
d'importance des connoiflances relatives aux fcien-
ces Ôc aux arts, nous obligent à les divifer, en
connoiflances indifpenfables au général, en connoiflances
qui lui font prefque néceffaires, ÔC en
connoiflances utiles.
Dans la première clafle nous avons rangé la
fcience militaire ; on verra dans quels livres le
général peut l’apprendre ; comment il doit l’étudier,
& à quelles branches de cet arbre.immenfe
il doit s’attacher de préférence. L’hiftoire fuivra
immédiatement j la géographie ôc les ordonnances
militaires termineront cette première fubdivifion.
Parmi les connoiflances prefque néceffaires pa-
roîtront d’abord les langues étrangères ; le droit
des gens ; le droit civil ; la morale Ôc la politique
le montreront enfuite. Nous verrons jufqu’à quel
point le général doit avoir approfondi ces fciences,
6c dans quels livres il doit les étudier. Enfin, les
parties des mathématiques néceflaires aux généraux
le préfenteront., & après elles , viendront les con-
■ noiffances utiles.
Le delfin occupera la première place. Nous tâcherons
enfuite de faire fentir qu’il importe au
général de parler ôc d’écrire purement fa langue.
Ne devons-nous pas lui dire auffi quels font les
effets d'une éloquence mâle , & jetter enfin un
coup - d’oeil rapide fur le refie des connoiflances
qui ne doivent pas être étrangères au commandant
en chef.
Cette première divifion parcourue , nous pallierons
à la fécondé ; elle comprendra toutes les
qualités dont le général doit être orné. Ici fe préfenteront
deux branches ; l’une nous offrira les
qualités phyfiques , l’autre les qualités morales.
Après nous être arrêtés un inftant à conlidérer
les qualités phyfiques propres au général , nous ;
nous occuperons des qualités morales. Nous en '
trouverons beaucoup d’indifpenfables ; plufieurs 1
prefque néceffaires, & fort peu qui ne foient lim- j
plement utiles. Combien même ne ferait - il pas
heureux que les généraux les regardaffent toutes
comme indifpenfables.
Mais parmi les qualités morales indifpenfables
au général y quelle eft celle qui fe préfentera la
première à nos regards ? Ce fera l’amour de la
patrie ; cette vertu énergique à qui la fage antiquité
dût fes hommes les plus illuftres ! Quels
effets heureux ne produit-elle pas ? Rien ne peut
la remplacer dans l’ame du commandant en chef.
Nous ne nous arrêterons pas à recommander à des
François l’amour de leurs fouverains; nous nous
hâterons de parler de l’honneur & de fixer le
point de vue fous lequel le chef d’une armée doit
l’envifager. A l’honneur fuccéderont le défir de
l ’immortalité , l’amour de la gloire , l’ambition des
récompenfes ôc des grades. Nous verrons la religion
, ce garant affuré de toutes les vertus , animer
oc fou tenir le général. Nous parlerons enfuite de la
bravoure. L e courage deviendra fucceflivement à
nos yeux > confiance, fermeté , patience 6c réfo-
| lution, &c. Nous conlidérerons le général après une
viéloire ôc après une défaite ; nous le fuivrons dans
la difgrace 6c dans les fers des ennemis : toujours
le chef courageux, infenfible aux cris de l’envie,
aux fureurs de la jaloufie , accueillera l’augufte
vérité, éloignera de lui la baffe flatterie, fçaura
vaincre le doux fentiment de l’amitié, 6c même
impofer lilence à la voix de la nature y lorfque
l'on devoir le lui commandera.
Nous examinerons enfuite l’influence de la justice
fur la conduite du général ; cet examen nous
conduira à nous occuper de l’emploi que le chef
d’une armée doit faire de Ion crédit auprès de fon
fouverain ; 6c du compte qu’il doit rendre des actions
de fes fubordonnés. Ne devons - nous pas
faire connoître auffi le pouvoir des exemples que
1 z général donne : cet objet ne nous ménera-t-il pas
naturellement aux vertus dont le commandant en
chef doit lur-tout fournir le modèle à fes troupes.
