
nôiffance ne peut guere fe faire que pendant la
nuit ou pendant un épais brouillard. Puisqu'on doit
faire reconnoître un gué qu’on a paffé foi-même ,
à plus forte raifon doit-on prendre cette précaution
dans toutes les autres circonftances poffibles.
Quand un-gué a une direâion oblique, il importe
, pour que les colonnes ne s’égarent point,
de le faire balifer. Cette.opération conlifte à planter
des deux côtés du gué de grandes branches d’arbre ;
la partie de ces branches , qui fort de l’eau, forme
une efpèce d’avenue qui empêche les deux colonnes
de quitter la partie de ,1a rivière qui eft guéabie.
C e n’eft que pendant la nuit qu’on peut planter
ces balifes , &. quand elles font plantées, on ne
doit pas perdre un inftant pour effeûuer le paffage.
On peut encore, dans la même circonftance, placer
des hommes à cheval qui indiquent par leur po-
fition la route que les colonnes doivent fuivre;
on peut auiïi mettre à la tête des colonnes les
cavaliers qu’on a employés à fonder la rivière,
ou enfin leur donner pour guides des perfonnes
du pays, qui connoiffent parfaitement la direâion
du gués On ne peut prendre trop de précaution
pour empêcher les colonnes de perdre le gué, &.
pour s’alTurer de la fidélité des guides. {V. G uides.).
Une rivière peut être gueable, & cependant
allez rapide pour entraîner plufieurs de vos loldats ;
dans cette circonftance , vous avez cinq moyens
à employer. Vous pouvez placer au-deflus &. au-
deffous du gué , i . un corps de cavalerie ; a. des
arbres ; 3 » des charriots ; 4. des cordeS ; & 5. enfin ,
obliger les foldats à tenir l’habit de leurs camarades.
Vous placez un corps de cavalerie au-deffous du
gué, pour arrêter ceux de vos foldats qui font entraînés
par le courant, & un au-dellus pour
rompre l’impémofité de l’eau. Ces cavaliers doivent
être un peu éloignés les uns des autres. Il
ne faut pas que l’eau monte jufqu’au ventre du
cheval, parce que le corps de l’animal feroit digue.
Les branches des arbres que l’on jette dans la
rivière pour en diminuer la rapidité, doivent être
tournés , dans la rangée fupérieure, vers la fource
de la rivière, & dans la rangée inférieure , vers
fon embouchure.
Les charriots placés tant au-deffus qu’au-deffous
d’un gué, doivent être en travers de la rivière ;
ils doivent être allez chargés pour ne pouvoir être
foulevés & entraînés par le courant. L’eau ne doit
*jamais pouvoir s’élever jufqu’à l’eflïçu.
Pour employer les cordes au paflage des gués,
on plante deux pieux fur chacun des bords de la
rivière : on les place fur chaque bôrd , à une
diftance égale , au front qu’on veut donner à fa
colonne ; on tend enfuite une corde entre les
piquets fupérieurs , & une entre les piquets inférieurs.
Pendant le paflage, les hommes de la file
de droite & de gauche de la colonne faififfenf la
corde , & maintiennent aipfi b troupe contre
Leffort de l’eau.
Ces moyens font, il faut en convenir, plus ïni
génieux que praticables, fur-tout lorfqu’on eft en
préfence de l’ennemi. Toutes les fois qu’il fera
indifpenfablè d’en faire ufage , il vaudra mieux
recourir à quelqu’un des ftratagêmes que nous
indiquerons dans l’article R iv iè re , passage dk
r iv iè r e .
La plus grande attention que l’on doit avoir
quand on paffe une rivière un peu trop profonde ,
ou trop rapide, c’eft de ne point faire marcher
les hommes trop proche les uns des autres. Une
colonne trop ferrée fait dans l’eau un effet à peu
près femblable à celui d’une digue.
