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fi les uns 6c les autres étoient intéreffés à maintenir
la paix, elle règneroit donc fans ceffe* ou
du moins elle ne feroit jamais troublée au point
de dégénérer en guerre ouverte ; ainfi 'la punition
infligée aux officiers, aux bas-officiers ôc aux
foldats loin d’être/ injufte, eft conforme aux maximes
de la faine raifon.
O u i, pour les bas officiers 6c lés foldats , difent
les officiers, mais nous qui ne pouvons vivre fans
-ceffe avec nos foldats, nou§ ne devons pas répondre
de leurs aCtions 6c être punis de leurs
fautes.' Vaine objeCtion ; dans tout corps politique
bien organifé, les chefs doivent répondre
de leurs fubordonnés , 6c jamais la difcipline n’aura
de force que lorfqu’on punira les chefs des fautes
des fubalternes.
S E C O N D E O B J E C T I O N .
Le règlement ne punit pas les vrais coupables.
La loi du prince ayant profcrit la tête de touts
les duéliftes, l’auteur du règlement, n’avoit pas
befoin de prononcer contre eux; en condamnant
les officiers, les bas-officiers & les foldats à
monter un certain nombre de gardes, le légifla-
teur ne leur dit pas, je vous inflige cette puni-
tion, parce qu’un ou deux de vos compagnons
fe font battus ; mais il leur dit : je vous punis ,
parce que vous n’avez pas empêché un duel que
vous pouviez prévenir. Ces gardes font la peine
-de votre négligence, 6c non celle du combat
fingulier de vos camarades.
T R O I S I È M E O B J E C T I O N .
Le règlement ne proportionne pas la peine au délit.
Le règlement, dit-on encore, ne proportionne
point les peines au délit. Les camarades de chambrée
des duéliftes, leur caporal, leur fergent &
leur lieutenant méritent d’être punis plus févè-
rement que les foldats, les caporaux, les fergents
&. les lieutenants des autres efcouades, divifions
& fubdjvifions de la même compagnie. Cette
objeÇlion eft fondée ; la graduation a été omife ;
il feroit infiniment aifé de la fixer.
Pourquoi, ajoute-t-on, faire monter la garde
aux foldats quand leurs bas-officiers fè battent ?
Ont-ils pu les en empêcher ? Cette ôbjeCfion eft
encore fondée ; en la levant , on donneroit au
feulement un plus haut degré de perfe&ion,
I V e. O B J E C T I O N .
Le réglement doit rendre U foldat moins brave,
L’objeéfion qu’on répète le plus fouvent eft
Oèlle-ci ; il faut qué le foldat fe batte en duel,
Ç& les combats ftnguliers le rendent brave j ditesmoi,
je vous p rie, f i , parmi les peuples les pluJ
connus par leurs viCloires , vous voyez des exemples
de *la fureur des duels ; les Grecs 6c les Romains
cherchoient-ils à plonger leur épée dans
le fein de leurs concitoyens pour un mot fouvent
innocent , 6c tout au plus inconfidéré ; jaloux
de conferver leurs jours à la patrie , ils oublioient
les injures perfonnelles , 6c méprifoient même les
menaces les plus aviliffantes , quand elles ne for-
toient pas dé la bouche d’un ennemi de la pa-
trie. Qui ne connoît pas ce mot célèbre, frappe ,
mais écoute ? Ges fiers Anglois -, nos ennemis les
plus confiants , ne fe battent que rarement en
combat fingulier , ôc cependant ils font auffi valeureux
que nous. Les Allemands , les Efpagnols ,
les Italiens ont à peu de chofe près la même
origine que les François ; ils ont effuyé les mêmes
variations qu’eux : ils devroient donc être mauvais
foldats ou aimer les duéls ; ni l’un ni l’autre n’eft
vrai. Nos anciens preux , ces braves chevaliers
que nous citons fans les imiter, étoient, dit un
ancien hiftorien des croifades, comme des àgneaux
parmi eux ôc comme des lions à la guerre. Ecoutez
le chevalier Bayard ; il vous dira « qu’un
preux chevalier , un guerrier fans tache Ôc fans
reproche , n’a jamais rougi fes armes du fang de
fes compagnons ; mais il les a fouvent ÔC moulte
fois trempées dans celui des ennemis de fan
roi ».