Ici nous parlerons de l’obéiffance, de l’aélivité 6t
de la prudence. Nous ne chercherons pas à faire
reloge de ces dernières vertus; mais nous dirons
combien le peu de vigilance , une extrême confiance
en foi - même ; combien l’indifcrétion , la
colère 6c le manque de prévoyance, ces vices qui
caraélérifënt les hommes imprudents, ont des fuites
funelles à la gloire 6c à l’honneur du commandant
en chef. Les généraux font convaincus qu’ils doivent
fe mettre à l’abri des inculpations odieufes
de rapine 6c de concuflion. Nous nous bornerons
donc à leur recommander le défin.téreffement
comme la perfeélion de la probité ; ils verront
combien la bienfaifance ÔC la libéralité contribuent
à étendre leur gloire 6c à leur gagner l’amour du
foldat. Nous leur recommanderons néanmoins une
fage économie comme le moyen de n’être pas
obligés y pour réparer leur fortune , de recourir à
l’avarice ou à des voies plus honteufes encore.
Nous ne ferons que nommer la fidélité à fa parole,
la bonne foi ôc la franchife ; de pareilles vertus ne
doivent qu’être indiquées à des militaires.
Sous cette divifion , comme fous toutes les
autres, nous montrerons les fuites des vices op-
pofés aux vertus dont nous aurons occafion de
parler, ôc nous dirons aufli quelles vertus fecon-
daires découlent de celles dont nous hous. ferons
principalement occupés.
Après avoir épuifé les qualités indifpenfables au
général, nous pafferons à celles qui lui font prefque
néceffaires. Nous réfervons la première place à la
tendre humanité ; perfonne ne trouvera plus fou-
vent que le chef d’une armée l’occafion de la
montrer dans fon jour le plus beau 6c le plus
heureux. La tempérance, la frugalité ; en un mot,
les moeurs, les goûts du général fixeront enfuite
nos regards : là nous nous convraincrons que le
chef , efclave de fes paflions, fe- déshonore quelquefois
, manque fouvent l’occafion d’acquérir de
la gloire » 6c au moins efl toujours expofé à perdre
une
G Ê
lifte grande partie de la confidératiôfl dué a là
place qu’il occupe.
La modeftie, cette vertu des grands hommes,
fe montrera bientôt ; elle empechera le général de
s ’enorgueillir de fes avantages. Avec quel éclat ne
paraîtra-t-elle pas à côté^de la hauteur 6c de 1 arrogance
, ces vices des petits efprits 6c des âmes
rétrécies. Enfin, la politeffe, 1 affabilité , légalité
d’humeur, rendront le général l’idole de fon armée,
6c feront les derniers traits du tableau que nous
nous proposons d’offrir.
Mais quel plan immenfe ne viens-je pas de tracer?
Oierai-je entreprendre de I’é^xécater ? Oferai-je
dire aux généraux d’armée ce qu’ils doivent etre Ôc
ce qu’ils doivent lçavoir ? C ’efl àvousfeuls, héros
de touts les fiècles ; c’efl: à vous guerriers illuftres
qu’il appartient feulement d’enfeigner l’art de commander
ôc. de vaincre ; c’eft vous, génies immortels
qui guiderez dans la carrière que vous avez fournie
avec tant de gloire , ceux qui voudront y marcher
après vous. Notre tâche ne confifte qu’a mettre
yos exemples en leçons, qu’à ranger fous le nom
de chacune des vertus qui vous ont rendus célèbres
, les exemples frappants que vous en avez
donnés.
Vos noms illuftres , votre gloire éclatante ne
peuvent être ternis par une erreur paffagère ; nous
dironsjMdonc encore vos fautes fi vous en avez
commis; elles feront pour nous des leçons aufli
«nftruélives que vos hauts faits ; fans nous décourager
elles diminueront notre amour - propre 3 6c
nous corrigeront d’autant plus furement quelles
Ijous frapperont davantage.
Nous ne parlerons ’pas des généraux vivants ,
fies grands hommes qui par leurs talents 6c leurs
tyertus ont ajouté à la gloire du nom François ,
tjft attribueroit à la flatterie ce que la juftice nous
diéleroit. D ’ailleurs , quand nous parleront d’un
fait d’armés femblable à ceux qui les ont rendus
célèbres, ou d’une vertu cfu’ils ont montrée dans
tout fon éclat , on fuppléera aifément à ce que
tious aurions pu dire ; leurs allions font en quelque
forte fous les yeux de la patrie, 6c les guerriers
qui ont eu le bonheur de fervir fous leurs ordres
les rappellent chaque jour aux jeunes militaires ;
notre filence ne peut donc qu’accroître leur gloire ;
X hiftoire confignera dans fes faftes , que leurs contemporains
craignant de déplaire à ces hommes
ÜJpftres, n’ofèrent les louer.
