
Gobrias fut envoy é pour appeller le roi à la dé-
fenfe de fon pays, ou le fommer de fe rendre. Il fit
répondre, que les fiens fe préparoient au combat,
& que, fi les Perfes le defiroient, ils pouvoient
reparoître dans trente jours.
Cyrus fit donc retirer fes troupes, & envoya
Gobrias folliciter le mécontent dont ils s’étoient
entretenus. Mais, afin d’en retirer de plus grands
fcrvices , il voulut que la négociation 8c la défection
reftaffent fecrettes ; que pour mieux^diflimuler
Gadatas (c ’étoit le nom du mécontent ) convint
que les Perfes attaqueroient les châteaux & en
prendroient un. Lui-même devoit prendre quelques
Perfes ou ceux qu’on fuppoferoit envoyés aux
Saques 8c aux Hyrcaniens, ennemis du roi d’Afly-
rie ; ces captifs dévoient dire que le projet de
Cyrus étoit de former une entreprife fur le fort
élevé pour contenir ces deux peuples , 8c Gadatas
fe hâte d’aller lui-même en inftruire le gouverneur
, & le fecourir avec fes troupes-. 11 étoit
vraifemblable que celui-ci le recevroit en le priant
inftamment de ne le quitter qu’après la retraite de
l’armée ennemie. Alors Cyrus devoit paroître
devant le fort , Gadatas s’en emparer 8c le lui
remettre.
Ce projet fut exécuté. Dès que le général Perfe
fut maître du fort, il en confia la garde aux Hirca-
niens, aux Saques , 8c aux Cadufiens qui avoient
le plus d’intérêt à fa confervation, parce qu’il leur
feryoit de rempart contre les Afiyriens. Cette
efpèce de bienfait lui attira toute leur bienveillance.
Les Cadufiens fournirent vingt mille pel-
taftes, & quatre mille chevaux ; les Saques , dix
mille archers à pied, 8c deux mille à eheval ; les
Hircaniens augmentèrent leur infanterie autant
qu’ils le purent, & leur cavalerie jufqu’à deux
mille hommes. Plufieurs Afiyriens voifins du fort
commencèrent à redouter ces nouveaux alliés de
Cyrus, les uns lui amenèrent des chevaux, d’autres
lui apportèrent des armes.
Gadatas apprit que le roi de Babylone, informé
de fa défeélion , ne refpiroit que la vengeance,
8c fe préparoit à ravager fes poffeffions. Il pria
Cyrus de permettre qu’il allât défendre fes forte-
reffes, regardant le relie comme ayant moins de
valeur. Le Perfe lui demanda en combien de jours
il y arriveroit. Il lui répondit que ce feroit le troisième
jour ; mais que l’armée des Perfes étant
devenue nombreufe, ne pou voit s’y rendre qu’en
Six ou Sept jours. Cyrus lui recommanda la célérité
, 8c lui promit toute celle qui feroit en fa
puiflance.
Il affembla les principaux chefs de fes alliés,
leur repréfenta l’importance du fervice que Gadatas
venoit de leur rendre, le danger qui le mena-
-çoit, & la volonté vraifemblable dans le roi d’Af-
fyrie de le punir du dernier fupplice. Si nous voulons
des amis, ajouta-t-il, fürpajfons nos amis en
' bienfaits, & nos ennemis en dommages. Ils confen-
iirent touts à fecourir Gadatas,
Laiffant donc à fes bagages ceux qu’il jugea les
plus capables de marcher avec eux 8c de les
écarter, il prit, l’élite de fes troupes 8c des vivres
pour trois jours , difant que plus iis feroient légers
& chétifs, plus leurs repas feroient agréables 8c
leur fommeil tranquille. Ceux qui étoient armés
de cuiraffes eurent la tête, de la colonne, parce
qu étant la troupe la plus pefante, le refie pouvoit
fuivre plus facilement que dans les marches de
nuit; il efl difficile que les colonnes ne s’ouvrent
pas, quand les troupes légères font à la tête, 8c
que les'premières, mifes en bataille, fe voyant
feules, s’enfuient. Le refie de l’armée fuivit dans
cet ordre,. Artabaze conduifoit les Peltafles 8c
archers Perfes ; Andramias, l’infanterie Mède ;
Embatas, l’Arménienne ; Artacas, les Hyrcaniens ;
Thambradas, l’infanterie Saque ; Damatas , les
Cadufiens ; chaque Taxiarque , à la tête de fa
compagnie , ayant les Peltafles à droite, les archers
à gauche ; difpofition la plus favorable à l’ufage
de leurs armes. Enfuite venoient les bagages ,
fuivis de la cavalerie. Celle-ci marchoit dans le
même ordre que l’infanterie, en compagnie dif-
tinéles, chacune ayant fon chef à la tête. Madatas
conduifoit la cavalerie Perfe ; Rambacas, la Mède ;
Tigrane , l’Arménienne ; enfuite marchoit la Saque,
8c la Cadufienne formoit l’arrière-garde, commandée
par Alcune. Celui-ci eut ordre de veiller à
ceux qui refloient en arrière, 8c de ne permettre à
qui que ce foit de fuivre fa troupe. Il fut prefcrit
aux chefs 8c recommandé à touts les hommes fages
dp faire obferver le filence, parce que, pour enten
d re 8c agir de nuit, on efl obligé d’employer
les oreilles beaucoup plus que les y eu x , 8c que le
défordre efl plus dangereux 8c plus difficile à
réparer. Il fut aulfi ordonné que lorfqu’on devroit
marcher de nuit, le temps des gardes fût court, 8c
les pofles relevés fréquemment, de crainte que des
veilles trop longues ne nuififfent à la marche, en y
rendant moins propres 8c moins agiles ceux qui
les auroient éprouvées. Le fignal prefcrit fut celui
de la corne ; le rendez-vous, le chemin de Babylone,
8c, pour que la colonne ne fe défunît en
aucun point, il fut recommandé que chacun fuivît
de près celui qui le devanceroit.
