
long qui fe recourbe de droite & de gauche, eft
immanquablement enveloppé fans avoir la liberté
de fe défendre ; & lorfqu’il eft une fois rompu , il
ne lui eft plus poflible de fe reformer : ainfi il ne peut
tout au plus être bon que pour une petite troupe
fervant de garde, & plutôt faite pour avertir & fe
retirer que pour combattre. V. T actique.
Les Perles fe fervirent auffi des formes quarrées
pour former leurs efccdr-ons ; & comme ils avoient
une nombreufe cavalerie , ils donnèrent à ces efcadrons
beaucoup de profondeur: les files étoient de
douze , quelquefois de feize cavaliers ; ce qui ren-
doit leurs efcadrons fi pefants, qu’ils furent prefque
toujours battus, malgré la fupériorité du nombre.
Les Romains formèrent leurs efcadrons ou leurs
turmes fur une autre efpèce de quarré , les quarrés
longs; ils leur donnoient un front & une épaiffeur
beaucoup moins grands que les Grecs en général
n’avoient fait : c’étoit l’ulage reçu parmi les Romains
pour la difpofition de leurs efcadrons ; mais ils n’y
étoient pas tellement affujettis , que füivant les
eirconftances ils ne changealfent cet ordre. A la bataille
de Pharfale nous voyons que Pompée, de beaucoup
fupérieur en cavalerie , joignit enfemble quatre
turmes , & forma fes efcadrons de quinze cavaliers
de front fur huit de hauteur ; ce qui obligea
Cæfar, qui n’avoit que trente-trois turmes, chacune
de trente hommes , de les ranger fur dix de front &
trois de hauteur , fuivant l’ufage ordinaire.
L’ufage de ne faire combattre la cavalerie que fur
un feul rang, a duré long temps en Europe dans les
premiers temps de notre monarchie ; l’efpèce de
cavalerie, les armes offenfives & défenfives exi-
geoient cet ordre f il a duré jufqu’au milieu du règne
d’Henri II qui , voyant les files de gendarmerie
aifément renverfées par les efcadrons de lances &
par ceux de reiftres que l’empereur Charles V avoit
créés, donna à notre cavalerie la forme quarrée ,
mais avec une exceflive profondeur. Cet ufage ,
bien que fujet à mille inconvénients, a fubfifté en
Europe depuis Henri II jufqu’à Henri IV , fous
lequel les efcadrons de dix rangs qu’ils avoient auparavant
, furent réduits à huit, puis à fix rangs. Alors
les compagnies formoient autant d’efcadrons ; elles
étoient de quatre cents maîtres, & capitaines qui
voulant combattre à. la tête dé leur compagnie, ne
vouloient pas partager le commandement en la
partageant : mais ces compagnies ayant depuis été
mifes à deux cents hommes, les efcadrons eurent
moins de front & moins de profondeur ; ils étoient
encore trop lourds, & ne furent réduits à la proportion
la plus convenable , que-lorfqu’on les enrégimenta
fous Louis X I I I , en 1635. On les difpofa
fous trois ou quatre rangs de quarante ou.de cinquante
maîtres chacun ; c’eft-là l’ordre que notre
cavalerie obferve encore-aujourd’hui, & c’eft en
effet celui que l’expérience a prouvé être le meilr
leur. Les officiers les plus expérimentés, eftiment
que Yefcadron de cavalerie fur trois rangs, à qua-
jsante-huit maîtres chacun, eft préférable à tout
autre, étant le plus jufte dans fes proportions ; celui
de cent vingt, a quarante maîtres par rangs, peut
être bon quand les compagnies font foibles, parce
qu’il comporte huit divifions égales : l’autre peut
être divifé en feize.
Quelques perfonnes cependant fe font élevées
contre la méthode de former nos efcadrons fur trois
rangs , & ont foutenu qu’il l'eroit plus avantageux
de leur en donner un quatrième : quoique leur fyf-
tème pùifle être appuyé de l’autorité des Guftaves
& des Turennes, qui donnoient à leurs efcadrons
quatre, quelquefois même jufqu’à cinq rangs de profondeur
, il faut croire que fi l’ufage de faire combattre
les efcadrons fur trois rangs n’étoit pas effe&ive-
ment le meilleur , l’Europe entière ne l’auroit pas
adopté, ou ne l’eût pas au moins toujours confervé
depuis.
D ’autres, au contraire , trouvent encore trop de
profondeur aux efcadrons difpofés fur trois rangs, &
prétendent que l’ordre des efcadrons en bataille fur
deux rangs eft le plus avantageux à la cavalerie.
