
& pourquoi les voyent-elles avec plaifir ? 2°. Eft-il
avantageux ou nuifible aux cités d’avoir des gar-
nifcm nombreufes ? 30. Eft-il plus utile que dangereux
de rendre les garnifons permanentes ?
4°. Quelle doit être la proportion entre la force de
la garnifon, & l’étendue d’une place ? 50. Quelle
doit être la conduite d’une troupe qui va entrer
dans fa garrùfon? 6°. Quelle eft celle qu’elle doit
tenir pendant tout le temps qu’elle y relie ? Enfin
comment doit-elle agir quand elle en fort ? Nous
ferions defeendus dans touts les détails que ces lept
queftions entraînent après elles, fi nous n’avions
pas été gênés par l’efpace étroit qui leur eft deftiné.
§ . Ier.
Comment toutes les villes de France font-elles devenues
des villes de garnifon ?
Pendant que les armées Françoifes ne furent
compofées que de foldats qu’on raffembloit au commencement
de chaque campagne, & qu’on licen-
tioit dès l’inftant où les opératipns militaires étoient
terminées, on ne vit de garnifons que dans les
endroits menacés par l’ennemi ; mais , dès l’inftant
où nos rois crurent qu’il importoit à leur gloire ,
& fur-tout à la tranquillité de leurs états, d’avoir
fur pied, même pendant la paix, des forces ref-
peélables, les chofes changèrent de face. L’on garnit
d’abord les châteaux forts qui appartenoient au ro i,
& puis les villes qui relevoient immédiatement
de la couronne. Des guerres fréquentes ayant forcé
nos fouverains à augmenter le nombre de leurs
foldats, & les grands valfaux de la couronne à
demander au feigneur füzerain des troupes pour
garder leurs places, le nombre des garnifons fe
multiplia. Les guerres civiles qui avoient la religion
pour prétexte & l’ambition pour caufe, ayant tranf-
foi mé prefque toutes les cités en places de guerre,
le nombre des troupes devint encore plus confi-
derable, & celui des garnifons plus grand. Il reftoit
cependant quelques villes qui, intimidées par les
excès auxquels fe livroient les gens de guerre ,
défendoient avec opiniâtreté-le. privilège quelles
prétendoient avoir de fe garder elles-mêmes, &
de ne pas recevoir de garnifon. Henri-le-Grand,
ce prince qui, après avoir conquis fon royaume,
refpeéloit néanmoins les droits des peuples , les
laifia jouir de ce privilège jufqu’au moment où
la furprife d’Amiens défilla fes yeux , & le contraignit
à anéantir des droits particuliers qui pou-
voient nuire au bien général.
Depuis cette époque, toutes les villes du royaume
reçoivent non-feulement avec plaifir les garnifons
qu’on leur envoyé , mais elles font même les
premières à en demander ; tant il eft vrai que
l’obéiffance ne coûte rien , quand on fçait l’exiger
à propos, & la rendre utile à ceux dont on
l’exige, j
G A R
§ . 1 1 .
EJl-il avantageux aux cités d'avoir des garnifons
nombreufes ?
Comment toutes les villes du royaume ne fe-
roient-elles pas bien aife d’avoir des garnifons nombreufes
? Le foldat y eft fous les loix d’une auftère
dilcipline ; il n’eft plus l’agent du defpotifmé ; il
répand où il vit des fournies confidérables ; il con-
fomme une très-grande quantité-des denrées dont
le débit eft le plus difficile ; il donne enfin au commerce
, a l’agriculture & aux arts une foule de bras
peu coûteux. Les biens que \tsgarnifons produifent,
font fi confidérables , qu’une ville accoutumée à
avoir une forte garnifon, languit dès l’inftant„oït
des operations militaires obligent- le gouvernement
a la diminuer ; ils font fi grands , que plufieurs
économiftes prétendent, avec raifon , qu’il fuffiroit
peut-être , pour vivifier quelques villes de l’intérieur
du royaume, de leur donner des garnifons
nombreufes. Pourquoi, difent - ils , Strasbourg ,
Lille &. quelques grandes places frontières font-elles
pendant la paix les feules qui jouiffent du bonheur
d’avoir des garnifons ? Ces cités font un grand
commerce avec l’étranger ; elles font entourées de
payfages riches ; elles ont plus de bras qu’il ne
leur en faut; elles pourroient donc fe paffer de
troupes, au lieu que Bourges , Poitiers, Péri-
gueux , & c . privées de touts ces avantages , languide
nt dans une trifte apathie : l’argent que ces
dernières villes verfent dans les coffres de l ’état
ne leur rentre jamais ; on leur enlève chaque année
beaucoup de bras, & on ne leur en rend point.
