
l’être devenu par plufieurs raifons, dont les plus
dangereules par les conféquences & les fuites,
font celles d’avoir des fautes à ^reprocher au général,
dans le temps qui a précédé l’aéfion , &
qui regardent la prudence ou, la prévoyance , eu
celles qui regardent fon courage. Ces deux cas
failant également un mauvais effet fur l’efprit des
peuples & des troupes, le prince en doit une
fatisfaélion entière aux troupes <$£ à fon état, en
éloignant de la tête de fon armée , un homme qui
» perdu la confiance des troupes , foit par les
marques d’incapacité qu’il aura données , foit par
manque de courage.
La préfence d’un général à qui il eft arrivé un
malheur , par le caprice feul de la fortune , ne
fait point de peine aux troupes : au contraire,
elles fe joignent d’intérêt à leur général, & concourent
avec émulation & plaifir au recouvrement
de fa gloire , parce quelle leur eft commune.
Mais à celui à qui on peut imputer la perte
d’une bataille , foit pour s’être mal pofté, foit
pour avoir fait une mauvaife difpofition , foit pour
s’être mal conduit -pendant l’aélion , foit pour
avoir donné des marques de peu de courage , ne
doit en aucune manière être ménagé’ perfonnel-
lement de fon prince ; il ne doit point exiger de
fes troupes de recevoir à leur tête un homme qui
a perdu leur confiance. Les conféquences en font
trop dangereufes.
En ce cas le prince doit faire choix d’un nouveau
général, de qui la réputation fe foit trouvée
entière dans l’occafion malheureufe , s’il s’y eft
trouvé ; ou même d’un général fans courage &
mal-habile ; ou d’un prince de fon fang , s’il en eft
befoin ; ou même fe porter en perfonne à la tête
de fon armée , fi fon âge ou fes autres affaires
le permettent ; finon il doit s’approcher au moins
de fon armée battue , pour la ranimer , & la
faire plus promptement pourvoir des chofes qui
lui font néceffaires pour la remettre en éta t, ou i
de fe préfenter à l’ennemi, ou de s’oppofer à fes j
progrès.
La difcuffion des moyens pour réuffir à ce dernier
parti, mérite une attention bien férieufe, fur
laquelle il' eft difficile de rien dire qui foit une
règle certaine , la conduite à tenir dépendant ab-
folumenç de la copftitution du pays.
Ou il eft ouvert, ou dégarni de places fortes ,
ou il y en a quelques-unes, ou c’eft un pays ferré'
& coupé de rivières. S’il eft ouvert & dégarni de
places fortes, il faut l’abandonner à l’ennemi, &
fe retirer loin de lui à couvert de bonnes places
ou des rivières; parce que ce pays abandonné ne
fournira que des fubfiftances abondantes , fans
établiffement folide pour la continuation de la
guerre.
Si l’ennemi les confomme pendant la campagne
, il n’y pourra fubfifter pendant l’hiver. S’il J
travaille à fortifier quelques - unes des villes qu’il i
aura occupées^ il donnera le temps de rétablir
l’armée ; & comme dans la fuite , cette ville qu’il
aura fortifiée à la hâte lui deviendra importante",
à caufe qu’il aura penfé à en faire le dépôt de
fes vivres & munitions de guerre , il fera obligé
d’y tenir une forte garnifon, ce qu’il ne pourra
faire qu’en s’affoibliflânt, ou de la couvrir continuellement
de fon armée, ce qui lui ôtera le
moyen de s’en éloigner.
Si dans ce pays il le trouve quelque place qu’on
puiffe foutenir , & qui ne puilfe être enlevée que
par un fiège dans les formes , il ne faut pas manquer
d’y jetter un corps d’infanterie, & dé faire
confumer à ce fiège tout le plus de temps qu’il
fe pourra , afin de trouver par là celui du réta-
bliffement de l’armée battue.
Que fi ce pays eft ferré & coupé de rivières ,
il faut difputer à l’ennemi touts les défilés & paf-
fages defdkes rivières ; mais cela doit être fait
avec circonfpe&ion '$ &. de manière qu’on n’engage
point une affaire générale , jufqu’à ce que par plaideurs
petits avantages , on ait remis le coeur aux
troupes battues & regagné un peu d’égalité de
forces , foit par les hommes qu’on aura fait perdre
à l’ennemi dans ces petites affaires, foit par des
fecours qu’on aura fait joindre à l’armée.
