
Afin de dérober plus facilement des. marches
aux ennemis, une de vos armées, 8c même toutes
les deux , les appelleront, par de fauffes marches
précédentes, dans des endroits où une rivière,
qu’on ne peut paffer à gué, fait un fort grand
coude ,8c fur laquelle vous avez quelque pont ,
fans que les ennemis en ayent connu, parce que
le détour du coude 8c le temps néceffaire pour
la çonftruétion d’un pont , les arrêteront beaucoup.
Si l’une de vos armées attend de pied ferme,
& que l’autre vienne la joindre, il faut préférer,
pour demeurer de pied ferme , celle qui eft dans
un pays où les ennemis n’ont ni places fortes , ni
poftes avantageux où ils puiffent s’aller mettre
en fureté lorfqu’ils auront quelque avis de la jonction
de yos deux armées. .
S i, au lieu de toute l’armée entière , on détache
■ feulement quelques troupes pour aller renforcer
l ’autre , qui veut attaquer , ce détachement fe
doit faire de celle des deux armées qui eft campée
dans un terrein plus fort par fa fituation, 8c qui a
de meilleures places, afin de pouvoir éviter de
combattre, pendant qu’elle eft affoiblie & qu’elle
manque de troupes qui forment le détachement.
Quand les ennemis fe mettent en campagne avec
■ un nombre de troupes inférieur ou égal au vôtre,
dans un pays où vous pouvez leur livrer le, combat
, tâchez:de les attaquer avant qu’ils ayent été
renforcés par les autres régiments que vous fçavez
qu’ils doivent recevoir en peu de jours, parce
que fi yous remportez la viéfoire fur ces premiers
ennemis , il ne vous fera peut-être pas trop difficile
de vaincre les féconds. La force s’affoiblit quand
eïïe eft fépayee & divifée ; mais elle augmente &
devient prefque invincible quand elle eft unie.
Voici comme s’explique l’empereur Léon , dans
un ordre qu’il envoyoit à Nicéphore fon général.
Attaque^ , lui dit-il, les ennemis dans leur pays ou
dans un autre , avant qu 'ils fe joignent , & maintenant
que les barbares d'Egypte, de Sourie 6* de
Carmoniefont leurs préparatifs contre les Romains ,
aile£ avec Varmée navale prendre Vile de Chypre , &
avant que les barbares réunijfent leurs forces s atta-
que{ ou brûle£ leurs vaiffeaux , jufques dans leurs
ports mêmes.
Sertorius, pour donner à comprendre auxPortu-
gais combien il*étoit, -aifé de détruire -l’armée de
Rome, en l’attaquant féparée 8c,par partie , avant
qu’elle raffemblât fes forces, ordonna à un vieillard
, en préfence des Portugais, d’arracher crin à
crin , la queue d’un gros ,8c vigoureux cheval, 8c
commanda en même temps à un fort jeune homme
de tâcher, d’arracher la queue entière d’un petit
&. foiblè cheval ; comme le premier avoit déjà
accompli 1-ordre qui lui avoit été donné, tandis
que les, efforts du fécond avoient été inutiles , 8c
qu’il avoit même perdu toute efpérance de réuffir ;
Sertorius prit de - là ocçafion de repréfenter aux
Portugais que le peuple Romain étoit comme la
queue de ce gros cheval, qu’il étoit impoffible
à un homme d’arracher en la prenant toute entière
; mais qu’on en venoit facilement à bout en
la prenant partie par partie.
Tacmas , roi de Perfe, voyant fon pays invefti
par Ibraïm , grand vifir des Turcs , fit tout ce qu’il
put pour engager Ibraïm dans une bataille avant
que l’autre armée, commandée par Soliman II, fût
arrivée ; mais le grand vifir évita le combat, pour
ne pas rifquer une bataille, lorfque toütes les
forces Ottomanes n’étoient pas encore réunies.
Les peuples de Galles, lesEcoflois , les François,
& les comtes de Perci fe liguèrent contre Henri IV,
roi d’Angleterre. Ce p r in c e q u i connut qu’il ne
lui feroit pas poffible de réfifter à toutes ces forces,
fi elles venoient une fois à fe. joindre , ne leur en
donna pas le temps ; il attaqua 8c défit Scirubori,
les troupes de Perci 8c celles d’Ecoffe ; après quoi
il lui fut aifé de fe défendre contre les autres.
