sèche , on
détache les cloifons pour s’en fervir ailleurs. J’ajou*
terai que quand on eft obligé de faire quelque caf-
cade, pour monter ou deigendre, on foutient la
maçonnerif,
maçonnerie par les côtés avec d’autres cloifons
difpofées en gradins ; ainfi on furmonte le roc
par des fondements auxquels on donne la figure
que l’on veut ; car on doit entendre que j’appelle
ici fondement, la maçonnerie qui fert d’empattement
à celle que l’on veut élever par affife
réglée , quoique cet empattement ne foit point
enterré comme les fondements ordinaires. Je n’en
détermine point la hauteur, qui fera, fi l’on veut , :
de 3 à 4 pieds , plus ou moins , félon la néceflité.
Pour que toutes les parties des fondements foient
bien liées enfemble, & parfaitement unies avec le
roc , il faut remplir les coffre's. fans interruption fur
l'étendue qu’on a jugé à propos d’embraffer, ob-
fervant de faire battre également par-tout, particulièrement
dans le commencement, afin que le
mortier & les pierres s’infinuent dans les égprge-
ments qui fe trouveront figurés dans le roc , foit
par le hafard, ou parce qu’on aura jugé à propos
de les faire exprès, pour rendre la liailon plus parfaite.
Quand le roc eft fort efearpé, on peut, pour ne ’
point faire de remblais derrière les fondements,
fe contenter d’établir une • feule cloifon fur le
devant, pour foutenir la maçonnerie, & remplir
de pierres l’intervalle qui fe trouve depuis là juf-
qu’à l’efcarpement, ce qui rendra l’ouvrage encore
plus folide.
Quand on a établi & bien arrafé à la hauteur
convenable les fondements fur toute l ’étendue ,
ou qu’on a embraffé , on continué à répéter la
même manoeuvre fur le prolongement de l’ouvrage
, obfervant de bien lier la vieille maçonnerie
avec la nouvelle, c’eft *• à - dire ; les pierres
faites depuis quelque temps avec celles qu’on voudra
y ajouter ; pour cela il faudra toujours faire
en harpe les extrémités des fondements qu’on
fçaura devoir être prolongées, jetter.de l’eau deffus,
& bien battre la nouvelle maçonnerie à mefure
qu’elle fera appliquée fur la vieille.
De cette mânière on fera des fondements qui
venant à fe durcir peu-à-peu, ne compoferont
par-tout qu’un feul corps , fi ferme & fi inébranlable
, qu’il ne faut pas appréhender qu’il fe faffe
par la fuite aucun affaiffement ni rupture , foit
qu ils fe trouvent inégalement chargés par le poids
dè la muraille qu’on aura élevée deffus, ou que
certaine partie du terrein, moins folide que l’autre ,
•cède <?u fe détache, comme cela arrive quelquefois.
Quand on eft dans un pays oh ,1a chaux eft
bonne, je fuis perfuadé que de toutesdes maçonneries
, il n’y en a point de plus excellente que
celle que je viens de décrire , & qui foit plus commode
dans une infinité d’occafions ; fouvent l’on
creüfe des-fondements dans un terrein qui fera
ferme en un endroit, & dôuteux_à quelques pas
plus loin , ce qui eft caufe que les murs s’affaiffent
inégalement ; fi les fondements font faits de pierres,
il ne faut pas, appréhender qu’étant d’une certaine
Art militaire. Tome, II,
épaiffeur, il fe faffe jamais quelque rupture, quand
bien même il y âuroit des parties qui porteroient
à' faux. C ’eft ce que Ton ne peut pas atteindre
de la maçonnerie ordinaire, fur-tout quand elle
eft faite de groffes pierres, à caufe que le mortier
s’y attache moins, & eft fujet à taffer plus
en un endroit qu’à l’autre ; auffi Vitruve a - 1 - il
remarqué que la maçonnerie faite avec de petites
pierres , étoit plus indiffoluble que les autres.
M. Perrault, dans le commentaire qu’il a fait de
cet auteur, trouve en plufieurs endroits de fes
notes , que les anciens faifoient fouvent de la
maçonnerie de pierres , non - feulement pour les
fondations épineufes, mais encore dans une infinité
d’occafions, comme on en peut juger par les
monuments qui reftent, oh l’on remarque que
touts les ouvrages faits dans ce goût là , fe font
durcis au point de furpaffer la folidité du marbre.
Car il faut convenir qu’il n’y a point de pierre , fi
dure qu’elle puiffe être , qu’on ne rompe, & dont
on ne tire aifément des éclats, au lieu que d’un
maffif fait de mortier de pierres, on n’en peut fépa-
rer les parties que fucceffivement.
Quand on eft dans un pays oh la pierre dure
eft fort rare , je crois qu’on pourroit. en toute
fureté faire les foubaffements des gros murs avec
une bonne pierre ; la difficulté eft feulement d’avoir
d’excellente chaux ; il eft vrai que la grande
quantité qu’il en faut rend cette maçonnerie fort
chère, mais cela ne doit point en diminuer le
mérite, quand il s’agit d’un ouvrage de confé-
quence. On en voit périr touts les jours pour y
avoir regardé de trop près en les conftruirant, &
quand il faut les réparer, on s’apperçoit trop tard
des inconvénients d’une économie mal entendue.
Cependant, tout bien çonfidéré, la maçonnerie
de pierrpe ne coûtera jamais celle de pierre de
taille ; on pourra feulement trouver à redire que
voulant l’employer pour des foubaffements, ou
pour des fondements découverts, le coup-d’oeil
ne feroit point fatisfait de voir un parement brut
& d’une affez vilaine figure ; mais il eft aifé d’empêcher
cela, en faifant avant la conftruélion deux
efpèces de mortiers , l’un mêlé de pierrailles,
comme celui dont nous venons de parler , &
l’autre de gros gravier. Si l’on étoit dans un pays
oh il y eût deux fortes de chaux, il faudroit em-
ployer la meilleuré pour la compofition de ce
dernier , & la moindre pour celle de l’autre , ÔC
les employer comme il fuit' :
Quand on travaillera fur le ro c , on commencera
à jetter au fond du coffre un lit de mortier
fin, parce qu’il s’y attachera mieux que l’autre ;
enfuite des manoeuvres qui doivent remplir le
coffre, on en choifira un nombre pour porter du
mortier fin, leur recommandant de le jetter contre
le bord intérieur du coffre, j’entends contre le bord
qui foutient le parement, & le refte fera rempli de
mortier de pierrées. Si cela eft bien conduit, le
mortier fin fe liant avec l'autre, formera contre
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