Pour vivifier ces villes du fécond ordre, donnez
un régiment à chacune ; comme il y verfera 50
louis par jour , & lui donnera deux ou trois cents
ouvriers-, elles for-tiront bientôt de la trifte ftagna-
tion dans laquelle elles vivent. Des militaires fa-
vants, d’accord avec les économiftes, ayant prouvé
que cette rentrée des régiments dans l’intérieur du
royaume ne nuiroit ni à la difcipline ni à l’inftruc-
tion, comment eft-il poffible qu’on ait autant tardé
à l’exécuter ?
g. I I I .
EJl-il utile ou dangereux de rendre le s ‘garnifons
permanentes ?
M. le b. de B. ayant examiné dans le i6 ç chapitre
de fon premier volume, fi les g a r n ifo n s doivent
être ou.n’être point permanentes , nous avons cru
ne pouvoir mieux faire que de rapporter cette partie
de ion ouvrage.
Il eft peu d’ufages aiiifi contraires au bien du
fervice, que celui que nous confervons en France,
de faire voyager fans ceffe les troupes d’un bout
du royaume à l’autre, fans autre objet que celui
del .es changer .de garnifon '& de quartiers : finftruc-
tion en fouffre, le foldat s’endette ; il ufe non-feulement
fes effets, mais encore ceux qui font au
compte du roi. Le tranfport des équipages, celui
des magafins ne fe fait jamais fans perte & fans
des frais confidérables. L’officier eft accablé par les
dépenfes que lui occafionnent ces déplacements,
pour lefquels le roi , loin de lui faire un traitement
particulier , le prive encore des fecours néceffaires
pour le tranfport de fes équipages & de fes valets.
Ces mutations continuelles font que l’officier ne
peut vivre nulle part avec l’économie qu’exigeroit
fa modique paye ; par-tout il eft traité comme
un étranger, & fe trouve , comme tel, réduit aux
chères reffources de l’auberge ; le peuple eft foulé
par le paffage continuel des troupes qu’il a la charge
de loger. Les étapes , qui font une très grolfe charge
pour les provinces , augmentent d’environ deux
millions les dépenfes de la guerre. En fixant Téta-
bliffement des troupes, il en réfulteroit une grande
économie pour le roi, pour les officiers & pour le foldat
; les villes deftinées à devenir quartiers, feroient
bientôt conftruire des cafernesplus faines, plus commodes
& plus favorables à la difcipline ; on auroit
des hangars , des manèges qui faciliteroient rinftruc-
tion qu’on ne peut donner dans la plupart de nos
quartiers aéluels ; des magafins vaftes nous permet-
troieftt d’être toujours munis des attirails de guerre,
dont on ne peut fe pourvoir à préfent, par l’embarras
de les traîner avec foi ; l’officier enfin joui-
roit des mêmes reffources que le citoyen ; il pour-
roit vivre à auffi bon marché, en faifant dans les
temps les plus favorables toutes les provifions de
fa confommation : c’eft ainfi que cela fe pratique
en Allemagne, en Pruffe ; mais, malgré l’avantage
qu’il y auroit à imiter ces deux états, vraiment
militaires dans cette fage politique , je trouverai,
fans doute , le plus grand nombre des anciens
officiers contraires à ce principe ; ils réclament fur
cet objet, comme fur tant d’autres , l’antique ufage
de ces promenades devenues néceffaires à la diver-
fion de leur oifiveté & de leur ennui. Les uns
diront que ees changements fervent à éviter le
dégoût que le foldat François eft fi fujet à prendre
pour une vie que la difcipline rend déjà fi uniforme ;
les autres diront que le foldat, étant fédentaire,
formeroit des liaifons trop folides , qui le diftrai-
roient des devoirs de fon métier : mais qu’on réflé-
chiffe férieufement fur la futilité de ces objeélions