Telle avoit été d’abord l’opinion de nos pères ;
mais avec le temps elle changea : on fit confifter
l’honneur à fe battre en toute occafion ; on voulut
que le militaire entretînt, effayât fa valeur par des
combats ftnguliers ; on fut perfuadé que tout
homme qui n’avoit pas eu au moins une douzaine
de ce que nous appelions avec raifon mauvaifes
affaires, ne pouvoit être un bon fold.at. Quelle
erreur ! On a vu prefque toujours au contraire
ces hommes connus feulement par les meurtres
qu’ils ont commis, ces duéliftes fameux par leurs
affaffinats , prodigues du fang de leurs compagnons
, & avares de.celui de l’ennemi. Je pourrois
citer une foule de preuves de ce fait ; mais ,
pourquoi tranfmettre à la poftérité des noms qui
méritent de refter enfevelis dans l’oubli le plus profond.
Je me contenterai de rapporter l’opinion de
Turenne ôc de Montluc,l’autorité de ces deux grands
hommes doit fuffire. Voici ce que le maréchal de
Montluc écrivoit à un lieutenant de fa cotmpa-
gnie. « Nous avons vu,avec maints regrets longtemps
fans remèdes , ôc jamais fans indignation,'
plus d’un faux guefrier , plus d’un homme d’armes
ne s’en fervir que contre nos propres frères 6c
compagnons ; nous en avons vu de tant deftreux
6c friands d’efcîime 6c de combats ftnguliers
frappant d’eftoc 6c de taille en ces vilaines malen- «
contres, 6c montrant un foi-difant courage dans
touts les champs clos ; mais, tou jours ces dangereux
affaffins faignant du nez , 6c comme poulies
mouillées , quand il s’agiffoit d’affronter & combattre;
battre nos véritables ennemis ; auffi avons - nous
fini, les connoiffant foncièrement , par ne plus
faire cas ni ufage de ces pointilleux, défolants 6c
malfaifants bravaches , que tant feulement en
montres , parades , fimulacres , tournois 6c car-
roufels ». J’ai remarqué , difoit M. de Turenne ,
plus d’une fois moi-même, la trille contenance
de ces homicides devant l’ennemi ; ils nous tue-
roient touts fi nous les laiffions faire, 6c pas un
feul ennemi du roi ».
O u i, je n’héfite pas à le dire , la connoiffance
certaine de leur adreffe ôc de leurs vices produit
feule les partifans des duels. La Rochefoucault ,
ce profond fcrutateur du coeur .humain , dit avec
raifon , a celui qui affeCte de montrer une paffion
qu’il n’a pas dans le coeur, ne croit jamais affez
bien jouer fon rôle , parce que fa confcience
le dément , 6c que ce n’eft que quand on fe
fent trop foible , qu’on veut paroître opiniâtre. 1
Tant d’hommes ne font fi inquiets , fi chatouilleux
fur leur honneur , dit un autre moralifte , que
parce qu’ils fçavent intérieurement que leurs titras
font fuppofés. Un tpoifième leur fait encore moins
d’honneur. Les hommes ombrageux 6c prompts à
provoquer les autres font pour la plupart, dit-il,
de malhonnêtes gens q u i, de peur qu’on ofe leur
montrer ouvertement le mépris qu’on a pour eux,
s’efforcent de couvrir de quelques affaires d’éclat
l’infamie de leur vie intérieure ».
Si la valeur étoitun métier, elle demanderoit un
apprentiffage , un travail habituel ; mais cette vertu
qui, dans le foldat, eft le fruit du tempérament,
de la difcipline, de l’impoffibilité d’être lâche , n’a
pas befoin d’étude pour être acquife, 6c d’exercice
pour être confervéé. Je ne prétends cependant pas
qu’un vieux foldat ne vaut pas mieux qu’un nouveau
; loin de moi cette opinion ; ce que le vieux
foldat a fait, eft un garant de ce qu’il fera : les.combats
qu’il a vus,, lui font confidérer de fang frpid
ceux où il pourra fe trouver. Mais quelle compa-
raifon peut-on faire entre un combat d’homme à
homme 6c une bataille générale ?