Des connoijfances en général.
Quoique beafffcoup de militaires conviennent
fiepuis longtemps que l’art de la guerre a comme
touts les autres fes principes ôc fes règles ; quoique
i ’hiftoire des nations démontre à chaque page que
la viéloire fe laifle plutôt enchaîner par un général
habile que par des foldats nombreux, le peuple
des guerriers , ÔC quelques perfonnages remarquables
par les places élevées qu’ils occupent 9
/lrtt militaire, Tome IL*
tlôieft’t êfifôFë tju'on peut commander les armées
avec gloire fans s’être livré à des études longues
6c confiantes , ôc que pour obtenir des fuccès il
fuffit d’être né général. De touts les préjugés celui-
là eft un des plus funeftes ; à fa fuite marchent
une foule de vices , ôc feul il pourroit, par les
défaftres qu’il entraîne après lu i, précipiter la chût©
d’un état. Si ce préjuge étoit aufli général parmi
nous qu’il l’étoit jadis , s’il étoit aufli fortement
enraciné qu’il eft dangereux, nous n’oferions l’abattre
; mais comme l’expérience l’a ébranlé ,
comme les lumières de notre fiècle ont préparé
fa chute, nous efpérons que de légers efforts fulfi-
ront à fa deftruélion.
On a v u , dit-on , des généraux enfants & des
généraux ignorants remporter des viéloires : cela
eft vrai ;mais ces généraux ignorants n’avoisnt-iîs
pas en tête des généraux plus ineptes qu’eux ? Ces
généraux ignorants n’ont-ils pas eu une fois la fageffe
d’adopter un bon avis , 6c touts les généraux enfants
qu’on pourroit nous citer pour exemples, n’ont-
ils pas été des princes qui , pourvus d’un bon
confeil, ôc aidés par des hommes que le travail
avoit formés, recueilloient le mérite des a étions
exécutées par d’autres mains ? Sous Augufte, par
exemple, Agrippa fut- il regardé comme le vainqueur
d’Aéiium ? Et dans des fiècles plus voifins du nôtre .
ne voyons-nous pas la multitude ne remonter jamais
au premier reffort, ôc attribuer toujours la
gloire où elle voit la puiffance ? C’eft ainfi qu’on
attribua au génie de Charles XlVles viéioires que
les Suédois remportèrent fous le règne de ce prince ;
tandis qu’en foulevant le voile au travers duquel les-
hiftoriens nous ont montré ce roi célèbre , on voit
que la difpofition ôc la conduite de fes batailles
étoient toujours confiées au comte de Léwenhaupt .
6c que le roi ne réfervoit pour lui-même que le
foin de charger l’ennemi à la tête de fa cavalerie.
On découvre que le fameux débarquement devant
Copenhague fut proj etté par le général Stuard ;
que l’attaque des retranchements ennemis à Narva,
fut l’ouvrage de Gundwihfque le général Altendorff
conçut l’idée du paffage de la Duna , 6c mit au jour
le ftratagême fameux qui le rendit facile : on voit
que le roi de Suède dut touts fes fuccès aux gêné*
raux qui avoient fervi fous Charles XI ; comme
Alexandre, dut ceux qui l’ont immortalifé aux généraux
formés par Phiiippes : on découvre enfin que
la campagne de 1718 , qui fut entièrement rédigée
par ce prince , ne fut point comparable à fes pre»
mières entreprifes, & qu’elle coûta la vie à fon
auteur.
Mais le grand Condé, dirart-on peut-être, ne
naquit-il pas ce que les autres deviennent ? Non.
Le prince de Condé eft , au contraire , un exemple
frappant du pouvoir de l’étude 6c du travail. En-
le prouvant, je croîs placer un nouveau lauriee
fur la tête de ce héros.
Le duc d’Enguien remporta à vingt-deux ans une
yiéloire célèbre ; il vainquit Mélos 6c Fuentès ;