
en confeil de guerre fur cette défobéiffance ,
avaient condamné ce fils de bourgeois, après qu’il
eut confeffé avoir été mené deux fois en faétron
par ledit anlpeffade, à être paflfé par les armes,
Ôc cafté.
Une tante de ce foldât, ayant trouvé accès auprès
du roi de Navarre, par le moyen d’une cou-
fine fort jolie , lui cxpofa la rigueur dont on avoit
ufé envers fon neveu. Ce prince envieux prit l’oc-
cafton au péril pour faire un affront à d’Aubigné,.
& l’envoya pour cet effet chercher par un huit-
fier du confeil. L u i, croyant que c’étoit pour
prendre fon avis fur quelque point important,
fut bien étonné à fon arrivée quand il vit le condamné
accompagné de Meure Guillom, & de
vingt autres parents, qui attendoient à la porte
du confeil. Dès que d’Aubigné paroît, le roi lui
fit force de révérences, de rifée , en difant : Dieu
vous garde Sertorius, Torquatus, Caton le cen-
feur ; & fi l’antiquité a encore quelque capitaine
plus révéré, Dieu garde èncore celui-là.
Le compagnon, piqué de cette raillerie, ré-
’ pondit fur le champ : s’il eft ici queftion de point
de difcipline , contre laquelle , fire, vous êtes
partie , permettez-moi de vous récufer : ce que
le roi voulant bien, il pafla dans une autre chambre.
Après quoi, Aubigné fans vouloir s’affeoir,
n’allégua pour toute raifon. de la fentence qu’il
avoit prononcée, que le déni d’obéiffance du
fbldat à fon anfpeffade, & fe tut. ».
M. Davoix, qui préfidoit alors au confeil, ayant
recueilli les v o ix , commença par faire un grand
remerciement à d’Aubigné, & l ’encouragea à
maintenir la difcipline, ajoutant : une feule chofe
avons à corriger à votre jugement : c’eft qu’aprè's
avoir condamné fi juftement à mort un rebelle
en fait de fervice, vous ayez .pris la liberté de
commuer fa peine, ce qui n’appartient qu’au général.
D ’Aubigné , bien-aife de n’être cenfuré que fur
fa clémence, remontra au confeil, qu’en qualité
de gouverneur d’Oléron, & de la mer dont il étoit
environné ; de commiffion qui lui donnoit pouvoir
de fondre artillerie ^ & de livrer bataille, il
avoit pu accorder ce pardon ; de laquelle chofe
tout le confeil convint ; & le roi fut honnêtement
& copieufement cenfuré de l’éloignement qu’il
marquoit avoir pour la police, & le jufte gouvernement
qui devoit être obfervé dans les troupes.
Nous avons un autre exemple de la force de
la difcipline fous François I , que nous rapportent
nos hiftoriens de ce temps. Le jour de •la .
bataille de Cerifoles , ayant été fçu à la cou r,
plufieurs gentilshommes s’y rendirent en pofte. Le
jour arrivé, la Burthe, fergent de bataille, vifr-
tant les rangs, vit un de ces meflieurs tout fraîchement
arrivé, qui s’étoit placé au premier rang ,
avec les capitaines, fans avoir aucune armure.
Il lui dit qu’il devoit fçavoir que pour être là,,
£1 fâlioit être armé de toutes pièces, & qu’il n’a - J
voit qu’à fe mettre avec les enfans perdus : après
cet avis, il paffa outre ; à fon retour, l’ayant encore
trouvé au même endroit, il lui répéta la
même chofe. Le gentilhomme conteftant , la
Burthe s’échauffa, & le tua d’ûn coup de hallebarde.
Le roi le l'çut, le trouva d’abord fort mauvais
, regretta la bonne volonté du gentilhomme ;
mais on allégua les ftatuts, & il n’en fut rien
autre chofe. L’aélion eft violente fans doute, &
on ne la rapporte que comme une marque de la
force de la difcipline de ce temps.
Ce n’eft que fous Louis XIV que je crois que
l'on pût trouver des établifTements folidement
exécutés : il femble qu’il étoit réfervé à la gloire
de fon règne de fixer un objet aufli important dans
les armées. Comme en parlant des peines infligées
aux crimes & délits, je m’arrête à touts les
points de difcipline, je n’en dirai pas davantage
ici : je rapporterai feulement quelque exemple de
moyens employés par des généraux, qui ne font
pas dans nos ordonnances.
