
l’ordre que les aides-majors donnoient aux fergents
dans une petite place où étoit cette porte ; ce qui
m’obligea de le chaffer de la maifon, j’appris dans
la l'uite que c’étoit un des plus cruels ennemis
du foi.
Le maréchal de Monluc rapporte que M. de
Burie , commandant dans la Guienne, courut beaucoup
de rifque de perdre fa réputation, parce
qu'on foupçonnoit que fes domeftiques, qui la
plupart étoient huguenots, informoient ceux de
cette fefte de tout ce qui pouvoit leur être utile :
& en effet, on connut aux mouvements que firent
ces rebelles, qu’ils recevoient de bons avis.
De ce que doit faire un général, lorfqu un officier
habile , & de réputation, paffie dans l'armée
ennemie.
Lorfqu’un de vos officiers déferte , & paffe dans
l’armée ennemie, s’il eft affez habile pour avoir
remarqué le fort & le foible de votre camp & de
vos gardes, la diftance de l’une à l’autre, le chemin
que vos patrouilles & vos partis prennent, le pofte
où en cas d’alarme chaque régiment.doit accourir ;
f i , outre cela, il a affez de réputation pour déterminer
le général ennemi à quelque entreprife
fur la foi des connoiffances qu’il lui donne ; il faut,
dès que vous apprendrez fa défertion, changer
tout l’ordre dont je viens de parler ; afin que fi les
ennemis, fous la conduite de ce bon guide , veulent
tenter quelque furprife, ils éprouvent que vous
avez fait d’autres difpofitions , & qu’ils fe font
trompés dans les mefures qu’ils avoient prifes.
Deux gentilshommes du Dauphiné, qui com-
mandoientla cavalerie de leur pays dans les troupes
de Cæfar, défertèrent & paflerent dans l ’armée
de Pompée , à qui ils apprirent, que quoique les
lignes de Cæfar fiiffent achevées par le front, elles
étoient ouvertes par le flanc qui regardoit la
mer. Pompée, qui avoit quantité de vaiffeaux,
débarqua par cet endroit, entre les lignes, un
nombre confidérable de troupes, qui fur prirent
& mirent en déroute celles de Cæfar, qui ne s’étoit
pas précautionné contre des déferteurs , qui pou-
voient donner des nouvelles particulières de fon
armée.
Des lettres interceptées.
Si vous arrêtez quelque efpion, ou quelque fol-
dat des ennemis avec des lettres de leur général,
ou qui lui foient adreffées, ayez foin de cachet
que vous avez intercepté ces lettres , & ouvrez-
les de manière que le cachet & le deffus ne foient
pas endommagés, & qu’il n’y ait rien de déchiré.
Si ces lettres demandent réponfe , refermez-les,
& envoyez-les à celui pour qui elles font : mais
que ce foit_par un autre homme , que les ennemis
ne puiflent pas connoître; afin qu’en vous
rapportant la réponfe, vous foyez mieux éclaircis
fur l’affaire dont il s’agit.
Si celui qui portoit ces lettres, n?a arrêté
qu’à fon retour , revenant de s’acquitter de fis
commiffion , tenez la chofe fecrette, fi vous croy ez
qu’il foit de quelque préjudice pour les ennemis,
qu’ils ne fçachent pas fitôt que ces lettres ont
été interceptées.
Philippe, roi de Macédoine, envoya Xenophane
pour propofer à Annibal l’alliance dont
j ai déjà parlé. Xenophane à fon retourayant été
arrêté, ne put pas faire fçavoir à Philippe qu’il
avoit réuffi dans fa négociation ; & Philippe , de
fon côté , n’apprenant pas quei .voit été le fuccès
de la négociation de Xenophane, fulpendit de
déclarer la guerre qu’il avoit deffein de faire aux
Romains , qui trouvèrent des avantages confidé-
rables dans ce délai.
On doit conclure de ce que je viens de dire,'
que lorfque les avis font importants, il faut les
envoyer par deux voies différentes; & qu’il faut
que les porteurs de lettres ayent un mot du guet,
dont ils doivent fe bien reffouvenir ; afin que, par
l a , oh puiffe reconnoitre la tromperie de celui
qui feindra avoir été chargé de ces lettres.
