
que les malheurs inévitables de la guerre font coule
r, & les «ris de la douleur le lont toujours mêlés
aux chants de les triomphes ; il va mériter aujourd’hui
l’amour des peuples , en développant les
qualités heureules qu’il n’a pu déployer au milieu
du tumulte des combats ; s’il fait verler des pleurs ,
ils ne feront donnés qu’aux tendres fenriments qu’il
infpire, & la voix d’une vive reconnoiilance efï
la feule qui s’adrelTe à lui. Doué d’une bienlailance
auffi éclairée qu'aélive , d’un caraêlère égal, d’une
gaieté douce, d’une politeffe franche, il eit l’arbitre
de les voifins : à ion afpeél, les chagrins fuient ;
l ’indigence difparoît; la trace des maux paffés elï
effacée , Ôc aucun malheur ne fe montré dàns l’avenir.
Entouré de fes valfaux devenus les entants &
iès amis ; chanté par les poètes de la nation , ôc ,
malgré fa difgrace recherché même par les cour-
tifans i le grand capitaine goûtoit depuis quelque
temps un bonheur qui lui étoit inconnu, iorfque
Ferdinand , voulant pourfuivre les Maures julqu'au
fein de l’Afrique , rélolut de faire le liège d’Oran.
Qui dirigera cette expédition importante ? Gonfalvé
«Il le feul général qu’il juge capable d’exécuter cètté
grande entreprife ; mais, pour employer le grand
capitaine , il faut que Ferdinand lacrifie fon ani-
Hîofité particulière à l’intérêt de l’état, 6c il ne peut
fe réfoudre à çé grand facrifice ; cependant il faut
néceffairement fçavoir ce que penfe Gonfalvé.
Ferdinand lui dépêche le cardinal de Ximenès.
Gonfalvé n’a jamais été auffi grand que dans cet
ïnflant ; il fe dépouille de tout reffentiment ; il
ne confidère que le bien 8c la gloire de l’état ;
il encourage le cardinal ; il l’affure du fuccès, &
le lui facilite par fes fages confeils; il lui trace le
plan qu’il doit fuivre ; il lui indique le nombre
& la qualité des troupes qu’il doit employer ; il
lui défigne enfin, pour les commander, Pierre de
Navarre, qu’il regarde, dit-il, comme un des plus
grands généraux que l’Efpagne ait à fon fervice. La
gloire de Gonfalvé peut-elle croître encore ? Oui.
Bientôt les progrès rapides des François font
craindre à' Ferdinand pour fes conquêtes en Italie :
Navarre échoueroit peut-être ; celui qui a conquis
le royaume de Naples , peut feul le défendre :
mais Gonfalvé aura-t-il allez de grandeur d’ame
pour oublier une fécondé fois les mépris dont fon
înjufle maître l’a accablé ? Au premier ordre de
Ferdinand, il abandonne fa délicieufe retraite , 6c
vole à Malaga où l’armée doit s’affembler ; cependant
une nouvelle épreuve fe prépare : le foup-
çonneux Ferdinand rappelle Gonfalvé , 8c lui ordonne
de licentier lui - même les trôupes qu’il
croyoit deftinées à lui procurer de nouveaux lauriers.
Qu’il eût été facile au grand capitaine de
défobéir à cet ordre cruel ! les foldats 6c leurs
chefs, enflammés du plus v if enthoufiafme , au-
•roient, au premier fignal, levé l’étendard de la
révolte. Gonfalvé les rafl’emble ; il leur adreffe un
difcours noble 8c touchant ; il ne leur parlé que
ge l’intérêt dé l’état \ il les liçentie ; il leur fait
les préfents les plus riches pour les dédommage?
des frais énormes que cette expédition leur a
occafionnés ; 6c lui-même, fans proférer la plus
légère plainte , va attendre dans fa retraite quelque
nouvelle occafion de tout facrifier encore au
lervice de la patrie. Guerriers, que le commandement
des armées expofe aux atteintes de la fortune
6c aux traits de l’envie, forigez à Gonfalvé
dans ‘ vos malheurs l que ce héros vous ferve à
la fois de confolateur 8c de modèle !
