
5 y. 4 G É N
remonterons pas jüfques à ces anciens peuples i
dont la conduite militaire ne fe montre à nous
qu’a travers d’épais nuages. Dans ces temps recules
j on commençoit fouvent une campagne fans
plan , fans projet, fans fçavoir où l’on porteroit
fes armes ; on ignoroit les moyens de divifer une
armée en différents corps, & la manière de les
faire combattre avec avantage ; ainfi l’art de la
guerre étoit trop peu connu pour que les fùccès ne
paFuffent pas un effet du hafard. Dans le cours de
cet article nous fixerons donc nos premiers regards
fur le fiècle d’Alexandre ; nous jetterons enfuite
• un coup-d’oeil fur ces fameufes républiques de la
Grèce où Part militaire avoit fait plus de progrès
que par - tout ailleurs ; parce qu’elles faifoient la
guerre avec de petites armées, & parce que l’amour
de la liberté attachoit une grande confidération au
métier des armes. Nous nous rapprocherons très
rapidement des fiècles voifins du nôtre ; ils nous
fourniront des exemples d’autant plus inftruélifs ,
que nous pourrons moins révoquer en doute la
vérité des faits.
Jë vois d’abord Alexandre vaincre aïfément les
Perfes toutes les fois qu’ils font commandés par
leur monarque , & les Macédoniens n’obtenir que
difficilement la vi&oire quand Darius laiffe à fes
lieutenants, meilleurs généraux que lu i, le foin de
conduire fes armées. Bientôt Porus fe préfente..
Ce chef eft plus habile que touts ceux déjà vaincus
par Alexandre ; le fuccès eft longtemps incertain,
6 les Grecs achètent chèrement la vi&oire.
Avant Epaminondas, Thèbes avoit été compté
à peine parmi les états de la Grèce ; pendant que
.ce grand homme vécut', les Thébains firent le
deftin de ces différentes républiques ; après lui. ils
ne" furent célèbres que par leurs malheurs-,
Thémiftocles fuccombe fous les traits de la ia.-
loufie & de l’envie ; il ne commande plus les armées
d’Athènes ; il eft réduit à fervir comme foidat ;
©n livre la bataille ; Iss Athéniens font en défordre,
leurs ennemis regardent le fuccès comme affuré ;
cependant comme Thémiftocles vit encore , le
deftin dir combat peut changer ; quelques foldats
reconnoiffent le héros au milieu de la mêlée, ils
fe rappellent fes hauts faits, le nomment général'
par acclamation , & font vainqueurs,.
Pendant que les armées. Athéniennes ont Cimon.
à leur, tête elles triomphent. Ce général eft mis
au ban de fOftracifme ;, on ne veut pas même -
qu’il combatte comme foidat y les: Athéniens font
vaincus/
Agéfilaseft à la tête des armées de Lacédémone,
les Spartiates font toujours victorieux; une maladie
grave met le général dans l’impoffibilité de conduire
fes troupes-; elles font défaites ; dès qu’il eft
en: état de reprendre le commandement,. Lacédémone
reprend la fupériorité.
Les Athéniens affiégent Syracufe , ils croient -
être bientôt les maîtres de cette ville , & par là de
la Sicile entière ;, mais les Lacédémoniens ont en- s
G É N
j voyé Gilippe au fecours des affiégés. Ce généraï
fait prévenir les Athéniens qu’ils aient à évacuer
lîle ayant cinq jours. Ceux-ci fçavent que Gilippe
J eft arrive prefque feul , ils demandent auhéraultft
une cappe Lacédémonienne peut ainfi faire changer
la fortune ? O u i, fans doute , un grand général feul
peut produire ce changement. Les Athéniens réprouvèrent
de la manière la plus cruelle.'
Rome eft par-tout vi&orieufe : le Lacédémonien
Xantippe vient feul au fecours de Carthage, &.
Carthage- triomphe.
Bes Romains oppofent tour à tour à Annibal
d es generaux habiles 6c des généraux ignorants, leurs-
fuccès font auffi variés que les talents des chefs
quils mettent à la tête de- leurs armées. Dans la
guerre contre M ithridateils éprouvèrent les mêmes-
événements»
. f-a vie de Bélifaire prouve encore fa même vérité.
