
battre par des feux rafants la fuperficie de l’eau.
L’épaiffeur de cet ouvrage doit être proportionnée
aux efforts qu’il doit foutenir.
La longueur de la courtine de l’épaulement doit
être proportionnée à la largeur du gué & à fa
dire&ion ; c’efl-à-dire qu’elle doit régner depuis
l’entrée jufqu’à la fortie du gué.
Les flancs de l’épaulement doivent être dirigés
de manière à couvrir de feux croifés toutes les
parties du gué. Ces flancs doivent commencer au
bord de la rivière ; leur longueur dépend de la
plus ou moins grande quantité d’artillerie ou de
moufqueterie dont on veut les garnir. Si l’on pou-
voit conflruire des faces à l’extrémité des flancs
de l’épaulement, & lui donner la figure que préfente
un ouvrage à corne, le paffage feroit infiniment
mieux défendu.
Les batteries placées fur l’épaulement doivent
être à barbette : fi Fon y conftruifoit des embrasures,
on n’auroit pas la facilité de diriger le tir
de fartillerie là où on le jugeroit le plus néceffaire.
Pour couvrir les hommes, on a recours à des facs à
terre , ou à des gabions.
Auffi-tôt que l’ennemi commence à paffer la
rivière, on ne doit plus tirer à boulets, mais à
cartouches.
On place Fepaulement le plus près de la rivière
qu’on Te peut ; on le fraife &. on le paliffade ;
on creufe en avant de _ l’ouvrage-un foffé" large
& profond, dans lequel oa fait entrer l’eau de
la rivière.
On doit avoir Fattent'ion d’efearper Tes bords
de la rivière au-deffus & au-deffous de la fortie
du gué, afin que l’ennemi ne puiffe fortirde l’eau
que fort loin du gué. S’il^toit poffible de diriger
les flancs de l’épaulemen-t de manière à ce qu’ils
Battiffent atifli le bord qu’on occupe, on ne de-
vroit point négliger cet avantage.
S i l’ennemi , en profitant d’un coude que fait
la r iv ière , peut fe placer de manière à voir le
derrière de l’épaulement, on doit le couvrir en
élevant de petits flancs , ou de petites traverfes ,"
qui en couvrent l’intérieur ; en dirigeant ces traverfes
avec intelligence, on peut les faire fervir
à la défenfe dé la fortie du gué.
Nous ferons connaître dans l’article o u v r a g e
EN t e r r e la manière de tracer & de conflruire
l’épaulement defliné a défendre un gué*
|. I II
De la manière d’embarrajjer un gué*
Nous allons tranferire ic i un exemple excellent
de îa conduite que Fon doit tenir quand' on a
pris la résolution d’embarraffer urigué. Après avoir
copié cet exemple , nous rapporterons- quelques
antres maximes qui nous ont été fournies par Fhiif-
*ôrre, ou les écrivains didactiques militaires;
C ’eft le comte de la Roche qui parle, p 11
efl un moyen de rompre les gués, dont j’ai ufé
deux fois avec le plus grand fuccès , & entre autres
dans une circonfiance des plus critiques. Je le rapporterai
ici fans amour-propre * mais Amplement
pour l’inflruélion des jeunes officiers. Dans la cir-
conflance dont je parle, je ne commandois point
encore en chef; je me trouvois de nouveau aux
ordres du même général, ( cointe de Saint-Germain.
). Nous étions fur le bord de la Montre ,
petite rivière d’AUace , dont les deux rives étoient
allez efearpées ; mais le fond, que j’avois fondé
moi-même en plufieurs endroits , étoit bon ;; il'y
av-oit d’ailleurs un abreuvoir affez confidérable
pour fuffire à quarante chevaux à là fois, &. deux
gués très bons & très faciles ».
» Notre général n’avoit qu’un corps de fîx mille
hommes , dont moitié conflfloit en cavalerie ,. ÔC
fur-tout en dragons , lorlqu’il arriva un ordre du
général de l’armée, de lui envoyer 1^ plus forte
partie de ce corps, afin de couvrir la marche de
la grande armée, qui fe dirige oit fur une place
des plus importantes , ( Strasbourg. ) qui étoit
expofée à prêter le flanc à un corps confidérable
d’ennemis dont il'fera bientôt queflion ».
