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avions qui ont un heureux fuccès donnent de la
réputation au général, raniment le'courage de les
foldats, & empêchent, pour l’impreffion qu’elles
font d’abord, qu’on ne s’apperçoive de quelques
petites fautes qu’on peut faire dans la fuite ; au contraire,
fi l’événement a été malheureux, elles intimident
les troupes, font méprifer le chef," rendent
les ennemis plus orgueilleux,
Dccîe rapporte que le bon commencement du
gouvernement de l’empereur Leon Ier acquit beaucoup
de réputation à ce prince, & fut caufe que
l’Afrique, l’Afie 8c la Perfe n’osèrent pas lui déclarer
la guerre 3 comme elles l’avoient déclaré à
fes prédéceffeurs.
Solis, parlant de la première rencontre dè
Cortès avec les peuples de Tabafgo, dit qu’il prit
beaucoup de précautions dans cette première en-
îreprife de fon armée , parce que ce* font les bons
commencements qui donnent la réputation aux
armes , & qui relèvent le courage des foldats.
Sàlufte, qui raconte touts les avantages que
Marius remporta pour avoir heureufement commencé
la guerre contre Jugu.rtha, dit que dans la
fuite on mettoit au rang des entreprifes les mieux
concertées jufqu’à fes propres étourderies.
M. de Montmorency , qui connoiffoit qu’un
mauvais fuccès au commencement de la guerre ,
abat le coeur de celui qui l’éprouve, confeilloit à
Moutian d’agir en Provence avec beaucoup de cir-
confpedion contre les troupes de l’empereur
Charles V.
Il eft fur-tout dangereux de s’expofer à avoir du
défavantage dans la première occafion, lorfqu’on
commande à de nouvelles troupes, parce que
n’ayant pas encore éprouvé les changements de
la fortune, elles s’imagineroient que le fort des
armes leur feroit toujours contraire.
C ’eft fur ce fondement que Nicias exhortait fi
fort les Athéniens à combattre contre les Syracu-
fains^ qui étaient moins aguéris, 8c par conféquent
plus fujets à être intimidés par le premier coup'
d’une fortune contraire.
Pour vous être acquis de la réputation , gardez-
vous , comme dit le proverbe vulgaire, de vous
endormir fur elle , parce qu’une fin indigne ternit
Je plus glorieux commencement , 8c pour me
fervir des termes de Platon : dans la carrière* ce
n'ejl pas celui qui part avec le plus de vîtejfe- qui
remporte le prix i mais .celui qui > confiant dans fa
çourfe, arrive le premier au terme marqué. Il feroit
même extrêmement honteux pour un chef de
faire des fautes, après avoir donné des preuves
d’habileté. « Ç à , comme dit Strada , il y a moins
de honte à ne pas monter jufqu’à un certain
degré d’élévation, que d’en tomber après y être
parvenu fi. f
Des moyens d'établir la réputation de fupériorité
en forces.
Les perfonnes éclairées s'attachent à la qualité
G
I des chofes ; les, ignorants n’en confinèrent que la
quantité ou le nombre : ainfi , ayant propofé, par
rapport aux-premiers, le moyen de dpnner de la
■ réputation à la conduite du chef, & à la valeur
des troupes, examinons , par rapport aux féconds,
comment vous pourrez faire paller votre armée
pour être fupérieure en nombre.
Vous y rsuffirez à l’égard de ceux qui n’entendent
pas le fin de la guerre, 8c qui font le grand
nombre, en préfentant la bataille aux ennemis,
lors même que: vous n’avez aucune envie de la
donner ; mais que ce foit dans des lieux fi avantageux
, qu’ils foient obligés de la refufer. Si les
ennemis , pour être mieux reçus des peuples , ou
pour fe rendre formidables à vos troupes, font
courir le bruit qu’ils font les plus forts, faites les
mouvements les plus propres à donner à connoître
que vous leur êtes lupérieur en forces.
