voïKiroit qu’il eût pris, étoit donc inutile ; ôc ce
rut avec raifon qu’il .plaça touts les gens de trait
derrière fa phalange.
Je n ai marqué nulle part d’intervalles entre
a tr°PPes i parce que s’il y en avoit , ils dévoient
etre inlenfibles. Le texte grec n’en parle point ,
& défigne par-tout l’ordonnance des deux armées
par le mot phalange, qui en général lignifie ce
que nous appelions ligne pleine. Quant à la proportion
de nombre entre le front des troupes ,
je me fuis réglé fur celui que l’on attribue généralement
aux deux armées ; fçavoir , pour celle
de Cræfus , foixante mille hommes de cavalerie *
& trois cents foixante mille d’infanterie , dont cent
vingt mille Egyptiens ; pour celle des Perfes trente-
f ix mille chevaux, ôc cent foixante mille hommes
d’infanterie, dont vingt mille pefamment armés.
Soit vérité, foit halard , je trouve que les gens
de trait de Cyrus pouvoient former derrière fa
première ligne d’infanterie & de cavalerie trois
autres'lignes fur douze au moins de-hauteur.
J’ai réglé le front ôc la profondeur fur la proportion
de trois pieds par homme à l’infanterie,
parce qu’il falloit alors à peu près ce terrein pour
.manier les armes , Ôc de trois pieds fur neuf à
la cavalerie. Quant aux chars, le détail de leurs
proportions ôc de leurs intervalles feroit trop minutieux
fur une échelle auffi petite.
Cræfus voyant le centre de fon armée plus près
de celle des Mèdes, que ne l’étoient fes deux ailes
qui marchoient par leur flanc, leur fit un fignal
pour ne pas s’avancer davantage, Ôc pour faire
face aux deux flancs de l’armée ennemie. Cet ordre
exécuté , il donna un fécond fignal pour marcher
aux Mèdes. Ainfi trois phalanges s’avançoient
contre Cyrus; l’une oppofée à fon front, les deux
autres à fes flancs. Son armée menacée de toutes
parts, n’étoit pas fans crainte. Cependant, à l’ordre
qu’il en donna, elle fit face à l’ennemi, & dans
l ’attente de l’évènement, gardoit un profond fi-
lence. Tout à coup Cyrus l’interrompant, commença
le chant du combat; fes troupes le répétèrent
toutes d’une voix ; & le général à la tête de la
cavalerie de fa droite, chargea la pointe de l’aile
gauche des Aflyriens. Une partie de l’infanterie
fuivit de près, marchant en ordre, par fa droite, ôc
fe répandit fur le flanc gauche de l’ennemi, qui prit
aufîitôt la fuite.
Artagerfe, voyant la charge de Cyrus, fe porta
fur le flanc droit de l’ennemi, & ht marcher les
chameaux contre leur cavalerie. Quoiqu’elle fut
encore à une grande diftance, la plupart des chevaux
s’enfuirent, d’autres fe cabroient, ôc fe jet—
toient les uns fur les autres. Artagerfe contenant
les fiens, avançoit toujours en ordre fur cette aile
en confufion. En même temps les charriots des
deux flancs s’abandonnèrent fur l’ennemi. Plnfieurs
de ceux qui les fuyoient donnèrent dans les troupes,
dont l’attaque prenoit les deux flancs : ceux qui
fuyaient devant celle-ci étoient écrafés par les
| chars. Alors touts ceux du front s’ébranlèrent. La
plupart voyant les Egyptiens tenir ferme, pour-
luivirent les chars ennemis qui fuyoient : mais
Abradate 5c fes plus fidèles amis, chargeant de
front 5c par les côtés la phalange Egyptienne, les
•faulx coupoient à-la-fois les armes 5c les corps; les
chevaux 5c les chars écrafoient les hommes, 5c les
chevaux brifoient les armes, les chars 5c les roues.
Dans cet effroyable choc, Abradate fut renverfé.