Si un efpion double, qui vous fert véritablement
, vous apporte des lettres des ennemis, re-
cevez-les en fecret, & renvoyez-les par ce même
efpion, qui vous en apportera la réponfe jivec
moins de difficulté.
Ce fut par ce moyen, qu’Hérode, roi de Judée,
fçut l’intention qu’avoit le gouverneur d’Arabie
de protéger la famille d’Ircan contre lui : car
Dofithée lui ayant remis une lettre d’Ircan, qu’il
portoit à ce gouverneur d’Arabie , Hérode lui enjoignit
de garder le fecret ; & ayant refermé la
lettre , il lui ordonna de la porter à celui à qui
elle étoit adreffée, & de lui en rapporter la réponfe
: ce qu’il exécuta.
Des efpions de Vennemi.
Si vous venez à découvrir quelqu’un dans votre
pays, ou dans votre armce , qui foit en intelligence
avec les ennemis , faites-le arrêter , & obli-
gez-le d’écrire au général ennemi ce qui vous
paroîtra pouvoir le mieux engager à faire quelque
mouvement, dont vous croyez qu’il vous fera
aifé de tirer avantage; en attendant la réuffite,
vous le ferez garder dans un endroit d’où il lui
foit impoffible d’informer les ennemis de fa pri-
fon, & où perfonne ne fçaura qu’il eft prifonnier ;
& fi l’on commence à être furpris de fon abfence,
donnez à entendre qu’il eft allé pour certaines
affaires dans tel ou tel endroit.
Le fecrétaire de M. le duc de Bavière donnoit
avis au maréchal de Luxembourg de tout ce qui
fe paffoit dans notre armée. Le duc de Bavière
le découvrit, & obligea le fecrétaire d’écrire au
maréchal de Luxembourg : « qu’il avoit été ré-
folu que le lendemain notre armée feroit un fourrage
à la vue de la fienne ; qu’il lui en donnoit
avis, afin que fes troupes n’en fuffent pas
allarmées, croyant peut-être que les nôtres les
alloient attaquer ». Le jour fuivant toute notre
armée marcha autour de celle des François ; &
comme on avertit M. de Luxembourg que l’armée
paroiffoit, il répondit, que ce n’étoit que l’efcorte
des fourrageurs, qu’on les laiffât répandre pour le
fourrage , afin de les enlever à moins de frais , &
qu’il fuffiroit alors que les piquets fuffent prêts.
Peu après on lui donna avis qu’il y avoit déjà une
des,ailes qui étoit attaquée : ce fera, répondit-il,
tant il fe repofoit fur la lettre du fecrétaire,
quelque parti qui veut faire une attaque de di-
verfion , afin qu’on ne charge pas les fourrageurs;
mais voyant enfin que fes deux ailes étoient inverties
&. en défordre : je fuis trompé , s’écria-t-il;
& il n’évita d’être battu que par l’héroïque ré-
fcdution qu’il prit de vaincre qu de mourir, &
par un renfort confidérable de troupes qui lui
arrivèrent pendant l’aâion , & qui, rétablirent le
combat.prefque perdu. Cet événement fe trouve
rapporté avec les mê,mes circonftances dans la
vie de Gnillame de Naffau, IIIe du nom; dans
l’hiftoire de France , par du Verdier, & dans un
abrégé de la vie de Louis X IV ; & les officiers
qui fe font trouvés dans cette occafion, le racontent
à-peu-près de la même manière.
Si cette perfonne qui eft en intelligence avec
les ennemis, a convenu avec eux qu’ils ne devront
pas ajouter foi à fes lettres lorfqu’elles n’auront
pas un certain nombre de petits points, ou
quelque autre marque; faites-lui bien entendre
que vous lui pardonnerez, fi , par fa lettre, vous
réuffiffez dans le deffein que vous formez contre
les ennemis; mais qu’il peut compter qu’il fera
pendu, fi la lettre ne fait pas fon effet ; parce
que ce fera une preuve qu’il l’aura écrite de manière
à faire connoître aux ennemis qu’il n’eft pas
en liberté. Après cette menace il eft naturel de
croire que, pour fauver fa vie , il écrira de la
meilleure manière qu’il pourra , pour engager les
ennemis à ce que vous fouhaitez.
