
un pays neutre , dont les habitants puiffent vous 1
fervir d’efpions. Mais fi vous faites la guerre
dans une province dont les citoyens vous foient ■
affectionnés^ c’eft parmi eux que vous devez vous
choifir de bons efpions. Dans ce cas, fi aucune
autre circonftance ne s’y oppofe, obligez les petits
princes neutres voifins de fe déclarer & dë prendre
parti, fur-tout lorfque, pour l’intérêt ou pour la
confervation de leurs états , il èft à préfumer qu’ils
préféreront votre alliance à celle de l’autre fouve-
rain votre ennemi.
Antiochus, roi de Sy r ie , cherchoit un moyen
pour engager les Theffaliens à fe liguer avec lui
contre les Romains-: quelques-uns de fes miniftres
lui perfuadèrent de demander cette alliance les
armes à la main, parce qu’ils crurent que les
iTheflaliens n’oferoient la refufer , pour ne pas
attirer la guerre dans leur pays, expofé aux hofti-
lités d’Antiochus.
Vous obligerez encore un prince neutre à fe
déclarer, lorlque , fous main , il donne à vos
ennemis touts les mêmes fecours qu’il pourroit-
leur donner s’il y avoit entre eux une ligue formelle
; & puifqu’il vous nuit autant qu’il le peut
dans cette guerre , il n’eft pas jufte qu’il jouiffe du
repos & des autres avantages de la paix.
Le roi de France, qui, en 1582, donna fecré-
tement du fecours à don Antoine, roi de Portugal,
contre Philippe I I , roi d’Efpagne, & à fon frère .
lé duc d’Alençon , en faveur des Pays-Bas , qui
s’étoient révoltés-, dépêcha un ambaffadeur à
Philippe 11 , pour s’excufer fur cette mauvaife
intelligence , en attribuant toute la faute à certains
lèigneurs de fon royaume. Philippe rejetta
cette excufe, & lui répondit : « j’aime mieux
avoir le roi de France pour ennemi déclaré que
pour ami diffimulé ».
Nonobftant ce que je viens de dire , il ne faut
pas déclarer la guerre à un prince neutre, des états
duquel vous tirez plus d’avantage pour votre commerce
, que les ennemis n’en retirent par les fecours
iecrets qu’ils en reçoivent, ainfi que nous voyons
que l’Angleterre & la Hollande, qui fubfiftent
principalement par le trafic , ne fe déterminent ,
pour faire la paix ou la guerre , que fur les avantages
qu’ils croyent: que leur commerce peut y
trouver. Cependant ce ne doit point être là une
raifon fuffifante pour ne pas obliger un prince à
fe déclarer , fi fon pays, à proportion de vos
forces, eft de fi peu de défenfe-, & pourtant fi
riche, que votre fouverain , par les contributions
ta par les conquêtes, puiffe fe dédommager de
ce que fes fujets perdent par rapport au commerce.
François Peranda rapporte que les Vénitiens j
tâchoient de conferver la paix avec les Turcs,
parce que Venife n’auroit pu profiter des avantages
du grand commerce qu’elle fait, fi les Turcs ,
qui la bornent par mer & par terre , s’étoient
déclarés fes ennemis, Cependant nous avons vu
cette république entrer volontairement dans une
guerre contre la Porte , toutes les fois qu’elle a
trouvé des alliances affez puiffantes pour fe promettre
de compenfer, par fes conquêtes, la perte
qu’elle faifoit dans le trafic.
De la maniéré dont il faut fe comporter à Végard
des princes neutres.
On peut quelquefois engager un prince neutre
à embraffer votre parti, en faifant femblant d’avoir
avec lui de fecrètes intelligences ; car fi vos ennemis
, venant à fe le perfuader, commettent des
hoftilités fur fon pay s , il eft naturel que, pour
trouver un prompt feêours , il accepte l’alliance
que vous lui propofez. ;
André Do ri a fit tomber adroitement entre les
.mains de Soliman II une lettre , de laquelle il
pouvoit conclure que lès Vénitiens traitoient d’une
ligue avec Charles V contre les Turcs. Sur cette
lettré , Soliman déclara la guerre à Venife ; &
dès-lors cette république fe. ligua avec l’empereur
chrétien.
