dées eh Perfe étoient arrivées au nombre de
quarante mille archers & peltafies. Le roi de
Me die ayant déclaré qu’elles ne lui étoient pas
néceffaires , le général qui les commandoit les
conduifit à Gyrus.
Celui-ci informé de l’approche de Cyaxare,
alla au-devant de lui avec les Mèdes & toute fa
cavalerie. Le roi n’étoit accompagné que du petit
nombre refté avec lui. Cette humiliante compa-
raifon lui arracha des larmes. En vain Cyrus effaya
de calmer fa douleur par. la déférence & par la
mémoire des fervicës qu’il venoit de lui rendre.
Il lui remit fous les yeux la puiffance aggrandie,
fes ennemis vaincus, humiliés. — Que m’importe
que mon empire s’étende , fi je me vois livré
au mépris : tu parois homme ic i, & moi, indigne
de l’empire; font-ce là des bienfaits, Cyrus ? cependant
le monarque ayant exhalé 1a douleur, la
lentit moins vivement. Il fe laiffa toucher, & con-
fentit à embrafler Cyrus. L’armée attentive &
inquiète lit éclater fa joie. Les Mèdes avoient
préparé à Cyaxare une tente magnifique, portion
du butin ; ils l’y conduifirent, & quelques-uns de
leur propre gré; mais la plupart, fuivantle confeil
de Cyrus, lui offrirent des préfents, des vafes,
des habits, des efclaves, des femmes & des Mufi-
ciennes, afin qu’il ne crût pas que Cyrus éloignoit
de lui les fujets, & lui avoit enlevé leur refpecl
& leur bienveillance.
Le roi voulut le retenir en l’invitant à fa table.
Cyrus allégua pour excufe que, fi. les Perfes le
voyoient fe livrer aux plaifirs d’un repas abondant,
ils fe croiroient négligés : Alors, dit-il , le {èle fe
rallentit, & l'efprit de licence augmente.
Le jour fuivant les chefs saffemblèrent à la
fente de Cyaxare, & délibérèrent avec lui s’il
étoit plus avantageux de continuer la guerre ou
de la cefler. Touts les alliés repréfentèrent qu’étant
féparés, ils feroient plus foibles.—Cyrus en
çonvint, & ajouta que l’état de .la guerre étoit
changé. L’hiver approchoit ; les chefs pouvoient
trouver des maifons ; mais les foldats, les valets,
les chevaux n’en auroient pas. Les vivres étoient
çonfomrnés dans les parties oh l’armée avoit fé-
journé : dans les autres les habitants les avoient
portés dans les forts. Il falloir les afiïéger , les
prendre avec les fubfinances qu’ils renfermoient,
& en conftruire de nouveaux. Si les alliés crai-
gnoient de garder ceux qui feroient éloignés de
leurs pays, il étoit facile de leur ôter cette crainte :
les plus voifins de l’ennemi auroient des gàrnifons
Mèdes & Perfes: ceux des frontières de l’Àfiyrie
feroient défendus par les Hircaniens & les Cadu-
fiens. Ainfi pour continuer la guerre il falloit confondre
des machines, Les. alliés & Cyaxare meme
y cpnfçntirent»
\ 11 falloit pour ces préparatifs un temps affezlong,
&, des tranfports confidérables de bois & d’autres
matériaux. Cyrus établit fon camp dans un lieu
Ç Q m m o d © > d ’accès facile, Il |n fortifia'
I®5 côtés f o ib l e s &i le rendit sûr de toutes parts J
même pour les temps où la force de l'armée en
feroit abi'ente. 11 fe failoit inftruire des lieux les
plus abondants en fubliftances & autres chofes
nécefïaires : il en raffembloit en grand nombre ;
il y employoit & conduisit toujours fes troupes ,
tant pour les entretenir en force & en fanté, par
les fatigues de ces marches , que pour qu’elles
confervaffent l'habitude de l’ordre & de la difci-
pline.
Quelques transfuges lui apprirent que le roi de
Babyîone etoit pafié en Lydie avec une grande
quantité d’or & d’argent, & d’ornements précieux.
On crut que c’étoit par crainte qu’il portoit ailleurs
fes trefors. Mais Cyrus vit bien que c’étoit pour
lui faire des ennemis. Il hâta fes préparatifs, augmenta
la cavalerie Perfe, raffembla des^chars, dont
il perfeftionna la forme & l’ufage : il ne recevoit
ni argent ni ornements , mais des chevaux & des
armes. Il avoit auffi des chameaux pris fur les
Aflÿriens, ou que fes amis lui avoient donnés.
