
confiante & foutenué, des obfervations exaéles ,
& des comparaifons faites avec foin. Que le genre
de vie uniforme & réglé que nous propoions au
général y que la folitade n’effraient point : l’efprit
trouve pénible dans le premier inftant tout ce qui
l’occupe fortement, tout ce qui lui préfente un
fujet de méditation & de travail ; l’amour de la
diffipation & l’inftinél du plaifir condamnent ces
privations prétendues ; mais bientôt les profondes
îpéculations , les réflexions férieufes & abftraites ;
tout ce qui paroit d'abord ff laborieux , fi dur, fi
rebutant, attire , attache , entraîne & devient la
fource des plaifirs les plus purs &. des jouiffances
les plus réelles.
La première, la plus effentielle des connoif-
fances, celle qui peut prefque fuppléer à toutes
les autres , qui peut tenir lieu jufqu’à un certain
point des vertus morales & des-qualités phyfiques ;
celle dont l’abfence rend les autres inutiles , c’ eft
la fcience de la guerre : cette fcience auffi vafle
que compliquée, eompofée de l’ajfemblage de plusieurs
fcience s réunies & enchaînées tune à t autre, quife
prêtent un appui mutuel, 6* dont on ne peut détacher
un feul anneau fans que la chaîne foit interrompue ;
cette fcience doit faire la première & la principale
occupation du général d’armée ; mais qu’il fe garde,
bien de s’en tenir à des études fuperficielles, elles
font croire qu’on fçait ce qu’on ignore te llem en t,
ce qui eff avec raifon , dit un auteur moderne , un
degré au-deffous de l’ignorance.
Cependant le général ne doit pas chercher à
approfondir toutes les différentes branches de l’art
militaire. L’enfance de l’homme eff trop prolongée
; dans l’adolefcence il aime trop les
plaifirs; dans la jeunefle il eff fournis à trop de
pallions tumultueufes ; dans l’âge mûr il eff efclave
c e trop de foins puériles 3 & aftreint à trop de
devoirs minutieux ; fa vieillefle eff trop précoce ;
fes befoins phyfiques trop répétés ; fes maladies
trop fréquentes; fon efprittrop borné ; fon éducation
trop négligée ; fa vie trop courte pour qu’un
feul puifïe parcourir en détail toutes les parties de
la fcience de la guerre. Le général fe bornera donc
à celles qui font le plus eflentiellement néceffaires
à un chef, & dans lefquelles il ne peut être fup-
pléé par perfonne ; telles font les marches, les
manoeuvres , les fourrages, les convois, les détachements
, les communications, le choix du champ
dé bataille , la manière d’ordonner , de faire combattre
les troupes, & les difpofitions en cas de
viâoire ou de défaite. ( Voyeç ces différents mots.'). Il
doit, fans doute, aVoir étudié l’art que Vauban
a profeffé, celui que Saint-A........ & G....... ont
perfeâionné ; il doit connoître la manière d’ap-
provifionner les armées, d’affeoir fes camps > de
les fortifier, ce qui concerne les hôpitaux , le
tranfport des munitions de guerre , & celui des
malades. ( Voye{ ces mots. ). Mais foit qu’il étudie ,
foit qu’il faite mettre en pratique quelques-unes
de ces parties fecondaires de l’art de la guerre ,
il fe refufera, pour ainfi dire , à la connoiffance
des détails, afin qu’il lui refte allez de temps & de
force pour méditer fur les parties importantes, ou
veiller à leur exécution.
'La divifion que nous venons de faire a infiniment
diminué le travail du général d’armée ; mais
comme la fcience militaire offre malgré cette ré-
duélion un champ vafte & pénible, car les règles
générales font rares & difficiles à appliquer , les
bons guides peu communs & fur-tout peu aifés à
reconnoître , les expériences propres à reélifier les
idées &. à éprouver les nouvelles découvertes
prefque impoffibles à faire; nous devons effayer
de diminuer toutes les difficultés en indiquant aux
guerriers les fources dans lefquelles ils trouveront
les fecours les plus abondants.
