
666 G U E
Leolin , prince de Galles, fuivit la même maxime,
lorfqu’il porta la guerre dans les états d’Edouard IV,
roi d’Angleterre , ou Edouard Ier, en comptant
depuis la màifon d’Anjou.
L’armée fupérieurê doit principalement obferver
la règle de féparer des détachements pour rendre
les conquêtes plus rapides , lorfqu’elle ' combat
contre une nation qui n’eft pas accoutumée à faire
la guerre, parce qüe les ennemis, excepté qu’ils ne
foient extrêmement groffiers , apprendront dans
peu ce qu’ils ignorent faute d’exercicè,fcinfi que,
félon la remarque de Tac ite , il arriva aux Allemands
par la continuation de la guerre qu’ils eurent
à foutenir contre les Romains.
Les Macédoniens étoient dans les armes le
mépris des Grecs ; cependant, à force de fouffrir
& de faire la guerre, ils donnèrent la loi à ceux-là
mêmes de qui ils la recevoient ; ê c , conduits en-
fuite par Alexandre, ils ne fe rendirent pas feulement
maîtres de toute la Grèce, mais encore des
vaftes domaines de la Perfe.
On doit conclure de ce que je viens de dire,
que fi un prince qui a des troupes difciplinées,
fait la guerre contre une nation peu belliqueuie, il
doit d’abord faire de puiffants efforts, afin de
pouvoir déterminer fon entreprife , avant que -fes
ennemis fe foient aguerris ; c’eft pour cela que le
général Montécuculi dit qu’il faut que la guerre
des Allemands contre les Turcs foit courte
& vigoureuie. A .cette raifon on peut encore
ajouter , que fi vous finiffez promptement les
conquêtes que vous avez projettées, vous ne donnerez
pas aux princes neutres , qui en conçoivent
de la jaloufie, le temps' d’armer pour vous les
empêcher. Je m’étendrai davantage fur ce point en
traitant de la guerre offenfive.
Divers avis relatifs au général ennemi.
Rien n’eft plus important, félon Polybe, pour
un bon général d’armée, que de connoître le génie j
& le caraâère du commandant ennemi : félon cet
écrivain, « c’eft une erreur & même une folie de j
penfef'autrement. ».
Guillaume III de Naffau convient qu’un général j
eft déjà demi-vainqueur,, lorfque, connoilfant le I
caractère de fon adverfaire, il a allez d’attention &
d’aâivité pour profiter dés occafions.
L’exemple de Quintus Fabius Maximus nous j
apprend qu’il eft dangereux de faire quelqu’entre- |
prife fans cette connoiiTance, car le conful Marcus
Livius étant forti de Rome pour aller commander
Tannée contre Annibal., Quintius Fabius lui donna
pour conféil de ne pas combattre contre les Carthaginois
, qu’il n’eut pénétré le génie de leur [
commandant. Annibal aimôit beaucoup les ftrata- j
gèmes , & n’agrffoit jamais fans y avoir recours.
* En fuppofant donc qu’il eft avantageux de concoure
lé cara&ère du commandant ennemi, examinons
par quels moyens on peut parvenir à cette
connoiffance. ' l
G U E
Informez-vous de fon génie par des officiers
habiles , qui ayent fervi autrefois fous fes ordres ,
& faites faire à votre armée divers mouvements ,
pour obferver, par ceux que la fienne fera, s’il eft
timide ou intrépide , ou fi fa bravoure eft accompagnée
de prudence ; s’il fçait prendre le terreinqui
lui eft convenable ; s’il eft prompt ou lent à réfoudre
& à exécuter ; s’il aime mieux employer l'a
rufe que la force ouverte ; fi le mépris ou la dif-
grace le porte à fortir de fon caractère ; fi un léger
commencement de fortune lui donne trop de confiance,
Ôcc.
M. de Saint-Evremont, décrivant les qualités
d’un grand capitaine, dit qu’un bon général doit
prendre adroitement fon ennemi par fon foible :
par exemple, qu’il doit le fatiguer & mettre à bout
fa patience, s’il le connoît impétueux'8t violent ^
l’endormir par des négligences affe&ées, s’il eft
lent & pareffeux, s’il eft préfomptueux, afin que,
l’obligeant de fortir des règles de la difcipline
ordinaire pour fuivre quelques-unes de fes pallions,
il lui faffe faire quelque faute; car la plupart
de celles qui fe font, né viennent que de ce
qu’on fe laffe d’être affujettis aux maximes de
l’art, & qu’on fe laiffe gouverner par le tempérament.