» Notre petite armée fut donc très affoiblîe 1
elle étoit d’autant plus mal à fon aife , qu’elle avoit
a fe garantir des entreprises d’un corps ennemi
qui étoit vis-à-vis de nous, de Fautre côté de la
rivière., & qui n’avoit au plus que trois quarts
d’heure de chemin à faire pour nous joindre ». -
» Notre furprife ne fut pas médiocre , îori'qu’au
point du jour du lendemain, nous vîmes que ce
corps, qui la veille au fbir étoit de deux mille
hommes au plus, fe trouvoit augmenté au moins-
de fix mille, tant en cavalerie, légère qu’en infanterie
».
» Nous étions, pour ainfi-dire, dans le cas de
nous regarder comme des enfants perdus & defc
tinés à être facrifiés au falut de l’armée. La erife'
etoit preffante , d’autant plus que nous devions-
nous mettre en marche le lendemain , pour ( rn ar.-r
chant en forme de potence , ) nous trouver à fa*
queue de Farmée, & faire l’arrière-garde du tout.»;.
» Notre" général heureufement ne fe laiffa point
abattre par la fituation critique où nous étions,,
ôtfçut dérober auxtroupes la connoiffance du danger
qu’ilferrtoît. Cependant la pofition étoit cruelle;;
mais, comme i l avoit une confiance entière en moi,
il me fit part ae fon inquiétude , fans me déguifer
le rrfque que nous courions touts également ».
» Dans cette extrémité, il étoit queflion de fé
mettre l’efprit en repos par quelque flratagême r
puifque nous n’avions point de fecours à elpérer ,,
& que le maréchal de- Sékendorff, q u i, quelques
heures auparavant , était venu jufqu’à l’abbaye de
Neuhourg , lui avoit dit de s’arranger comme iï
pourroit. Pour obvier au péril, je présentai à mon
général des moyens auxquels il fouferivith; il y
donna les mains avec îa plus grande bonté , & ili
me laiffa toute la liberté, d’agir d’après mes idées.»*
» Je ne tardai pas de profiter de la liberté qu’il
*ne donna toute entière. Je commandai auffi-tôt
cent dragons, que je détachai en dix troupes, pour
aller chacune dans les villages circonvoifins chercher
& ramener autant de menuifiers & de charpentiers
qu’ils pourroient raffembler, & avec ceux-
ci grand nombre de payfans , touts munis de haches
& de pèles. J’ordonnai aufli aux dragons de faire
charger fur des voitures un aufli grand nombre de
ces chaînes que les payfans mettent à leurs char-
riots , qu’il feroit poffible d’en trouver, & de reve-'
nir en toute diligence avec ces différents fecours. ».
» Mes ordres ayant été exécutés , je fis couper
quantités d’arbres fruitiers, parce qu’il n’y en avoit
point d’autres convenables à nôtre portée ; je fis
enlever de ces arbres toutes les extrémités des
branches, afin qu’ils n’offrîfTent plus qu’un corps
feeriffe de pointes fortes & folides : touts ces arbres
ayant été tranfportés à force d’hommes & de bras ,
dans les approches des lieux où ils dévoient être
employés, & y étant raffemblés , je lés fis jetter
dans l’abreuvoir &. les gués qu’il s’agiffoit de rompre
& de rendre impraticables ; je fis arranger plufieurs
de ces arbres lès uns à travers les autres, en les
liant à mefure avec des chaînes de fe r , dont on
avoit apporté grande provifion, & qui, étant grôf-
fièrement, mais folidement entrelaffés , remplif-
,Soient mon objet. Par-là, l’abreuvoir &. les gués
furent hériffés de troncs forts & piquants , & em-
barraffés par une multitude de chaînes de fer qui
lioient les troncs d’arbres les uns avec les autres.
Pendant ce travail, j’en conduifois un autre à une
lieue au-deflous du courant de la rivière , où ,
pour en arrêter le. cours , je fis conflruire un
batardeau. Par ce dernier moyen , les g«eVfe remplirent
d’une quantité d’eau aflez confidérable pour
, etre fuffifamment gardés par eux-mêmes. ». ,
~ » Je failois en même-temps travailler un grand
nombre de payfans., & quelques foldats le long
de la rivière , pour efearper le rivage où nous
étions , de manière à le rendre perpendiculaire,
& par «onféquënt inaceeffibîe à la cavalerie ennemie.
