
La fectinôe faute regarde M. de Cetînat. Ce
ténéral, qui connoiffoit & la plaine de Piémont,
L ce vafie ceintre des Alpes , depuis Nice juÇ-
qu’au lac de Genève, devoit fçavoir, comme je
l’ai dit ailleurs", que la plaine de Piémont étoit
un centre qui portoit également fur toute cette
circonférence, &. qu’ainli il feroit néceffairement
le plus foible par-tout, dès qu’il fépareroit' Ion
infanterie , comme il le fit par fa difpofition.
Je fçai qu’il craignit, en ne gardant pas avec
de l’infanterie touts les principaux cotés, & meme :
le V a r , que la cavalerie ennemie forr fupérieu/e I
à la fienne, ne pénétrât ou en Provence ou en
Dauphiné , & ne fit de grands défordres dans ces
provinces : mais | il me paroît que cette crainte
étoit mal fondée par deux raifons.
La première eft, que fi cette cavalerie ennemie
avoit paffé les Alpes fans oppolition, il auroft
au moins été bien facile de la détruire à fon retour,
en plaçant à propos de l’infanterie dans les
çolf 6c. les -lieux ferrés où élis auroit voulu paf-
fer.
La féconde eft, qu-’en ce cas-là, M. de Catinat
«’auroit eu qu’à entrer lui-même dans la plaine I
de Piémont avec toutes fes forces, de marcher à i
M. de Savoie, qu’il aurpit vraisemblablement !
trouvé avec fon infanterie à l’entrée de la vallée ;
où il auroit voulu recevoir fa cavalerie à l'on re- j
tour ; •&. par la plus grande fupériorité d’infanterie !
du roi , il auroit aifément détruit celle de M. de <
Savoie. . . ; . ’
Ainfi donc M. de Catinat avoit fait une fort
tnauvaife difpofition ; il avoit fëparé fon infanterie
en trop de corps, qui fe font toujours trouvés
inférieurs à celui que l’ennemi portoit en avant ,
6c dont il mefuroit la force fur.-c-elui qui pou voit
lu}Jît;re oppofé. Il avoit trop éloigné la cavalerie,
pour en pouvoir faire aucun ufage , pas même
faire appréhender à M. de Savoie qu’elle pût faire
une courfe dans la plaine éloignée des lieux où
la cavalerie de ce prince la put troubler dans fon
expédition; de’ manière que M. de Catinat, avec
un corps de troupes plus puiffant du double que
celui de M. de Savoie , ne parût jamais que foible
devant ce prince , qui, pendant toute la campagne
, exécuta tout ce qu’il voulut entreprendre. J
Exemple qui fait connoître qu’une défenfive
par choix doit être mieux dirigée que celle-là ne
fe fût ; & qu’il n’eft jamais prudent à un général
de prendre ce parti fi abfolument, .qu’il s’ôte touts
les moyens de profiter des mouvements hazar-
deux qu’un ennemi, qui veut entreprendre, eft
quelquefois forcé de faire ; 6c que la difpofition
pour la défenfive doit toujours être telle, que l’on
puifie , fi l’on en trouve l’ocçafion favorable, faire
fhanger la conftitution de cette efpèce de guerre,
,;Ejç, j ’fannée 1693 » II parut que le projet de la
campagne étoit d’une puiffante offenfive en Flan-
d’ijne exaâe défenfive en Allemagne 6ç
Un Ifaiie.
On afTembla donc deux grandes armées
Flandres ; le roi fe mit à la tètp de celle.qui marcha
julqu’à Gembjours, 6c M* $e Luxembourg fut
choifi pour commander celle qui. étoit affemblée à
G eury , près de Mops.,
Le projet étoit d’aller avec les deux armées
accabler M. le prince d’Orange 6c tomes les forces
de la ligue, dans le camp de Parck , près de Louvain.
1 outes les niefures pour rendre Cjette grande
entreprife iûre dans fon exécution, avoient précédemment
été très-judicieusement concertées par
M. de Luxembourg, chargé de la princjpale partie
de l’affaire : elle etoit même fur le point d’être
exécutée , lorfque tout-à-coup , par des raifons
1 que tout le monde a fçues , mais qui ne font point
du fujet que je traite , ce projet d’offenfive en
I Flandres tut changé en celui d’une défenfive ; & au
contraire , l’offeniive fut réfolue en Allemagne au
lieu de. la défenfive.
| On ôta à M. de Luxembonrg les meilleures
troupes de Ion armée, auxquelles on fubftitua la
plus chétive infanterie de 1 armée du ro i, & l’on
' forma des troupes ôtées à M. de Luxembourg &
de l’armée du ro i, une armée qui marcha en Allemagne
fous le commandement de M. le dauphin.
