s’ils préféroieht ce jour à celui de la veille. La 1
réoonfe fut qu’ils y voyoient la même différence
quentre le mal &. le bien. Cyrus leur dit, voilà .
peuplés Perles , quel eft votre état préfent. Vous
pouvez en m’obéiffant jouir comme aujourd’hui
de touts les avantages de la vie , ou continuer
de fupporter dans la fervitude oh vous êtes des
travaux fans nombre , pareils à beux de la. journée
précédente. Vous ne ferez point inférieurs aux
Mèdes à la guerre, non plus que dans la paix :
fuivez-moi êt rendezrvous libres.
Les Perfes ne fupportoient l’empire des Mèdes
qu’avec impatience : ils embrafsèrent avec ardeur
cette occafion de s’en délivrer, & Cyrus marcha
contre les Mèdes. Aftyage rajTembla fes troupes ,
Sl par le plus étrange des aveuglements, il mit
Harpage à leur tête. Lorfque la bataille fe donna ,
ceux des grands que le général avoit prévenus
de fes projets pafsèrent du côté des Perfes avec
ceux qu’ils commandoierit. D ’autres combattoient
avec molleffe & prenoient la fuite. Ainfi l’armée
d’Aftyage fe diffipant peu à peu, l’abandonna de
touts côtés. Une fécondé bataille eut un fuccès
plus malheureux. Aftyage y fut pris & conduit
h Cyrus , qui , maître de la Médie , traita fon
captif avec douceur, jufqu’au,moment oh la mort
finit fon efclavage..
Xénophon ne parle point de ces événements.
U dit, au contraire, que Cyrus, encore enfant,
paffa quelques années à la cour d’Aftyage , auquel
il donne pour fucceffeur fon fils Cyaxare ,
fécond de ce nom. Cet hiftorien, qui paffa plu-
iîeurs années en Perfe , put y apprendre des faits
ignorés par les hiftoriens précédents* Philofbphe
homme' de. guerre , il a rempli fon ouvrage
d’inftru&ions politiques & militaires. Il me paroît
donc mériter d’être préféré , fur - tout dans une
hiftoire des guerres , quand même il feroit vrai
que, pour mieux remplir fon objet', qui étoit
l’inftruâion, il eût altéré quelques faits hiftoriques ;
puifqu’il feroit difficile de prouver que ceux qui
nous font, racontés par Hérodote & par les hiftoriens
poftérieurs n’ont rien fouflert eux-mêmes du
temps de la tradition & de l'amour du merveilleux.
Je vais donc prendre Xénophon pour guide dans
Phiftoire des guerres de Cyrus.
Ce jeune .prince fut élevé dans toute' l’excellence
des inftitutions perfannes, tant militaires que
civiles. La nature avoit joint en lui aux grâces
des formes du corps la fagacité d’efprit qui rend
rinftru&ion facile & fon application prompte &
fure. Rempli pour fes parents d’un amour tendre
& refpe&ueux, leurs avantages & leur bonheur
étoient l’objet de fes allions comme il étoit celui
de leur tèndreffe. Affable, bon, humain, généreux
envers touts les citoyens qui lui étoient égaux
en â g e , il s’étoit concilié leur affeâion & cellè
de leurs parents. Sfils avoient. quelque demande
à former auprès du fouverain , c’étoient leurs enfants
qui la portoiem d’abord à Cyrus , & lui
devenant juge & médiateur entre eux & leur
prince , l’expofoit à fon ayeul qui ne pouvoit lui
refufer. Prompt, à interroger par avidité de fçavoir
comme à comprendre ce qu’on lui répondoit ,
& à l’exprimer enfuite , il abufa dans fon enfance
de cette facilité. Cependant il l’accompagnoit de
manières fimples & careffantes, qui la rendoient
plus agréable qu’importune. L’adolefcence tempéra
l’abondance de fes difcours & la vivacité
de fon expreffion. Il n’abordoit.plus les vieillards ,
fans qu’une pudeur refpeélueufecolorât fon vifage ;
fes entretients plus calmes acquirent un charme
inexprimable. Dans les jeux entre jeunes gens de
même âge , il ne défioit que ceux qu’il fçavoit
lui être fupérieurs, & en répétant avec eux le
même exercice, il ne tardoit pas à les furpaffer.
Lorfqu’il étoit vaincu , il fe railloit le premier:
Ainfi, obligeant touts les citoyens , & n’offenfant
perfonne, il mérita & obtint l’affeélion univerfelle*
Ardent & audacieux à la chaffe , malgré les
remontrances de ceux qui l’accompagnoient, &.
de fon oncle Cyaxare & d’Aftyage même, il
s’expofa plufieurs fois en des terreins efcarpés, à
la pourfuite des cerfs &. des fangliers. Ces exercices
, en développant fes forces &. fon courage,
le formoient à d’autres combats.