Ceux qui font prévenus de ce lentiment le foutien-
n ent, parce que l’ancienne cavalerie & la gendarmerie
, qui ont fait fi long temps la principale force
des armées de France, alloient à l’ennemi fur un
feul rang. Mais que conclure de-là ? Dans ces temps
reculés aucun peuple ne formoit fa cavalerie en efcadrons
3 les ennemis n’avoient alors à cet égard aucun
avantage fur 'nous ; d’ailleurs cette cavalerie étoit
compofée de l’élite de la nobleffe Françoife ;
hommes & chevaux étoient couverts d’une armure
qui les rendoit prefque invulnérables , & qui au-
roit donné une exceflive pefanteur à des efcadrons
ainfi compofés : leur arme offenfive étoit la lance ,
qui ne permettoit pas non plus qu’ils combattiffent
en efcadrons. N’auroit-ce pas été perdre fans nécef-
fité d’excellents champions , que de doubler de
pareils rangs ? D ’ailleurs on fait que cette cavalerie
fut toujours battue lorfqu’elle eut à faire contre une
autre difpôfée fur plufieurs rangs de hauteur.
La maifon du roi combat fur trois rangs : comparable
fans doute àtouts égards à cette ancienne cavalerie,
elle lui eft de beaucoup Supérieure pour la
difcipline ; & s’il y avoit un avantage réel de combattre
fur deux rangs , if eft aifé de penfer que cet
ufage eût été établi dans ce corps, à qui une longue
expérience a appris à toujours vaincre, & dont deux
rangs paroiffènt fuffire pour cela. Le premier des
trois rangs dans les efcadrons des gardes-du-corps eft
compofé entièrement d’officiers ; & quand il ne s’en
trouve pas fuffifamment pour le completter, on y
admet les gardes qu’on nomme carabiniers.
Si l’on veut comparer notre cavalerie avec la
maifon du roi, on fe croira forcé de lui donner plutôt
fix rangs que trois : ce font bien les mêmes
armes , mais ce ne font pas les mêmes hommes ni les
mêmes chevaux ; la néceffité oblige , pendant la
guerre , d’ajouter aux bons cavaliers des cavaliers
médiocres , & même de mauvais, c’eft-à-dire de
jeunes gens ou de jeunes chevaux non exercés..
dont il n’eft pas poflible de tirer un grand fervice.
S'il eft un moyen de remédier à ces defauts, ce ne
peut être qu’en donnant à cette cavalerie la meilleure
forme dont elle eft fufceptible elle doit être
folide ; mais en même temps facile a mouvoir: &
pour cela il faut que la hauteur de Yefcadron foit
proportionnée à fa longueur, de manière qu’il n’occupe
ni trop ni trop peu de terrein. La difpofition
de Yefcadron fur trois rangs eft fans contredit la plus
propre à réunir ces avantages : on efpère le démontrer
, en fuppofant toujours que les efcadrons
doivent être de cent vingt à cent quarante-quatre
hommes ; car s’ils étoient de cent au-deffous de
ce nombre , il feroit néceffaire de ne leur donner
que deux rangs.
Le terrein qui dans un champ de bataille contient
la cavalerie en efcadrons difpofés fur trois rangs, eft
déjà d’une étendue très-confidérable. Si on ne don-
noit plus que deux rangs à ces efcadrons , on feroit
obligé de prolonger là ligne d’un tiers ; cela eft évident.
Qui ne voit d’un premier coup-d’oeil combien une
pareille difpofition entraîne de difficultés ? car enfin,
quand il feroit poflible de trouver, pour toutes les
occafions, des plaines affez vaftes pour former, fur
deux rangs, deux lignes de cinquante efcadrons chacune,
(nombre aujourd’hui le plus ordinaire dans les
armées) que d’inconvénients ne réfulte-t-il pas de
la trop grande étendue d’un champ de bataille, où le
général ne pouvant juger de tout par lui-même, ne
fauroit donner des ordres à propos ? ( Melius efipojl
acièm plura fervare protjîdia quam latius mïlitem fpar-
gere. Veget. lib. I I I , cap. xxvj. ) Les fecours arrivent
trop tard , les moments font précieux à la
guerre ; & d’ailleurs quelle apparence que des ailes
compofées d’efcadrons formés fur deux rangs,puiffent
tenir contre le choc d’autres efcadrons plus forts d’un
rang ? Ce font les ailes qui, comme on fait, décident
prefque toujours du fort des batailles ; dénuée
de leur fecours, l’infanterie eft bientôt prife tout-
à-la-fois en flanc & en queue par la cavalerie ennemie
, & de front par l’infanterie ; on ne fauroit donc
trop rapprocher des yeux du général la cavalerie ;
& la meilleure manière de le faire, & d’en former
les efcadrons fax trois rangs; le pofte qu’elle occupe
n’en eft déjà que trop éloigné : d’ailleurs fes combats
font vifs , de peu de durée, & prefque toujours dé-
cififs. Le général feul par fa préfence eft en état de
parer à mille accidents que toute la prudence humaine
n’auroit pu prévoir.