Comme il arrive fouvent qu’un prince a la
guerre à foutenir de plus d’un côté de fes états ',
& qu’il ne fe trouve pourtant pas triftement réduit
à la néceflité de la défènfive par-tout ; il me
paroît utile de dire ici un mot de cette nature de
guerre défenfive , qui l’eft par choix d’un côté , pendant
que dans les autres pays le prince foutient une
autre efpèce de guerre.
Celle-ci fe doit faire avec bien de la circonfpec-
tion. Le deffein de la défenfive doit être caché N
à l’ennemi, autant qu’il eft poflible. Il ne faut pas
lui laiffer pénétrer ce projet affez-tôt, pour qu’il
ait le temps de fe préparer à une guerre offen-
five , qu’il feroit le maître de ne commencer que
îorfqu’il le jugeroit convenable , pour troubler le
projet de la campagne du côté que l’on auroit
projetté l’offenfive. Et cela, parce qu’il rendroit
aifément la campagne défagréable par - tout, par
la néceflité où l’on fe trouveroit de fe dégarnir de
troupes dans les pays où l’on auroit réfoiu d’être
le plus en force ; & que le temps qu’il faudroit que
les troupes employaient en marche, pour foutenir
le pays fortement attaqué , étant pris fur celui
de l’aâion de la campagne, il fe trouveroit qu’on
auroit perdu celui d’agir offenfivement ,du côté
où l’on avoit réfoiu de le faire , & que les troupes
arriveroient trop tard & fatiguées dans le
pays où l’on auroit réfoiu de refter fur la défenfive.
Ainfi donc je tiens que le projet de cette efpèce
de guerre mérite autant de réflexion & de
capacité qu’aucune autre , par l’attention qu’il faut
avoir à bien examiner tout ce que l’ennemi peut
entreprendre& de quelle conféquence pour, la
fuite de la g^e/re,,..peuvent être fes entreprifes
avant que de fe* porter par choix à cette nature
de défenfive, qui tout au moins peut troubler tout
le projet forme pour la campagnes
Cette efpèce de guerre défenfive par choix ne
fe doit jamais faire, que du côté où l’on eft fûr
de réduire l’ennemi à paffer une rivière , une
place forte & bien munie, que l’on fçaura être
un objet indifpenfable, par l’attaque de laquelle
il faudra que l’ennemi commence, & devant laquelle
on pourra préfumer qu’il perdra un temps
affez confidérable pour avoir celui de la fecourir
ou de le combattre.
Car , quand le pays ne fera pas ainfi conftitué,
qu’il fera dégarni de places fortes &. ouvert, &
que l’ennemi y pourra entrer par où il lui plaira ;
il eft certain que cette guerre défenfive par choix
fera toujours périlleufe pour le prince , & fort
difficile à foutenir au général qui en fera chargé,
avec un corps inférieur à celui de l’ennemi.
O b s e r v a t i o n s ^
% Lorfqu’en 1667 Louis X I V déclara la guerre à
l’Efpagne pour les droits de la reine fur le Brabant,
il fit publier des manifeftes pour établir la
juftice des prétentions de cette princeffe.
Cela pouvoit faire un bon effet fur les efprits
des peuples que l’on vouloit conquérir par la force
des armes : mais il auroit été conforme aux maximes
de la politique , de faire précéder la publication
de ces manifeftes, & la déclaration de guerre par
une levée confidérable d’infanterie , puifqu’il étoit
raifonnable de penfer qu’il en faudroit beaucoup
pour garder les grandes villes que l’on voudroit
conquérir.
Cette levée étoit d’autant plus facile à faire
fans, éclat que les hommes étoient fort communs en
France dans ce temps-là , & que le roi n’avoit qu’à
faire payer les foldats effeélifs qu’un- capitaine avoit
leves dune revue de commiffaire à l’autre, pour
avoir les compagnies auflifortes qu’il l’auroit voulu ;
après quoi, à l’ouverture de la guerre , on auroit
facilement dédoublé les compagnies pour la bonté
^ Pour avo^r un plus grand nombre
d officiers.