Cyrus nommoit toujours chaque chef en lui
donnant fes ordres. Il regardoit comme ridicule
qu’un artifan connût touts fes inflruments, qu’un
médecin eût dans la mémoire les noms de touts
les remèdes, 8c 'qu’un général ignorât ceux des
chefs qu’il employoit ; il fentoit qu’en voulant
fendre honneur à l’un d’eux, il étoit plus honnête
de l’appeller par fon nom, & que, lorfqu’ils fça-
voient que le prince les connoiffoit, ils defiroient
bien plus de fe diflinguer à fes yeu x, 8c de s’abf-
tenir de toute aélion répréhenfible.
Le fignal fut donné vers le milieu de la nuit.
Cyrus etoit le premier au rendez-vous avec ceux
qui portoient fes ordres. Il dit à Chryfanté , qui
arriva peu après, de fuivre lentement le chemin 8c
les guides qu’il lui donna. A mafure que chaque
trSupe arrivoit, il la faifoit marcher à fon rang ; fi
quelqu’une tardoit trop , il l’envoyoit avertir.
Lorfque toutes eurent joint, il fit dire à Chryfanté
de marcher plus vite ; 8c remontant le long de la
colonne, il examinoit chaque troupe, louoit celles
qui obiervoient l ’ordre & le filence, réprimandoit
8c faifoit rentrer dans le devoir celles qui s’en
écartoient. Il fit aufli marcher en avant 8c à la vue
de Chryfanté une avant-garde d’infanterie peu
nombreufe, chargée d’écouter 8c de reconnoître.
Lorfque le jour parut, il fit paffer, à la tête de la
colonne, la plus grande partie de l’infanterie Cadufienne
, afin que, fi l’ennemi fe montroit, il pût
lui oppofer toutes fes forces, ou pourfuivre avec
avantage les troupes qui fuiroient devant lui. Le
relie de cette cavalerie fut laiffé à l’infanterie de fa
nation pour la foutenir. Il avoit ainfi, toujours fous
fa main, les troupes qui dévoient combattre de
pied ferme, 8c celles qui dévoient pourfuivre.
Jamais il ne permettoit de changement ni aux dif-
pofitions n f à l’ordre de bataille, 8c il les mainte-
noit en infpeélant tour à tour chaque partie de
l’armée. -
Cependant Gadatas, trahi par un des fiens, qui
efpérant obtenir fes poffeffions, avoit donné avis
de fa marche 8c du nombre de fes troupes, perdit
un de fes forts 8c tomba dans une embufcade. Le
roi d’Afiyrie s’étoit pollé avec beaucoup de chars
8c de cavalerie dans un village où Gadatas devoit
pàffer. Celui-ci ayant envoyé quelques troupes le
reconnoître, le roi fit paroître deux ou trois chars,
avec un petit nombre de cavaliers , qui avoient
ordre de prendre, la fuite. L’avant-garde s’abandonna
fur eux, appellant Gadatas qui les pour-
fuivit lui-même avec ardeur. Lorfque les Afiyriens
le virent au milieu d’eux, ils parurent de toutes
parts. Ses troupes effrayées s’enfuirent. Le traître
qui le fuivoit, lui porta un coup, mais ne le’ bleffa
qu’à l’épaule. Gadatas fuivit les fiens ; 8c, comme
ils étoient fatigués de la route, les Âflyriens les
auroient atteints, fi la vue de Cyrus 6c de fon
armée ne les eût arrêtés. Il les fit charger, pourfuivre
; quelques-uns furent pris. Celui qui avoit
trahi 8c bleffé Gadatas, perdit la vie : le roi d’Af-
fyrie fe retira dans une de fes villes.