Plufieurs de ceux qui l’accompagnoient le furent
aufli, 5c périrent en hommes courageux, c ’eft-à-
•dire, couverts de bleffures. Les Perfes qui avoient
fuivi fe jettèrent dans les nouées faites par Abra-
j date ôc les fiens, 5c tuèrent un grand nombre de
ceux qu’ils avoient mis en défordre. Mais la partie
des Egyptiens qui avoit gardé fes rangs, ( 5c ils
étoient nombreux, ) , marchèrent aux Perfes. Ils
tenoient en main de fortes 6c longues piques, 6c fe
couvraient de leurs grands boucliers qu’ils em-
ployoient à pouffer ce qui étoit devant eux, en les
appuyant contre leurs épaules. Les Perfes cédant
peu-à-peu, fe retirèrent fous leurs machines. Alors
les Egyptiens furent accablés de traits 6c de flèches,
tant par ceux qui étoient fur les tours, que par les
archers ôc les peltaftes. Ceux-ci étoient contenus
par les ferrefiles, qui, l’épée à la main, les oblî-
geoient à faire leur devoir. Cyrus ayant vu la
retraite des Perfes, vint charger les Egyptiens à
dos, 5c les enfonça. Mais fon cheval ayant été
bleffe, tomba ôc le renverfa. Alors touts les Perfes
jettant un c r i, chargèrent de toutes parts; ôc voilà
ce que l’amour des troupes fert au général. Cyrus
remonté fur un autre cheval, vit les Egyptiens
enfonces par-tout ; d’un côté, par l’infanterie Perfe,
de 1 autre, par Hyftafpe ôc Chryfante, avec leur
cavalerie. Il fit retirer' ces troupes, ne permit de
combattre qu’aux gens de trait, ÔC montant fur une
de fes tours, afin de s’affurer s’il n’y avoit pas
quelque troupe ennemie qüi reftât encore, il vit la
plaine couverte de chevaux, de chars, d’hommes
difperfés, fuyants, vaincus, pourfuivis : les feuls
Egyptiens étoient enfemble. Environnés des
troupes viélorieufes, couverts de leurs boucliers ,
ils ne eombattoient plus, mais attendoient la mort
5c la recevoient avec courage. Cyrus admirant
cette fermete, ne put fouffrir plus longtemps de
voir périr des hommes aufli valeureux. 11 fit ceffer
entièrement le combat, envoya un héraut vers eux,
Ôc leur fit demander f i , abandonnés comme ils
I etoient par touts leurs alliés, ils youloient recevoir
de lui, pour tout le refte de la guerre, une
folde plus forte que celle qui leur étoit donnée ; 5c
à la paix, des champs, des villes, des femmes 5c
des efclaves pour ceux qui voudroient s’établir
en Afie. Ils acceptèrent, à condition de ne pas
fervir contre Cræfus, le feul, dirent-ils, auquel ils
pouvoient pardonner. Cyrus leur donna des villes
qui furent longtemps nommées villes des Egyptiens*
entre autres Lariffe ôc Cyllène, près de Cum.e
Ôc de la mer.
Maître du champ de bataille, il vint à la nuit
.camper à Thybare ou Thyribare , qui eft peut-
être Thymbrée. Cræfus s’enfuit à Sardes, 5c fes
alliés fe retirant avec précipitation, reprirent la
route de leurs domiciles. Dès le lendemain, Cyrus
prompt à faire ufage de la viftoiré, marcha droit à
Sardes. Il y raffembla aufîitôt des échelles Ôc des
matériaux pour conftruire des machines, comme
s’il méditoit un fiège ou. l’attaque de vive force.
I l y avoit du côté de la citadelle un efcarpement
qui fe précipitoit vers le Pa&ole. On le regar-
doit, pour ainfi dire, comme impraticable, 5c la
garnifon faifoit la faute trop ordinaire de le garder
plus négligemment. Un Perfe en connoifloit touts
Jes^fentiers, parce qu’ayant été efclave dans cette
fortereffe, il avoit fouvent defcendu vers la riyière.
Quelques-uns difent que ce fut un Marde, nommé
Hyréade. Dès la nuit fuivante, Cyrus le donna
pour guide à quelques troupes Chaldéennes Ôc
Perfes, qui s’emparèrent de la citadelle. Les
Lydiens la voyant prife, abandonnèrent Sardes Ôc
Cræfus. Le prince Perfe entrant dans la v ille , mit
des gardes au palais, ôc fon premier foin fut de
s’affurer par lui-même fi les troupes qui avoient
pris la citadelle faifoient de bonnes difpofitions
pour fa défenfe. Il y trouva tout en bon ordre,
quant aux Perfes ; mais les Chaldéens avoient
quitté leurs armes pour courir au pillage. Le général
fit venir leurs chefs, ôc leur commanda de
quitter l’armée avec leurs troupes. Ceux-ci craignant
plus encore la honte Je ce renvoi que le
danger de fe retirer feuls, en fi petit nombre, au
milieu de leurs ennemis , fupplièrent Cyrus de
leur pardonner, en offrant de rendre tout ce .que
les Chaldéens avoient pris. Le prince répondit
qu’il n’en avoit pas befoin, mais qu’ils pouvoient
l’appaifer en donnant ce butin à ceux qui avoient
gardé la citadelle , afin que fes troupes voyant les
plus grands avantages revenir à ceux qui gardoient
leurs rangs, n’oublîaffent pas leur devoir. Ce fut
ainfi que tempérant la févérité militaire, il fit du
châtiment des uns la récompenfe des autres.