Les- Perfes viennent de remporter des avantages
considérables fur les Romains , Juftinien
nomme Bélifaire général d’Orient , & bientôt les
Perfes font battus. Les Huns font une irruption fur
les terres de l’empire , rien ne peut les arrêter ;
fis- ne font qu’à 150 ftades de Conftantinople.
Bélifaire, quoique affoibli par i-âge, ne pouvant,
prefque- plus foutenir fa redoutable épée , va au-
devant d’eux avec une poignée de foldats, &
délivre l’empire des dangers qui le menacent..
Bientôt après ce grand homme fe rend maître de
la Sicile; il bat par-tout les Goths. Juftinien le.
rappelle & les barbares font vainqueurs.
Philippe-Augufte vainquit à Bouvines parce que-
le frère Guérin avoit fçavamment difpofé Ion
armée.
Ce ne- fut ni le nombre , ni la valeur, qui.
firent triompher les ennemis de la France dans les-
champs trop fameux de Créai , de Poitiers &.
d’Azincourt; mais l’inexpérience de Philippe , l’ignorance
d’Albret , l’imprudence du roi Jean , &
la fupériorité reconnue de Henri, d’Edouard &
du prince de Galles»
Du Guefclin eft en Efpagne , Tes Anglois triomphent
des François ; il repaffe en France, par-tout
les ennemis- font défaits. Dans ce fiècle où l’art
de la guerre avoit fait fi peu de progrès, Charles-
ls-Sage eft pourtant perfuadé que les fçavantes-
difpofitions de du Guefclin pe.uvent-.décrder la victoire
; auffi répond-il à Knolles : oui, j’aurois combattu
fi. pavois-eu du Guefclin pour ranger mes
troupes-en bataille.
Nemours vit les affaires dès François profpérer
en Italie : il meurt, la- Trimouille Ôc Trivulce lui
fu.ccèdent; tout change de face. Bottnivet fut encore
moins heureux, parce qu’il" étoit moins habile.
Wa rVick, tantôt la-terreur, tantôtTappuf de
fes maîtres , donne le feeptre à fon gré, & la
viftoire fe range conftamment du côté qu’il fa-
vorife. •
Les François effuient a Saint-Quentin là défaite;
G É N
la plus complette : on fait venir le duc de Guife,
on le met à la tête des troupes ; les malheurs de
la France ceffent, les alliés fe tiennent fur la dé-
fenfive , & Calais eft repris.
Henri IV combat à Arques & à Iv r i, il remporte
une viéloire facile ; le duc de Parme devient
fon antagonifte ; dès ce moment le héros, le père
des François auroit été vaincu -s’il avoit pu l’être.
Avant Guftave , Tilli eft toujours vainqueur
des Suédois : le roi de Suède commande, Tilli
eft battu.
Eft-ce par un effet du hafard que Turenne fauva
la cour à Gien , &. la France à la journée des
Dunes ? Eft-ce par un effet du hafard que l’armée
Françoife fut obligée de fe retirer devant les ennemis
après la malheureufe journée de Salsbach ?
Eft-ce par un effet du halàrd qu’en Italie Catinat
le maintint contre Eugène ; que Villeroi fut battu
par-tout & finit par être fait prifonnier, & qu’à
l’arrivée de Vendôme les affaires des François fe
rétablirent ? Philippe V chancple fur fon trône :
Vendôme arrive , triomphe à Aimanza , & Louis
XIV dit : voilà ce que c’eft qu’un homme de plus.
L’empereur Charles V I attribua-t-il au hafard les
malheurs que l’empire effuya après la mort d’Eugène
? L’Europe entière ne convient-elle pas que
la vi&oire de Fleurus fut due uniquement à la
fupériçrité de génie du général françois ; que
Luxembourg n’eût pas toujours été heureux s’il
n’eût été qu’heureux, & que la mort de ce général
fut le terme des fuccès de Louis-le-Grand. Peut-
on croire enfin que la vi&oire eût conftamment
fuivi les drapeaux de Lefdiguières , de Guftave
& du maréchal de Saxe ; peut-on imaginer qu’elle
eût abandonné fans ceffe le parti des généraux que
ces grands hommes avoient en tête, fi elle avoit été
uniquement guidée par l’aveugle & inconftante 5s
fortune ?
