
moyens les plus faits pour rendre à notre armée
le!prit de patriotifine qu’elle a perdu, 8c pour
faire renaître dans fon lein l’union qui fit fa force $
conftfte à placer dans chaque régiment autant de
*r^res » n6veux , de confins, qu’il eft
poffible de le faire ; au lieu de laiffer aux colonels
la liberté de ckoifir à leur gré les fujets faits
pour remplir les fous-lieutenances, on devroit les
contraindre à ne nommer des fujets étrangers aux
officiers de leur corps , qu’après avoir épuifé
d ’abord la claffe des fils , puis celle des frères,
enfuite celle des neveux, enfin celle des coufins
ou des autres parents, 8c à donner toujours
da.ns chaque claffe la préférence aux anciens officiers
du corps ; on fent bien que la condition que
nous venons de propofer , ne détruit aucune de
celles que le roi a jugé à propos d’impofer.
Pour nous affurer que cette manière de com-
pofer les régiments eft préférable à celle qui eft
aujourd’hui én ufage , jetions un coup d’oeil impartial
fur fes avantages & fes inconvénients.
Parcourez la lifte de ces jeunes gentilshommes ,
que les corps ont été forcés de rejetter de leur
fein ; liiez celle de ceux que le dérangement de
leur fortune a obligés de quitter le fervice ; fâchez,
en un mot,..le nom de touts les militaires
■ qui ont donné dans de grands travers , 8c vous
verrez prefque toujours qu’ils n’ont eu , dans le
régiment où ils fervoient , ni père , ni frère, ni
parent , ni allié.
Comment en effet un jeune homme qui arrive
dans un régiment , fans parent 8c fans véritable
ami, qui, pour me fervir de l’expreffion commune,
y tombe comme des nues, ne s'égarerait-il pas?
Comment même ne fe perdrait-il pas abfolument ?
Semblable à Télémaque dans 'file de Chipre ; il
a peut-être d’abord horreur de voir que fa pudeur
fert de jouet à fes camarades , qu’ils n’oublient rien
Çour tendre des pièges à fon innocence , & pour
eveiller en lui le goût des plaifirs ; mais infenfi-
blement il commence à s’y accoutumer ; la bonne
éducation qu’il a reçue , ne le foutient prefque
plus ; il fe fent affoiblir touts les jours ; toutes
fes bonnes réfolutions s’évanouiffent ; il n’a plus
fe force de réfifter au mal qui le preffe de touts
côtés ; il a une mauvaife honte de la vertu ; il
aime le poifon qui fe gliffe de veine en veine ; il
fuccombe enfin , 8c fans efpoir de fe relever jamais.
Q u’a-t-il manqué cependant à ce-jeune infortuné
? Un père , un frère , un parent qui lui aitfervi de
guide , qui ait porté devant lui le flambeau de l’ex-
perience ; fa famille, dira-t-on, Favoit recommandé
a un officier du corps renommé par fa fageffe 8c fes
vertus : c eft beaucoup fans doute ; mais quelle
différence n’y a-t-il point entre l’intérêt qu’on ,
porte a fon nls , a fon frère , à fon neveu, à fon
coufin, & celui qu’on donne à un pupille qu’on
ne connoît que par des relations très éloignées ?
Quelle différence n’y a-t-ii point encore entre la
foumiflion qu’un fils a pour fcn père , un frère
puîné pour fon aîné , & celle qu’on rend à un
étranger dont l’autorité parait dure 8c fouvent
ufurpée.
