
* Nous venons d’une terre éloignée. Quand nous
en lommes partis , ces vêtements étoient neufs ,
ces outres entiers, & ces pains frais. Nous avons
entendu parler de votre puiffance & des merveilles
que votre Dieu a opérées pour vous en Egypte.
Envoyés par nos princes & par nos concitoyens,
nous venons vous offrir leurs fervices , & vous
demander votre alliance ». Jofué leur accorda ce
qu ils demandoient, promit qu’Ifraël n!attenteroit
ni a la vie , ni aux biens des Gabaonites, & les
princes du peuple en firent le ferment avec-lui.
A peine trois jours étoient écoulés qu’ils ap-
prirent que Gabaon étoit près d’eux & devoit
lubnfter aq milieu des Ifraélites. Le peuple murmura
; mais fes chefs répondirent : nous avons
promis. Cependant ils les obligèrent à une efpècé
de fervitude, celle de couper le bois & de porter
1 eau. Cette ville étoit grande & guerrière • fa
détection irrita les Amorrhéens. Adonizedec , roi
des Jébuféens, s’unit à quatre autres rois , habitants
des montagnes , & vint mettre le fiège devant
Gabaon. Ceux-ci envoyèrent auffi - tôt à Jofué,
q u i, marchant à leur fecours , défit & mit en
fuite les cinq rois & leur armée. Il en périt une
grande partie , tant par le fer des Ifraélites que
par une grele dont les pierres ou morceaux étoient
d’une groffeur énorme. Les rois s’étant réfugiés
dans une caverne, y furent pris & amenés à Jofué :
il ordonna aux princes du peuple de mettre le
pied fur le cou de ces captifs, « Ne craignez rien ,
Ifraël, dit-il, c eft ainfi que le feigneur traitera
touts tes ennemis. ». Il tua enfuite ces rois, &
les fufpendit à cinq troncs d’arbre.
Après cette viéioire les Ifraélites prirent un
grand nombre de villes , exterminèrent de leurs
mains tout ce qui refpiroit, & brûlèrent celles des
plaines. Trois villes des Philiftins fubirent le njême-
fort. Ils en confervèrënt quelques-unes, que leur
pofition fur des lieux éleves rendoit plus propres à
la défenfe, & ne laifsèrent v iv r e , comme tributaires,
que les Cananéens, habitants de Gazer.
Trente & un rois, & leurs peuples, furent vaincus
& détruits. Maîtres abfolus de cette contrée, depuis
le défert jufqu’au Liban , & depuis le Jourdain
jufqu’a la mer* ils la partagèrent entre leurs
tributs. Alors Jofué déjà v ieux , affembla le peup
le , lui rappella les bienfaits de Dieu, lui recommanda
l’obéiffance aux volontés de ce puiffant
maître, lui promit la viéfoire fur toutes les nations
, & mourut âgé de cent dix années. ( An
du M. 2517. av. 7. C. 1477.).
Ainfi fut achevé, en fix ans, par ce général,.,
le grand projet commencé de l’établiffement des
Ifraélites dans laPaleftine. Moyfe avoit touts les
talents neceffaires pour l’imaginer & l’entreprendre :
vaftes connoiffances puifées dans1 Egypte, grandes
vues politiques, étude profonde de l’homme, de fon
peuple, des refforts les plus puiffants pour le mouvoir
& le diriger ; s’il eût quelque talent dans un
degré inférieur à fon projet, ce fût peut-être celui
de la guerre. Il falloit fans doute former les Ifraélites
à cet art : mais un temps moins long que celui
qu’il pafîa dans le défert, auroit fuffi à 'cet objet :
quarante ans n’y font pas néceffaires, fur-tout
contre des peuples peu inftruits. Jofué fit voir à
l’attaque d’Haï une grande intelligence dans l’art
militaire. Sa conduite en cette occafion, d’autant
plus importante qu’elle commençoit fes opérations
, nous eft un sûr garant des talents qu’il employa
dans les aérions dont nous n’avons plus les
détails, & la rapidité de fa conquête achève de
les prouver. Moins politique peut-être que ne
l’étoit M oy fe, il fuivit toutes fes vues. Nous le
voyons par-tout conduire Ifraël au nom de fon
D ieu , de merveilles en merveilles, rappeller les
fuccès à fa puiffance, interdire tout commerce
avec les nations étrangères, détruire les peuples
vaincus, proferire, exterminer tout ce qui n’étoit
pas Ifraélite ; politique barbare aux yeux des
hommes, & par malheur peut-être nécenaire dans
la pofition où Moyfe avoit mis fon peuple. Il
fouffroit en Egypte une fervitude intolérable. Elle
l’oblige au parti violent de fuir dans les défertsi.