Malgré le grand nombre de faits, que nous
venons d’accumuler,pour prouverqu’àla guerre, la
palme n’eft pas au plus fort, mais au plus fçavant :
on nous dira, peut-être, ne comptez - vous pour
rien la valeur des foldats, la bonté de la conftitution
militaire , & l’exaétitude de la difcipline ? J’eftime
infiniment la valeur , la fupériorité de la difcipline
& de la conftitution militaire ; mais ces objets importants
& touts ceux qui contribuent aux viéloires, I
s’aggrandiffent entre les mains du général habile ; il
fçait à propos exciter, animer la valeur , la retenir,
la faire renaître ; il fçait quand il le veut ajouter une
nouvelle force à la difcipline , réparer les défauts
effentiels de la conftitution, ou y porter des remèdes
fûrs. Le hafard &. 1« bonheur ont bien peu d’influence
à la guerre,; le général fçavant a prefque toujours
la fortune pour lu i, & fi quelquefois des
hommes .envieux ou méchants la lui rendent contraire
, il fçait la ramener à force d’art & d’adreffe.
Si Turenne fut vaincu à Mariendal & à Rhetel,
Condé aux Dunes, Eugène à Denain ; c’eft qife
ces généraux avoient fait des fautes. . » . Génies
G É N f f j
immortels que je viens de nommer, fi j’ofois
évoquer vos ombres, vous ne me démentiriez pas ;
vous vous êtes couverts d’affez de gloire ; vous
avez eu allez de grandeur pour convenir que la
viéloire fe rangea du côté de vos ennemis, parce
qu’ils avoient plus que vous mérité fes faveurs.
Et toi fameux Marlbouroug , digne compagnon
d’Eugène , rival heureux de Vendôme & de
Villars; tu dirois encore , fi on te félicitoit fur tes
viéroires : ne fçave-z - vous pas d’où proviennent
mes fuccès ? J’ai fait des fautes | mes ennemis en
ont fait plus que moi.
La vi&oire fe range donc toujours du côté du
général qui réunit le plus de connoiffances , nous
venons de le voir ; mais puifque la nature n*a pas
accordé aux hommes le don de tout fçavoir , que
doit faire le guerrier qui fe deftine à commander
les armées ? Il doit étudier avec confiance tout
ce qui l’intéreffe ; il doit fçavoir tout ce qui convient
à fon état, à fon pofte, à fa deftination , ÔC
fe borner à ces connoiffances, jufqu’à ce qu’il fe
foit rendu fupérieur à touts ceux qui courent la
même carrière que lui. Peut-on pardonner à un
général qui ne pofsède pas l’art de conduire »
de ranger en bataille , oc de faire combattre les
armées ; qui ne connoît ni fes fubordonnés ni fes
ennemis ; qui n’a pas, en un mot, embraffé les
différentes parties de fon ar t, lui pardonnera-t-on
de s’appliquer à la peinture, à la poëfie ? Avant
de chercher à cueillir des fleurs dans les beaux
arts, il faut réunir , comme Frédéric I I , toutes
les connoiffances du grand général ; il faut comme
ce héros s’être couvert de gloire. Jufqu’à ce qu’il
ait atteint ce haut point de perfeftion, l’homme de
guerre doit s’occuper uniquement à acquérir les
connoiffances qui lui font propres; mais comme ces
connoiffances ne font pas toutes d’une importance
égale, il s’appliquera d’abord à acquérir celles
que nous avons rangées dans la claflè des con-
noiffânces indifpenfables ; il étudiera donc la
fcience de la guerre , l’hiftoire générale & particulière
, là géographie 6c les ordonnances militaires.
§ . i " .
De Vétude de Vart de la guerre.
En parlant de la connoiffance des hommes,
nous avons rarement renvoyé le général d’armée
à l’étude des livres, nous lui avons prefcrit de
s’étudier, de fe connoître lui-même ; de defcendre
dans fon propre coeur, d’interroger fon efprit „
de fe répandre dans le monde ; enfin, de vivre
beaucoup avec les hommes. Les exemples qui
naiffent dans la foctété , pour ainfi dire fous nos
y e u x , iaiffent dans notre ame des traces plus profondes
que les exemples & les leçons que nous
trouvons dans notre cabinet. Mais pour arriver
à la connoiffance des chofes, la route qu’il doit
fuivre eft entièrement différente ; il doit joindre
, à l’étude réfléchie des livres une attention focte ,