communes qui paffent de bouche en bouche, ôî
que l’on répète machinalement. Si le foldat defire
quelquefois fortir du quartier ou de la garnifon
qu’il ocupe , c’eft que fon, établiffement y eft mauvais;
c’eft que les vivres y font chers; c’eft qu’il
y eft trop fatigué par le fervice. Quand eft-ce
qu’un régiment fe plaint de fon quartier ou de fa
garnifon ? C ’eft prefque toujours dans les premiers
mois de fon arrivée, .parce qu’alors il a moins de moyens & moins de reffources ; parce qu’il eft reçu
avec humeur par le bourgeois qu’il gêne , & au- j
quel il eft à charge. Si le régiment eft difcipline ,
- au bout de quelques mois l’humeur & les plaintes
s’appaifent, la ville s’habitue à la garnifon & la
garnifon à la ville. J’ai toujours v u , qu’à moins
qu’il n’y eût des caufes femblables à celles que j’ai
citées ci-deffus, lorfque l’ordre routinier du changement
arrivoit ,. le bourgeois étoit fâché de
perdre le foldat qu’il connoiffoit , & le foldat
tâché de perdre l’hôte dont il avoit à fe louer.
De ce que le foldat s’accoutume & fe plaît dans
fon quartier, en conclure qu’il perdra le goût de
fon métier, & fe diftraira de fes devoirs, c’eft
précifément déduire une conféquence inverfe de
celle que je crois raifonnable d’en tirera
Chaque miniftrea d’autant plus volontiers maintenu
cet ufage de faire voyager les troupes , qu’il
devient une reffource pour tirer du tréfor royal
deux millions en excédant des fonds affignés pour
le département de la guerre. Ceci eft une de ces
rufes d’adminiftratîon , un de ces revirements de
parties qui fe pratiquent en grand, mais dont le
réfultat eft comme celui de la comptabilité actuelle
de nos régiments , je veux dire de tromper
le roi fous prétexte de le mieux fervir. ■
Lorfqu’un bureau de l’hc^el de la guerre calcule
mal, lorfque la dépenfe excède la recette*, lorsqu'il
y a quelques gratifications extraordinaires à
accorder, ou quelques dépenfes tacites à faire,
le commis chargé du mouvement des troupes,
préfente le tableau d’un changement de quartiers
& de garnifons , qui met trente ou quarante mille
hommes en route pendant un mois , donne un
bénéfice net de la retenue totale des appointements
& de la folde de ces troupes; car alors
elles font défrayées par l’étape. Les contrôleurs
généraux , choqués d’une charge qùe le miniftre
de la guerre rejette à volonté fur le tréfor royal
& fur les provinces, auroient voulu remédier à
cet abus , mais ils n’ont ofé élever la voix contre
un ufage dont l’origine eft ancienne, & que le
bourdonnement de rhô te! ce la guerre certifie être
auffi néceffaire. M. Ne cher fît' pourtant en 1 7 7 7 ,
une nouvelle tentative pour mettre fin à ce détordre.
Il fit prbpofer 3 M. le comte de Saint-
Germain ce fupprimer les étapes,, <Si. lui offrit en
indemnité une augmentation dé fix cents mille
livres pour les fonds d,e la guerre. Un officier
général fut chargé de traiter cette affaire entre les
deux miniftres ; mais les bureaux détournèrent
bientôt le principe d’ordre & de juftice qui rencîoit
. le miniftre de la guerre attentif à la propofition :
on décida celui-ci à demander un million cinq cents
mille livres. On ne tomba point d’accord. M. de
Saint-Germain quitta en ce moment. Le directeur
des finances , occupé d’opérations plus vaftes 8c
plus effentielles, fembla au moins avoir fufpendu le
projet d’une réforme auffi intéreffame ; mais ne
1
pourroit-on pas réveiller l’attention du miniftere ,
en entrant dans des détails qui fer virons de plus
j en plus à le convaincre de l’inutilité des étapes 5