Telle eft la méthode que M. le Maréchal de
Saxe fuivoit en campagne , de mettre à la chaîne
pour plufieurs mois les foldats qui étaient pris
en maraude ; & cet ufage qui confervoit des hommes
au roi, faifoit une impreflion d’autant plus
fenfible, que toute l’armée voyait paffer chaque
jour devant fesyeux ceux qui étoient condamnés.
Son exaâitude aufli à punir de la prifon les
officiers qui commandoient dans les poftes où il
étoit prouvé que les maraudeurs étoient fiortis
de l’enceinte des gardes, ne laifibit pas de contribuer
au maintien de la . police.
Dans les campagnes de 1760 & 17 6 1 , en Allemagne,
M. le maréchal de Broglie, au lieu de
faire pendre les maraudeurs qui étoient en très
grand nombre fous ceux qui les faifoient pendre ,
leur fit donner des coups de bâton, & la fureur
de la maraude ceffa : (voilà l’utilité des châtiments
qui font le plus d’impreffion : ce font des
remèdes qu’il faut garder pour les grandes occa-,
fions. ).
Ces deux exemples prouvent ce que j’ai dit
que ce n’eft pas l’atrocité des peines qui arrête
les délits, mais la, févérité avec laquelle on en
inflige.de douces, parce que touts ceux qui ferment
les yeux quand il eft queftion de la vie
d’un homme , s’arrêtent quand il doit avoir vingt-
cinq , trente, & c . coups de bâton.
Par tout ce que l’hiftoire nous montre fur la
difcipline chez les nations les plus célèbres du
monde , il eft impoflible de difcorivenir de fa né-
eeflité. Ainfi donc un Prince éclairé ne fçauroit
trop avoir d’attention à en introduire une dans fes
troupes &. à l’y entretenir.
Antiochus, par la perte de la bataille de Raphie,’
contre Ptolemée Philopator-, apprit l’importance de
la difcipline. Si un général manque à ce point,
toutes fes grandes qualités lui font inutiles , & le
précipiteront tôt ou tard dans les plus grandes
infortunes \
infortunes ; le falut de l’état & la gloire du prince
■ en dépendent.
■ Ce qui doit principalement l’engager à maintenir
les troupes dans FobferVatio.n des loix militaires,
& à s’armer d’une rigueur inflexible pour
en empêcher l’affoiblifiement , c’eft la confédération
juftifiée par mille exemples, qu’il ne faut
qu’un temps bien court pour, jetter les îoldals dans
l ’oubli & le mépris des loix. Ce qu’il y a de plus
fâcheux , c’eft qu’on ne peut les rétablir que parla
terreur des châtiments, ou par ces talents
fupérienrs & rares qui exigent des Scipions, des
Métellus. On doit conclure de-là que le mal n’eft
pks peu de chofe ; outre qu’il eft affez rare de
trouver des Métellus & des Corbulons, c’eft-à-
dire des gens capables de guérir ces fortes de
maux. Ce que dit Végèce eft bien vrai, que plus
les troupes font accoutumées à la fatigue, plus
elles font exercées , moins elles ont de revers, à j
craindre. In bello , qui plus in angariis vigilaverit,
plus in exercendo milite laboraverit, minus periculum
fûjlinebit. --
Antiochus ne fe fouvint pas de cette maxime ,
& Sofibe , en s’en fouvenant, parvint à furmonter
un ennemi redoutable.
Q u’on ne dife pas qu’une armée ne peut être
corrompue dans l’efpace du quartier d’hiver. Six
mois de repos, fans nul exercice, fans nul^foin
dès armes , & dans les plaifirs .& l’abondance ,
font’ fulfifants pour changer lés officiers & les
foldats en touts autres hommes. Il n’en fallut pas
davantage pour rendre l’armée d’Annibal aufli
rvile & aufli méprifable qu’elle avoit paru redoutable
fix mois avant à fes ennemis. Il eft même
difficile de remettre des troupes corrompues &
amollies par les plaifirs & la mollefie, de leur faire
oublier les douceurs paffées par le retour des
.principes • qu’ils ont abandonnés-. Le triple de
temps pourra à peine fuffire , & ce n’eft pas dans
une campagne , où l’on entre tout corrompu ,
qu’on les remettra-en vigueur fans cabrer les fol-
d'àts , & lés empêcher de fortir de leurs devoirs ,
puifque le défaut de difcipline , en les rendant
lâches , les porté encore à être mutins. Annibal
fut toujours le même , je le veux , mais il s’ap-
perçut, après les délices de Capoue, avec autant
de honte que de chagrin , que cé n’étoient plus les
mêmes foldats avec lefquels il avoit remporté tant .
de viéfoires.