Lorfque l’eau a trop de profondeur fur toute
la furface du gué , on recourra ou aux moyens
que nous indiquerons dans l’article R ivière , ou
à ceux que nous donnerons dans un înflant. Mais
quand il n’y aura trop d’eau que dans un efpace
peu confidérable , on comblera cet efpace avec
aes cailloux , ou mieux encore de groflés fafcines
remplies de cailloux ou de pierres , ou bien en
jettant dans l’eau de gros arbres auxquels on attache
de groffes pierres.
On ne peut prendre trop de précautions pour
que les foldats, en paflant une rivière à gué, ne
mouillent ni leurs armes ni leurs munitions de
guerre. Les Impériaux éprouvèrent à Caflano combien
cette attention eft importante : ils pafsèrent
avec une valeur digne de louange un canal qui
les féparoit de leurs ennemis, mais ils furent obligés
de le repaffer avec une précipitation honteufe ,
parce qu’ils ayoient mouillé leurs munitions de
guerre.
« Si la rivière eft trop profonde, dit M. de la
Roche, pour que les foldats ne puiffent porter leur
fufil dans la pofition ordinaire , fans le mouiller , ils
auront l’attention de les élever fur leurs épaules ,
la croffe en - haut, & même fur leur tête s’il le
faut. Us auront la même attention pour leurs gibernes
, & les cartouches qu’ils doivent avoir ôtees
de leurs poches. L’imprudence du corps des Heifois,
qui laifsèrent leurs gibernes pendantes quand nous
pafsâmes les lignes de Weiffembourg, fous les
ordres du maréchal de Coigny , leur fut fi fu-
nefte , que je ne crois pas qu’il arrive jamais à
une troupe de négliger les précautions que j’indique.
».
La circonftance oh l’on doit porter fes armes
fur la tête, n’appartient guères à l’article qui nous
occupe; car on doit fe rappçller que paffér une
rivière à gué, c’eft la pafler fans nager , & qu’il
eft bien difficile de -ne point- nager quand l’eau
monte beaucoup plus haut que la ceinture de
l’homme.
Toutes les fois qu’on fait pafler une rivière à
gué, on doit recommander au foldat de jetter de
temps en temps les yeux fur la verdure du rivage ,
& de les tourner quelquefois vers le ciel ; lans
cette précaution , il feroit ébloui par les rayons
de lumière que l’eau renvoyé : on doit recommander
mander la meme chofe au cavalier; on doit lui
avoir enfeigne de plus la manière dont il doit
conduire fon cheval dans cette circonftance particulière.
« Il faut fçàvoir, dit encore M. de la Roche
/e cheval qui fent fous lui une quantité d’eau
lufmante pour le porter, fe biffe aller naturellement
fur le côté pour nager. Mais dans le cas oh
le cavalier s appercevra que fon cheval touche le
tond , & qu’il n’a pas lui-même de l’eau jufqu’aux
genoux, il doit lui faire fentir légèrement l’éperon ,
oç lui relever la tête en lui ferrant un peu la bride,
bi le cavalier, au contraire, fent que le cheval perd
le tond » oc s’il a de l’eau jufqu’au milieu de la cuiffe,
il doit 1 abandonner à fon mouvement naturel ,
q u i, comme je viens de le dire, eft de fe mettre
tur le cote pour nager. C ’eft »lors qu’il ne faut plus
le contraindre, mais lui biffer la bride lâche, fans
la lailier cependant affez tomber pour qu’elle puiffe
s embarraffer dans fes jambes ».
Quand une rivière eft trop profonde ou trop
rapide, on peut diminuer le volume & la rapidité
de 1 eau enla faignant ; cette opération demande
la réunion d un grand nombre de bras, & confume
beaucoup de temps ; il feroit prefque toujours plus
court & plus facile de tenter le paffage dans quelque
autre endroit, & d’employer quelques uns des
moyens dont nous donnerons le détail dans l’article
K iv ie r e .
, ^-°5^ue Ie fond d’un gué qu’on doit pafler eft
de labié mouvant, ou très boueux, il eft effentiel
de jetter dans les endroits les moins praticables
de grandes clayes qu’on affujettit avec de groffes
pierres ; cette opération n’eft point praticable en
prefence de l’ennemi ; elle eft cependant indif-
penfable.