Ce changement imprévu, & fans aucune bonne
raifon, fit reprendre coeur à M. le prince d’Orange ,
qui s’étoit vu à la veille d’être accablé fans ref*
four ce , & fit penfer à ce prince qu’il pourroit,
après la féparation des deux armées du roi, fe
montrer devant M. de Luxembourg, qui fçut pourtant
le contenir dans fon camp de Parck, par
celui de Melderk qu’il prit à propos.
Ainfi M. de Luxembourg, malgré la diminution
de fon armée , & fon changement dans la qualité
des^ troupes, ne laiffa pas de paroître encore agir
avec fupériorité fur les ennemis , par les reffources
que fon génie de guerre lui fournit. La fuite de la
campagne le juftifie encore mieux ; mais avant
que d’en faire le détail, par rapport à la matière
de ce chapitre , je crois devoir faire un plan génér
ral de l’état de nos ennemis en Flandres , dans
le temps de l’oüverture de la campagne.
Les Efpagnols ne pouvoient plus s’approcher de
nos frontières de Champagne, que par Charleroi
fur la Sambre. Nos ennemis étoient maîtres de
Liège fur la Meufe, dont la confervation leur
étoit capitale. Us en avoient raccommodé la citadelle
, qu’ils avoient même couverte d’un camp
retranché, capable de contenir une armée.
Nos armes , qui s’étoient comme jointes auprès
.de Gemb.lours, leur donnoient donc de juftes
fujets d’appréhenfion pour Charleroi & Liège
d’un côté, &L pour leur armée 6c Louvain de l’autre.
S’ils avoient perdu Liège, ils perdoient la v ille ,
d’où ils tiçoient la plus grande partie de leurs
armes pour nous faire la guerre : nous nous trouvions
après cela fur Maftrick, & par çonféquent
nous ne leur laifiïçns plus de. communication avec
l’Allemagne que par le.jbas Rhin 6c U baffe Meufe.
G U E
S’ils avoient été battus dans leur camp de Parck,
Louvain , Malines, Anvers 6c Bruxelles n’auroient
pu être fomenus &c la Flandres entière auroit couru
grand rifque.
Dans cet é ta t, M. le prince d’Orange , qui
voyoit également la ruine de fon parti, dans l’üne
des deux pertes, de Liège ou de Louvain, dans
un commencement de campagne; mais pourtant
avec cette différence que la perte de Liège ne fe
feroit pas fait d’abord fehtir avec tant d’éclat que
•celle de Louvain, & qui d’ailleurs, par la "jonction
de nos deux armées à Gemblours n’ofoit fe
commettre au fort d’une bataille , dont la perte
âùroit entraîné celle de toute la ligue , M. le
prince d’Orange, dis-je, prit le parti de féparer
fes forces.
Il fe plaça, comme je l’ai dit, à Parck, avec la
plus grande partie de fon armée , 6c mit dans le
camp retranché de Liège un corps confidérable
d’infanterie & de cavalerie, qu’il crut capable de
réfifter affez de temps à nos efforts, en cas que
nous l’eufiions attaqué | pour avoir le temps de
porter un nouveau fecours aux troupes attaquées,
faifant marcher ce fecours à couvert du Démer, &
l’introduifant dans le camp retranché -par l’autre
côté de la Meufe.
Ce parti de foutenir Liège de cette manière,
avoit un grand inconvénient, comme je le ferai
voir lorfque je parlerai de la bataille de Nerwinde :
c’eft que pour faire marcher fûrement ce corps
détaché, il falloit que le prince d’Orange s’avam
çat lui-même, avec toute fon armée:, à portée
de protéger cette marche : ainfi il s’éloignoit de
Couvain & de la Flandres , à quoi les ElpagnpJs ne
vouloient abfolument point confentir.
Auffi ce prince ne taifoit-il entrevoir la poflï-
bilité de porter ce fecours au camp retranché de
Liège , que pour faire fentir à M. de Luxembourg
que cette entreprife lui feroit difficile à exécuter.