Si vous avez obfervè un régiment dans lequel il
y a trois ou quatre frères, vous avez vu d’autres
exemples heureux de la compofition que je pro-
pofe : vous avez vu les amis intimes de l’un être
les amis particuliers de l’autre ; les connoiffances
de celui-ci être liées avec les connoiffances de
celui-là ; enfin vous avez pu remarquer que les
membres de cette famille formoient une efpèée
de‘ chaîne qui lioit enfemble , ou du moins qui
rapprochoit beaucoup les différentes parties de ce
corps. Avez-vous vu un père 8c un ou deux fils
dans le même régiment, vous avez pu obferver
que le père defcendoit vers les officiers qui com-
pofoient la claffe dans laquelle fes enfans étoient
compris , qu’il leur témoignoit de l’amitié, qu’il
cherchoit à leur rendre des fervices ; fon fils étoit
l’objet de ces prévénances , de ces foins ; mais
l\inion de tout le corps n’en étoit pas moins fortifiée
: vous avez vu encore le fils être plus ref*
pe&ueux 8c plus emprefîe pour les officiers de
l’âge de fon père , que ne l’étoient le refte de fes
camarades, comment cela pourroit-il être autrement
? Un bon père nous rend précieux tout ce=
qui l’environne. Vous avez vu auffi le frère fournir
à fon frère de l’argent, des meubles , des
effets ; s’ils voyagent, c’eft à meilleur marché 8t
plus agréablement. Sont-ils malades ? Sont-ils malheureux
? Ah ! c’eft fur-tout dans ces circonftances
fâcheufes, que la tendreffe inquiète d’un père , que
l’amour d’un fils , la fenfibilité d’un frère , l’amitié
d’un coufin , trouvent l’occafion de s’exercer l
Je n’ai pas parlé des moeurs ; le changement que
cette compofition opéreroit, ferait néanmoins très
fenfible : quel père oferoit donner à fes enfants
l’exemple du libertinage ? Quel oncle tiendroit
devant fon neveu, encore dans l’enfance , des propos
licentieux ? Un fils oferoit - il fréquenter les
maifons de débauche ou de jeu , s’il craignoit de
rencontrer foii père aux environs de ces endroits fu-
neftes ? Quand.ce que je propofe ne produiroit que
lesbiens que je viens de décrire, il mériteroit d’être
adopté ; mais continuons. La trompette fonne , le
fignal du combat eft donné ; je remarque dans
les guerriers une ardeur nouvelle : eft - ce le bataillon
faGré des Thébains que je vois ? Eft - ce
celui des Etrnfques ? Non, ce font des François.
Ce font donc les defcendants de ces chevaliers
fameux qui * fous le roi Jean & fous les trois
Charles , fes fucceffeurs , fe lièrent par la confraternité
d’armes ? Non $ ce font des pères , des
fils , des frères. Ils n’ont pas , au milieu d’une
pompe vaine , prononcé le ferment de ne s’abandonner
jamais , de s’aider mutuellement de leurs
biens , de leurs çorps , de leur vie ; mais la Nature
l’a gravée dans leur coeur en cara&ères ineffaçables
; vous les entendrez btentôt dire : mon
père, mon fils, mon frère , font engagés au miüeu
des ennemis, volons à leur feçours ; pour
les dégager , perçons ce bataillon épais ; & vous
verrez la viâoire couronner leur pieté.
Mais je me laiffe emporter par les fentiments
dont mon coeur .eft pénétré ; impofons leur filence ;
prévoyons toutes les objeéiions qu’on peut nous
faire , & répondons - y d’avance ; combien cette
tâche fera facile à remplir !
La nobleffe riche que fa fortune fixe à la cour, qui
non-feulement s’eft appropriée les grâces les plus
fignalées , mais qui s’eft même réservé Je droit
de diftribuer celles qu’elle dédaigne , dira fans
doute qu’on lui enlève une de fes plus belles pré-
ragatives. Toutes les fois qu’un prince accorde à
une claffe de fes fujets une grâce quelconque, il
ne peut avoir que le bien général en vue ;. s’il s’eft
trompé , ou fi les circonftances devenues différentes
, .rendent un changement néceffaire , la
claffe qui avoit été favorifée , a-t-elle le droit de
fe plaindre , fur-tout quand il lui refte beaucoup
d’objets faits pour la confoler des petites pertes
qu’elle éprouve ? J’aime à le prévoir : les colonels
ne fe plaindront point de ce. retranchement
fait à leurs prérogatives , mais ils diront :
l’efprit de corps , ce monftre deftru&eur de toute
difcipline, qu’on a eu tant de peine à terraffer,
va renaître : j’en conviens ; l’efprit de corps renaîtra
, 8c, bien loin de mettre cette renaiffance
au nombre des malheurs 9 je la mettrai au rang
des évènements heureux. Sans Tefprit de corps ,
ce moteur tout-puiffant auquel , depuis Fextinâion
de la chevalerie 8c de l’enthoufiafine militaire,
on doit les faits d’armes les plus admirés, fans l’efprit
de corps , une troupe quelque nombreufe qu’elle
fo it , eft privée de cet accord qui décide 8c fixe
la viéfoire ; de cette harmonie qui unifiant intimement
touts les membres, 8c réglant touts leurs
mouvements, double leurs volontés 8c leurs forces,
8c rend , fi l’on peut s’exprimer ainfi, chacun
folidaire de l’honneur de touts , 8ç touts folidaires
de l’honneur de chacun. O u i , fans cet efpritdont
les génies rétrécis ne peuvent deviner les effets ,
dont les êtres foibles ou defpotiques craignent les i
fuites, dont les maladroits ne'fçavent point tirer
parti, un corps tnilitaire n’eft qu’une maffe lourde
8c informe que rien ne peut mouvoir , ou dont les ;
efforts divergents fe contrarient, fe détruifent, 8c s’a- j
néantiffentd’eux-mêmes. ( V. Es prit de cor p s ).