Les militaires font partagés aujourd’hui comme
les littérateurs l’étoient jadis , en détracteurs & en
partifans de l’antiquité. Les détracteurs des anciens
difent : l’invention de la poudre à canon &
des machines qui en ont été une fuite néceffaire a
changé la conftitution des états & des armées ;
par conféquent la manière de faire la guerre n’eft
plus la même, & par conféquent encore les livres
des taCticiens de l’antiquité , & les ouvrages de
ces vieux Grecs & Romains , font fuperflus à
notre inftruCtion. Les partifans des anciens difent
à leur tour : les inventions modernes & les variations
dans la conftitution , n’ont produit aucun
changement dans la manière de faire la guerre ;
par conféquent les Grecs & les Romains , ces
deux peuples célèbres doivent être nos maîtres
dans cet art ; comme ils font les meilleurs modèles
dans tant d’autres genres. Je ne décide point
entre ces deux opinions, toutes les deux outrées ;
mais, ne peut - on pas dire ? Le g é n é r a l ne fera
réellement habile, qu’après avoir connu les auteurs
anciens & étudié les modernes ; il doit toujours
commencer par la leClure des anciens, parce qu’ils
font, fi l’on peut s’exprimer ainfi, la fource d’où
ont découlé toutes les connoiflances militaires. En
effet, fi les modernes ont perfectionné , les anciens
ont inventé, & dans ce genre, comme dans
touts les autres, il eff toujours utile de recourir
aux originaux. Les ouvrages des Enéas, Elien ,
Xénophon, Végèce, l’empereur Léon , Polien ,
Frontin , feront donc ies premiers qu’on méditera.
Viendront enfuite quelques livres de chevalerie ,
tels que le Jouvencel, Lancelot du Lac , l’ordre
de la chevalerie de la T ou r , ouvrages touts militaires
, & dont la leCture ne peut être qu’utile.
Suivront les difcours politiques & militaires du
brave feigneur de laNoue , les principes de J. Sillon
, l’art de laguerre de Puyfégur, les commentaires
de Folard , les mémoires de Feuquières , les réfier
xions de Santa-Cruz, le parfait capitaine de Rohan ,
les rêveries du maréchal de Saxe, les mémoires de
Charles Guifchard , les oeuvres de Vauban , de
Turpin, de Maizeroi ,Guibert, Dumenil, Durand...
(O n peut ajouter peut-être les Recherches fur les
principes generaux de tactique de M. de Kéralio ,
imprimés en 1771 » dédiés à . feu M. le duc de
Choifeuil, & traduits en differentes langues, que
l’école militaire donnoit comme un prélent a tous
fes jeunes élèves , à l’époque de leur fortie dans le
temps de l’inftitution primitive. C elf mademotielle
de Kéralio qui ne croyant pas offenfer l’eftimable
auteur de cet article en plaçant ici le nom de fon
père , ofe lui rendre cet hommage , que' les militaires
François ne démentiront pas. ) Une plus
longue énumération effraieroit, peut-être ; d’ailleurs
les auteurs que nous venons de nommer peuvent
fuffire, pourvu qu’on s’attache à bien claffer dans fon
«fprit les maximes générales qu’ils donnent ; les principes
fondamentaux qu’ils établilfent ; les exemples
qu’ils citent ; & les conféquences qu’ils en tirent.
Lorfqu’on s’eft nourri pendant longtemps des
leçons renfermées dans les ouvrages didafliques,
que l’on a exécuté tout ce que ces ouvrages en-
feignent fur la manière d’appliquer la théorie à
la pratique, que l’on a fait fur le papier & fur le ter-
rein une multitude de fuppofitions differentes ) que
l’on a par-là perfeûionné fon coup-d’oeil & appris
tout ce qui appartient à chaque grade , on a fait
un grand pas , l’on polsede la fcience. mais 1 art
ne s’apprend pas dans les ouvrages didactiques :
ce n’eft qu’en étudiant les grands modèles qu’on
peut l’apprendre. On trouvera ces modèles dans
les écrits de Cæfar, de Montécuculi, de Mont-
I11/* Ä; rinne Iac
tarque, d’Auvigni, de M. Turpin; dans les histoires
particulières des grands hommes, comme
Baïard, du Guefclin , Turenne, Conde, Catinat,
Eugène, Saxe , & c .; dans les relations des campagnes
célèbres de Noailles , de Crequi, de
Luxembourg, & c . ; des fièges fameux de Grave ,
d’Oftende, &c. C ’eft par une étude réfléchie de
touts ces ouvrages qu’on fe rend l’art de la guerre
familier ; en s’identifiant avec les grands hommes
dontrôn lit les hauts faits, l’on devient leur émule ;
en recherchant les moyens qu’on auroit employés
Tl on avoit eu à les combattre , on parvient à leur
reffembler; en s’opiniâtrant à trouver la raifon
des vi&oires & la caufe des défaites, on réuffit
à obtenir les unes & à prévenir les autres ; en
puifant enfin une leçon dans chacune des aélions
que l’auteur décrit, on peut efpérer de fervir un
jour foi-même de modèle à la poftérité. O u i,
nous ofons l’avancer : tout homme bien organifé ,
qui aura fait un cours d’études tel que flous venons
de l’indiquer , pourra, dès la première campagne
fe mefurer avec avantage contre un adverfaire
confommé dans l’art militaire, mais uniquement
formé par l’expérience. C ’eft ainfi qu’Iphicrate,
le premier général de fon fiècle, avoit étudié la
guerre.