En parlant de la manière , dont on peut femer
la divifion parmi les ennemis , j’ai propofé divers
moyens, dont quelques-uns pourront peut-être
fervir pour faire naître la défiance entre les princes
neutres & le prince, ennemi.
Pour obliger le prince neutre à prendre parti,
ou pour lui déclarer la guerre, prenez le temps
ou les troupes ennemies ne font pas à portée
ou dans la difpofition de lui donner un prompt
fecours.
L’empereur Ferdinand I I déclara la guerre à
ré-leéfeur de Saxe , dans un temps pii Guftave-
Adolphe, roi de Suède, ne put le fecourir qu’a-
près que le comte de T il ly , général des troupes
impériales, eut défolé toute la Saxe & qu’il fe fut
emparé de plufi'eurs de fes fortereffes.
Lorlqu’on a deffein de forcer un prince neutre
à fe déclarer , il faut confidérer quel eft fon génie
& celui de fes miniftres & des perfonnes de fon
confeil , parce que vos menaces , qui peuvent
i obliger un prince timide à embraffer votre parti,
porteront un autre plus hardi à fe déclarer votre
ennemi, fur^tout s’il a affez de forces pour faire
éclater fon reffentiment.
Jean Botere rapporte que la fermeté avec laquelle
don Ferdinand de T o lèd e , duc d’A lb e ,
répondit à Elifabeth, reine d’Angleterre, dans une
diîpute qu’il eut avec elle fur certains vaiffeaux
qui avoient été arrêtés 9 contribua beaucoup à
irriter cette princeffe , qui commandoit à une
nation puiffante & altière, & à lui faire prendre
parti contre les Efpagnols en faveur des Hollan-
doîs révoltés , pour lefquels elle fit dans la fuite
des efforts confidérables.
Nous voyons , au contraire , que rien ne réufîit
plus mal aux Efpagnols que d’avoir ufé de trop
de ménagements à l’égard de certaines puiffances
G U E
qui ne font ni armées, ni guerrières , & auxquelles
une autre nation a fait faire, par la rigueur, ce
que les’ Efpagnpls .n’ayoient pu obtenir par leur
bon traitement.
Je dis enfin que la crainte de donner de la
jaloufie aux princes neutres vos voifins. ne doit
pas vous empêcher de profiter des avantages que
vous pouvez fûremenf remporter fur les ennemis j
fur-tout quand ces princes neutres ne fçauroient
vous faire autant de mal, en fe déclarant ouvertement
contre vous, qu’ils vous nuifent en interrompant
vos progrès- pour conferver la neutralité.
11 faut donc bien pefer toutes les circonftances ,
pour régler vos mèfures par rapport à tout ce qui
vous paroîtra plus utile pour le fervice de votre
fouverain ; car, dans certaines occafions,*il pourra
parler bien haut à fes voifins, & il devra , dans
quelques autres, ufer de beaucoup de ménagements
ta de politeffes..
Parmi les maximes que Guiçhardin a mifes. au
commencement de fon hiftqire d’Italie,, on y
trouve celle-ci : «qui abandonne un bien préfent,
par la crainte d’un mal à venir, quand ce mal
n eft pas bien fûr & fort prochain, trouve, pour
l’ordinaire, à fon grand regret & à fa honte, qu’il
a perdu, des occafions glorieûfès & très avantageuses
, par la; vaine appréhenfion d’un danger,
qui., dans la fuite, ne fe détermine fouvent à
rien ».
Le cardinal André d’Autriche, gouverneur des
Pays-Bas pour Philippe III., & l’A mirante d’A r-
ragon, gouverneur des armées , entrèrent dans les
états du prince de Clèves & des autres princes
neutres, pour y faire fubfifter leurs troupes, quoiqu’ils
ne puffent ignorer que ces princes, s’offenfe-
roient de ce qu’on rompoit ainfi la neutralité qu’ils
obfervoient entre l’Efpagne & les Provinces-Unies :
mais ces généraux, n’ayant pas d’autres moyens
pour faire vivre les troupes, qui, faute de p aye ,
fe feroient débandées , crurent qu’il valoit encore
mieux ne pas s’embarraffer du reffentiment de ces
princes neutres, dont l’effet ne pouvoit pas avoir
tfes. fuites, aufîi fâcheufes que le danger évident
ou étoit l ’armée d’Efpagne de périr faute d’argent
; & réellement toutes les. plaintes de ces
princes ne firent pas grand mal aux Efpagnols,
qui avoient trouvé une reffource confidérable
dans les quartiers qu’ils avoient pris dans le pays
de Clèves.