S i , de nos jours , un champion for toit de fon
rang avant une affaire , pour aller combattre corps
à corps un champion de l’armée ennemie. On
devroit peut-être permettre aux foldats de s’exercer
aux combats ftnguliers ; mais ce genre de lutte
n’étant plus ufité ; le coup de fufil tiré par la
meilleure épée de France ne faifant pas plus de
mal à l’ennemi que celui que tire le payfan le
plus maladroit ; la prétendue agilité que donne
l’efcrime, pouvant d’ailleurs être acquife par des
moyens moins dangereux , dans aucun cas les
combats particuliers ne peuvent être néceffaires.
V e. O B J E C T I O N .
La punition que le règlement inflige , efl nuifible à la
fanté du foldat & au bien du fervice.
La punition ordonnée pour prévenir les duels,
Art militaire, Tome 11,
peut être nuifible à la fanté du foldat 6c au bien
du fervice , cela eft vrai ; un homme qui , fur
huit nuits , en paffe quatre au corps de garde ,
ôc quatre mal à fon aife dans un lit trop étroit ;
q u i, fur huit journées , en paffe quatre à faire
faClion , 6c quatre à préparer 6c à réparer fon
armement 6c fon équipement, Ôte., doit fe ref-»
fentir de cet excès de veilles 6c de fatigues ; fon
fang circulant difficilement à caufe des ligatures
qui compriment fes membres , doit s’échauffer,
fe vicier même. Et à quelle autre caufe , qu’aux
gardes multipliées , attribuer la vieilleffe prématurée
des foldats fantaffins ? Mieux nourris que les
cinq fixièmes des payfans, mieux vêtus , mieux
couchés, prenant moins de peine , ils devroient
conferver plus longtemps qu’eux l’air de fraîcheur
6c de fanté du bel âge ; 6c cependant un payfan
de cinquante ,ans paroît plus jeune 6c mieux portant
qu’un foldat âgé de quarante ans, dont il a
confumé vingt-quatre au fervice de l’état.
Les/ hommes font gouvernés par les mots ; il y
a longtemps qu’on l’a découvert, 6c, qu’en tirant
parti de cette découverte , on leur a rendu
douces 6c agréables les chofes les plus difficiles.
L’idée d’honneur attachée à 1’aCle d’affurer la
tranquillité publique contre les entreprifes tant
intérieures qu’exterieures, eft un de ces préjugés
militaires qu’on doit fortifier avec le plus- de foin :
il eft un motif pour les nouveaux foldats :
il tient fans ceffe éveillée l’a&ivité de ceux
qui font de fervice , 6c , par une efpèce de grâce
d’état, il les empêche de profiter de ce moment
commode pour déferter. En fera-t-il de même fi
l’on fait de la garde une punition ? L’homme de
recrue retardera le moment de fon entrée en bataillon
; le foldat fait regardera la garde comme
une corvée, 6c le temps de fa faClion deviendra
pour lui un fardeaù dont il fe débarraffera , ou en la
faifant mal , ou en choififfant ce moment-pour n’en
plus faire. Cette vérité a été apperçue par le rédacteur
de l’ordonnance pour le fervice des places ;
il met la garde au premier rang des fervices, au
lieu que , par le réglement, elle paroît tout au
plus au premier rang des corvées.
Telles font les objections que l’on a faites contre
le réglement. Ces objections font aifées à réfuter.
Au lieu de faire monter quatre gardes à la compagnie
dont un foldat fe feroit battu en duel,
on pourroit lui faire monter huit piquets qui
commenceroient lors de l’ouverture des portes ,
6c qui finiroient lors de leur fermeture. Ces piquets
, après avoir défilé à la queue de la garde,
fourniroient quelques fentinelles fur la place d’armes
, quelques autres fur le champ de la bataille ,
6c des patrouilles qui parcourerojent fans ceffe le
rempart 6c les rues ; ainfi on puniroit auffi févè-
| rement 6c plus vifiblement ; on feroit plus affuré
de la tranquillité publique , 6c l’on n’expoferoit pas