Voilà quelle étoit la difpofition de nos ennemis,
& pour ne pas répéter ce que j’ai dit de la nôtre,
je dirai feulement que cette difpofition devoit
bien plutôt favorifer l’exécution du projet de
M. de Luxembourg , que de le faire abandonner.
Je m’arrêterai donc uniquement à mon fujet,
qui eft celui de la guerre défenfive , & je ferai
voir que M. de Luxembourg, par la feule fupériorité
du génie de guerre fur M. le prince d’O -
range , fçut, malgré l’abandon de fon projet, fe*
continuer dans la repréfentation de maître , de la
campagne, pendant le cours de laquelle il battit
a Nerwinde l’armée de M. le prince d’O rangé, 6c
prit Charleroi à la fin de la campagne ; & qu’ainfi ,
quoiqu’après le départ du roi il ne fût plus chargé
que d’une guerre défenfive , ©u tout au plus d elà
guerre qui fe fait entre puifiances égales , ce fça-
vant capitaine ne laiffa pas de prendre fur fon
«Mlverfaire les temps Eeureux, qui lui procurèrent
des avantages confidérables.
.Voici quels furent les mouvements judicieux de
G U E 64 7
M. de Luxembourg, pour parvenir à changer la
conftitution de la pierre. Aufli-tôt après le départ
du roi , il prit le camp de Meidért, féparé de
celui des ennemis à Parck par les bois de Murdal.
Par cette fituation il avoit l’armée de M. le
prince d’Orange en tê te , & les troupes qui étoient
dans Liège derrière lui ; de manière que ces
troupes n’ofoient pas quitter ce camp retranché ,
pour venir joindre M. le prince d’O range, en le
couvrant du Démer dans leur marche , & cela
par deux raifons j l’une, qu’elles ne pouvoient
quitter Liège, fans nous laiffer la poffibilité de
nous en emparer avant que M. le prince d’Orangê
eut pu troubler l’exécution de cette entreprife,
qui étoit capitale pour les Hollandois; l’autre que
ces troupes pouvoient courir un grand rifque dans
leur marche derrière lé Démer, dont .M? de Luxembourg
étoit fort proche.
M. le prince d’Orange lui-mêtne n’ofoit quitter
le camp de Parck pour favorifer cette jonâion
parce que par ce mouvement il découvroit Lou-
vain. Ainfi , tant qu’il fut poffible à M. de Luxembourg
de fubfifter dans fon camp de Meldèrt il
fe trouva par ce pofte fupérieur & maître de' la
campagne, quoique fon armée fût très inférieure
aux forces de M. le prince d’Orange, s’il avoit pu
les rallembler.
guerre defenfive, en celle qui fe fait entre puif-
ftmees égalés, ce beau début ne le fatisfaifoit point
encore; & voici ce qu’il fit pour parvenir à devenir
1 oftenfeur, afin de combattre .fon ennemi avec
touts les avantages qu’un génie fupérieur fçait fe
donner, pour fe procurer un fuccès heureux.
Il tie jugea' pas qu’il dût entteprendre de com-
battre M. le prince d’Çrange qu’il n’eût encore
diminue fes fprees déjà féparées. De la manière
dont ce prince étoit placé à Parck, M. de Luxembourg
ne pouvoir entreprendre ni fur les convois,
m fur les fourrages de l’ennemi.Il fallut donc, pour
parvenir a fon üeflein de combattre avec avantage
trouver dans la fertilité de-ion imagination, un
.avantage fur fon ennemi plus décidé , que celui de
lui enlever un convoi , ou de battre un grand
iourrage. b
Pont cela il jugea qu’il falloir donner des inquiétudes
a M. le prince d’Orangepour le camp-
.retranche de Liege. Il fit rapprocher de Namur &
de lui le Marquis d Harcourt, qui, avec un petit
corps ^ cavalerie couvroit le pays de Luxembourg
& la baffe Meufe. Il fit remuer dans Namur
beaucoup de canon & de munitions de guerre, ou
d outils, & fit cuire beaucoup de pain dans cette
place. Apres quoi il quitta le camp de Meldert.
& vint avec toute fon armée à portée de Liège
dont ,1 alla reconnoître les retranchements, &
ht meme faire une grande quantité de fafeines
comme s il avoit voulu s’en fervir à ^attaque de»
retranchements, *