Il n’y a pas de doute que Sofibe connoiffant
l ’importance de la difcipline , & trouvant les
troupes de Ptolemée, totalement corrompues, il
•n’aimât mieux en former de nouvelles & les rendre'
bonnes, en introdüifant une nouvelle difcipline,
& en attirant en Egypte les meilleurs officiers de la
Grèce , pour les dreffer félon la méthode de leur
pays , leur donner des armes femblables , & les
.accoutumer à leur manière de combattre & de
s'exercer, que ;de les tirer de cet état de mollefie
$L de corruption où ils étoient. Il n’eft pas dou-
Art militaire, J'orne IL
. O i s ,2 .0 9
téux, dis-je , que cet habile miniftre ne comptât
autant fur le relâchement deTarmée d’Antiochus ,
en montrant une envie apparente de faire la paix ,
afin de pouvoir attaquer le premier; que fur le
parti, tout au plus, d’une défenfiye , avec l’armée
qüil a v o it, qui eût flétri à jamais la réputation
de fon maître. '
Les caufes de l’altération de la difcipline, font i
en général, Foifiveté des troupes. Le foldat dans
l’inaéfion s’accoutume au murmure ; du murmure ,.
il paffe aux complots & aux féditions. Quand il
fe commettait à Athènes quelque crime dont-
l’auteur ne pouvoir êtré connu, la loi ordonnoit
que le plus oifif des citoyens en fût jugé coupable
, fans autre preuve , 4 puni .en conféquence.
Mais les caufes prochaines fon t, fuivant M. de
Feuquieres, l’incapacité du miniftre dans le choix:
des généraux & des officiers fubalternes, & dans
le manque d exaéfitude à payer les troupes, fuivant
M. de Montécuculi. Le miniftre qui n’en
connoît point l’importance, ne peut penfer à fon
obfervation ; lé manque'd’exaélitude à payer la
folde eft un prétexte fouvent pour l’enfreindre.
L’officier fubalterne , trop tôt élevé à un emploi
dont il eft indigne , n’eft pas forcé'à avoir les
connoiffances que fon état exige par un général
.aufli déplacé que lui.
Ges caufes font les plus prochaines ; mais il en
eft encore, d’éloignées qui ne font pas moins imporr
tantes, parce que lorfqu’elles fubflftent, la difcï-
pline ne peut avoir lieu.
Il faut que la difcipline foit propre au peuple
pour lequel elle eft établie, parce que celle d’une-
nation peut ne pas convenir à une autre ; qu’elle
fe rapporte a la nature , aux principes du gouvernement
, aux manières & aux moeurs de la?
nation.
Que 'les peines & les récompenfes foient relatives
entre elles , & aux a étions qui lesproduifent *
enfin , que ‘cette difcipline préferve plutôt des
crimes que de prononcer des fupplices, qu’elle
infpire plutôt des vertus que de punir des fautes.
J ai dit, 1 . qu il falloit que la difcipline eût duc
rapport avec la nature du gouvernement , parce
que dans la république , la monarchie, & le
defpotifme , les hommes y étant des parties différentes
de l’état , & ayant par coniequent des intérêts
différents à le foiitenir , il faudra aufli des
forces différentes pour les mouvoir afin qu’ils sV
portent; qu’il faudra donc pour cet effet dans îesnnes
plus^oumoins de récompenfes que dans les autres!
2 . Qu’elle fe rapportât au principe du gouvernement,
parce que, dans la république, lestroupes-
qui font composes de citoyens qui font, à certains
égards , fouverains, & à certains autres, fujets - il
faudra que cette puiffance s’établiffe des loix qui"
règlent le devoir de chaque particulier : la part
que chacun , comme fouverain , a a la rëdaâion de
ces-loix y fera naturellement qu’elles ne feront pas
teyeres, parce que l’intérêt commun 6c l’amour de
P d ^