On vient de toucher quelques-uns des expédients
pour éviter d’être trompé par des lettres que les
ennemis fuppofent, ou par les perfonnes qu’ils
envoyent fous différents prétextes. J’ajoute que,
comme les ennemis ne prendront peut-être pas la
précaution d’obliger, par la crainte du fupplice,
celui avec qui vous êtes en intelligence, de mettre
dans les lettres ces petits points ou ces marques
pour vous donner à connoître qu’il vous écrit en
liberté, il faut convenir avec lui de ces marques,
& les changer de temps en temps , dans la crainte
que, par quelque accident, les ennemis n’euffent
découvert les premières. Par là , quoiqu’on le force
de vous écrire , fa lettre ne vous engagera à aucune
fauffe démarche ; parce que ces marques,
que vous ne trouverez pas, vous feront comprendre
qu’il n’étoit pas en liberté, ce qui peut lui être
favorable ; parce que les ennemis voyant que vous
ne faites pas le mouvement que cette lettre vous
donnoit occafion de faire, reviendront peut-être
du foupçon qu’ils avoient formé contre cet homme,
s’il n’y a rien d’ailleurs qui püiffe le convaincre.
Lorfque la nouvelle du bon état où fe trouve
votre armée eft capable d’intimider les ennemis;
f i , alors, on arrête un de leurs efpions, renvoyez-,
l e , après lui avoir laiffé reconnoitre toutes vos
troupes ; afin que cette confiance que vous pa-
roiffez avoir , & le rapport qu’il fera aux ennemis
du bon état de votre armé„e, leur donne quelque
crainte.
Scipion l’Africain tira de grands avantages d’en
avoir ufé ainfi à l’égard des efpions d’Annibal.
Titus-Sempronius-Graccus, vice-prêteur Romain
en Efpagne , fit voir toute fon armée aux ambaf*
fadeurs de Cartima, ville de la Celtiberie, ennemie
des Romains; & les Celtiberiens, informés
• par leurs ambaffadeurs du bon état de l’armée
Romaine , ne tentèrent plus de fecourir la place,
qui fe rendit bientôt après.
Frédéric, roi de Dannemarck , envoya des ambaffadeurs
à Guftave, roi de Suède, pour le
menacer de lui déclarer la guerre s’il refufoit de
lui céder la couronne, fur laquelle il difoit avoir
diverfes prétentions. Guftave, qui avoit fes troupes
en très bon état, les fit voir toutes aux ambaffadeurs
Danois, qui, de retour dans leur pays , en
firent le rapport à Frédéric ; & dès lors, bien loin
de penfer à faire la guerre à Guftave, il tâcha de
lier une, étroite amitié avec lui.
Des avis que donnent les efpions.
De quelque part que vous vienne un avis important
, & quelque vil que foit le fujet qui vous
le donne, vous ne devez pas le méprifer , jufqu’à
ce que, l’ayant examiné , vous voyez ce qu’il a
de vrai; mais prenez en attendant les précautions
néceffaires.
Cæfar ignoroit la prétention de Dumnorix fur
Autun, & la part qu’il avoit à la révolte de cette
v ille , jufqu'à ce que par l’avis que lui donna un
de fes hôtes , il' fe tint fur fes gardes ; & par la
mort de Dumnorix il évita une nouvelle guerre
civile, dont il étoit menacé.
Je ne prétends pas dire par-là, que vous montriez
de l’inquiétude à chaque nouvelle qu’on vous
donne , parce qu’il s’en trouvera plufieurs qui feront
fauffes, & que vos ennemis auront fuppofées,
afin que vous teniez vos troupes dans une continuelle
allarme : « mais il faut, comme dit Strada ,
proportionner la précaution au danger ».
Dans là dernière guerre de Catalogne, nos ennemis
avoient pour maxime de ne pas nous laiffer
un jour en repos , & de nous allarmer continuellement
par leurs miqueïets; & lorfque le nommé
Ferrer , un de leurs chefs , fut fait prifonnier, j’ai
vu qu’il avoit plus de quarante ordres de divers
généraux ennemis,, & principalement du comte de