Je fais voir ailleurs par quelles précautions on
peut fe défendre contre - l’artifice des - princes
neutres, qui quelquefois, fous le beau & fpécieux
pretexte de procurer la tranquillité , veulent fe
rendre médiateurs de la paix ; & commençant par
une iufpenfion d’armes, ils prolongent la conclu-
lion^du traité de paix, pour donner le temps.7à
leurs allies fecrets ta à vos ennemis déclarés d’augmenter
leurs - forces pour recommencer la guerre.
11 eft dangereux.-.d’admettre un médiateur, pour!
la paix. . . . . . . .
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Des moyens de conferver fes, conquêtes' en, fe conciliant
V'affection des peuples conquis,.
T’ai traité jufqu’ici des conquêtes; mais il fervi-
roit peu d’en faire ft nous ne difions pas comment
on peut les conferver,.en quoi il y a plus de dif-
, ficulté qu’à conquérir. « II eft plus aifé, dit Quinte-
Curce, de faire des conquêtes que de les conserver
». La raifon e ft, qu’il Suffit pour faire des conquêtes
de trouver une oçcafion favorable ; mais il
faut pour les conferver qu’en plufieurs années il
ne s’en rencontre aucune de contraire.
En traitant des révoltes , je fais voir par quels
moyens on peut rendre moins aguerri un pays
que l’on veut conferver par la force, & comment
on peut adoucir les efprits. des citoyens que l’on a
fournis par les armes ; voyons à,préfent de quelle
manière on pourra les conferver, par a r t.& par
adreffe , en fajfant abftraélion de là force, ce qui
vaut beaucoup mieux. Le moyen le plus sûr pour
y réuffir eft de gagner l’affeélion des peuples conquis,
parce que les déferlions, les maladies, Sc
les troupes que vous • ferez obligé de laiffer en
divers endroits, diminueront confidérablement
votre armée ; &, fi. des habitants aguerris ont toujours
une forte averfion contre vous, fur-> tout
dans un pays de montagnes , ils ne cefferont de
vous fatiguer, vous obligeront-à groflir vos partis,
,& à la faveur des défilés, ils arrêteront la marche
de vos convois, ainfi qu’il arriva à notre armée
dans la dernière guerre de Catalogne.
La maxime fondamentale de Canut Ier, pour
affurer fa nouvelle conquête de l ’Angleterre , fut
de s’attirer l’affeérion de touts les peuples de cette
île.
Si vous n’avez pas gagné l’amour des peuples
conquis,& que vous l'oyez obligé d’aller foutenir
dans une province éloignée une guerre imprévue ,
qui, fans vous donner le temps de faire de nouvelles
levées, vous mettent dans la néceflité de
retirer de.ce pays une partie des troupes qui, y
font; alors ces,peuples, que vous ne conteniez que
par la force, prendront les armes pour feçouer le
joug. La même chofe arrivera encore toutes les
fois que votre armée venant à être mife en déroute,
les peuples croiront qu’il n’y a plus de danger
à fe déclarer vos ennemis.
Les Carthaginois, obligés de retirer leurs troupes
-d’Efpagne pour aller fervir -dans la guerre de Sicile
contre Denis & les Agrigentins , rétablirent Cadia
dans fa liberté & dans fes privilèges, ôtèrent les
garnifons des places , & comblèrent le pays de
tant de bienfaits, qu’il demeura fournis à Carthage
par reconnoiffance ; au lieu que les Carthà-
! ginois, contraints d’en éloigner les troupes, n’au-
j roient pu le conferver par la force..
| Il en coûta' cher à cette même, république de
! Carthage, pour n’avoir pas, obfervé fa première
j politique : caria raifon, félon Polybe , qui. porta
Y y y y i f ‘
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