Un fouverain donnera ordre au général de fon
armée de chercher quelque conjoncture favorable
pour livrer la bataille à des ennemis qui ne font
pas extrêmement fupérieurs en force, lorfqu’il a
lieu de craindre que de nouveaux potentats ne
lui déclarent la guerre, & ne l ’obligent ainfi de
démembrer fon armée , pour accourir à la défenfe
d’une autre province ; ce qui le rendoit trop
foible fur Tune 8c l’autre frontière. Àu contraire ,
s’il réuflit à battre les ennemis qui lui font ouvertement
la guerre, peut-être les autres princes n’ofe-
ront-ils fe déclarer contre lu i, ou du moins , après
avoir vaincu les premiers-, il lui fera plus aifé de
réfifter au fécond.
Louis X I I , roi de France , avoit pour ennemis
déclarés le pape Jules II , les Efpagnols 8c les
Vénitiens. Ayant appris que les Anglois 8c les
Suiffes fe préparoient aulü à lui faire ]a guerre ,
il ordonna à Gafton de Foix fon général, qu’avant
que touts ces confédérés s’unifient pour attaquer la
France , il livrât le combat à l’armée du pape &
du roi catholique. Gafton ne tarda point d’exécuter
cet ordre , 8c gagna la bataille de Ravenne :
ce qui rendit inutiles touts les projets que ces
puiffances avoient formés contre la France.
L’empereur Confiance, appréhendant que Julien
ne lui déclarât la guerre , fe hâta de terminer celle
qu’il avoit contre les Allemands ; il leur livra plu-
fieurs combats eonfécutifs, 8c vint enfuite avec
toutes fes. forces s’oppofer à Julien.
Ce que je viens d’établir ne doit point fe pratiquer
l'orfque vous attendez un renfort égal ou
fupérieur à celui des ennemis , parce que le général
, qui fe tient fur la défenfive , ne doit combattre
que dans une extrême néceffité, ou dans
une conjoncture évidemment favorable : je le
prouverai dans la fuite.
ACtius 8c Caftinius , généraux de l’empereur
Honorius, n’attaquèrent point l’armée des Suabes
8c des Vandales, quoiqu’ils viffent qu’elle grof-
fiffoit chaque jour. Ils attendirent les renforts qui
dévoient
dévoient leur arriver ; 8c alors, ayant guetté une
occafion favorable , ils dominèrent le combat.
Il eft principalement néceffaire d’attendre votre
renfort , s’il confifte en des troupes des, autres
princes ‘, qui pourroient ne pas continuer leur
marche fi elles apprenoient que les vôtres ont
été battues. D ’ailleurs , il ne convient pas de
rifquer les troupes de votre fouverain , fans que
les auxiliaires ayent part au péril ; parce que s’il
arrivoit que ces dernières, parles pertes que vous
auriez faites , fuffent fort fupérieures aux vôtres,
elles vous feroient peut - être autant 8c plus de mal
que les ennemis même : j’en ai cité ailleurs plufieurs
exemples. Parmi les inftruCtions de l’empereur Léon
a Nicephore fon général, je trouve celle-ci.........
Lorfque vous aureç à faire la guerre contre des
troupes de plufieurs régions , on lit dans une autre
édition , de plufieurs religions , n attaque^ point
avant que tout votre renfort foit venu joindre.
i
Des précautions à prendre lorfque des ennemis
menacent une ou plufieurs de-vos places.
J’ai déjà dit quelles font les places qu’un prince
qui fe prépare à foutenir une guerre défenfive
doit par avance démolir ou fortifier , 8c dans
quelles occafions il faut tirer des troupes de l’armée
pour renforcer les garnifons des places dont
les ennemis pourroient entreprendre le fiège. J’ajoute
que f i, pour renforcer les garnifons, vous
aftoibliflez votre armée , vous devez camper dans
un terrein extrêmement avantageux , oppofer aux
ennemis des rivières ou de grands défilés, qu’il
lçur faudra néceffairement paffer pour venir vous
attaquer ; bien appuyer vos ailes 8c fortifier votre
front, ou camper lous le canon d’une de vos
places, q u i, fituée fur une rivière, vous mette à
l’abri d’un combat 8c vous affure d’une retraite.