A cet exemple fublime, on peut joindre celui
de du Guefclin, du connétable de Montmorènci,
6c enfin ceux du prince Eugène 6c de fon digne
émule le duc de Mariebouroug. Il y auroit pourtant
encore un trait à ajouter pour rendre ces
modèles parfaits. Le marquis de Feuquières nous
le fournira : cet officier diflingué, devenu la victime
des cabales trop communes fous la fin du
règne de Louis XIV, rédigea pendant fa difgrace
des mémoires célèbres que les militaires doivent
confulter 8c étudier lans ceffe. Si la retraite forcée
de ce grand homme ravit quelques'lauriers à la
France \ lès biens qùe fon ouvrage a déjà produits ,
ceux qu’il produira encore, ne dédommagent-ils
pas l’état de cette perte ? Ainfi, malgré eux, la
haine des courtifans peut être quelquefois utile à
la patrie ; ainfi le général difgracié peut encore ,
du fein de la retraite, fervir l’état d’une manière
aulïi importante 6c plus durable qu’à la tête des
armées : mais , en imitant Feuquières dans fes
travaux, que 1 z général fe garde bien de l’imiter
dans fon humeur : les traits latyriques que ce militaire
fçavant lança contre les grands, les généraux
6c les miniflres , furent, fans doute , la principale
caufe de la durée de fes malheurs.
Nous venons de voir quelle devoit être la conduite
du général que la perte de la faveur de fon
maître a réduit à une trille ina&ion ; examinons
celle que devroit tenir le général à qui l’âge, le
manque de forces ou la foiblefl’e de fa fanté ne
permettroient plus de fupporter le pefant fardeau
du commandement. A l’exemple du connétable
de France Moreau de Fiennes, ne fe- difîimulant
pas les ravages que la vieilleffe aura faits fur lu i,
il fe démettra de fes emplois ; mais, en fe dépouillant
de fes dignités , il priera qu’on lui donne
pour fucceffeur un autre du Guefclin : peu lut
importe que la gloire qu’il a acquife , foit effacée ,
pourvu que celle de la patrie devienne plus éclatante.
Mais quel fera , dans fa retraite, l’emploi
des jours qui lui refient ? Ces jours doivent, comme
fa vie entière , être confacrés à l’état ; jufqu’à
l’inflant où la tombe s’ouvrira pour lu i , touts. fes
moments 6c toutes les facultés de fon ame doivent
être employés pour fa patrie. Il- peut encore ici
montrer de la grandeur d’ame, de la fermeté ôc
du courage. Par fes difcours, il fait naître dans
le coeur des jeunes citoyens l’amour de la patrie ;
par l’exemple de fa vie , par le récit de fes faits
militaires, par la peinture des combats-auxquels
il fe fera trouvé , des exploits dont il aura été le
témoin, des fautes dont il aura été la viélime ,
6c de celles même qu’il aura commifes. _ Par
ces grands moyens d’inflruélion, il allumera dans
leurs âmes tendres une pâffion ardente pour la
gloire, l’honneur ôc la vertu, 6c une confiante
haine pour les allions viles 6c déshonorantes. C ’efl
Bélifaire qui inflruit l’empereur Tibère 6c touts
les jeunes gens de fa cour; c’efl le fage Mentor ;
c’efl Minerve elle-même qui a emprunté la figure
6c la voix d’un guerrier courbé fous le poids des
lauriers 6c des ans, pour rendre plus aélives les
leçons de vertu, de valeur 8c de magnanimité
qu’elle veut donner à une jeuneffe brillante, l’efpoir
de là génération future. A l’exemple de Montécu-
culi, de Montluç ôc.du maréchal de Saxe , fongeant
a ceux de les neveux qui n’auront pas le bonheur de
' le voir 6c dç l’entendre, il rédige par écrit les préceptes
qu’il donne de vive voix à la génération
préfente ; fes mémoires clairs 61 concis , auffi
éloignés d’une baffe flatterie que d’une âpre fatyre,
en un mot écrits avec l’impartialité & l’exaélitude
qui doivent caraâérifer tout hiflorien militaire,
feront, pour la poftérité la plus reculée, l’ouvrage
le plus inflruélif ÔC le monument le plus durable
de la gloire de leur auteur. Si ce vieillard, couvert
de gloire , fuyoit loin de la cour , pour aller chercher
dans les champs un afyle sûr 6c tranquille ,
peut-être l’air falubre qu’on y refpire , rendroit
a fon corps épuifé une partie des forces qu’il a
perdues ; il redonneroit à fon ame dégagée
peines ôc de foins fa première énergie ; à fon
efprit, fa première vigueur ; à fon coeur, fa première
fenfibilité ; 6c d’ailleurs ce vieillard refpec-
table ne fera-t-il' pas plus heureux dans la folitude
' paifible d’une de fes terres, que dans les tourbillons
d’unè cour q u i, ne le croyant plus néceffaire ,
n a plus pour lui les ménagements ôc les égards
qui lui font dus. A la cour, c ’efl une vieille idole
que perfonne n’encenfe , parce qu’on n’en attend
plus rien ; dans la retraite, c’efl une divinité dont
le culte efl toujours nouveau , parce qu’on y jouit
touts les jours du fruit de fes bienfaits & du fpec-
tacle de fes vertus. Avec quel plaifir ne verrai-je
pas fes mains viélorieufes Soigner les arbriffeaux
de fes jardins , 6c fes yeux jadis attentifs à choifir
6c à mefurer le champ du carnage , fe repofer à
pr'éfent fur des perfpeélives agréables, ôc fe fixer
lur un payfage fertilifé 6c embelli par fes foins.