Prenez toutes les mefures poflibles pour découvrir
quels font les ordres que le général ennemi
a de fon prince, parce qu’ainfi il vous fera
plus aifé de vous oppofer à fes deffeins, en feignant
de les ignorer ; 8c fi. fes ordres ne viennent
pas à changer, vous pourrez prendre des précautions
pour les éluder 8c les rendre inutiles.
Tacite rapporte que Germanicus fçavdit profiter
des réfolutions que fes ennemis prenoient, &
dont fesefpions lui donnoient avis ; & parlant d’une
embufcade qu’ils avoient réfolu de lui drefler pour
charger fon arrière-garde durant une bataille, il
dit que Germanicüs-, qui n’ignoroit rien de tout
ce qui fe paffoit de plus fecret dans le confeil des
ennemis , faifoit retomber touts leurs artifices fur
eux-mêmes.
Ottoman fut prié de fe trouver à une affem-
blée où il fçavoit qu’on vouloir Taflaffiner : il fe
rendit au lieu marqué, fans faire paroître aucune
défiance ; mais il y fit venir quelques foldats habillés
en femme, qui, tirant à propos les épées qu’ils
tenoient cachées, prévinrent les ennemis d’Otto-
man , 8c lés maffacrèrent ; en quoi ils n’auroient pu
réufîir, s’il n’avoitfait femblant d’ignorer le deffein
de fes ennemis.
Si le commandant de l’armée ennemie, par fon peu
d’habile té,par fa témérité ou par quelqu’au trie défaut,
eft fujet à faire des fautes, ne donnez pas à connoître
à perfonne que vous, les avez remarquées ; laiffez-
lui au contraire remporter quelques petits avantages
dans une occafion peu importante.; donnez
quelquefois à entendre dans la converfation, que
vous n’avez pu le pénétrer; plaignez-vous de cë
qu’il n’eft pas poffible que vos efpions découvrent
G U E
lien de fes deffeins ; enfin, faites tout ce que vous
pourrez pour que fa réputation augmente, 8c que
îon prince continue de lui biffer le commandement
, jufqu’à ce que fon peu d’habileté vous
donne lieu de faire un coup qui ferve de récom-
Çenfe à votre diflimulation ; en quoi il ne vous
feroit peut-être pas aufli aifé de réuflir, fi, à 1a place
de ce général, les ennemis en envoyoient un autre
plus capable de commander l’armée.
Cæfar étant affiégé dans Alexandrie par l’armée
de« Egyptiens, commandée par Aquilas 8c Gani-
mède, mit en liberté Ptolomée, roi de ce pays,
qu’il^ tenoit prifonnier. Il fe perfuada que fi Ptolomée
, jeune homme fans expérience 8c fans conduite
, prenoit le commandement de l’armée,
comme il etoit naturel de le croire, les Egyptiens
deviendroient chaque jour moins à craindre : au
lieu que leur armée , fous les ordres de Ganimède
& d Aquilas, pouvoit donner de l’inquiétude. La
chofe reuffit comme Cæfar l’avoit penfé ; car dès
que Ptolomée fe fut mis à b tête des Egyptiens ,
Cæfar l ’obligea non-feulement à lever le fiège,
mais il battit fon armée en rafe campagne, 8c
Ptolomeé fut tué dans b mêlée , ou noyé dans 1a
fuite.
Quoique le général ennemi foit peu habile,
vous ne devez pas tant compter fur fon ignorance
que fur votre conduite, parce qu’il fe peut que
votre adverfaire affecte celle qu’il tient, ou qu’un
accident, ou quelque bon confeil, lui donne lieu
de réuflir, 8c alors votre défaite pourroit être
d autant plus confidérable, que vous vous y étiez
moins attendu. Votre malheur feroit la-fuite de
votre prefomption , & votre chagrin augmenteroit
même par le peu de réputation qu’avoit votre
ennemi.