Toutes ces précautions font néceffaires pour éviter
que les ennemis ne chargent votre armée lorf-
qu’elle aura été diminuée de ce nombre de troupes
dont vous avez renforcé vos garnifons; car les
ennemis n’auront peut --être pas eu d’autre intention,
en menaçant vos places, que de vous attaquer
pendant que votre armée fe trouve affoiblie par
les troupes que vous en avez tirées. On peut voir, à ce fujet, l’exemple du prince d’Orange 8c du
maréchal de Duras , que j’ai rapporté dans un
autre endroit de. cet ouvrage.
Ne dégarniflez point une place que les ennemis
peuvent attaquer, quoiqu’il paroifle plus vraifem-
blable qu’ils feront le fiège ou le blocus d’une
a^tre; car, quand même leur deffein auroit été
d’afiiéger cette dernière , dont ils auroient déjà
occupe les avenues 8c les poftes, ils contremar-
cheronr pour aller inveftir la première , lorfqu’ils
fçauront qu elle n’eft plus en bon état de défenfe , ni !
votre armee en fituation d’y jetter des troupes 8c des
provifions de bouche 8c de guerre qu’on en avoit ti-
»ees. Vousm’objeéferez, qu’ordinairement celui qui
Ar t militaire. Tom. Il,
fe tient fur la défenfive n’a pas affez de troupes pour
avoir en même-temps plufieurs places bien garnies
, 8c conferver un corps d’armée fort nombreux.
Je réponds que c’eft pour cela que je
viens de confeiller à cette armée de choifir un
terrein extrêmement avantageux pour camper ;
d’ailleurs il ne fera pas bien difficile de faire revenir
les troupes dont vous aviez augmenté les
garnifons , pendant que les ennemis s’approcheront
de quelque autre place, 8c qu’ils feront conduire
cette quantité de vivres , de munitions , 8c autres
provifions de guerre néceffaires pour aller afiîéger
une autre place.
Il eft fur-tout effentiel de ne pas dégarnir les
places qui, entourées d’étroites avenues , ne peuvent
que très difficilement recevoir du fecours ,
I quand même l’armée amie feroit fupérieure à celle
des ennemis.
En traitant des fiêges , j ’ai dit que l’armée qui
fe met en marche pour aller faire le fiège d’une
place , fait avancer un détachement pour empêcher
non-feulement qu’il n’y entre les troupes 8t
les provifions de bouche 8c de guerre dont elle
peut avoir befoin , mais encore pour éviter que
les perfonnes qui ne fçauroient fervir qu’à em-
barraffer n’en fortent. Il faut donc , avant que les
ennemis foient venus, occuper les poftes de quelqu’une
de vos places expofée à un fiège ou à un
blocus, en faire fortir les bouches inutiles, 8c
particulièrement les familles qui n’auroient pas
fait une abondante provifion de vivres. A l’égard
des autres , prenez garde de vous laiffer tromper
par le rapport de ceux que vous avez commis
pour vérifier quelles denrées chacun a pour fa
fubfiftance ; car peut-être ils auront été fubornés ,
ou ils fe feront laiffés toucher par une compaf-
fion préjudiciable pour la défenfe de la place.
En vain , on m’oppoferoit que le gouverneur aura
toujours le temps de mettre hors de la place les
perfonnes inutiles , parce que fi l’affiégeant les
rechaffe à coups de fufil, le gouverneur fe trouvera
comme forcé de les. recevoir par un mouvement
d’humanité, ou par la crainte d’un tumulte
des habitants , qui ne pourroient voir
leurs fàmilles, entre la place 8c l’armée, périr de
faim ou des coups des ennemis.
Quand même il y auroit dans la place des vivres
en abondance pour la garnifon 8c pour les habitants
, n’y laiffez pas un grand nombre d’ecclé-
fiaftiques , de religieux, de femmes, de gens de
robes , 8c autres perfonnes peu accoutumées à la
fatigue 8c au travail, parce qu’elles décourageront
les troupes par leurs plaintes 8c leurs allarmes
j continuelles, 8c n’oublieront rien pour porter le
| gouverneur 8c les officiers à rendre plus promptement
la place. Il faut néanmoins procurer les
< moyens de fubfifter, dans quelques autres lieux
j aux perfonnes pauvres, que vous obligerez de
1 fortir de la, place.
! Thucydide rapporte que les Athéniens , dans
E e e e e