
Encore fi en errant fur la manière de punir,'
vous aviez trouvé des moyens d’intéreffer le foldat
a relier attaché à les drapeaux, fi vous aviez lçu
faire oublier le châtiment , fou vent déplacé dans
plufieurs , par la- manière dont vous en auriez
récompènfé quelques-uns, le foldat auroit peut-
être alors pu regarder la défertion' comme un crime ;
mais votre faulfe 6c mauvaife difdpline l’a obligé
de quitter fes drapeaux fans remords , quelquefois
même vous les lui avez fait quitter par point d'honneur
fans aucun motit, pour relier-, dans fon état,
expofé tous les jours à des traitements infuppor-
tables j comment fe roit-il poffible que fouvent
puni avec injuffice , n’ayant aucun elpoir d’être
récompènfé , le foldat François ne foit pas fortement
expofé à fuccomber à- la tentation , on pourront
même dire au befoin qu’il doit avoir fréquemment
de déferter.
Peines qu’on fait fuhir aux troupes pour la défertion.
Nous avançons ' enfin dans l’énumération des
caufes de \o. défertion , mais celles qui nous relient
à faire connoître font d’autant plus pénibles à.décrire
9 qu’elles tiennent toutes à là' manière t^ont
on punit les déferteurs.
Par l’ordonnance du 12 décembre- 1775 , en
commuant la peine de mort des défèrteurs en
celle de la chaîne, qu’on établit alors pour cet
effet, on fembla avoir pris un parti fage & déliré
depuis longtemps j mais l’ordonnance du 12 décembre
( qui contient à peine quelques pages ) ,
afin dêtre -véritablement utile, auroit dû offrir
aux juges militaires un tableau fi exaél des contraventions
& des peines qu’ils eüffem pu choifirfacilement
& fans incertitude à mefure qu’il y a quelque
d é lit, le remède indiqué pour le mal ; combien
cette ordonnance eft éloignée de cette perfeéfion ;
ofons le dire , elle ne diftingue point alfez les
délits & elle inflige des peines trop rrgoureufes ;
elle ne fait aucune divilion alfez précife des fautes ,
par leurs efpèçes , leur genre , leur ob je t, ôc leurs
degrés ; quelle différence cependant par _ leurs
efpèces dans les infractions commifes contre le
contrat d’engagement; eft-ce le’foldat qui a commis
une faute envers le fouverain ? eft-cê le fouverain
ôu fes repréfentants qui en ont commis une envers
le foldat ? Par le genre , y a-t-il quelqué rapport
entre la faute d’un foldat qui déferte après avoir
fini fon congé qu’on lui refùfe , & celui qui
quitte les drapeaux avant d’être arrivé au terme
de fon congé ; entre le foldat qui déferte fatigué"
par les injuftices &' les mauvais traitements de fe^
chefs , & celui qui abandonne un pofte & paffe
chez l’ennemi pour y fervir contre fa patrie. Quelle
différence par leurs objets , les uns attaquent le
fouverain direüement, d’autres l’état lui-même ,
enfin , par leurs degrés, que de nuances à marquer
depuis le murmure j-ufqu’à là réalité , depuis la
faute commife dans le vin , jufqu’à celle commife •
de fang froid, depuis celle que l’ignorance à fait
commettre à un jeune foldat, julqu’à celle que
peut commettre le vétérant ; devriez-vous punir
avec autant de févérité celui que le mauvais
exemple a féduit, ôc celui qui a donné le mauvais,
exemple ?
Mais fi l’on a mal divifé les délits, on a bien plus
mal déterminé les peines. L’ordonnance du 12
décembre n’a pas condamné , il eft vrai, chaque
coupable à relier attaché à la chaîne le même
nombre d’années; mais pourquoi ‘a-t-elle prononcé
d’une manière aufli expreflè ? pourquoi a-t-elle
fi peu diftingue les motifs, les circonftances , l’âge
des coupables, leurs habitudes , leurs caraélères *
que les juges ne peuvent que punir Ôc jamais
examiner ? Pourquoi a-t-elle aboli la formation'
de rejoindre , qui étoit feule capable de faire
revenir une alfez grande quantité de foldat«, par
la raifon qu’ils étoient affurës que l’on fçavoit qu’ils
commençoient à être coupables ; pourquoi le
recrue qui s’eft engagé dans un régiment après
s’être engagé dans un autre qu’il n’avoit jamais
rejoint, eft:il condamné pour lix ans à la chaîne?