Les colonels diront encore : les officiers de nos
régiments, ne tenant plus leurs emplois de nous ,
n’ayant plus befoin de notre protection pour placer
leurs fils 8c leurs frères , nous feront moins
attachés , moins dévoués, 8c le fervice de l’état
en foufffira. Il faut, j’en conviens, que les fubor-
donnés aiment 8c eftiment leurs chefs : mais
les colonels n’ont - ils que Ja nomination des emplois
pour mériter l’eftime de leurs officiers , 8c
obtenir leur amitié ? Ils ont une foule d’autres
moyens qui font 8c plus glorieux pour eux , 8c
plus utiles pour la patrie.
On pourrait dire encore , que deviendront les
enfants de l’état élevés à l’école militaire ? Comment
! Parce qu’ils ont été élevés aux frais de la
patrie , 8c adoptés par elle, répondroit un miniitre
qui ne fe laifferoit point conduire par la routine *
ces enfants n’ont donc plus de parents ? Us en onts
encore . 8c qui redoutent le fort qui les attend ,
quand ils arrivent dans un. régiment où ils font
inconnus , 8c où ils ne connoiffent perfonne ; remédions
à ce m a l, ajouteroit-il, 8c , pour cela y
ordonnons qu’en me faifant connoitre les elèvey
affez inftruits pour entrer dans les régiments, ou
me donne une note du corps, dans lequel chacun,
d’eux a le parent le plus proche ; ainfi l’ordre général
ne fera point interverti : les élèves feront
placés comme par le paffé, 8c ce qui eft très efïen-
t ie l , étant furveillés par des Mentors intereffés a
leur conduite , ils deviendront l’elpoir 8c la gloire
de la génération future.
Les familles pour iefquelles la carrière militaire
n’eft point encore ouverte, fe plaindront d e<i
être exclues ; mais cette exclufion tournera au
profit des maifons militaires , 8c à celui de l’etat.
Pour acquérir le droit de fervir la patrie’, ces
familles nouvelles rechercheront avec emprefle-
ment à former des alliances avec l’ancienne nobleffe
; 8c celles qui ne pourront y réuffir , fixeront
l’aâivité de leur génie , ou celle de leur ambition
fur quelque autre carrière aufli importante 8t
peut-être trop délaiffésv Hf
En plaçant plufieurs frères dans le même régiment
, on s’expôfera à voir des familles illuftres
éteintes dans un feul jour ; cela eft vrai : comme
homme je mêlerai mes pleurs à celles de la mere
tendre , du père fenfible , qui auront vu une feule
bataille moiffonner cinq ou fix frères , l’efpoir de
leur maifon , 8c le$ foutiens de leur vieilleffe ;
mais ft j’ofois m’élever jufqu’à la place qu’occu-'
pent les miniftres , je dirois : lorfque 1 état perd fix
officiers diftingüés par leur valeur 8c leur lageffe ,
il fait une grande perte ; mais le nom que portoient
ces hommes généreux, n’ajoute point a fes regrets;
touts fes fujets font fes enfants , ôc ils lui font egalement
chers.
Si nous étions encore dans ces temps malheureux
où les colonels faifoient de la nomination des
emplois un trafic fcandaleux , je montrerois que
ce que je propofe doit néceffairement abolir cette
vénalité deftru&ive de tout efprit militaire.
O vous , L. G. M. M. Y . L. C . mes compagnons
d’armes , vous dont 1 amitié fraternelle a
fourni fi fouvent à mon coeur les jouiffances les
plus douces , fi j’étois affez éloquent pour donner
une idée jufte des plaifirs quelle vous a procurées
, des fervices qu’elle vous a rendus , je rame-
nerois furement toutes les opinions à la mienne ;
mais il eft inutile de recourir ici au langage du
fentiment ;la voix de la raifon eft affez forte pour,
convaincre. ( C . ).
1 EMPLOYÉS. Cesntnis des vivres. HÉ