Bélifaire avoit coutume de dire que celui - là
couroit grand rifque d’être vaincu dans 1a guerre
qui méprifoit fes ennemis, 8c avoit trop de confiance
en lui-même. Ifocrate, parlant aux Athéniens, les
avertiffoit qu’il y avoit bien de L’imprudence de
compter plus fur les fautes des ennemis que fur fa
propre conduite.
Xes exemples de Sabinus , d’Orcan 8c de
quelques autres armées , qui ont été défaites ,
prouvent qu’on s’eft fouvent engagé fans réflexion
.dans des combats fur une crainte 8c un défordre
que les ennemis ont affeéfé.
Si, au contraire, de ce que je viens de fuppofer,
la conduite du général ennemi eft fi bonne, qu’elle
foit d’un plus grand obftacle à vos deffeins que
ce^e d’un autre, profitez de fes maladies 8c de fes
abfences pour faire les plus importantes expéditions,
principalement fi celui qui prend le commandement
à fa place n’a pas tant d’habileté, ou fi
les troupes ennemies n’ont pas la même confiance
en fervant fous fes ordres , parce que j comme dit.
btrada, « c’eft fouvent 1a feule réputation du général
qui décide du fort des armes. ».
Tite-Live rapporte qu’Annibal fouhaitoit d’en
G U E 6 6 y
venir aux mains avec l’armée romaine, tandis
qu’il étoit encore impofîible à Publius Cornélius
Scipion, le plus habile des deux confuls, de fe
trouver au combat, à caufe de b bleffure qu’il
avoit reçue peu auparavant dans b bataille du
Teflin, parce qu’Annibal fe perfuadoit qu’il lui
feroit plus aifé de vaincre Tibère Sempronius ,
l’autre conful, ainfi qu’il y 'réuflit, l’ayant défait
dans 1a bataille de Trebie.
Si un feul homme, comme je l’ai prouvé , peut
faciliter 1a viéfoire , empêcher bruine de fon pays,
ou la défaite de l’armée., il me paroît que fi l’on
fait prifonnier quelqu’officiei' des ennemis , fort
diftingué par 1a réputation qu’il s’eft .acquife parmi
eux, ou par la crainte qu’il aura infpirée à vos
peuples, ou à vos troupes , vous devez d’abord
l’envoyer dans les provinces les plus éloignées,
afin d’avoir prétexte d’en différer l’échange que
vos ennemis vous propoferoient avec un autre
officier du même rang , 8c qui ne feroit peut-être
pas de b même importance pour la guerre.
Cæfar Campana obferve qu’il fut fatal aux Efpa-
gnols d’avoir échangé M. de la Noue , leur prifonnier
, avec M. le comte Philippe d’Egmont,
parce que 1a Noue, après le prince d’Orange,
étoit celui qui, par fon excellente conduite, lou-
tenoit principalement le poids des affaires de la
ligue contre l’Efpagne.
Nos ennemis, dans 1a dernière guerrecontre les
deux couronnes, ayant fait prifonnier lé lieutenant-
général don Michel Pons, l’envoyèrent fur le
champ à Maillorque. Ce fut, à ce que je crois,
afin qu’il ne pût être fi-tôt échangé, à caufe de la
terreur qu’il avoit infpiré , avec beaucoup de
raifon, aux Miquelets qui s’étoient déclarés contre
nous.
Vous trouverez peut-être que, dans quelques endroits
de cet ouvrage, j’ai cité ce chapitre fur une
circonftance que je jugeai, dans 1a fuite, à propos
de fupprimer ; j’en avertis, afin que, par cette' citation
, qui fe rencontre fauffe, on ne conclue pas
que les autres le font auffï.
Précautions contre les foins que le général ennemi
peut fe donner pour découvrir en vous ce que vous
ave^ voulu reconnaître en lui.
Comme il eft naturel que le général ennemi
faffe, par rapport à vous, ce que je vous ai con-
feillé de faire à fon égard, pour connoître fon génie
8t découvrir, les .ordres qu’il a , je crois que vous
. devez, fans pourtant vous éloigner des règles fondamentales
de la guerre, agir à l’extérieur d’une
manière différente de la conduite que vous voulez
tenir, 8c changer quelquefois cette méthode,
parce qu’autrement une même irrégularité de con-
î duite fervirpit de règle aux ennemis pour pénétrer
vos deffeins..
Si au contraire , dans le temps que les ennemis
penfent avoir compris votre manière de faire la
P p p p i j -