Pompée n’avoit pas deffein d’en venir à un
combat à Munda ; il né lai lia pourtant pas de
ranger fon armée en bataille en préfence de Cæ-
far ; mais ce fut dans un terrein où il ne pouvoit
être attaqué, parce qu’il avoit derrière lui une
place amie , 8c par devant un ruiffeau 8c divers
marais : 8c s’il fut battu dans la fuite , c’eft que ,
contre fon premier projet, il abandonna ce ter-
rein avantageux.
Cæfar étoit campé près de Lugubi, dans un
pofte fort 8c avantageux ; lès troupes de Pompée
lui crioient à tout moment de venir en rafe campagne
, & en même temps Pompée écrivoit que
Cæfar refufoit le combat. Cæfar , pour éviter
qu’on le crût, abandonna ce pofte 8c préfenta la
bataille ; & Pompée alors ne fortit point de fon
camp : ce qui fait voir que la maxime de ces deux
grands hommes étoit de vouloir palier chacun pour
fupérieür .en forces, afin que le pays n’embrafsât
pas le parti de l’autre. •
Sur de bons avis que vous recevrez , envoyez
des détachements pour commettre des aères d’hof-
tilités dans le pays ennemi , pour enlever les
| convois & les fourrages de l’armée ennemie , &
quelques-unes de fes gardes avancées : car le vulgaire,'
tant parmi les peuples que parmi les troupes,
ne juge des chofes que par ce qu’il voit, fans porter
fes réflexions plus loin.
Cette réputation de fupériorité en forces , commencera
à répandre une certaine crainte dans le
pays 8c parmi les troupes ennemies, tandis qu’elle
relèvera le coeur de vos foldats & de vos peuples.
Souvent, dans la guerre, la réputation ne
vaut pas moins que la force. Quinte-Curce a dit
d’Alexandre , « qu’il avoit fournis plus d’ennemis
par fa réputation que par fes armes ».
De la frontière & de la faifon qu'il faut çhoïfir
pour faire là guerre.
En fuppofant une commodité égale dans les
autres circonfiances , il faut ‘préférer de faire la
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guerre fur la frontière dont les peuples font moins
belliqueux, parce que s’ils étoient accoutumés à
manier les armes , iur-tout dans un pays de montagnes
, vous en feriez autant incommodé que
l ’armée du roi mon maître le fut en Catalogne,
où les payfans lui donnèrent plus de peine que
les troupes ennemies , 8c où chaque campagne il
falloit fix à huit mille hommes pour empêcher
les courfes des Mi^uelets,, 8c éviter que les
convois n’en lu fient infultés.
Il y a des nations qui font très guerrières hors
de leurs pay s , & qui ne le font pas tant lorsqu'elles
n’en fortent pas. Il y en a d’autres qui
portent la valeur à fon plus haiit point, pour la
détente de la patrie , 8c qui manque de courage
pu de fermeié , lorfqu’il; s'agit de conquérir ces
états éloignés.; Sur cette obfervation , il me paroît
que vous devez faire une guerre offenfive aux
premiers de ces peuples , 8c vous tenir fur la dé-
ienfive contre les féconds.
Employez vos principales forces contre les
provinces dont les hem me s fe font rendus plus
redoutables à vos troupes; car il y a des-peuples
.qui font voir beaucoup de valeur en combattant
cont-rç certaines nations, & qui fe battent avec
timidité contre quelques autres.
Si vous êtes fupérieur en cavalerie, vous devez
porter la guerre dans un pays de plaines, abondant
en eau & en fourrages ; & chercher un pays
.différent, fi les ennemis ont plus de -cavalerie que
.vous , fans vous engager-pourtant dans un terrein
extrêmement coupé par des défilés, fi le pays eft
ennemi.