Ces foins étoient importants , mais ne remplit
foient pas les. vues de Cyrus ; il falloit encore
veiller aux mouvements de l’ennemi, & fçavoir
ce que le roi de Babyîone faifoit en Lydie. Ce
jeune Arafpe a qui Cyrus avoit confié la belle
Penthee, n ayant pu s’en faire aimer, avoit tenté
la menace. Penthée s’en étoit plainte, & Arta-
baze envoyé par le prince avoit reproché à ce
jeune homme l’infidélité , l’abus de confiance ,
la violence, l’impudicité. Cyrus faifant ufage de
cette occafion , fit venir Arafpe , lui parla fans
témoins, lui repréfenta fa faute, & ajouta qu’il
pouvoit l’effacer par un grand fervice. Paffe à
l’ennemi , lui d it-il, la circonftance lui rendra
ton évafion vrailemblable, & te conciliera fa confiance.
Obferve fes pas, fes avions ; pénètre fes
vues , feins de prendre fes intérêts , en lui révélant
nos deffeins , mais de forte que ce que tu
lui diras foit un obftacle à ce qu’il voudroit faire.
Perfuade-lui que nous projetons d’entrer fur fes
terres & de les ravager : alors, craignant par-tout,
il divifera fes forces. Refte long-temps avec lui ;
plus il approchera , plus il nous, fera important
de fçavoir ce qu’il veut, faire. Enfeigne-lui le
meilleur ordre de bataille qu’il puiffe prendre. S’il
le garde, nous le connoîtrons. S’il veut en changer,
la confufion fe mettra dans fon armée ».
La feinte défeélion d’Arafpe ne fut pas plutôt
connue de Penthée, qu’elle fit demander à Cyrus
la perrmfiion d’envoyer vers fon mari Abradate,
promettant de lui en faire un ami plus fidèle qu’A-
rafpe. En effet , dès qu’Abradate eut reçu les
lettres de Penthée , la tendreffe qu’il avoit pour
e lle, les mécontentements que lui donnoit le nouveau
ro i,la grandeur dame & les vertus de Cyrus
qui lui avoit confervé ce qu’il chériffoit le plus ,
les grandes révolutions que fes vertus préfageoient,
le déterminèrent à paffer*au camp des Perles avec
dçux titille hommes, Lorf^u’il eut vy que Cyrus
s’occupoit de chars armés de fatiix , de chevaux
& de cavaliers couverts d’armures , il eflaya dè
contribuer à fon entreprife pour cent chars pareils
aux Tiens, fe propofa d’en être le che f, & fe fit
un char à quatre timons & huit chevaux. La vue
de celui-ci fit imaginer à Cyrus d’en faire coni-
truire à huirtimons, qui feroient traînés par feize
boeufs, & porteroiént le bas d’une tour. Ilpenfa
que ces efpèces de forts mobiles feroient aulh nui-
fibles à l’ennemi que fecourablespour fa phalange;
Les tours furent environnées par un parapet avec
des créneaux, & on mit vingt hommes dans chacune.
L’expérience en fut laite , &. réuflit pleinement.
Cyrus fe préparoit à marcher aux ennemis ,
lorfqu’il reçut le fecours en argent qu’il avoit
demandé au roi de l’Inde. Ce monarque lui en
faifoit efpérer de nouveaux, & avoit ordonné à
fes envoyés d’exécuter tout ce que le prince Perfe
leur commanderoit. Cyrus fçachant que les efpions
ordinaires ne rapportent que des choies or dinaires ,
& connues de toute l’armée ennemie, penfa-qu’il
feroit mieux fèrvi à cet égard par les Indiens. Il
en envoya quelques-uns au roi d’AiTyrie, comme
s’ils venoient lui propolèr l'alliance de leur maître,
& continua les préparatifs. 11 n’obmettoit rien de
ce qui pouvoit lui donner quelque avantage , ne
penfant pas qu’il y eût quelque chofe de petit à
la guerre. Il s’attachoit des alliés par des condescendances
à leurs volontés ; il excitoit l’émulation
pour la,tenue des armes, pour lès exercices,
pour la confiance dans les travaux , pour la patience
dans les’ fatigues. 11 récompenioit par des
louanges, des loins & des honneurs les officiers
les plas attentifs à maintenir l’ordre dans leurs
troupes ; il rendoit utiles les fêtes religieufes en
y joignant des jeux & des combats, oùles prix
étoient nombreux : touts ces moyens réunis éle-
voient l ’anie de fes foldats & les rempliffoient
d’affurance; on auroit dit qu’ils étoient vainqueurs,
& que les préparatifs de l’ennemi n’étoient rien
à leurs yeux.