§. X.
dans le paragraphe IV de cet article, il faut, avant
de rien entreprendre, ôter tout ce qui embarrafle
le gue ; mais on ne le peut guères qu’après avoir
etemt les feux de 1 ennemi & l’avoir éloigné lui-
meme du rivage ; agir autrement, ce feroit vouloir
E f f a inutilement un grand nombre d’hommes.
DAubigne rapporte , je le fçais bien , qu’en
1 5 6 7 , les royaliftes avoient défendu le paflage de
la berne, en jettant dans le gué des madriers cloués
des cercles-, & des chauffe-trapes, & que le prince
de Conde fit purger le gué par des hommes protégés
par quatre cents arquebufiers placés dans les faules
5U‘ j r,d.01?n' rivaSe i je fçais bien aufli que
bolard dit de fe fervrr de grappins on de griffes de
ter , quon attache à de longues cordes, & qu’on
jette furies objets qui.embarraffent le gué; je fçais
bien encore que le même auteur confeille de faire
uiage de groffes clayes qu’on enfonce dans la rivière
; mais touts ces moyens font bien foibles
pour peu que l’ennemi foit fort & réfolu & je’
crois qu’il eft plus prudent & plus court de paffér
la rivière dans quelque autre endroit.
§• X I I .
Ce que l on doit faire quand V ennemi a rompu le gué.
Pour pafler un gué que l’ennemi a rompu, il faut
le rétablir , & cela fe peut en fa préfence : il faut
donc toujours commencer par l’éloigner du rivage.
§ . X I I I .
Conduite que Fon doit tenir quand l'ennemi a fortifié
lijfue dun gue que l'on veut paffér.
Lorfque l’ennemi a fortifié l’iffue d’un gué que
Ion veut pafler, qu’il en peut couvrir la fuper-
hcie entière par des feux rafants & croifés il
ieroit très - imprudent de tenter le paffage avant
o aT,01.r , nt ces feux » détruit les épaulements
oc éloigne l’ennemi. On recourra donc , dans cette
circonftance, à ce que nous avons dit dans le
premier alinéa du §. IX : fi on ne peut réuffir
a détruire les épaulements, &c. on employera
pour palier la rivière quelques-uns des ftratagêmes
dont nous parlerons dans l’article R i v i e r e
Moyens de paffér une rivière.
§ . X I .
Ce que Von doit faire quand l'ennemi a embarraffé
un gué.
Si l’ennemi a embarrafle un gué, & qu’il la it
ait. avec l’art dont nous avons donné un modèle
■ drt militaire% Tome 11,
Si l'ennemi a privé un gué de fes avantages naturels.
Si 1 ennemi a conftruit un batardeau au moyen
duquel les eaux ayent acquis une grande profondeur,
il faut fe rendre maître de cet ouvrage &
le detniire. S’il garde des éclufes ou des digues '
qu il eft le maître de rompre , il faut s’en emparer ,
& pafler b rivière dès l’inftant ou l’on eft le maître
de ces ouvrages; fi on prévoit qu’on ne pourra
les garder , il faut les détruire , & paffér auflitôt
que les eaux fe font écoulées.
Quant à 1a manière de difpofer & faire combattre
les troupes quand on paffe une rivière à gué, voyez
le mot R iv iè r e . Voyeç encore le même mot
relativement aux ftratagêmes à employer pour
1 ennemi a abandonner un gué que vous
voulez paffér.
Nous croyons ne pouvoir mieux terminer cet
article qu’en indiquant les paffages à gué les plus '
fameux. La conduite des grands hommes eft le
meilleur traité de l’art de 1a guerre.
Les principaux paffages à gué dont l’hiftoire nous
ait confervé le fou venir, font celui du Granique &
du Tigre par Alexandre ; de b Segre & de la Loire
parCæfar ; du Menandre par Louis V I I ; du Rhin
par Louis X IV ; de b Boy ne par le prince d’Orange, •
Ôc du canal de Holorvitz par Charles XII. (C . ).
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