Ne pouvant y vivre longtemps, une terre féconde
lui eft néceffaire. Mais celles qui l’entourent font
occupées : ainfi la conquête eft de nécefîité rigou-
reufe. Et ce n’eft point ici l’entreprife de quelques
millions d’hommes armés qui s’emparent du gouvernement
d’un état indifférent fur le choix d’un
maître , veulent la terre & fes habitants ; c’eft un
peuple ’ entier qui ne pourroit fubfifter dans la
même contrée avec un autre peuple. Ce font deux
hommes combattants pour le pain qui doit leur
fauver la vie ; il faut que l’un foit exterminé ou
qu’il extermine. Mais comme on ne peut échapper
à l’ordre éternel, comme entre les mains de Dieu
l’homme n’eft qu’un inftrument, & que les crimes
commis pour punir d’autres crimes v trouvent auffi
leur peine ; les cruautés exercées par Ifraël attira
fur lui. & fes descendants une haine univerfelle,
qui les pourfuit encore & durera peut-être autant
que la mémoire de leur origine.
Soit que le temps eût affoibli cette politique,’
foit que la néceflité de l’employer eût diminué
avec le nombre des habitants, nous voyons fous
Juda les Ifraélites impofer un tribut aux Cananéens,
aux Jébuféens, aux Amorrhéens, les con-
ferver au milieu d’eux, s’allier avec ces peuples
par des mariages, puifer chez eux des. connoiffances
dans l’art de la guerre, & même préférer
au culte de leur Dieu celui des dieux étrangers.
Chez les Cananéens la. guerre avoit auffi fes
cruautés. Leur roi Adonibezec, vaincu par Juda,
fût pris & eût les fommités des mains & des pieds
coupées. « Soixante-dix rois, dit-il, éprouvèrent
de moi ce traitement, & mangeoient fous ma
table les reftes de mes aliments : Dieu me rend
ce que j’ai fait fouffrir ».
Les guerres des Ifraélites continuèrent fous leurs
juges avec différents fuccès. Othoniel vainquit
< Chufan Rafathaïm, roi de Syrie. Mais Eglon, roi
de Moab, ayant fait alliance avec le fils d Ammon
& d’Amalec , affervit les Ifraélites. Ils fuppor-
toient ce joug depuis dix-huit ans, lors qu Aod ,
fils de Géra, fous prétexte de porter des préfents
au roi de Moab, le poignarda dans fon palais.
Revenu aux Ifraélites, il les mena contre Moab,
& en défit les troupes, qui perdirent dix mille
hommes.
Après un repos de quatre-vingts ans, Ifraël fut
fubjugué par Jabin , roi de Canaan , fécond de ce
nom; cette nouvelle fervitude dura vingt années.
Baruc, excité par la prophéteffe Débora, raflembla
dix mille hommes des tribus de Zabulon & de
Nepthali ; il marcha contre Sifara, général de Jabin,
qui avoit à fes ordres une grande armée, & neuf
cents charriots armés de faulx. Sifara, mis en fuite
avec fon armée, fe retira près de Jahel, femme
d’Haber le Cinéen , dont la famille vivoit en paix
avec les Moabites. Cette femme l’accueillant avec
les dehors de l’amitié , le fit entrer dans fa tente ,
& le couvrit d’un manteau. Le fommeil, effet de
fes fatigues , étant venu. le faifir, la cruelle Jahel
prit un grand cloud avec un marteau , le pofa fur
la tête de Sifara , & l’enfonçant d’un feul coup
d’une tempe à l’autre , joignit ainfi au fommeil de
la vie celui de la mort : peu après cette viétoire,
les Ifraélites furent délivrés de la domination de
Jabin.
Toujours oppreffeurs ou opprimés, ils furent
pendant fept ans pourfuivis par les Madianites , &
forcés à chercher dans les montagnes des antres ,
des cavernes & des refuges prefque inacceflibles.