Nous fîmes fi‘ grande diligence, que touts
. ces travaux furent finis vers neuf heures du foir.
Les eaux s’accrurent & fe gonflèrent tellement
pendant la nuit , au moyen du batardeau,- que
dès le grand matin elles étoient au niveau de la
rive droite que nous occupions & qu'elles, ver-
foient fur la rive oppofée, qui étoit un peu plus,
baffe , au moyen de quoi elles fe répandoient dans
la plaine, qui étoit une vafle prairie entre la rivière
& un grand bois qui couvroit les ennemis;
ainfi les arbres entrelaffés dans les gués & dans
1 abreuvoir n’étoient plus a'découvert, &. ne Iaif-
foient plus appercevoir aux ennemis le piège qui-
les menaçoit ».
» Notre général, toujours.aélif, paffa la nuit à
cheval , occupé à vifiter les pofles, à obferver
fucceffivement- chaque fentinelle & chaque vedette
, & poui- s’aflurer par lui-même fi le général
ennemi, qui étoit devant nous, feroit quelque
mouvement. Nous étions dans le cas de le découvrir
; parce que Feau, qui avoit débordé, nous
avoit fait quitter le bord de la rivière, ôt que
nous étions monté fur un grand plateau, où nous
jouiflions du beau clair de lune, qui nous per-
meitoit de juger au loin. Nous étions encore
éclairés par les feux que les ennemis avoient
affeélé- d’allumer en beaucoup d’endroits.
» Ce projet , fi admirablement concerté de la
part du prince Charles de Lorraine , le conduiloit
à nous envelopper , ou nous écharper tout - à -
coup. Après nous avoir entièrement défaits, ce
corps feroit tombé fur l’arrière - garde de notr.e
armée, & fur la queue de Farmée même , où ils
auroient caufé beaucoup de défordre, en arrivant
par la hauteur d’un beau pays dominant & bien
propre à favorifer leur manoeuvre, d’autant plus
que ce terreîn les mettoit à portéé de prendre
nos troupes en flanc fur une chauffée très inférieure
au lieu d’où iis les auroient infultés. Leur
projet étoit donc bien concerte ; mais ils échouèrent
à la faveur de nos travaux de la veille ; & tandis
que notre .corps défiloit, nous refiâmes , le général,
trois officiers de l’état-major, & moi , pour
jouir de l’étonnement que leur cauferoient les
obflacles invincibles que nous avions oppofés.
» En effet, un corps de deux ou trois cents
huffards, qui form.oient l’avant-garde de Fennemi,
fut conduit -par des payfans qu’il avoit choifis
pour guides ; fur la foi de ceux-ci, ils entrèrent
dans Feau. Les précautions que nous avions prifes
de faire arrêter par des partis à cheval, diflribués
au-deflous & au-deffus , tout ce qui allolt du côté
de 1 ennemi,. les avoient privés de tout moyen
d’erre inflruits de notre manoeuvre. A peine ces
huflards eurent-ils avancé quelques pas , qu’ils fe
trouvèrent dans Feau à la hauteur de leurs che-
v aux , & que ces chevaux embarraffés par les
Branches d’arbres qui étoient en croix & en travers
, & doublement pris par les chaînes qui lioient
ces troncs , blefiés d’ailleurs par les pointes, furent
hors d état d’aller plus avant.. L’infanterie arrivoit
fucceffivement ; plufieurs foldats, à l’exemple de
leurs officiers , fe mitent dans l’eau pour aider aux
efforts des huffards. D ’abord ceux - ci , croyant
n’avoir que des bois à écarter , avoient tenté de
le faire à coups de fabre ;. mars leurs la b re s ,
portant fur les chaînés de fer , voloient en éclats*
II efl certain qu’on ne peut rien ajouter à l’ardeur,
aux efforts , & a 1 intrépidité que marquèrent ces.
braves gens pour fermenter l’obflacle ; aufli leur
coriflémation fut-elle extrême. Nous jouîmes pendant
plus d’une heure dé ce fpeélacle fatisfaifant
poqr nous , en admirant le courage & la perfé-
yérànce de Fennemi-, Ce fut ainfi que nous échappâmes
au danger le plus affreux ; notre troupe
continuoit fa marche du pas le plus tranquille. Nous
n avions pas même à craindre que Fennemi put
nous joindre par un autre côté » avant que nou*