Il y avoît alors un grand nombre de bêtes fauves
fur les frontières des Mèdes & des Affyriens,
parce que ces deux peuples étoient ennemis ; on
n’ofoit pas y chaffer. Le fils du roi d’Âffyrje vint y
prendre le plaifir de la chaffe, avec une efcorte de
cavalerie, &. quelque infanterie pour battre les
bois. Les troupes deftinées à la relever, étant arrivées
le foir, le prince qui vit fes forces doublées,
réfolut une incurfion fur les terres de Médie. Laif-
fant donc une infanterie nombreufe aux paffages
de la frontière, afin de protéger fa retraite ; il s’avança
le matin, à la tête de la cavalèrie, vers les
forts des Mèdes, en retint avec lui la plus grande
partië & la meilleure, pour contenir les garnifons,
tandis que le refte difperfé s’occupoit du pillage.
Aftyage, informé de cette incurfion, marche à
la défenfe de fa frontière, avec les, troupes qu’il
avoit auprès de lui ; Cyaxare aflemble ce qu’il
peut de cavalerie : on envoie au refte des troupes
l’ordre de marcher. Cyrus voyant courir aux
armes fe revêt pour la première fois des fiënnes,
plaifir qu’il defiroit depuis longtemps , & fuit fon
ayeul. Aftyage furprit de le voir lui ordonna de
relier à fes côtés.
Les Mèdes voyant la cavalerie affyrienne en
bataille garder fon polie , s’arrêtèrent. Quels font,
demanda le jeune prince , ces gens à cheval qui
ne font aucun mouvement ? Ce font les ennemis,
lui répond Aftyage. — Et ceux qui courent dans
la plaine ? — Ce font aulfi les ennemis. Ils'me
paroiffent de peu de valeur, eux & leurs chevaux .
répartit Cyrus ; il faut les attaquer ; pourquoi
fouffrons-nous qu’ils emportent ainfi nos biens ?
Nç vois-tu pas, moiv fils, dit Aftyage, que fi
S nous
hotrê courions fur eux, ce gros de cavalerie mar-
cheroit à nous, & que nous n’avons pas encore
des forces fuffifantes. Mais, lui répond le jeune
prince, fi vous reliiez ici, & fi vous y receviez
cemtqui viennent au fecours, cette cavalerie tenue
en crainte n’ofera faire aucun mouvement, &
ceux-là .s’enfuiront jettant leur butin, dès qu’ils
verront quelques-uns des nôtres s’abandonner fur
eux.
Aftyage admirant le jugement de Cyrus, ordonne
à Cyaxare de prendre quelques cavaliers, &
de charger ces troupes difperlées pour le pillage.
Aufli-tôt Cyrus les fuit, & dans un inftant fe
trouve à leur tête. L’ennemi fuit ; les Mèdes pour-
fuivent, lui coupent la retraite , en atteignent
quelques-uns, les tuent, les font prifonniers. Cyrus
devance touts les autres, comme un jeune chien
plein d’ardeur, & fans expérience, qui pourfuit
un fanglier. Le prince ne voyoit que les fuyards ,
ne cherchoît qu’à les intercepter, .les frapper, &
n’avoit nulle autre penfée.
La cavalerie Affyrienne, voyant ie défordre des
liens, s’ébranla pour empêcher la pourfuite. Mais
Cyrus tranfporté pourfuivoit toujours, appellant
fon oncle , & fuivi par les Mèdes & Cyaxare.
Aftyage voyant cette ardeur imprudente d’un
jeune homme, & le mouvement des ennemis,
marcha vers eux. Ceux-ci, prêts à lancer le javelot,
& les arcs tendus s’arrêtèrent, penfant que
les Mèdes parvenus à la portée du trait s’arrête-
roient aulfi, comme ils avoient coutume de faire.
Souvent , lorfqu’ils étoient arrivés à cette distance
, ils commençoient le combat avec les armes
de je t , & le continuoient jufqu’aù foir. Mais quand
ils virent leurs coureurs, fuyant devant Cyrus, &
Aftyage parvenu à la portée du trait, ils rétrogradèrent
&. prirent la fuite. Cyrus & les Mèdes
les pourfuivirent jufqu’à leur infanterie, tuant touts
ceux qu’ils pouvoient atteindre. Aftyage craignit
quelque embufcade, & fit retirer fes troupes. Mais
celui qu’il fut le plus difficile de ramener, ce fut
Cyrus qui ne pouvoit quitter le champ de bataille.