Leurs ennemis venoient camper au printemps avec
leurs troupeaux , jufqu’aux portes de Gaza , enle-
voient touts les beftiaux , & confommoient les
fruits de la terre.
j- Gédéon ayant affemblé les Ifraélites , ne prit
.que dix mille des plus braves, & marcha contre
.Madian, qui , avec les Amalécites & quelques
autres peuples campoient dans une vallée. Rélolu
d’attaquer de nuit, il prit trois cents hommes d’élite
, les divifa en trois corps, donna une trompette
à chaque homme, & un vafe dans lequel
une lampe étoit cachée , afin que l’ennemi n’eut
pas connoiffance de leur approche. Au premier
fon de la trompette, fes troupes, fuivant l’ordre
qu’elles avoient reçu , découvrirent leurs lampes ,
en brifant les vafes , & firent entendre leurs trompettes
de toutes parts, en criant, Dieu & Gédéon.
Les ennemis furpris , courant à leurs armes, errant
ça & là dans les ténèbres, fe croyant environnés
d’un grand nombre de troupes , ne fe reconnoiffant
pas, le chargeoient &. feituoient les uns les autres ;
& toujours pourfuivis par le fon des trompettes,
& le cri fatal, Dieu & Gédéon, ils prirent la fuite ,
abandonnèrent la plaine au vainqueur, & furent
pourfuivis jufqu’à Bethfetta.
Gédéon paffa le Jourdain avec fes trois cents ,
& demanda pour eux des vivres à ceux de Succoth
& de Phanuel : ils les refusèrent. L’Ifraélite différa
fa vengeance. Il fuivit Zébée & Salmana , princes
de Madian, qui n’étoient plus accompagnés que
de quinze mille combattants : cent vingt mille
avoient péri. Ces princes, n’attendant rien moins
qu’une nouvelle attaque, furent furpris, mis en
déroute , pris par les Ephraïmites, & tués par
Gédéon même.
En revenant fur fes pas, il châtia les chefs de
Succoth, renverfa la tour de Phanuel, & fit tuer .
les habitants de cette ville. Sa troupe revint chargée
d’ornements d’o r , confiftant fur-tout en pendants
d’oreille , parure ordinaire des Ifmaélites, en colliers
d’or portés par les rois & même par leur«
chameaux : ils rapportoient auffi des robes de
pourpre,vêtements propres aux rois. Ainfi Madian
fût abattu, & Ifraël en paix pendant quarante ans,
(A n du M. 2750. av. J. C. 1254.). Ce furent
ces Madianites qui devinrent fi fameux enfuite
fous le nom d’Arabes.
Les enfants de Gédéon , au nombre de foixante
& onze, eurent après lui le gouvernement des
Sichémites. Un d’eux , nommé Abémélec, leur
perfuada de préférer le gouvernement d’un feul,
& de l’accepter pour chef. Il raflembla quelques
vagabonds , vint à la maifon de fon père en
Ephra, tua touts fes frères, excepté Joathan, qui
lui échappa, & raffemblant touts les Sichémites,
fe fit proclamer roi. Ce nouveau prince régna en
tyran. Après l’avoir fupporté durant trois ans,
quelques-uns d’eux confpirèrent contre lui , fe
cachèrent dans les montagnes, & en attendant
qu’il y v int, exercèrent fur les paffants quelques
brigandages.
Gaal étant venu fe mettre à leur tête, ils def-
cendirent dans les campagnes, y ravagèrent les
vignes, entrèrent dans le temple de leur Dieu
Baal-Berith, y firent des feftins, en difant : quel
eft Abimélec, &. pourquoi Sichem obéit-il à ce
parricide ?
Le roi inftruit de cette révolte , par Zebul, qui
feignoit d’embraffer le parti des Sichémites, affem-
ble des troupes, marche à leur ville & place dans
les environs quatre corps en embufeade. Gaal étant
forti pour le combattre, eft mis en fuite & pour-
fuivi jufqu’aux portes de la ville.
Le jour fuivant, le peuple fortit pour tenter un
fécond combat. Dès qu’Abimélec l’eût appris, il
divifa fes troupes en trois corps, en embarqua
deux dans la plaine, & marchant à la ville avec le
troifième, y donna l’affaut, tandis que les deux
autres fortant de leur embufeade , pourfuivoient
les Sichémites répandus dans la campagne. S’étant
rendu maître de la ville, il en fit tuer touts les
habitants.
Ceux qui occupoient la tour de Sichem , fe réfugièrent
dans le temple de leur Dieu. Le roi fit
environner leur afyle de branches d’arbres, & y
mit le feu. Il y en périt mille, tant hommes que
femmes.
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