Cyrus fit marquer fon camp dans la v ille, tenir
•fes troupes fous les armes, ôc amener Cræfus
devant lui. L e prince Lydien l’abordant, lui donna
le titre defeigneur, qui convenoit, difoit-il, à fa
fortune. Le prince vainqueur donna au vaincu le
même titre, ajoutant modeftement que l’un Ôc
l ’autre ils étoient hommes. Après quelques difcours
de confolation fur le revers de fortune qu’il éprou-
voit, il lui dit que les Mèdes ôc les Perfes ayant
fouffert tant de peines ôc de travaux avant de conquérir
cette capitale, avoient droit à fes richeffes ;
que cependant il ne voudroit pas l’abandonner à
leur difcrétion, parce qu’elle feroit détruite., ôc
que le plus grand, avantage en reviendroit aux
plus pervers; qu’il le prioit donc de lui donner
un confeil à cet égard. Cræfus lui propofa de permettre
qu’il dît aux Lydiens avoir empêché le
pillage de leurs maifons, Ôc affura qu’auffitôt ils
apporteroient eux-mêmes ce qu’ils avèrent de plus
précieux. Il ajouta qu’ils auroient dans peu réparé
cette perte, mais que la ville étant livrée au pillage,
les arts,- fources des riche(J'es, périroient avec elle.
Le monarque Lydien donna l’exemple à fon peuple,
en difant qu’on allât prendre fes tréfors. Une partie
de ceux que les habitants livrèrent volontairement,
fut remife aux Mages pour le fervice des Dieux.
Le reffe fut partagé, tiré au fort par les troupes, ÔC
réfervé pour être diftribué, fuivant l’occafion, à
ceux qui l’auroient le mieux mérité.
Dans touts ces événements, Cyrus n’avoit point
vu paroître Abradate ; il le demanda. On lui apprit
qu’il étoit mort en combattant les Egyptiens.
Senfible au malheur ôc à la perte de ce brave ôc
fidèle allié, il lui rendit les derniers devoirs, ÔC
l’honora de fes larmes , qu’il mêla inutilement à
celles de Penthée : cette femme inconfolable fe
donna la mort fur le corps de fon mari.
Le général des Perfes fit traiter Cræfus fuivant
fon rang ; mais ce prince avoit perdu le premier
des biens d’un monarque, l’autorité. Il avoit perdu
bien plus encore, le premier des biens de l’homme,
la liberté. Enivré de fon bonheur ôc de fon opulence,
il s’étoit cru fupérieur à la fortune même.
En vain le fage Soloh l’avoit averti que l’homme
le plus puiflant, le plus opulent eft fujet aux revers,
ôc qu’on ne peut le regarder comme ayant été
vraiment heureux qu’après fa mort. En vain le
Lydien Sandanis lui avoit repréfenté qu’il mar-
choit contre un peuple vêtu de cuir, habitant un
pays rude ; content de figues ôc d’eau pour fa
nourriture, qui ne poffédant rien de propre au
vainqueur, pouvoit tout enlever aux vaincus. Sandanis
remercioit les dieux de n’avoir pas- infpiré
aux Perfes le deffein d’attaquer Cræfus : mais ce
monarque féduit par les chimères de l’ambition fe
voyoit captif ôc s’écrioit fouvent: Solon, Solon!
Quelques auteurs ont écrit que Cyrus voulant
l’éprouver, l’avoitfait mettre, chargé de chaînes,
fur un bûcher avec quatorze Lydiens, ôc que c’étoit
là qu’il s’étoit écrié, Solon, Solon ! Ils ont dit auffi
que Cræfus ayant paffé l’Halys, avoit pris Ptérie,
ville de Cappadoce, ôc ravagé tout ce pays. Suivant
eu x , Cyrus le combattit près de cette, ville.
Le fuccès fut indécis, ôc la nuit fépaFa les deux
armées. Cræfus , inférieur en nombre à Cyrus ,
revint a Sardes , ôc fe difpofoit à licentier fes
troupes, lorfque le prince des Perfes, qui n’aban-
donnoit légèrement ni fes deffeins ni fes avantages
, parut aux environs de cette capitale , dans
les plaines qu’arrofe l’Hémus. Ce fut là qu’il vain«
quit le roi de Lydie, ôc le contraignit à fe réfugier
dans Sardes, oh il le prit, comme on vient de
le dire , après quatorze jours de fiège.
C y ru s , méditant d’autres conquêtes , ôc prévoyant
d’autres lièges, faifoit conftruire les. machines
riéceffaires. Tandis qu’il s’en occupait, il
envoya le Perfe Adule en Carie à la tête d’une
«irnvee« Les Ciliciens ôc. les Cypriots ayant fuivi