Le courage, l’ardeur, l’audace qu’il avoit montrée
frappoient fon ayeul d’étonnement, autant
que l’avantage du combat, qu’il lui devoit en
partie, lui caufoit de joie.
Cyrus avoit à peine, feize ans. Cambyfe le rap-
pella pour achever fon éducation, & le jeune prince
fut remis en Perfe pour un an, dans la clàffe des
enfants. Ses compagnons le raillèrent d’abord,
croyant qu’il avoit pris chez les Mèdes l’habitude
d’une vie délicate. Lorfqu’ils le virent auffi content
à leur table frugale qu’il pouvoit l’être à celle de
fon ayeul, & plutôt donner de fa portion qu’en
defirer une plus grande, lorfqu’ils trouvèrent que
loin d’avoir oublié à la cour de Médie ce qu’il
avoit appris en Perfe, il leur étoit fupérîeur dans
touts les exercices, leurs fentiments fe changèrent
en ceux du refpeél Si de l’admiration. Dans la claffe
des adolefcents, il fe diftingua par fa patience à
Art militaire. Tome IL
fupporter les travaux, fa vénération pour les anciens
, &. fon obéiffance pour les fupérieurs.
Cyaxare avoit fuecédé à fon père , & le roi
d’Affyrie ayant fournis les Syriens, les Arabes,
l’Hyrcanie & la Baélriane, penfa qu’en affoiblif-
fant la puiffance des Mèdes, il étendroit facilement
fa domination fur touts les états voifins*-
Mais couvrant d’une feinte bienveillance fes idées
ambitieufes, il leur fufcita dès ennemis, en faifant
repréfenter à Cfæfus, roi de L y d ie , à celui de la
Cappadoce , aux Phrygiens, aux Cariens , aux
Paphlagoniens , aux habitants de la Cilicie , &
jufqu’à ceux de l’Inde, que les rois de Perfe & de
Médie, alliés par le fang & par la politique,
maîtres de deux grandes & valeureufes nations,
afpiroient à la domination dé l’A f ie , & que ceux
qui redoutoient l’afferviffement dévoient au plutôt
s’oppofer à leurs projets. Quelques-uns de ces
peuples furent perfuadés, & craignirent en effet;
l’Affyrien entraîna les autres par l’or Si les préfents
qu’il répandoit abondamment. Cyaxare voyant
l’orage fe former, envoya vers Cambyfe, alors roi
des Perfes, Si pour général des troupes qu’il vou-
droit lui envoyer, demanda Cyrus, alors forti de
l’âdolefcence. Le confeil, en le nommant , lui
donna dix mille hommes armés de boucliers, dix
mille frondeurs, & dix mille archers, avec mille
chefs pour les commander.
Cyrus ayant affemblé ceux-ci, leur repréfenta
que le temps étoit venu de faire ufage des qualités
militaires qu’ils avoient acquifes. «Vos ennemis,
leur dit - i l , ne les ont pas. Ceux - là ne font pas
propres à la guerre qui fçavent conduire un cheval,
ou lancer un javelot & dés flèches avec adreffe ,
& que la fatigue accable. Entre vous & les Affyriens,
quelle différence I Sans difcipline & fans
exercice , foibles au travail , incapables des
moindres veilles , ils ne fçavent ni combattre leurs
ennemis, ni fecourir leurs alliés. Vous, au contraire
, fçavez faire ufage de la nuit comme les
autres du jour. La faim Si les aliments vous conviennent
également. Les lions fupportent la foif
moins facilement que vous, & ce que vous avez
acquis de plus fublime & de plus convenable à
des guerriers, rien ne vous touche tant que la
louange , qui rend touls les travaux Si touts les
périls légers à ceux qui l’aiment. Les ennemis approchent.
Ils font agreffeurs , Si nos alliés nous
appellent. Quoi de plus jufte que de repouffer la
force; déplus honnête que de„ fecourir fes amis ;
mais , avant de partir , implorons la proteélion de
l’être fuprême ».
Cependant la (ollicitude paternelle agitoit Cambyfe.
Il avoit inftruit avec foin la jeuneffe de
fon fils ; mais le voyant revêtu d’un fi grand & fi
difficile emploi, il crut néceffaire de lui rap-
peller les préceptes qui dévoient le conduire*
Après la piété, il repréfenta l’obligation de pro-
cui-er à ceux dont on étoit le chef tout ce
qu’exigeoient leurs befoins. «Vous m’avez fou