La trop grande étendue d’un efcadron rend fa marche
flottante & inégale ; fes mouvements font moins
légers & plus difficiles ; il eft fort à craindre qu’il ne
s’ouvre ou qu’il ne crève par quelqu’endroit ; alors
un tel efcadron eft vaincu avant que d’avoir combattu.
Sa véritable force confifte à être également
ferré de toutes parts, mais fans gène ; l’union en doit
être parfaite : car , comme le remarque Montécu-
culi, « tout l’avantage à la guerre confifte à former
un corps folide ,f i ferme &. fi impénétrable , qu’en
quelqu’endroit qu’il foit ou qu’il aille , il y arrête
l’ennemi comme un baftion mobile , & fe défende
par lui-même. v.
Les mouvements de Yefcadron fur deux rangs ne
peuvent être que fort lents & fort difficiles à exécuter
; il ne faut pour l’arrêter , ou au moins pour retarder
confidérablement fa marche, qu’un foffé , un
ravin , une haie , une hauteur ou un ruiffeau , qui fe
rencontrent fur fa route ; plus l’efpace de terrein
qu’il doit parcourir fera étendue , & plus il y a lieu
de préfumer qu’il trouvera de ces obftacles à vaincre
; obftacles bien moins à craindre pour Yefcadron
fur trois rangs, qui peut plus aifément les éviter ou
les vaincre par le peu d’étendue de fon front.
Dans Yefcadron fur trois rangs, le premier de ces
rangs eft compofé de l’élite de toute la troupe ; ce ne
font que des officiers , des brigadiers , des carabiniers,
ou au moins les anciens cavaliers , dont les
exercices , la valeur & l’expérience font garants de
leur conduite ;-elle fert d’exemple, & pique d’émulation
les deux rangs qui fuivent. Dans Yefcadron
ordonné fur les deux rangs , ils font l’un & l’autre
d’un tiers plus nombreux; il eft impoffible que le
premier rang de celui-ci foit âuffi-bien compofé que
le premier rang de Yefcadron fur trois ; on fera forcé
d’y admettre des hommes de recrues qui n’auront
point été exercés , des chevaux neufs, ou des chevaux
rétifs, qui n’étant point faits au bruit de la
guerre , rompront infailliblement Yefcadron. Les
officiers d’ailleurs dans un efcadron fur deux rangs
feroient trop éloignés les uns des autres ; & ce feroit
perdre un des avantages les plus confidérables des
efcadrons françois fur ceux de leurs ennemis , dont
le nombre des officiers eft moins grand , mais qui
placés fur un front plus étroit & plus*convenable ,
deviendroient à proportion plus forts que le nôtre ,
difperfés fur un front trop étendu.
Si le premier rang de Yefcadron qui n’en a que
deux, eft une fois entamé , peut-on préfumer que
le fécond compofé de ce qu’il y a de moindre en
hommes & en chevaux, puiffe oppofer une grande
réfiftance? Il n’en eft pas ainfi de Yefcadron fur
trois rangs; les vuides du premier font remplis par
les cavaliers du fécond , & ce qui manque à celui-
ci fe prend dans le- troifième.» .
On peut encore fe procurer d’autres grands
avantages d’un troifième rang, en ne le faifant pas
participer au choc , & le faifant refter un peu derrière
les deux premiers ; il fert en ce cas à fixer
un point de ralliement ; & ce dernier objet mérite
une grande confidération , puifqu’un efcadron,
comme l’on fça it, lorfqu’il eft une fois rompu, ne
fe rallie qu’avec beaucoup de peine. Ce troifième
rang peut encore , dans le même cas, fe rompre à
droite & à gauche , par le centre , & fe porter fur
les flancs & les derrières de Yefcadron ennemi, ou
s’oppofer à de pareilles petites troupes qu’il déta-
cheroit pour la même opération.
Les feuls avantages que piéfente Yefcadron fur
deux rangs, c’eft que plus de gens y combattent à