Mais, que ceux qui étudieront l’art de la guerre
dans les différens ouvrages dont nous venons de
parler, fe gardent bien de s’en tenir, fur chaque
objet, à ne recueillir qu’une feule autorité, qu’un
feul exemple ; en s’en rapportant à un feul auteur,
on courroit rifque d’être induit en erreur , & en
s’attachant à un feul fait, on pourroit perdre une
infinité de circonftances inftruétives. Souvenez-
vous que fi dans les langues il n’eft point de mots
parfaitement fynonimes, de même il n’eft point
d’exemples parfaitement femblables aux yeux d’un
militaire inftruit. En rapprochant les maximes qui
paroiffent oppofées, vous pourrez beaucoup plus
aifément les faire accorder les unes avec les autres ;
vous pourrez reconnoître facilement celles qui
n’ont qu’une apparence de vérité , & les diftin-
guer d’avec celles qui font vraies. Ne négligez pas
d’inferire les fautes qu’auront faites les grands
hommes dont vous lifez l’hiftoire ; leurs erreurs
vous feront auffi utiles que l’expérience que vous
pourriez acquérir à vos dépens ; & nous fommes
mieux inftruits par Jes fautes des autres que par
une conduite à l’abri de tout reproche. Les idées
que vos leélures vous auront fait naître, toutes
les réflexions qu’elles vous auront fait faire ; les
difcours des grands hommes avec lefquels vous
vous ferez entretenu feront auffi confervés avec
foin : toutes les aélions dont vous aurez été le
témoin feront auffi confignées ; ainfi perfonne
n’aura autant de facilité que vous pour tout prévoir
& pour tout réparer, parce que perfonne
n’aura la tête auffi pleine de maximes faines 6t
d’exemples importans.
§. h .
De Vétude de Vhifloire.
L’hiftoire enfeigne à connoître. les hommes :
elle montre la chaîne des événements du monde ;
elle découvre la caufe des révolutions des empires ;
elle trace la conduite que l’on doit tenir à la guerre ;
elle peut fuppléer à l’expérience ; elle peut remplacer
les leçons des ouvrages didaéliques : \q général
doit donc la connoître, & s’en être occupé pendant
longtemps. Mais l’hiftoire ne pofiédât-elle aucun
des précieux avantages dont nous venons de parler ,
elle n’en devroit pas moins être étudiée par les
généraux ? Elle feule peut leur offrir un tableau
vrai des vertus qu’ils doivent pratiquer & des
vices qu’ils doivent fuir. Quel homme , en effet,
ofera préfenter la vérité au commandant d’une
armée ? Qui aimera âffez fon général pour lui parler
avec une noble franchife 1 Quel eft le chef qui
entendra l’auftère vérité fans indignation ? Quel
eft celui qui ne bannira pas de fa préfence -le
cenfeur incommode ? L’hiftoire peut donc feule
préfenter au général la vérité fans aucun voile ;
elle femble lui dire : v o is , d’un côtév, Antoine
vaincu, avili par l’amour & les voluptés ; vois
Craflus 9 Lucullus , Varus deshonorés par leur
avarice ; vois Paufanias le Lacédémonien devenu
malheureux par fes manières fières & hautaines.
V o is , d’un autre cô té , les guerriers qui.jont été