Il ne faut pas porter la guerre dans un pays
où il y a un grand nombre de places fortes ;
8c il feroit défavantageux de vouloir taire des
conquêtes dans une province fi fort dépourvue
de ces places, que vous ne.puiffiez pas en trouver
pour établir les magafins 8c les hôpitaux, 8c
-couvrir de-là vos convois 8c vos retraites , fur-
tout lorfque le pays eft ennemi ; inconvénient que
les alliés éprouvèrent en Caftille , où faute de
places, leurs armées n’affujettifioit que deux ou
trois lieues de pays à l’entour, car les habitants
des autres lieux fermoient le paffage à .leurs re-
. crues, infultoient leurs convois, 8c enlevoient
leurs maraudeurs 8c leurs fourrageurs ; de forte
que leur armée , fupérieure en nombre fans
contredit, fe vit deux fois obligé de fe retirer ,
parce qu’elle étoit en quelque manière bloquée
par les gens du pays, qui n’étoient pas affujettis
par des places fortes , 8c qui n’obéiflbient plus aux
Allemands dès qu’ils étoient éloignes des deux
. marches.
Si vous avez lieu de croire que quelque Province
ennemie , à la vue de votre armée , pourra
fe déclarer pour votre prince , tâchez d’y faire
entrer vos troupes ; les exemples de Naples & de
, Sardaigne , que je rapporte en traitant de la guerje
, offenfive , en font une preuve.
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Lorfque vous n’ètes pas bien aflùré de la fidélité
de quelques-uns de vos peuples, choififlez,
pour faire la guerre, quelqu’endroit d’où votre
armée les puifle couvrir. Enfin, tâchez de porter
la guerre dans une province où vous receviez vos
convois plus facilement que les ennemis ne recevront
les leurs. On peut avoir cet avantage par
des bateaux,fur des rivières navigables, ou par
des vaiffeaux, lorfque vous en avez un pins grand
nombre que les ennemis, ce qui alors doit vous
déterminer à faire là guerre fur des côtes maritimes.
Les avis que je donne ailleurs , afin que
les ennemis ayent de la peine à recevoir leurs
convois j 8c afin que vous affuriez..Iës vôtres ,
pourront vous fournir quelques réflexions pour
juger en quel terrein l’armée des ennemis , ou la
vôtre , trouvera plus de commodité pour recevoir
les* v ivres , les fourrages , les recrues , les
armes , les habits, 8c l’argent pour les troupes.
Trois raifôns peuvent déterminer à porter la
guerre dans la province la plus riche que les ennemis
ont deffus votre frontière. La première eft
afin de ruiner ce pays ,'qui pourroit fournir aux
ennemis des fecours confidérables en vivres , en
argent, en chevaux , 8cc.
La fécondé eft afin que fi l’argent 8c les vivres
pour les troupes viennent à vous manquer , vous
en puiffiez tirer de ce pays par des quartiers d’hiv
e r ,. ou par des contributions.
En 3513 , don Raymond de Cardona, général
des troupes du roi don Ferdinand le catholique,
en Italie , ne fe trouvant pas des fonds pour entretenir
fon armée, abandonna toute autre entre-
prife pour la conduire dans le voifinage de Ve-
nife , qui alors étoit ennemie de l’Efpagne , 8c la
fit fubfifter aux dépens de ces peuples riches par
eux-mêmes , 8c encore plus par les denrées que
les habitans des autres lieux y avoient apportées
croyant qu’elles y feroient plus en fureté.
La dernière raifon qui doit déterminer à porter
la guerre dans la province la plus riche des ennemis
, eft lorfqu’on a deffein de conferver les
conquêtes qu’on veut faire : car s’il en doit coûter
autant pour réuffir d'un autre côté, il y auroit de
l’extravagance à choifir le pire. D ’ailleurs les
peuples des pays les plus riches font ordinairement
moins robuftes 8c moins belliqueux.
Commazzi remarque que l’empereur Carus voulant
faire quelques conquêtes , porta la guerre en
Perfe, pays riche 8c agréable ,• plutôt qu’en Sar-
madie, qui étoit ftérile 8c pauvre.
Ayant formé le deffein 8c pris Vós ir.efurés
pour conquérir, ou pour ruiner le meilleur pays
des ennemis, fi vous prévoyez que la paix tardera
longtemps à fe faire , 8c fi vous efpérez pouvoir
réduire vos ennemis en les appauvriffant, 8c
en leur ôtant les moyens de pouvoir foutenir la
guerre, portez la guerre fur la frontière la plus éloignée
des provinces qui fourniffent à leur armée le bled,
l’avoine, la viande, les habits, les armes, le fer