'C ’efl ainfi, grand Condé, qu’après avoir vaincu
les ennemis de la France, tu allois dépofer tes -
lauriers à Chantilly , 6c planter ces arbres deflinés
a couvrir de leur ombre les héros de ta race.
Le général que fon maître admet dans fes confeils
«oit encore s’armer du courage le plus grand. C ’efl
vous , Joinville , Richemont 6c Montmorenci, qui
lui infpirerez le courage néceffaire; c’efl vous,
inflexible duc d’Albe , qu’il doit prendre pour modèle
, vous qui en opinant n’aviez égard ni aux
defirs de votre maître , ni aux intérêts des miniflres ;
Art militaire. Tome 11•
qui vous déclariez toujours pour le parti que vous
croyiez le plus jufle ; qui rameniez fouvent tout le
confeil à la probité , ou au moins qui ne le fuiviez
jamais dans Ion injuflice ; vous pour qui vos amis
ont mille fois frémi de crainte en entendant les
vérités que vous ofiez adreffer à Philippe II ; vous,
en un mot, que je nommerois un héros fi vous
n’aviez été ni vain ni cruel : hommes célèbres,
faites naître dans l’ame du général l’auflérité févère
8c l’heureufe inflexibilité dont vous donnâtes tant
de preuves ; qu’il n’accorde jamais fon fuffrage à
une guerre entreprife uniquement pour fatisfaire
l’ambition d’un jeune monarque , le goût d’un
miniflre , ou le defir d’acquérir de la gloire, fi
ordinaire à un général en faveur ; qu’il n’approuve
que ce qui portera l’empreinte du véritable intérêt
des peuples ; qu’il s’oppofe avec fermeté au choix
d’un général, qui devroit plutôt fon élévation à la
faveur qu’aux talents ; qu’il parle , qu’il s’élève
contre les abus ; fon âge , fon expérience donneront
un grand poids à fes paroles , fa vertu répondra
de la droiture de fes intentions , 6c fes
hauts faits impoferont filence à l’envie 6c à l’intrigue
: en un m o t, qu’il laiffe au vil & timide
courtifan la charge de flatter les pallions de fon
maître, comme elles font l ’ennemi capital de la
patrie, c’efl à lui de les combattre. S’il ne peut
les vaincre, fi elles réfiflent à des efforts fouvent
réitérés, fi fes confeils , fes avis , fes prières , ne
parviennent plus jufqu’à l’oreille du prince ; qu’il
fe retire ; qu’il fuie loin de la cour, afin qu’on
ne puiffe pas même le foupçonner d’être l’auteur
des malheurs de l’éta t, ou le complice de ceux
qui les caufent. Quelque jou r, p e u t-ê tre , ces
malheurs devenus extrêmes obligeront fon maître
à lui confier le timon des affaires; alors l’eflime
6c l’amour des peuples qu’il aura confervés, 6c
fa vertu qui fera pure 6c entière , fuffiront pour
rendre la confiance à la patrie abattue, 6c pour
.réparer les maux qu’elle aura pu fôuffrir.
Si dans les confeils le général aime affez l’au-
gufle vérité pour la dire à fon maître, dans fes
camps, il aura auffi, fans doute , le courage de
l’entendre, 6c de lui donner un libre accès de
quelque côté qu’elle vienne , fous quelque afpeêl
. qu’elle fe préfente ; jamais on ne hafardera rien en
lui montrant cette vérité dépouillée de tout voile ;
il fçait que les ornements étrangers affoibliffent fes
traits ; que l’on n’ofe jamais nous dire tout ce que
l’on penfe ; que pour n’etre point trompés nous
devons toujours ajouter à ce que l’on nous dit de
fios défauts ; enfin, il a dû éprouver qu’il lui en
a moins coûté d’entendre Taulière vérité que de
la dire : il encouragera donc, il récompenfera
même ceux qui aimeront affez fa gloire pour lui
rendre ce fervice effentiel. Les rois ont eu jadis
à leur fuite des fous qui leur préfentoient la vérité
que les courtifans les plus en faveur n’oloient
j leur montrer ; au lieu de ces hommes deflinés
j quelquefois à Tinflruélion, mais plus fouvent aux
JD d d d