Mais s’il n’eft encore qu’un enfant , s’il a été trompé
deux fois au lieu d’une , s’il ignoroit vos loix
barbares, fi les recruteurs féuls qui l’ont ergagé
font coupables. Pourquoi punir de quatre ans de
chaîne le recrue qui aura refté quatre mois fans
joindre le régiment pour lequel il étoit engagé ?
Avez-vous oublié que vous lui avez' ôté la reflource
de là fommation , ôc que probablement il ignoroif
toute la rigueur de la peiné qui l’attendoit ? Pourquoi
, par la même raifon , punir de huit ans de
chaîne le foldat qui outre-paffe fon congé de quatre
mois ; mais pourquoi fur-toüt regarder indifféremment
comme infâme tout homme qui fort de la
chaîne après avoir fubi'fa peine ? Pourquoi adopter
des peines qui font aufli nuifibles, puisqu'elles Séparent
abfolument le foldat de la fociété pendant fa v ie,
ôc qu’il auroit autant valu le mettre à mort que
de le conferver pour faire pitié pendant fon châtiment
& devenir inutile après? Pourquoi enfin-,
quand vous avez fenti quil étoit injufte dé ne pas
laiffer aux coupables les moyens du repentir,
avez-vous fixé à trois jours, Ôc enluite à fix au plus
lè temps de la réflexion, de l'amendement ôc du
retour au régiment ; que font fi peu de jours pour
le repentir ? Eft 7 ce dans les premiers moments
où l’on vient de fe décider à prendre le parti aufli
violent de s’expofer aux peines les plus fortes ?
Eft-ce dans le temps que l’on cherche à s’éloigner
le plus promptement du rilque que l’on court
d’être arrêté , qüe l’on peut réfléchir à fa faute, à
fes fuites, ôc qu’on peut être ramené jufqu?"au defir
de l’expier & de revenir, l’avouer , Ôc en demander’
la grâce ? Quelle différence , fans doute , fi vôuS
aviez laifle aux juges la liberté de prononcer fur
la peine d’un pareil coupable ; dès-lors, bien-.I0i.1t
de vouloir priver pour toujours la patrie d’un,
citoyen qui n’eft coupable que de l’efrèùr d’un
moment ; bien loin de pourfuivre comme ennemi
cet homme qui n’a manqué.qu’une fois à des engagements
qu’il n’a jamais contractés avec liberté ,
ils lui auroient fçu gré de l’envie fincère qu’il
auroit eu de réparer fa faute , fon repentir lui
auroit mérité fa grâce, ôc cette conduite prudente,
fàge ôc pleine d’humanité , auroit empêché, bien
des déferlions , ou ramené bien des déferteurs.
Mais , dites-vous, le François aime naturellement
à déferter ; ôc c’eft pour prévenir la défertion
qu’on la punit fi févèrement, ôc moi je vous le-
de bran de : quelles ont été les fuites de touts vos
arrêts ? quelles ont été les fuites de votre dernière
ordonnance du 12 décembre ? y a-t-il eu moins
de défertion qu’il n’y en avoit auparavant ? Con-
fultez les longues liftes que vous faites imprimer
tputs les%ns ; comparez-les à celles qui reftent des,
temps oîf vos loix étoient moins barbares , votre
difcipline , votre conftitution militaire plus raifon-
nable , vos foldats mieux choifis ; jugez des effets
merveilleux de votre févérité , ôc avouez que la
défertion eft plus commune dans vos troupes qu’elle
ne l’étoit auparavant. Veuillez même y réfléchir
davantage, Ôc vous ferez forcé de convenir que
cette févérité de vos loix a fouvent occafionné la
défertion au lieu de la prévenir ; cette nouvelle
manière de punir les déferteurs , ces boulets que
Vous leur faites traîner, ces chaînes avec lefquelles
vous les retenez, n’ont pas changé les idées delà
nation ; ôc ce nouveau genre de peines , bien loin
de détruire l’idée que le déferteur eft plus à plaindre
que coupable , ne fert qu’à en convaincre davantage
; aufli excitent-ils la compaflion & jamais le
mépris. Il fuffit donc que le déferteur foit reconnu
pour tel ; dès-lors perfonne ne cherchera à le faire
arrêter ; il ne le feroit peut-être pas par fes officier^
, il le feroit encore moins par le peuple des
lieux qu’il traverfe ; il compte plutôt fur la pitié
que fur la haine de fes concitoyens ; il. fçait qu’ils
auront plus de refpeél pour l’humanité que pour
la loi qui la bleffe ; aufli ne prend-il pas la peine
de cacher fon crime ; c’eft au contraire en l’avouant
qu’il eft affuré d’intéreffer. La rnaréchauffée à qui
l ’habitude d’arrêter des criminels & de conduire
des hommes au fupplice , doit avoir ôté une partie
de fa commifération, femble la retrouver pour
les déferteurs , elle les laiffe prefque toujours
échapper quand elle le peut fans rifquer que fon
indulgence foit connue.