Il falloit auffi faire agir les armées plus efficace-
tnent. Les Efpagnols avoient fort peu de troupes,
leurs places étoient en fort mauvais état, & dégarnies
de munitions de guerre. Le roi étoit maître
de la campagne. Il falloit donc porter l’armée devant
Bruxelles. Cette capitale, hors d’état de fou-
tenir un fiège, auroit ouvert fes portes. Les autres
groffes villes fans défenfe en auroient fait de même.
La réduâion de Bruxelles & des villes qui l’environnent
, emportait celle des tribunaux & des
bourfes. Qu’eft-ce qu’auroient pu faire les troupes
qui fe feroient enfermées dans les places de guerre,
que de les rendre toutes les unes après les autres ?
Ainfi la conquête de touts les Pays - Bas n’auroit
pas plus coûté de temps au r o i, que ce dont il fe
rendit le maître.
Je fçais.qu’on me peut obje&er la difficulté des
vivres pendant cette marche de la frontière du
royaume à ce centre des Pays-Bas. Mais pourvu
qu’on en eût pour l’armée pendant fa marche,
Sc pour un féjour de cinq ou fix jours ; pouvoit-
on croire qu’on en pût manquer dans les groffes
villes fans défenfe qui font autour de Bruxelles ?
Je fçais encore que l’on médira qu’il étoit im-
poflible de conduire fi loin la groffe artillerie &
les munitions de guerre qui auroient été néceffaires
pour prendre Bruxelles, fi la place ayoit
voulu fe défendre. Mais je répondrai à cela que
dans la faifon où l'on ouvrit cette campagne, les
chevaux n’étoient point occupés au labourage ni
à aucune récolte , & qu’ainfi l’on pouvoit aifément
prendre toutes les voitures de la Picardie
& de la Champagne , pour les employer à ce
tranfport. Ainfi ce n’a point été l’impombilité de
faire ce grand mouvement en av ant, qui a été
la véritable raifon qui a empêché qu’il n’ait été
fait, comme je l’ai fait remarquer ailleurs.
Au lieu de prendre ce parti décifif pour la
conquête entière des Pays-Bas Efpagnols, l’armée
du roi perdit trois feraaines de temps à réparer
les brèches que les Efpagnols avoient faites
à Charleroi en l’abandonnant ; & dans le refte
de la campagne on prit des villes, qui, comme
on l’a v u , ne décidoient de rien pour la conquête
des Pays-Bas.
Toutes ces entreprifes furent même interrompues
par deux abfences que le roi fit pour aller
voir madame de Montelpan, qu’il avoit fait approcher
de la frontière avec la reine, lous le
prétexte de montrer cette princeffe à ces peuples ,
qu’on prétendoit être devenus fes fujets.
Dans la fuite les Efpagnols furent fecourus par
les Hollandois, &. la triple alliance fe forma
contre nous ; de forte que nous fûmes forcés par
le traité d’Aix-la Chcpelle , de nous contenter de
ce que nous avions occupé en Flandres, & de
rendre à l’Efpagne la Franche-Comté, que le roi
avoit conquife pendant l’hiver de 1667 à 1668 ,
parce qu’il s’étoit obligé de rendre ce qu’il con-
quereroit depuis les paroles données aux médiateurs
de la paix, en cas que par le traité qui in-
terviendroit on lui cédât la poffeflion de ce qu’il
avoit conquis en Flandres, & où il avoit tenu
des garnifons.
Par ce que je viens de dire , il eft aifé de con-
noître que la France s’eft fort mal conduite dans
cette guerre >, purement offenfive de fa part ; &
que les Efpagnols , dont la négligence dans le
gouvernement avoit totalement expofé les Pays-
Bas & la Franche-Comté, s’en font tirés à bon
marché , après la faute qu’ils avoient faite-, d’être
auffi dépourvus qu’ils l’étoient dans des états éloignés
, &. fur lefquels ils avoient dû voir depuis
plus de fix mois que l’orage alloit tomber.