Le chef des Cadufiens n’avoit point eu de part
à cette pourfuite. Il voulut fe diflinguer par une
aéfion éclatante, 8c partant à l’infçu du général,
il voulut aller ravager les environs de Babylone.
Le roi fortant de la ville où il s’étoit retiré, furprit
cette cavalerie difperfée, la mit aifément en fuite,
prit plufieurs chevaux, 8c tua le.Cadufien avec un
grand nombre des fiens. Le reftë rejoignit l’armée ,
la plupart bleffés. Cyrus en fit prendre foin, 8c
les vifita lui-même avec une partie de fes homo-
tymes : les hommes vertueux s’unifient volontiers
■ pour être utiles. Il tenta de ranimer le courage
des Cadufiens par des paroles confolantes 8c l’efpé-
rance d’être bientôt vengés. Après leur avoir
enjoint de fe choifir un nouveau chef, ibfe rendit
avec eux au lieu de leur malheureux combat, fit
enfevelir les morts , ravagea la campagne pour
empêcher l’ennemi de s’énorgueillir de fon avantage
, 8c rapporta beaucoup de vivres dans les
terres de Gadatas.
Toujours humain, toujours occupé de diminuer
les maux de la guerre, Cyrus fit propofer au roi de
Baby lone qu’ils permifient l’un 8c l’autre aux habitants
des campagnes de les cultiver en paix. Les
terres dont le produit pouvoit.l’intéreffer, fe bor-
noient à celles de Gadatas, objet peu confidérable
en comparaifon du refte de l’Affyrie. Cette efpèce
de traité paroiffoit donc infiniment plus avantageux
au monarque Babylonien. Mais que de bien
n’aquiert-on pas en fuivant la vertu 8c fervant
l’humanité i II s’attachoit de plus en plus fes alliés,
s’en préparoit d’autres, fe faifoit aimer des A fiy riens
même , s’affuroit les fubfiftances non-feulement
dans les terres de Gadatas, mais dans celles
de Babylone : le dommage que l’on fait ne concilie
que des complices, le bien touts les hommes.
Cyrus' fe préparoit à fortir des terres de fon
allié. Gadatas lui fit apporter de riches préfents,
8c amener beaucoup de chevaux. Le prince reçut
les chevaux pour augmenter fa cavalerie, refufa
l’argent, 8c permit à l’Affyrien alarmé pour fon
pays qui alloit relier expofé aux incurfions, d’y
laiffer des garnifons fuffifantes, de le fuivre avec
ceux de fes fujets qui lui étoient ou fidèles ou
fufpeéls, 8c de les contenir en les obligeant d’amener
avec eux leurs femmes, leurs enfans, leurs
foeurs. Il fe dirigea fur Babylone, 8c Gadatas lui
faifoit connoître les chemins*; ainfi que les camps
les plus abondants en eaux, en grains 8c en fourrages.
Comme il ne venoit pas pour combattre,
il eut foin de ne pas approcher trop près de la
ville. Une armée en pleine marche, apportée d’une
grande -place, obligée de couvrir touts fes équipages
, 8c de mêler par-tout fes meilleures troupes ,
avec les plus foibles, parce qu’elle peut être attaquée
dans touts fes points, doit fe tenir à quelque
diftance. Si elle vient trop près , l’ennemi peut
faire une fortie fubite, en attaquer une partie,
la défaire avant que les autres trop éloignées lui
apportent du fecours, 8c fe retirer fans danger.
Si au contraire elle ne paffe qu’à la diftance. où
elle peut être apperçue, ^étendue qu’elle- occupe
la fait paroître plus confidérable. L ’ennemi ofe
moins contre elle, parce qu’il faut s’éloigner d’avantage
8c que la retraite intimide. S’il entreprend ,
il efl vu de loin 8c ne furprend pas.
Cyrus ayant dépaffé Babylone , fortifioit fans
ceffe fon arrière-garde. De-là continuant fa route
il parvint aux frontières de la Médie, 8c s’empara
de trois châteaux que les Afiyriens y occupoient.
Il envoya enfuite à Cyaxare les préfents qui lui
étoient deftinés, 8c lui fit demander fes ordres.
Cyaxare préféra de laiffer l’armée fur les terres
ennemies , d’autant plus que les troupes deman