Cependant les envoyés Indiens & les efpions
que Cyrus envoyoit de temps en temps comme
transfuges, rapportèrent que les ennemis fe raf-
fèmbloient. Les rois alliés marchoient avec toutes
leurs troupes ; il venoit des Thraces armés de
leurs épées courtes , cent vingt mille Egyptiens
portant d’immenfes boucliers &. de longues piques;
des Cyliciens , Phrygiens, Lycaoniens , Paphla-
goniens , Cappadociens, Arabes , Phéniciens. Les
Aflÿriens * les Ioniens & les (Eoliens fuivoient le
roi de Babyîone ; & prefque touts les Grecs
d’Afie , le roi de L ydie, qui avoit même fait folli-
citer Lacédémone. On levoit auffi des troupes près
du Paéfole. Celles - ci dévoient fe raffembler à
Thybarra , rendez-vous ordinaire des Barbares de
la baffe Syrie , & il y avoit des ordres pour qu’on
y formât un marché.
Ce rapport s’accordoit avec celui de touts les
captifs. Il inquiéta l’armée de Cyrus. Le foîdat y
parut moins affuré , plus filencieux. Il fe raffembloit,
interrogeoit, demandoit ce que faifoit l’ennemi.
Cyrus les raffura en leur faifant représenter
que cette crainte dont il voyoit l’impreffion ne
convenoit qu’à leurs ennemis ; que les Mèdes
& leurs alliés étoient maintenant plus nombreux
& mieux armés que lorlqu’ils avoient vaincu ces
mêmes Affyriens ; qu’ils avoient de plus dix mille
Perfes à cheval , trois cents chars armés de faulx ,
des tours défendues par des combattants dont
toutes les parties fupérieures étoient couvertes de
fer, des chameaux dont les chevaux ne pouvoient
pas fupporter l’approche.
Ces difcours rétablirent la confiance , & la plupart
demandèrent qu’on les menât à l’ennemi.
Cyrus faififfant ce moment heureux, ordonna que
l’armée prît des vivres pour vingt jours , parce
qu’elle devoit traverfer un pays dévafté tant par
les Mèdes que par l’Affyrien , de choifir fur-tout
; des aliments acides &. l'alés , qui fe confervoient
plus longtemps ; de remplacer le poids des lits
par celui des vivres, dont l’excédent n’étoit point
à cr.dndre , non plus que le défaut de fommeil
faute des commodités ordinaires ; de n’emporter
qu’autant de vin qu’il le falioit pour s’accoutumer
à J’eau feule par dégrés , en diminuant chaque jour
la quantité du vin. Son attention embraffant les
petits détails comme les grands objets, il prefcrivit
de raffembler ce qui étoit néceffaire aux conva-
lefcents ; de fe munir de couiroies de rechange,
d’outils à aiguifer les armes , parce que celui qui
aiguife fa pique , aiguife en même-temps fon courage
; de faire provifion de bois propres à réparer
les chars & les charriots, d’outils de tout genre ;
d’avoir dans chaque charriot une lerpe & un hoyau ,
fur chaque bête de fomme une hache & une faulx.
Les chefs des troupes pefamment armées furent
chargés de veiller à l’approvifionnetnent ; ceux des
bagages à la fourniture prefcrite des bêtes de
charroi ; ceux des pio.nniers à ce qu’ils fuffent
munis de ferpes , de hoyaux, & de haches , &
marchaffent à la tête des bagages , pour réparer
&, ouvrir les routes. Les ouvriers en fer &. en
cuir, & tes marchands fuivant l’armée ne furent
point oübliés. Il fut même promis des honneurs
& des préfents à ceux qui porteroient au marché
du campNfe plus de marchandifes. Enfin Cyrus fit
publier qu’il prêteroit de 1 argent à ceux q ui, ayant
befoin, pourroient donner caution fuffifante , St
que fi quelqu’un jugeoit que d’autres chofes fuffent
néceffaires , il l’invitoit à l’en avertir.
Cyaxare revint en Médie avec la moitié des
troupes Perfes , pour que fon royaume ne refiât
pas lans chef ; & , dès que tout tut prêt, Cyrus
alla camper à peu de diftance, afin que chacun
pût réparer les oublis qu’il auroit pu faire. Il s’avança
ènfüite rapidement, fa cavalerie en tête ,
parce qu’il marchoit en plaine, & une avant-garde
chargée de reconnoître avec le plus grand foin.