Voulez-vous que vos loix foient exécutées,
conformez-les à vos moeurs , fans quoi elles feront
méprifées & éludées, & vous introduirez celui de
tous les abus qui eft le plus contraire à la police
générale, au bon ordre ôc aux moeurs.
L’indulgence des officiers, celle de la rnaréchauffée
& de toute la nation pour les déferteurs , eft fans
doijte connue du foldat, ne doit-elle pas, faire
naître ôc entretenir dans ceux qui font tourmentés
de l’envie de déferter, une efpérance d’échapper
« la loi? Cette efpérance doit augmenter de jour
en jour dans ces malheureux , & doit enfin emporter
la balance fur la crainte de la loi. Au refte-,
le plus grand nombre d’hommes qui lui échappent
n’en font pas moins perdus pour l’état ; la plupart
paffent dans les pays étrangers, ôc plufieurs qui
reftent dans le royaume, y traînent une vie inquiète
ôc.malheur.eufe , qui les rend incapables des autres
emplois de la iociété. On compte depuis le commencement
de ce fiècle plus de cent cinquante
mille déferteurs, ou exécutés , ou mis aux galères,
ou condamnés, par contumace , & prefque tous
perdus pour le royaume , & c’eft ce royaume ,
dans l’intérieur duquel vous trouvez tant de terres
en friche , qui manquent de cultivateurs , tant de
marais à deffécher, dont les chemins font mal faits
ôc ruinent les payfans chargés, de les entretenir ;
c’eft ce royaume , dont les colonies ne font point
peuplées, & qui ne peuvent fe défendre par elles-
mêmes ; c’eft ce royaume que vous privez, dans
; l ’efpace de moins d’un fiècle, de cent cinquante
mille hommes, robuftes , jeunes , braves., Ôc eu.
état de le peupler Ôc de le fervir. En fuppofant
que les deux tiers de ces hommes, que vous avez
perdus., euffent vécu dans le célibat, qu’ils eu-ffent
continué à fervir, ôc qu’ils fuffent morts au fervice ,
ils auroient tenu la place d’autres qui fe lèroient
mariés , ôc le tiers feul de ces malheureux prôferit-s
q u i, vendus ,à leur patrie , y feroient devenus
citoyens, époux & pères, auroit mis cinquante
mille familles de plus dans le royaume , ôc auroit
augmenté , par eux & leurs enfants , le nombre de
vos artifànts, de vos matelots, de vos foldats 6c
de vos payfans.
Arrêtons-nous : il feroit inutile de s’appefantir
davantage fur les caufes , infiniment trop nom-
breufes , qui occafionnent la défertion dans le militaire
François ; fi nous nous femmes permis de les
détailler autant , c’eft qu’une longue expérience-
ôc une réflexion continuelle lur les hommes auxquels
notre état nous a aiïbciés, nous ont convaincus
de ces vérités malheureufes ; mais qu?on
ne nous accufe pas pour cela-de vouloir jouer le
rôle d’un frondeur auquel notre caraéière répugne ,
que l’on dife, au contraire , que croyant la nation,
bonne -, fenfible, humaine , nous avons penfé que-1
lui faire connoître les caufes d’une maladie aufli.
funefte, c’étoit en partie lui en indiquer les remèdes
6c lui infpirer , outre le defir de les connoître touts,
celui* plus néceffaire encore de les mettre en ufage.
Moyens de diminuer le mauvais effet des caufes
quirendent /^ défert ion Jifréquente., & de
détruire quelques-unes de ces caufes elles-
mêmes.
Inconfiance , caprice du coeur humain , caractère ,
efprit national.
Voulez-vous écouter quelques écrivains q u i, ne